la protection de l’attente légitime des parties au contrat université panthéon-assas (paris ii) droit – economie – sciences sociales etude de droit international des investissements à la lumière du droit comparé. présentée et soutenue publiquement par florian dupuy le 30 novembre 2007
1 université panthéon-assas (paris ii) droit – economie – sciences sociales la protection de l’attente légitime des parties au contrat etude de droit international des investissements à la lumière du droit comparé. thèse en cotutelle pour obtenir les grades de docteur de l’université panthéon-assas (paris ii) docteur de la humboldt-universität zu berlin discipline : droit présentée et soutenue publiquement par florian dupuy le 30 novembre 2007 jury directeurs de thèse m. bernard audit, professeur à l’université panthéon-assas (paris ii) m. gerhard dannemann, professeur à la humboldt-universität zu berlin membres du jury m. emmanuel gaillard, professeur à l’université paris val-de-marne (paris xii) m. charles leben, professeur à l’université panthéon-assas (paris ii) m. yves nouvel, professeur à l’université paris nord (paris xiii)
2 l’université pantheon-assas (paris ii) droit-economie-sciences sociales n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses, ces opinions devront être considérées comme propres à leurs auteurs.
3 remerciements je tiens à remercier mes deux directeurs de thèse : - le professeur gerhard dannemann, qui a éveillé mon intérêt pour le droit comparé et m’a aidé à en acquérir les méthodes ; - le professeur bernard audit, qui m’a accordé une exceptionnelle disponibilité tout au long de ma recherche, et notamment pendant les derniers mois de mon doctorat. je remercie également le professeur emmanuel gaillard, le professeur charles leben, et le professeur yves nouvel, d’avoir accepté de faire partie du jury de thèse. merci enfin à thibaud rhim et charles masson, pour leurs suggestions et commentaires.
4 résumé de la thèse le droit international des investissements a vu ces dernières années, si ce n’est la naissance, du moins l’utilisation de plus en plus fréquente, d’une notion jusque là peu utilisée : la notion d’ « attente légitime ». elle est fréquemment employée dans de nombreuses sentences rendues récemment dans ce domaine, généralement pour préciser le contenu et l’étendu des obligations de l’etat hôte à l’égard de l’investisseur privé étranger. cette notion d’ « attente légitime » peut, à première vue, apparaître nouvelle. pourtant, les préoccupations auxquelles elle répond sont anciennes : elles existent, de longue date et sous des formes similaires, dans les ordres juridiques internes. parmi ceux-là, les systèmes français, allemand, et anglais, ont élaboré, en droit public comme en droit privé, un certain nombre de notions qui présentent de fortes parentés avec celle d’ « attente légitime ». cette dernière ne procède certes ni directement ni exclusivement d’aucune des notions de droit interne dont on peut la rapprocher ; pourtant celles-ci ont pu avoir une influence sur l’utilisation qui en est faite par les plaideurs et les arbitres, et elles continueront sans doute à en avoir dans son évolution à venir. il demeure que la notion d’attente légitime du droit international des investissements connaît un développement qui lui est propre. elle intervient le plus souvent au soutient des mêmes questions : celle de savoir si l’etat hôte a violé son obligation de traitement juste et équitable de l’investisseur ; celle de savoir si l’investisseur a été exproprié indirectement ; et celle du calcul du montant de l’indemnisation qui lui est due en cas d’expropriation. néanmoins, son utilisation la plus récente paraît pointer dans le sens d’une autonomisation par rapport à tel ou tel problème juridique déterminé. elle semble par ailleurs, dans de nombreuses affaires, si fondamentale à l’argumentation des parties comme à celle des arbitres, que l’on peut se demander dans quelle mesure un nouveau standard de droit international des investissements est en train de se développer sur son fondement.
5 résumé de la thèse en allemand auf dem gebiet des internationalen investitionsrechts ist in den letzten jahren ein bisher kaum verwendeter begriff immer öfter aufgetaucht : der begriff der « berechtigten erwartung ». dieser begriff wird in vielen der neusten schiedsgerichtsentscheidungen häufig verwendet, hauptsächlich um die pflichten des staates gegenüber dem ausländischen investor genauer zu definieren. der begriff der « berechtigten erwartung » mag einem neu erscheinen. doch die probleme, die dem begriff innewohnend sind, sind alt : es gibt sie, seit langer zeit und in vergleichbarer form, in den internen rechtsordnungen. insbesondere das französische, das deutsche, und das englische rechtssystem haben seit jeher, sowohl im bürgerlichen wie im öffentlichen recht, begriffe entwickelt, die dem der « berechtigten erwartung » sehr ähneln. « berechtigte erwartung » ist mit keinem der nationalen begriffe identisch. es liegt jedoch nahe, anzunehmen, dass die nationalen begriffe einen einfluss auf den heute häufig im internationalen investitionsrecht verwandten ausdruck gehabt haben. es gibt anlass zu denken, dass in zukunft der einfluss der nationalen begriffe weiter wachsen wird. der begriff hat sich im internationalen investitionsrecht eigenständig weiterentwickelt. hier treten die « berechtigten erwartungen » meistens im zusammenhang mit den selben fragen auf : hat der staat seine pflicht zur fairen und gerechten behandlung (fair and equitable treatment) erfüllt ? wurde der investor indirekt enteignet ? ist die schadensersatzforderung angemessen ? man kann jedoch beobachten, dass sich der begriff von den vorgenannten fragestellungen in gewisser weise ablöst. zudem scheint er heute in vielen streitigkeiten eine so große bedeutung zu erlangen, dass man sich fragen kann, ob sich dahinter nicht die entwicklung eines neuen standards im investitionsrecht verbirgt.
6 sommaire chapitre introductif 1ere partie : des racines anciennes en droit interne. chapitre 1. une problematique commune. chapitre 2. des notions similaires. 2nde partie : un développement récent en droit international des investissements. titre 1. traitement de l’investissement et attentes de l’investisseur. titre 2. protection de l’investissement et attentes de l’investisseur. titre 3. pour une théorie générale de l’attente légitime en droit international des investissements. conclusion générale
7 chapitre introductif système juridique, attentes subjectives et determination « objective » de leur légitimité « law of every type relies on the fulfillment of expectations »1 . cette phrase du professeur georg schwarzenberger, énoncée vers 1950, place la notion d’ « attente » (« expectation ») au centre de la définition de la fonction du droit : celle-ci résiderait, par essence, dans la satisfaction de certaines attentes de ses sujets. l’affirmation peut certes provoquer bien des réserves, tant elle paraît a priori réductrice. on pourrait lui reprocher, par exemple, son inspiration excessivement individualiste, faisant fi, notamment, des objectifs d’intérêt collectif poursuivis par l’etat en tant que garant de l'ordre public. au demeurant, il faut admettre qu’elle reflète mal la réalité des systèmes de droit actuels. dans la tradition française, par exemple, loin de considérer l’attente comme un point central du droit, on pourra avoir tendance à la considérer comme marginale2 . pourtant, la phrase de schwarzenberger, lui-même formé à la double école du droit allemand puis de la « common law », a le mérite de mettre l’accent sur une évidence souvent oubliée : l’importance fondamentale de la confiance dans tout système de droit. elle renvoie en effet à une 1 georg schwarzenberger : the fundamental principles of international law rcadi 1955-i (tome 87), p. 290. 2 dans ce sens (bien qu’au sujet de la notion de « confiance légitime », dont nous verrons à quel point elle est proche de celle d’ « attente légitime »), d. mazeaud, la confiance légitime et l’estoppel, ridc 2006/2, p. 363 : « pour aborder la question du rôle de la confiance légitime dans notre système juridique, il est très tentant, quitte à jouer sur les mots, de relever que c’est un sentiment de méfiance qu’inspire manifestement ce concept aux juristes français. »
8 considération de bon sens, selon laquelle aucune société, et donc aucun système de droit, ne peut fonctionner sans la confiance mutuelle de ses membres et l’adhésion de tous à sa fiabilité3 . dans le présent chapitre introductif, nous tenterons avant tout, comme nous y incite schwarzenberger, de replacer l’idée d’attente au sein de la question de la fonction du droit en général : quels rapports cette idée entretient-elle avec celle du juridique (section 1) ? une fois accompli cet exercice de repérage, nous verrons comment il faut entendre le concept (et non plus seulement la notion) d’ « attente » pour que son étude présente un intérêt : nous évoquerons différentes significations qu’elle est susceptible de revêtir, et préciserons celle qui doit, selon nous, être retenue (section 2). nous en viendrons ensuite au droit positif, pour délimiter le domaine de notre étude (section 3), ce qui nous permettra de formuler plus concrètement la problématique qui nous guidera tout au long de ce travail (section 4). section 1 : droit et attentes. si la notion d’ « attente » n’apparaît pas nécessairement fondamentale aux juristes, l’idée n’en est jamais indifférente au fonctionnement du droit et de la société en général. il n’est en effet plus à démontrer que la confiance, c’est-à-dire le sentiment, sinon la conviction que certaines attentes seront satisfaites4 , se situe à la base du fonctionnement de toute société humaine (§1). c’est d’ailleurs probablement ce besoin de confiance qui conduit les hommes à s’organiser autour d’un système de règles, nécessaire à toute prévision (§2). on constate en réalité que la notion de 3 dans le même sens, v. woosley : « trust lies at the basis of society. », cité par j. de louter, le droit international public positif, t. i, oxford, 1920, p. 470. 4 sur les rapports entre attentes et confiance, v. infra p. 19.
9 confiance et de protection des attentes est inhérente à l’idée de droit, quelle que soit la conception qu’on en ait (§3). §1.- confiance et vie en société. nécessité de la confiance pour le fonctionnement des sociétés humaines. le rôle de la confiance dans le fonctionnement de toute société a déjà fait l’objet de nombreuses études dans les disciplines les plus diverses, notamment sous l’angle psychologique5 , anthropologique, comportemental6 ou sociologique7 . l’homme étant d’abord un être rationnel, les comportements de ses congénères créent chez lui un certain nombre d’attentes, c'est-à-dire une confiance dans les agissements futurs de ceux qui l’entourent. en d’autres termes, il s’agit d’une confiance dans un sens bien déterminé : celle qui porte sur le fait qu’un comportement x (par exemple une promesse) annonce la survenance d’un événement y (en l’occurrence la réalisation de cette promesse). john stuart mill évoquait en 1861 l’importance de la confiance au sein de la société dans les termes suivants: « en s'écartant, même sans le vouloir, de la vérité, on contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bien-être social actuel ; disons même qu'il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large part, que l'insuffisante solidité d'une telle confiance. »8 5 v. notamment r. zippelius, « verlust der orientierungsgewissheit ? », festschrift für h. schelsky, berlin, 1978, p. 777 s. 6 v. les études comportementales qui ont montré que les animaux vivant en groupe se soumettent à un ordre social, dont l’une des règles fondamentales est l’interdiction des comportements trompeurs, notamment k. lorenz, über tierisches und menschliches verhalten, münchen, 1974. 7 n. luhmann, qui a eu une influence considérable sur l’école sociologique du droit, définit ainsi le droit : « structure d’un système social, basé sur la généralisation congruente d’attentes comportementales normatives » (in rechtssoziologie, 3. aufl. opladen : westdeutscher verlag, 1987. p. 105). 8 john stuart mill, l’utilitarisme, londres, 1861.
10 il s’agit, autrement dit, de la confiance dans une certaine régularité des choses. si l’homme devait renoncer totalement à cette confiance, c'est-à-dire s’il ne pouvait se permettre de croire à aucun lien stable entre des événements passés ou présents avec des événements futurs, il devrait se résoudre à ne faire aucune prévision, à vivre entièrement dans le présent, sans rien n’espérer de l’avenir. on peut sans doute affirmer, donc, que la confiance est la condition de toute prévision. manifestation par le juridique de la nécessité de la confiance. le fait même que les sociétés humaines s’organisent autour d’un ensemble de règles applicables à tous, d’ailleurs, ne montre-t-il pas l’importance de pouvoir prévoir les comportements d’autrui ? comme l’a noté r. kolb dans une étude consacrée à la bonne foi en droit international public : « l'importance de la confiance pour la vie sociale se reflète dans l'existence même d’un système juridique dont les normes prescrivent des comportements. »9 c’est que les règles juridiques apparaissent comme la consécration, l’officialisation d’un certain nombre d’ « attentes généralisées »10 , c'est-à-dire partagées par la plupart des membres d’une société, afin de sanctionner leur déception. on peut affirmer, par exemple, que la règle interdisant le tapage nocturne procède d’une attente partagée par la majeure partie des membres de la société : celle de tranquillité pendant la nuit. de même, en droit français, l’article 1134 alinéa 1 du code civil, expression de la règle pacta sunt servanda, peut être considéré comme la consécration d’une attente généralisée, à savoir celle selon laquelle la parole donnée sera tenue. l’existence de la règle est donc justifiée par la constatation qu’elle correspond à une attente partagée par le plus grand nombre. nul besoin, dans cette perspective, de recourir à l’idée d’un ordre supérieur, tel le droit naturel ou le 9 r. kolb, la bonne foi en droit international public : contribution à l'étude des principes généraux de droit, paris, puf, 2000, p. 172. 10 l’expression est empruntée à r. kolb, op. cit., note 9.
11 droit divin, qui serait la source et la justification des règles de notre droit positif11 . on peut illustrer cette idée par la règle pacta sunt servanda, puisque, comme le constate le doyen ripert : « [l]e principe de la liberté contractuelle et de la force obligatoire du contrat est indépendant du fondement philosophique qu'il trouve dans la théorie de l'autonomie, de la volonté. la règle a existé bien avant que le système philosophique ait été élaboré, et elle survit au discrédit de ce système. cette règle est aussi vieille que la civilisation. ceux qui croient au droit naturel diront qu'elle est imposée par ce droit. constatons simplement qu'elle existe. chez tous les peuples et à toutes les époques, il a toujours été admis que quand deux hommes s'entendent pour se lier l'un à l'autre, d'une certaine façon, cette entente est obligatoire et doit être respectée. »12 a l’image de la règle pacta sunt servanda, les lois seraient d’abord l’expression des attentes généralisées. l’existence même du droit serait donc justifiée par la nécessité d’assurer une certaine régularité de la vie sociale, en limitant au maximum les cas de déception de la confiance. comme le dit l’allemand c.-w. canaris, en effet : « l’idée de confiance fait sans aucun doute partie des principes fondamentaux de chaque ordre juridique, on peut même la compter au nombre des « principes juridiques supérieurs » et considérer qu’elle fait partie intégrante de l’idée de droit. »13 §2.- le droit comme instrument de prévision et de sécurité. 11 à moins qu’il ne s’agisse en réalité de la même idée, formulée différemment, l’attente généralisée constituant la manifestation d’une règle de droit naturel. 12 g. ripert, les règles du droit civil applicables aux rapports internationaux rcadi 1933-11 (tome 44), p. 589. 13 c.-w. canaris, vertrauenshaftung im deutschen privatrecht, c.h. beck, münchen (1971), p. 3 : „der vertrauensgedanke gehört zweifellos zu den fundamentalsten prinzipien einer jeden rechtsordnung, ja, man mag ihn zu den „obersten rechtsgrundsätzen“ zählen und ihn als bestandteil der – material verstandenen – rechtsidee selbst ansehen.“ (notre traduction. sauf indication contraire, toutes les traductions de l’allemand vers le français sont les notres.)
12 prévision et droit en général. le droit, en effet, n’est-il pas d’abord et avant tout un instrument de prévision ? quelle est la fonction première de la loi, si ce n'est de permettre aux sujets de droit de prévoir quelles conséquences seront attachées à leurs actes, (soustrayant un certain nombre de ces conséquences à l’aléa de l’arbitraire des autres) ? on peut sans doute avancer, en effet, quelles que soient les bases politiques et idéologiques, comme les caractéristiques structurelles d’un système de droit ou « ordre juridique », qu’il réduit les incertitudes inhérentes aux relations entre les partenaires ou, plus précisément, qu’il a pour objet d’établir la sécurité des relations juridiques entre ses différents sujets. appuyée sur la fiction constituante selon laquelle « nul n’est censé ignorer la loi », cette organisation des rapports entre les sujets d’un ordre déterminé entraîne de la part de chacun d’entre eux des attentes, conditionnées par le contenu des lois comme par la détermination légale des sanctions attachées à leur inexécution. prévision et droit des contrats. cette conception, valable dans les relations entre etat (ou puissance publique) et personnes privées, est d’autant plus évidente dans une perception prioritairement contractuelle des rapports de droit. le contrat est, par nature et plus encore peut-être que la loi, un acte de prévision. chacune des deux parties, en s’engageant, accepte d’abdiquer une partie de sa liberté, de renoncer à une partie de son autonomie afin de pouvoir prévoir un comportement ou un résultat venant de l’autre. comme l’enseignait le doyen ripert : « la force obligatoire des conventions repose en effet sur deux idées essentielles. la première, c'est l'idée morale du respect de la parole donnée. les enfants eux-mêmes s'indignent quand l'un d'eux ne tient pas sa parole. […] l'autre idée, c'est que le respect de la parole donnée permet à chacun de compter sur l'avenir. le contrat est prévision, les hommes ont besoin d'échanger leurs richesses et leurs services; le troc n'est qu'un procédé élémentaire; il faut pouvoir différer l'exécution; on
13 ne le pourra que si l'autorité publique fait respecter la convention et oblige les contractants à l'exécuter. »14 citons également, dans le même sens, ces propos du lord britannique johan steyn mettant en évidence le lien nécessaire entre contrat et confiance : « confidence in promises is the lifeblood of commerce. »15 relation entre droit et attentes : un rapport double. le droit comme instrument de prévision entretient donc un double rapport avec les attentes de ses sujets. par la loi, il protège avant tout les attentes « généralisées ». mais toutes les lois ne sont pas la consécration d’attentes généralisées. certaines lois créent de nouvelles attentes dont il garantie la satisfaction – la règle du code de la route selon laquelle l’automobiliste venant de la droite a la priorité, par exemple, ne procède pas d’une attente généralisée (le législateur aurait tout aussi bien pu décider de créer la règle de la priorité à gauche) mais en crée une nouvelle. la différence entre ces deux cas tient au fait que dans l’un, la règle de droit constitue la conséquence de l’attente (celle-ci la précède), et dans l’autre la cause (l’attente procède de la règle). dans les deux cas, néanmoins, l’objectif de la règle juridique est de créer une régularité, c'est-à-dire une confiance, ou encore une sécurité. en réalité, on peut sans doute prétendre que la plupart des règles juridiques comportent une part de reflet et une part de consolidation des attentes16 . place de notre sujet au sein de cette problématique générale. cela dit, il doit être souligné d’emblée que l’objet de la présente 14 g. ripert : les règles du droit civil applicables aux rapports internationaux rcadi 1933-11 (tome 44), p. 589 (c’est nous qui soulignons). 15 j. steyn, contract law: fulfilling the reasonable expectations of honest men (1997) 113 lqr 433, p. 436. 16 dans le même sens, v. d. loschak, « droit, normalité et normalisation », dans aa.vv., le droit en procès, paris, puf, 1984 (p. 51-77), p. 54 : « instrument normatif et prescriptif, qui établit des normes et en sanctionne le respect, [le droit] est aussi discours, discours référentiel qui prétend décrire la réalité en même temps qu’il la régit. »
14 thèse est moins lié à l’analyse des attentes consacrées ou créées par les règles juridiques qu’à la question de savoir dans quelle mesure le droit protège les attentes propres aux partenaires de la relation contractuelle. en d’autres termes, les attentes qui seront ici examinées, nous allons le voir, sont celles qui apparaissent légitimes bien qu’elles ne soient pas consacrées concrètement par des règles de droit. elles sont « légales », certes, mais dans la seule mesure où elles sont acceptées comme telles par le juge, à partir d’une interprétation du droit existant. elles ne le sont pas d’abord au sens littéral où elles se verraient explicitement définies et reconnues par le contenu de la norme applicable, que celle-ci soit législative ou contractuelle. nous reviendrons sur ce point lorsque nous définirons l’ « attente » telle que nous l’étudierons. §3.- « attente légitime » et différentes conceptions du droit. nous avons vu que, sous un certain angle, les attentes des individus se situent au cœur de la problématique juridique en général, et de celle du droit des contrats en particulier. toutefois, peut-on considérer que la notion d’ « attente légitime », que nous nous proposons d’étudier, relève plus particulièrement d’une philosophie juridique déterminée ? se place-t-on d’emblée, en choisissant cette notion, dans un camp ou dans un autre ? se rattache-t-elle à une conception plutôt individualiste, contractualiste du droit, marquée par l’autonomie de la volonté17 ? procède-t-elle au contraire d’une conception plus sociale et objective du droit, centrée sur l’intérêt général ? à notre avis, l'intérêt et l’universalité de la notion d’ « attente légitime » tiennent précisément au fait qu’elle se situe à la conjonction de ces deux types de conceptions. elle semble, selon qu’on l’analyse sous un angle ou sous un autre, se rattacher tantôt à la première tantôt à la seconde. voyons un peu plus 17 l’autonomie de la volonté étant la « théorie fondamentale selon laquelle la volonté de l’homme (face à celle du législateur) est apte à se donner sa propore loi » (g. cornu (sous la direction de), vocabulaire juridique, 7e édition, puf, paris, 2005, v° autonomie).
15 en détails quels rapports l’attente légitime entretient avec ces deux conceptions du droit, en particulier dans le domaine contractuel. « attente légitime » et conception individualiste du droit. tout d’abord, quels rapports peut-on établir entre la notion d’attente légitime et les conceptions individualistes du droit, bâties sur le dogme de l’autonomie de la volonté ? la notion d’ « attente légitime » s’inscrit-elle dans la logique de cette philosophie, fondement de la plupart des droits contractuels occidentaux – qu’il s’agisse des systèmes de droit civil, comme les droits allemand et français, ou des systèmes de common law, tels les droits anglais ou américain ? au premier abord, on peut être tenté de le penser, étant donné sa connotation foncièrement individualiste : la notion d’ « attente » est éminemment subjective. elle décrit d’abord un état psychologique. vue sous cet angle, l’attente est très proche de la volonté interne, dont on sait l’importance dans la théorie de l’autonomie de la volonté18 . elle concerne, comme elle, la projection subjective d’un individu dans l’avenir. plus passive, et souvent moins claire que la volonté, elle procède néanmoins du même ordre d’idée. prendre en compte l’attente, en effet, c’est s’intéresser aux volitions des partenaires dans leur état le plus embryonnaire. dans cette mesure, la conception individualiste est poussée à son paroxysme avec la notion d’attente. cependant, la question se pose immédiatement de savoir comment prendre en compte des éléments de volonté qui sont enfouis au plus profond de l’individu. il semble qu’il faille se résoudre à constater que, tant qu’elle n’entretient aucun contact avec le monde extérieur, objectif, elle ne peut pas être prise en compte par le droit. l’attente, par définition un fait purement intérieur, ne saurait par elle-même produire des effets de droit. 18 rappelons la distinction entre volonté interne et volonté déclarée, parfaitement résumée dans la formule suivante : « …le consentement est à la fois quelque chose qui se pense – c’est la volonté interne - et quelque chose qui s’exprime – c’est la volonté déclarée. » (y. lequette, ph. simler, et f. terré, droit civil : les obligations, dalloz-sirey, paris, 9e éd., 2005, §87).
16 n’étant par définition pas déclarée, elle ne peut accéder à l’extériorité, au contact de laquelle elle pourrait acquérir une validité juridique. la volonté, on le sait, ne produit d’effets que lorsqu’elle en rencontre une autre, ce qu’elle ne peut faire que si elle est exprimée. a quoi bon, alors, s’intéresser aux attentes, dont on ne connaît par définition pas le contenu ? si la justification de la notion réside bien dans la sauvegarde de l’intérêt individuel, elle est privée de toute utilité tant qu’elle n’est pas marquée du sceau de l’objectivité. a moins que l’attente prise en compte par le droit soit purement hypothétique : il ne s’agirait pas des attentes réelles, mais de « ce à quoi on peut légitimement s’attendre ». c’est que – et c’est ici qu’entre en jeu la conception objective du droit – l’attente ne devient juridiquement valable que lorsqu’elle est « légitime »19 . « attente légitime » et conception sociale du droit. à la conception individualiste du droit s’en oppose une seconde, que l’on peut appeler « conception sociale » : celle-ci est fondée, non sur la défense par chacun de ses propres intérêts, mais sur la défense par l’etat (et donc par le droit) de l’intérêt de la société. elle place l’intérêt général au centre des objectifs du droit. dans le domaine des contrats, elle se traduit par le fait que le contrat n’est plus exclusivement la chose des parties, mais concerne la société dans son ensemble, puisqu’il entre en interaction avec l’ordre juridique dans lequel il s’inscrit. opter pour une conception sociale du contrat signifie donc que chacun, au lieu de ne défendre que ses propres intérêts, doit prendre en compte l’intérêt de son cocontractant, ou même des tiers. l’utilité sociale constitue le centre de gravité du contrat, sa raison d’être. si la volonté demeure à la source du contrat (sans la rencontre de deux volontés, aucun contrat n’est formé), elle y joue un rôle nettement plus limité, puisqu’elle ne suffit plus à elle seule à en fonder le caractère obligatoire et ne dicte plus entièrement son régime. 19 ou encore « raisonnable », ou « justifiée », ce qui, nous le verrons, signifie généralement la même chose.
17 selon la conception sociale – et c’est ici que la notion d’attente devient intéressante – le contrat tire certes sa force obligatoire de la volonté, mais combinée avec la considération selon laquelle le retrait de la volonté aurait pour effet de léser les tiers qui se sont fiés à sa déclaration. voici comment cette idée a été formulée par rené demogue, l’un des meilleurs représentants de la conception sociale du droit dans la première moitié du xxème siècle : “ayant voulu d’une certaine façon aujourd’hui, je ne puis vouloir le contraire demain, sans léser les tiers qui ont pu tenir compte de ma conduite pour régler la leur.”20 le contractant est donc obligé d’exécuter, non pas simplement parce qu’il l’a voulu, mais parce qu’une fois sa volonté émise, elle crée des attentes (procédant toutes d’une attente principale, selon laquelle le contractant tiendra parole) en fonction desquelles les tiers déterminent leur action. ces attentes sont fondamentales dans la justification de la force obligation du contrat selon la conception sociale. cette interprétation est confirmée par la distinction faite par demogue entre deux types de sécurités juridiques : sécurité statique et la sécurité dynamique. demogue critique la théorie de l’autonomie de la volonté, fondée sur un principe selon lui irréaliste, à savoir celui du respect de la volonté réelle, ce qu’il nomme sécurité statique : une personne n’est obligée que si elle le veut et dans la mesure où elle le veut. la sécurité dynamique, au contraire, se caractérise par son pragmatisme : la volonté, phénomène psychique, n’est connue dans le milieu social que par des apparences et c’est à ces apparences que les tiers doivent se fier. pour déterminer la valeur et la portée de la volonté, il ne faut donc pas prendre en compte la volonté interne et inconnaissable mais se référer au fait connu, à la déclaration de volonté. loin de refuser tout rôle à la volonté, demogue considère la volonté déclarée comme seule digne d’être prise en compte. cependant, la justification des 20 r. demogue, les notions fondamentales du droit privé, a. rousseau, paris, 1911, p. 32.
18 effets juridiques qu’elle produit ne réside pas dans le fait qu’elle est volonté, mais dans le fait qu’elle est visible. cela signifie qu’un comportement ne correspondant pas à la volonté interne du contractant aurait en principe le même effet juridique. ainsi, comme le note j. ghestin à propos de cette conception : « … ce n’est pas la valeur que l’intéressé a entendu attribuer à son comportement qui doit être prise en considération, mais la signification objective que les tiers, et spécialement le cocontractant ont pu lui attribuer. »21 sans, à notre connaissance, avoir employé la notion d’ « attente légitime » c’est bien, à notre sens, sur celle-ci que se fonde la théorie de demogue, notamment lorsqu’il évoque la sécurité dynamique. synthèse dans la notion d’ « attente légitime » des conceptions individualiste et sociale du droit. en définitive, l’attente légitime apparaît pertinente et digne de protection pour deux raisons cumulatives, dont chacune va puiser son fondement dans une conception différente du droit. on peut en effet avancer que l’attente légitime mérite d’être prise en compte dans la mesure où : - elle correspond à la volonté d’un sujet de droit, et - elle correspond à l’ordre social. il convient donc d’analyser la notion en l’articulant autour des deux éléments qui la composent, c’est-à-dire 1) l’attente et 2) la légitimité. a ce stade, et avant d’aller plus avant dans notre réflexion, il semble indispensable de préciser ce que nous entendrons par « attente légitime ». 21 j. ghestin, la notion de contrat, d. 1990, p. 147.
19 section 2 : définition de l’attente légitime telle que nous allons l’étudier. précisons avant tout que la définition que nous nous proposons de donner ici de l’ « attente légitime » est opératoire, et non dogmatique : nous n’entendons pas la définir de manière globale, mais dans le sens auquel nous la limiterons pour le temps de notre étude. en effet, étant donnée la multiplicité des angles d’étude possibles, nous ne pourrions les aborder tous sans demeurer à un stade superficiel. §1.- définition de l’ « attente ». attente et confiance. nous l’avons vu, l’attente qui nous intéresse ici s’analyse en une forme de confiance dans la survenance d’évènements à venir. car un sujet juridique n’a d’attentes sincères que dans la mesure où existe en son chef une certaine confiance dans les comportements annoncés de ses partenaires. les termes « attente légitime » et « confiance légitime » sont d’ailleurs tous deux employés dans la langue juridique pour décrire des phénomènes semblables. leur utilisation varie, non pas d’abord en fonction du phénomène décrit mais plutôt selon la discipline considérée. ainsi, c’est généralement la notion de « confiance légitime » qui est préférée en droit public, pour décrire les attentes créées par l’administration dans le chef des administrés. en droit privé, en revanche, on peut observer une tendance à préférer la notion d' « attente légitime », tel qu'on le verra dans l’étude de la jurisprudence de la cour de cassation. (cf. infra, p. 157s.). paradoxalement, le terme utilisé en droit public anglais comme équivalent de la « confiance légitime » du droit communautaire ou
20 français est celui de « legitimate expectations », c'est-à-dire littéralement « attentes légitimes ». on le voit, il convient donc de ne pas trop s’attacher à ces différences de formulations, pour tenter de dégager leur essence commune. sens ordinaire de l’ « attente ». que désigne-t-on alors par le terme d’ « attente » ? emprunté au lexique général, il n’a pas, dans les ordres juridiques internes auxquels nous nous intéresserons, de sens juridique spécifique. jusqu’à une période assez récente, il n'intéressait d’ailleurs guère les juristes, qu’ils soient français, anglais ou allemands – même si, en droit allemand, la notion de confiance joue, depuis longtemps déjà, un rôle important. remettons-nous en donc pour commencer à son sens commun. le littré définit l’ « attente » comme une prévision, une opinion, ou une espérance, tandis que selon le robert, l’attente est « le fait de compter sur quelque chose ou sur quelqu’un ». de même, le terme anglais “expectation” découle du verbe “to expect” qui, selon le cambridge advanced learner's dictionary, signifie „to think or believe something will happen, or someone will arrive“. enfin le terme « erwartung » en allemand provient du verbe « erwarten » qui, selon le duden, signifie « attendre quelqu’un ou quelque chose, envisager quelque chose ; considérer comme probable ; escompter, se promettre »22 . ainsi, dans le langage ordinaire, l’ « attente » décrit une disposition psychologique. c’est comme telle, contrairement à certains auteurs, que nous l’étudierons. pourquoi, en effet, la traiter comme une fiction alors qu’elle correspond à un phénomène concret ? attardons nous un instant sur cette question. caractère réel (et non fictif) de l’attente étudiée. il convient d’emblée de mettre l’accent sur ce point : nous n’entendons pas 22 „auf jemanden, etwas warten, einer sache entgegensehen; für wahrscheinlich halten; erhoffen, sich versprechen“.
21 adopter une conception « fictionnelle » de l’attente. l’attente dont nous traiterons, loin de celle définie par certains auteurs23 qui se sont intéressé à la notion récemment, n’a rien de théorique ni d’objectif. il s’agit bel et bien de l’attente réelle, empirique et subjective telle qu’elle peut être invoquée par l’une des parties. afin de fournir une illustration de ce type de conceptions « objectives » ou « fictionnelles » de l’attente dont nous voulons nous démarquer, présentons brièvement l’article récemment consacré par pascal lokiec à la notion d’ « attente » dans le contexte du droit des contrats24 . celui- ci définit l’attente de manière purement extérieure à la subjectivité des parties. la notion n’aurait rien de psychologique, mais renverrait à une réalité objective ; ainsi, il exclut de son étude les attentes empiriquement créées dans le chef de l’une des parties, notamment par des déclarations ou comportements de son cocontractant. l’auteur justifie cette exclusion par le fait qu’une conception subjective de la notion la rendrait incompatible avec le droit français : elle serait trop intimement liée, d’une part à la notion d’estoppel, issue de l’equity anglaise et faisant fi des conditions de formation du contrat, et d’autre part à la théorie de la volonté déclarée (tandis que le contrat du droit français est d’abord fondé sur la volonté réelle des contractants)25 . par conséquent, la seule conception acceptable en droit français – et par ailleurs conforme à la notion anglaise de « reasonable expectations » – serait donc celle selon laquelle : « …les attentes sont l’expression d’une « volonté normale », d’une « volonté-type ». c’est ainsi pour prendre en compte les attentes des contractants que les juges anglais recherchent le contenu normal du contrat, en le complétant par des clauses implicites. »26 23 v. notamment infra, l’article de p. lokiec. 24 p. lokiec, le droit des contrats et la protection des attentes, d. 2007-5, p. 321. 25 p. lokiec, op. cit., p. 323. 26 p. lokiec, op. cit., p. 323.
22 pour l’auteur, autrement dit, s’interroger sur les attentes des parties revient exclusivement à se demander ce qu’elles auraient dû – normalement – vouloir. les attentes renvoient donc à une forme particulière de volonté, qui présente par hypothèse deux caractéristiques : il s ‘agit d’une volonté, d’une part purement théorique, et d’autre part commune aux deux parties. ainsi, p. lokiec poursuit : « contrairement aux attentes de comportement, celles dont il est question ici sont nécessairement voulues, et communes aux cocontractants. appréciée en termes de « normalité », l’attente est partagée… »27 on peut légitimement s’étonner des termes employés par l’auteur. n’est-il pas étrange de parler d’ « attentes voulues » 28 ? en réalité, le choix des mots semble trahir le zèle que met l’auteur à vouloir rattacher à tout prix les attentes à la théorie de la volonté, zèle qui transparaît à travers tout l’article. au-delà de ce détail rhétorique, en effet, on notera le caractère artificiel de la démarche de m. lokiec. l’objectif principal de celui- ci semble être de réconcilier la notion d’attente, dont il constate comme nous- même un début de percée en droit français, avec la tradition du droit français des contrats, elle-même fondée sur la théorie de l’autonomie de la volonté. en réponse aux théories qui prônent l’émancipation par rapport à la théorie volontariste29 pour une plus grande justice contractuelle, il se fixe pour tâche de montrer qu’une notion comme celle d’ « attente » peut contribuer à des solutions plus justes tout en s’inscrivant dans la continuité de la théorie de l’autonomie de la volonté. pourtant, l’approche de m. lokiec souffre de l’arbitraire qui la motive. si son intention, à savoir de rétablir une cohérence entre fondements traditionnels et évolutions récentes du droit français, est en soi louable, elle conduit à modifier le sens du terme de « volonté ». parler de « volonté normale », en effet, c’est s’éloigner radicalement du sens premier de 27 p. lokiec, op. cit., p. 323. 28 s’il est possible de considérer que l’ « attente » renvoie à une forme de volonté, il nous paraît en revanche hasardeux de prétendre que l’on peut vouloir des attentes. 29 v. par exemple le courant du « solidarisme contractuel », infra p. 134.
23 cette notion en droit français des contrats – à savoir la volonté interne, c’est-à- dire réelle – plus proche de l’intention. manifestement bien conscient du problème, l’auteur cherche à y apporter une réponse : « les expressions susvisées [d’« économie du contrat » et d’« obligation essentielle », que l’auteur rapproche de la notion d’ « attente »] dénotent en effet un écart par rapport à la classique intention des contractants, en raison du caractère objectif de la volonté dont il est ici question. un écart nécessaire puisque la notion d’économie du contrat, comme celle d’obligation essentielle, est le plus souvent sollicitée pour écarter l’intention des cocontractants. il s’agit alors de rechercher la volonté véritable des cocontractants, en écartant les clauses expresses contraires à leurs attentes. »30 la notion inciterait donc, selon l’auteur, à une recherche de la « volonté véritable » des cocontractants, au détriment de (et donc par opposition à) leurs intentions. pourtant, s’agit-il vraiment pour lui de rechercher la volonté véritable ? peut-on vraiment distinguer entre volonté véritable et intention au point de les opposer ? et surtout, comment prétendre que la « volonté normale » (ou encore « volonté objective ») est plus proche de la volonté véritable que l’intention ? autant de contradictions qui nous conduisent à réfuter cette conception de l’attente. en réalité, pourquoi nier que la notion d’attente se situe en rupture avec la tradition française ? pourquoi dire « attente » si l’on veut dire « volonté type » ? pourquoi l’attente juridiquement pertinente ne serait-elle pas réelle, concrète, et celle d’une partie et non des deux ? s’il est vrai, comme nous l’avons vu, que la notion d’ « attente » peut effectivement renvoyer à une forme embryonnaire de volonté, celle-ci n’est selon nous ni théorique ni partagée. elle est d’abord réelle parce que l’ « attente » désigne une disposition psychologique. le choix de ce terme implique que l’on se situe du point de vue de l’intéressé, et non d’un point de vue objectif. rattachée au 30 p. lokiec, op. cit., p. 324.
24 terme « raisonnable » ou « légitime », l’attente acquiert un élément d’objectivité. cependant, au stade de la définition du terme « attente », il convient de mettre l’accent sur son caractère subjectif. caractère unilatéral de l’attente étudiée. ensuite, si nous définissons l’attente comme une disposition psychologique concrète, il en découle que l’attente qui fera l’objet de notre étude est nécessairement unilatérale, et non partagée. l'attente d’un contractant qui n’est pas en décalage avec celle de son cocontractant ne pose en effet aucun problème : aucune des deux parties n’aura de raison de mettre d’obstacle à sa satisfaction, et il est très probable qu’aucun litige ne naîtra. en d’autres termes, les attentes consensuelles sont inintéressantes parce qu’elles ne posent pas de problème, ne provoquent pas de conflit. en revanche l’attente qui est propre à l’une des parties est intéressante du fait que, invoquée par cette dernière, son bien-fondé sera contestée par l’autre. c’est ici que le juge pourra être amené à intervenir pour déterminer la légitimité de l’attente en question. une conception de l’ « attente » en accord avec la problématique posée. en définitive, l’approche de l’attente que nous proposons semble aller de paire avec la problématique que nous avons introduite. en effet, la différence entre la conception retenue par p. lokiec et celle que nous préconisons (théorique et partagée d’un côté, réelle et unilatérale de l’autre) découle certainement du décalage entre nos objectifs respectifs. notre définition s’inscrit bien dans la logique de la problématique que nous nous sommes posée – et correspond au demeurant mieux au sens commun du terme. formulée en terme de protection de la confiance entre les sujets d’un système de droit (et plus particulièrement entre contractants), il nous semble que notre problématique conduit naturellement à définir l’attente comme une expectative concrète. la confiance, en effet, n’est pas définissable in abstracto : elle est le fruit de situations particulières. il s’agit d’une disposition psychologique bien réelle. il faut, dès lors, la traiter comme telle.
25 certes, il est vrai que certains types de confiance (ou d’attentes) sont définissables a priori, car elles sont communes à toute une catégorie de contrat. ainsi, l’obligation de sécurité reconnue en droit français pour les contrats de transport31 ne découle-t-elle pas d’une attente légitime, commune à tous les contrats de transport, de parvenir sain et sauf à destination ? néanmoins, la majeure partie des attentes (qui, rappelons-le, ne découlent par hypothèse pas du texte contractuel) sont créées par les circonstances et les comportements spécifiques à une espèce donnée. soulignons enfin que notre approche n’exclut pas qu’une attente puisse se présumer. nous entrons ici dans le domaine de la preuve, dans le souci de répondre à une objection légitime : celle selon laquelle il serait illusoire de prendre en compte les attentes réelles, étant donné qu’elles ne sont, le plus souvent, pas connaissables par le juge. rien n’empêche, dans notre optique, que les circonstances de l’espèce conduisent le juge à présumer que le créancier avait telle ou telle attente réelle. dire que l’attente considérée est réelle ne signifie donc pas qu’on devra l’ignorer faute de preuves irréfutables prouvant son existence. en revanche, cette présomption sera nécessairement réfutable : dès lors qu’il sera établi que l’attente en question n’existait pas dans le chef de l’intéressé, il faudra la rejeter. notre approche vise simplement à ne pas voir dans la notion d’attente une fiction détachée des comportements et expectatives propres à une espèce déterminée. définition. dans le cadre de notre étude, les « attentes » correspondent ainsi aux représentations implicites, subjectives et unilatérales que chacune des parties, respectivement, se fait de l’obligation du cocontractant et de l’exécution du contrat en général. on peut en effet affirmer que les parties, lors de la conclusion du contrat, n’expriment que partiellement la façon dont elles se représentent le lien contractuel. le reste n’est pas exprimé, parce que considéré comme trop évident, ou comme découlant naturellement des usages 31 cass. civ. 21 nov. 1911, dp 1913.1.249, note l. sarrut ; 12 nov. 1969, d. 1970, somm. 35.
26 ou du bon sens : il ne « vaut pas la peine » d’être exprimé explicitement32 . bien que cette partie de la volonté ne soit pas exprimée par les parties, celles- ci, ou l’une d’entre elles, attendra pourtant qu’on s’y conforme. ces attentes, néanmoins, peuvent apparaître, en fonction de la vision de chacun, plus ou moins justifiées, plus ou moins légitimes : ce qui, pour moi, est évident ne l‘est pas forcément pour l‘autre. dès lors, qu’est-ce qu’une attente « légitime » ? peut-on en donner une définition échappant suffisamment aux incertitudes radicales du subjectivisme ? §2.- définition de la « légitimité ». difficulté de donner une définition. qu’entendons-nous par attente « légitime » ? il va de soi que l’on ne peut donner une définition trop dogmatiquement pré-établie, une sorte de « définition-recette » qui permettrait, appliquée à telle ou telle situation, de classer immédiatement l’expectative qu’elle génère dans la catégorie des attentes légitimes ou dans la catégorie de celles qui ne le sont pas. la définition que nous sommes en mesure de donner à ce stade sera forcément provisoire et au moins partiellement insatisfaisante, puisque l’un des objectifs de notre étude porte précisément sur l’établissement d’une définition plus précise de l’ « attente légitime ». en revanche, il semble que l’on puisse dire d’ores et déjà en quoi consistera le fait de s’interroger sur le caractère légitime d’une attente. un problème crucial : la légitimité des attentes non généralisées. nous avons vu que le droit consacre un certain nombre d’attentes généralisées. pour ce qui est de telles attentes, leur caractère légitime découle précisément de l’extension sociale de leur admission. elles 32 une autre hypothèse est constituée, comme cela est souvent vérifié par la pratique diplomatique, par le cas dans lequel les parties ont préféré rester silencieuses sur des aspects potentiellement litigieux en raison d’interprétations différentes du sens et de la portée attachée à l’obligation explicitée dans les clauses de l’accord. on renvoie alors à la pratique le soin d’en exprimer les virtualités dans un sens conforme aux aspirations implicites de chacun.
27 sont le fruit d’un consensus. pour reprendre ici au pied de la lettre la célèbre définition de la loi par jean-jacques rousseau, celle-ci constitue véritablement « l’expression de la volonté générale », même si l’on sait que cette dernière n’est pas à prendre dans le sens statistique d’une adjonction majoritaire de volontés identiques. néanmoins, la loi ne saurait épuiser le contenu de la confiance légitime. un grand nombre d’attentes, en effet, s’affirment comme légitimes alors même qu’elles ne sont pas généralisées – et, pour cette raison, non consacrées par la loi. il convient donc de s’interroger sur les critères qui font que leur prise en compte, que ce soit par le cocontractant ou par le juge chargé de l’interpréter, apparaît pertinente pour assurer la bonne exécution du contrat. on le voit, les attentes légitimes qui nous intéressent ne sont ni celles créées explicitement par la loi ni celles suscitées par la lettre du contrat33 . il s’agit précisément de se demander quelles attentes sont juridiquement légitimes en dépit du fait qu’elles ne découlent directement d’aucun texte ; de distinguer celles-ci des simples espérances, dépourvues de signification au regard du droit. en d’autres termes, il s’agit de distinguer entre les attentes estimées socialement pertinentes et attentes strictement subjectives ; ignorer les attentes capricieuses pour ne retenir que celles qui sont « raisonnables », au sens où elles s’appuient sur la rationalité consacrée par l’ensemble du corps social. nous avons vu en effet que l’adjectif « légitime » constitue l’aspect objectif de notre notion, celui qui renvoie à l’« ordre social ». l’attente, d’origine purement subjective, se trouve alors validée au regard du droit objectif par le sceau de l’ordre public. en qualifiant une attente de légitime, on la sort de la pure subjectivité d’un individu pour la confronter à l’étalon de la réalité sociale. légitimité et immanence. il nous apparaît ici que l’on ne peut s’interroger sur la légitimité de l’attente en adoptant une approche 33 d'une certaine façon, les clauses du contrat créent des attentes légitimes : il est légitime, par exemple, pour un vendeur de s’attendre à ce que le prix de l’objet vendu lui soit payé. cela est évident : mais précisément, c’est si évident que dans un tel cas, la notion n’a aucun intérêt, le respect des engagements constituant l’objet même du droit des contrats.
28 strictement positiviste du droit. l’attente légitime renvoie semble-t-il à une acception « transcendante » du droit. elle trouve sa justification dans un ordre supérieur à celui du droit positif. on peut appeler cette dimension supérieure « droit naturel » ; on peut, plus simplement peut-être, se contenter d’y voir une référence à un impératif social. si l’élément le plus important de l’impératif précité est, comme nous l’avons vu, à trouver sans doute dans la confiance, chaque société est structurée par un certain nombre de références communes, de standards communs, d’usages qui forment une « normalité » s’imposant à tous. l’attente doit être, en quelque sorte, « normale », pour être pertinente du point de vue de la société en général, ainsi qu’au regard du droit. pour cela elle doit découler d’une source valable. dès lors, cela pose le problème de la définition de la normalité et de ses sources, problème sur lequel nous aurons l’occasion de revenir34 . « légitime », « justifiée », « raisonnable »… enfin, observons que des adjectifs proches sont parfois employés à la place de celui de « légitime » : en français, « raisonnable » ou « justifiée », en anglais « reasonable », « justified », ou même simplement « basic ». il semblera la plupart du temps que ces différents épithètes soient utilisés indifféremment. en droit international des investissements, par exemple, les termes « legitimate expectation » et « reasonable expectation » ne sont pas distingués. en droit anglais, où les deux termes existent également, les auteurs ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur ce qui les distingue et la plupart des auteurs et des juges les utilisent de manière interchangeable35 . 34 cf. notamment infra, p. 63. 35 voir, notamment, c. mitchell, leading a life of its own? the roles of reasonable expectation in contract law, oxford journal of legal studies 2003, 23(4): 639-665, p. 645 : “in contract law, for example, no real distinction has been drawn between reasonable and legitimate expectations– commentators and judges use the terms interchangeably.” on mentionnera tout de même la distinction proposée par le juge sedley j dans l’arrêt anglais hamble (r. v. ministry of agriculture, fisheries and foods, ex p. hamble (offshore) fischeries ltd [1995] 2 all e.r. 714), qui a considéré que le terme “reasonable expectation” englobait toutes les attentes considérées comme raisonnables (indépendemment de savoir si elles devaient être effectivement protégées), tandis que celui de “legitimate expectation” devait être réservé aux attentes effectivement sanctionnées par le droit: “legitimate expectation is now in effect a
29 §3.- définition de l' « attente légitime ». en définitive, nous pouvons provisoirement définir l’attente légitime comme la représentation subjective qui, prolongeant l’expectative du respect par le cocontractant de ses obligations explicites, est sanctionnée par le droit parce qu’elle s’appuie sur une anticipation raisonnable de ce que le partenaire doit déduire de la formulation littérale de ses devoirs contractuels. section 3 : domaine de l’étude. au terme des considérations théoriques qui précèdent, dont on aurait tort de sous-estimer l’importance pour la compréhension des développements qui vont suivre, il apparaît nécessaire de cadrer de façon plus précise le champ d’application de la modeste contribution que la présente étude voudrait apporter à un sujet à la fois complexe et évolutif. §1.- domaine ratione materiae. a. les ordres juridiques étudiés. droit international des investissements. comme l’indique le sous-titre de cette thèse, celle-ci part du droit comparé pour mieux éclairer term of art, reserved for expectations which are not only reasonable but which will be sustained by the court in the face of changes of policy.” (p. 732).
30 l’usage de la notion d’attente légitime en droit international des investissements. au regard du succès de la notion d’ « attente légitime » dans la jurisprudence récente des tribunaux arbitraux internationaux, notamment sous l’égide du centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (cirdi), nous nous interrogerons sur son sens et sa fonction. il semble, en effet, qu’il soit fait appel de plus en plus souvent à cette notion en la matière. on s’appuie sur elle notamment pour obliger l’un des cocontractants à s’acquitter de son obligation selon certaines modalités (ou pour définir plus précisément l’étendue de cette obligation), en fonction des attentes que l’autre partie était en droit d’avoir. comme évoqué plus haut dans une optique plus théorique, l’idée semble bien être que l’obligation d’une partie ne s’arrête pas nécessairement à la lettre du contrat, mais peut aller plus loin que celle-ci ne le laisse entendre. cette notion intervient notamment dans le cadre de l’interprétation du standard du traitement juste et équitable (« fair and equitable treatment ») et de l'interdiction de l’expropriation indirecte, présents dans la plupart des traités bilatéraux concernant la promotion et la protection des investissements (tbi). droits internes. néanmoins, il semblerait mal venu d’étudier cette notion de droit international des investissements isolément, indépendamment des applications qu’elle a pu trouver de longue date dans des ordres juridiques plus anciens et plus élaborés. l'étude des droits internes, notamment, peut être d’une aide précieuse pour la compréhension de la notion ainsi que ses développements à venir. en effet, le droit des investissements est un droit en pleine expansion, encore lacunaire, qui subit l’influence de multiples cultures juridiques : au premier plan de celles-ci se situent entre autre les droits anglais, français36 , et allemand. a ce dernier égard, qui pourrait a priori surprendre, rappelons que les tout premiers traités bilatéraux relatifs aux investissements, au-delà de la pratique ancienne des traités d’ « amitié et de commerce » 36 si les sentences arbitrales sont rendues le plus souvent en anglais, on en compte également beaucoup qui sont rendues en français (entre autres langues).
31 conclus, notamment, par les etats-unis, ont précisément été négociés et adoptés par la république fédérale d’allemagne, l’un des plus grands investisseurs à l’échelle mondiale. le droit allemand, par ailleurs, exerce également son influence, par exemple par l’intermédiaire d’arbitres de culture juridique allemande37 . autre descendant du droit romain, droit notionnel particulièrement élaboré, la comparaison avec le droit français semble permettre de faire réellement le pendant aux ordres juridiques de « common law ». lacunaire, le droit international des investissements fonctionne en grande partie par référence a des standards généraux (tel que celui du « traitement juste et équitable ») et principes38 , eux-mêmes suffisamment généraux pour laisser place à des représentations multiples. le rôle des arbitres, issus comme on l’a vu de cultures juridiques diverses, est déterminant pour l’interprétation de ces principes. par leur intermédiaire, ce sont donc les différents ordres juridiques nationaux qui sont à l’origine du droit des investissements. ainsi, comme l’explique e. gaillard à propos de la sentence amco c. indonésie39 : « les principes retenus, aussi bien que l'exclusion finale, traduisent nettement la conception que le tribunal arbitral se fait des « principes du droit international » au sens de l’article 42(1) de la convention de washington. il s’agit des principes communs aux principaux systèmes juridiques, des principes généraux du droit, que le droit comparé, aussi bien que toutes les sources qui permettent de dégager l’existence d’un consensus d’un nombre suffisant de nations – comme c’est le cas des conventions internationales, qu’elles soient en vigueur ou non – autorisent à inférer de la plupart des systèmes de droit positif. »40 37 on peut citer notamment le professeur karl-heinz böckstiegel, arbitre dans de nombreux arbitrages cirdi récents ou en cours, ou le professeur christian schreuer, exégète particulièrement autorisé de la convention cirdi. 38 l'article 42(1) de la convention de washington, relatif au droit applicable au différend, s’abstient de faire référence au caractère « général » des « principes de droit international en la matière ». 39 amco c. indonésie i, 20 nov. 1984, 24 ilm 1022 (1985). 40 e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, p. 153, v. aussi p. 77 à propos de la décision sur la compétence rendue dans la même affaire : « [la sentence] révèle également les sources d’inspiration de ces principes généraux et le rôle essentiel que joue en la matière le droit comparé, qui, dans le droit de l’arbitrage commercial international, tend à devenir une science appliquée. » p. weil souligne également la nécessité de recourir aux droits interne pour faire évoluer le droit international : il fait remarquer, à propos de l’élaboration d’une droit international des contrats, que « …des
32 on constatera au demeurant que la notion d’ « attente légitime », ou du moins l’idée qui la sous-tend, n’est en aucun cas propre au droit international des investissements, mais se manifeste dans un certain nombre d’ordres juridiques internes. y compris en droit français, dans la tradition duquel cette notion n’a guère sa place, on observe une véritable explosion de l’intérêt pour elle41 . cependant, la notion existe-t-elle avec le même sens et les mêmes effets dans des ordres juridiques nationaux ? s’agit-il d’une notion directement issue de la common law, comme on pourrait être tenté de le penser42 ? ce sont là des questions qui restent à élucider. en tout état de cause, il semble qu’il faille en chercher l’origine dans les différentes acceptions que peuvent avoir des notions proches dans plusieurs systèmes de droit. l’approche comparée est donc ici destinée à mieux comprendre la façon dont la notion est en train d’émerger internationalement en droit des investissements. b. précisions quant au domaine matériel. contrats et traités bilatéraux de protection des investissements (tbi). une précision importante doit être apportée relativement à la détermination du champ matériel de la présente étude. celle- ci s’affirme d’abord dans le cadre du droit des relations contractuelles. quoiqu’il en soit, on ne peut restreindre celles-ci ni aux relations entre éléments du nouveau chapitre du droit international des contrats pourront évidemment être empruntés à tel ou tel système de droit déjà existant. le droit international général fournira l’apport le plus immédiat […] mais les systèmes nationaux pourront également être d’un secours précieux, car ce sont eux qui possèdent les règles les plus élaborées et les plus perfectionnées en matière de contrats…. » (p. weil, écrits de droit international, paris, puf, 2000, p. 315). 41 on remarquera en effet que la plupart des articles de doctrines publiés sur le sujet datent d’après le début de nos recherches (octobre 2004). 42 la notion de legitimate expectations, comme nous aurons l’occasion de le voir , existe telle quelle en droit administratif anglais.
33 personnes privées étrangères, ni à celles longtemps décrites comme relevant du seul « contrat d’etat », à raison de la disparité des parties à la convention, l’une étant un etat souverain, dépositaire de la puissance publique, l’autre une personne privée étrangère, l’investisseur. ces deux types de relations peuvent, certes, entrer dans le champ de notre étude. cependant, il faut constater que l’une des évolutions majeures du droit international contemporain des investissements tient à son obédience de plus en plus marquée à l’égard du droit international public, lequel ne connaît pas d’abord les contrats mais les traités entre etats. une telle évolution a, tout d’abord, été facilitée par la généralisation de la « clause cirdi » dans les contrats d’investissement, prévoyant la saisine du centre placé sous l’égide de la banque mondiale pour régler les litiges entre l’investisseur étranger et l’etat d’accueil. ce phénomène n’était cependant pas suffisant en lui-même pour renvoyer à l’application du droit international43 . c’est, quoiqu’il en soit, l’évolution des conditions de saisine du cirdi à partir de la sentence rendue dans le cadre de l’affaire aapl/sri lanka qui a joué un rôle déterminant dans l’évolution du droit applicable à ce type d’arbitrage44 . on sait en effet que, dans cette dernière affaire, remontant déjà à 1990, les arbitres ont admis la saisine directe du cirdi par l’investisseur sur la seule base de la convention bilatérale de protection des investissements existant entre son etat de nationalité et l’etat d’accueil de son investissement. ceci a des implications pour la détermination du champ matériel de notre étude. cela signifie en effet que l’attente légitime à prendre en considération pourra couvrir à la fois celle qui résulte des relations directes entre l’etat et l’investisseur étranger (par exemple en cours d’exécution d’un contrat) mais aussi celles qui résultent de l’interprétation spontanément faite par l’investisseur des engagements pris par l’etat hôte non pas directement 43 l’article 42 de la convention prévoit l’application concurrente ou prioritaire, selon les cas, d’autres droits. 44 aapl/sri lanka, sentence du 27 juin 1990. voir commentaire e. gaillard, jdi 1992, p. 216-232. f. poirat, rgdip, 1998, n°2, p45 s. ; ch. leben, « retour sur la notion de contrat d’etat et sur le droit applicable à celui-ci », mélanges offerts au professeur h. thierry, pedone, paris, 1998.
34 avec lui mais dans le traité bilatéral liant cet etat à l’etat de sa nationalité. des attentes légitimes sont ainsi directement fondées chez l’investisseur par le seul fait que l’etat partenaire a souscrit dans le tbi au principe du traitement juste et équitable ou du principe de non-discrimination. l’évolution précitée des conditions de saisine fait ainsi désormais échapper la prise en considération des « attentes légitimes » au seul rapport bilatéral entre l’etat a et l’etat b. un tiers conçoit en effet des attentes à raison d’un traité qui l’intéresse alors pourtant qu’il ne peut y être partie. en d’autres termes, les « attentes légitimes » concernées par notre étude ne sont pas limitées aux seuls rapports strictement contractuels (contrats privés ou « state contracts »). elles s’étendent aussi à ces attentes qui peuvent naître de la lecture par une personne privée des engagements internationaux d’un etat étranger qui est son partenaire (direct ou non) dans l’investissement en litige. qu’il soit en tout cas entendu que lorsqu’on parlera ci-après du contrat ou des « relations contractuelles », celles-ci peuvent s’entendre stricto sensu mais également se référer aux incidences d’un autre type de convention, le tbi, sur les relations contractuelles et la situation concrète de l’investisseur étranger. comparabilité du droit international avec les droits internes. une deuxième précision s’impose. on nous objectera peut-être que la différence de nature entre le droit international des investissements et les droits internes rend impossible leur comparaison. ainsi, v. lowe nous met en garde contre une assimilation trop rapide des situations purement internes et des situations propres au droit international des investissements (en l’occurrence au sujet de l’expropriation) : « it cannot be assumed that the approach of municipal courts can necessarily be translated into the international arena. »45 45 v. lowe, regulation or expropriation ? 55 current legal problems (2002) 447, p. 463.
35 tentons de réfuter cette objection. étant donné que notre étude porte sur la phase d’exécution du contrat, la question centrale sera celle de la détermination (par référence à la notion d’ « attente légitime ») de l’étendue des obligations de chacune des parties (et essentiellement de l’etat, nous y viendrons). or l’étendue d’une obligation doit bien entendu être déterminée d’abord en fonction de sa source. c’est ici que les différences apparaissent. alors qu’en droit interne, les obligations découlent en principe principalement du contrat, les investissements internationaux sont généralement régis également par des traités d’investissement. là où dans un ordre juridique, la question semble se poser purement en termes d’interprétation du contrat, dans l’autre, elle concerne également l’interprétation d’un traité de droit international public. pourtant, nous ne saurions considérer cette différence comme dirimante. tout comme en droit international des investissements, où certaines obligations des parties découlent du traité d'investissement applicable (que l’on peut considérer comme l’équivalent de la loi en droit interne), les obligations contractuelles des contractants en droit privé découlent non seulement du contrat, mais également de la loi : et si certaines lois ne s’appliquent qu’à certains types de contrats (contrats « nommés » ou « spéciaux »), et encore à titre supplétif, d’autres, telle l'article 1134 (avec notamment l’obligation de bonne foi contenu dans l’alinéa 3) s’appliquent à tous types de contrats. comme en droit international des investissements, les obligations ne naissent pas seulement horizontalement mais également verticalement. certes les obligations imposées par la loi en droit interne ne sont pas des obligations matérielles mais plutôt des obligations de comportement, qui tiennent à la manière dont le contrat devra être exécuté46 . cependant elles contribuent à déterminer l’étendue des engagements. ainsi le principe de bonne foi dans l’exécution du contrat peut-il être comparé à l’obligation de traitement juste et équitable imposée à l’etat à l’égard de l’investisseur étranger. 46 il ne nous échappe pas que le droit interne limite aussi l’objet du contrat.
36 le fait que l’investisseur commençant une action en justice puisse, selon les circonstances, avoir le choix entre treaty claim et contract claim47 ne porte à notre avis pas atteinte à la « comparabilité » avec les droits internes. ce choix est simplement la conséquence du fait que les obligations de l’etat découlent aussi bien du traité d’investissement que du contrat. or ce qui importe, c’est la nature de la relation régulée par le droit. là où les situations sont comparables (dans le sens de « similaire »), le droit doit être comparable (dans le sens de « susceptible d’être comparé »), quelles que soient les sources de ce droit. or quelle est la nature des relations auxquelles nous nous intéressons ? la relation qui est au centre de notre analyse est celle entre un etat et un investisseur privé étranger. cette relation présente des points communs et des différences avec, d’une part, la relation contractuelle entre deux personnes privées (régie par le droit interne des contrats) et, d’autre part, la relation entre administration étatique et administrés (régie par le droit administratif interne). cependant, le problème fondamental reste le même : il s’agit de celui de l’étendue de l’engagement de deux parties à un accord créant des droits et des obligations de part et d’autre. §2.- domaine ratione temporis. etablissons ensuite les limites de notre étude dans le temps, par référence à la vie du contrat : celle-ci portant sur l’attente des « parties au contrat », nous nous situerons dans l’hypothèse où un contrat a été valablement conclu. nous nous attacherons ainsi exclusivement à la phase d’exécution du contrat. la question que nous posons, en effet, est celle de savoir, une fois le contrat conclu, quelles sont les attentes légitimes de 47 la treaty claim étant fondée sur les obligations découlant du traité, la contract claim sur celles découlant du contrat. rappelons en effet que, bien que l’investisseur, personne privée, ne soit par définition pas partie au traité international d’investissement, celui-ci impose aux etats signataires des obligations à l’égard des investisseurs ressortissants des etats co-signataires. le demandeur peut donc fonder une plainte sur les obligations étatiques découlant du traité international d’investissement (il a le « locus standi »).
37 chacune des parties dans le cadre de sa réalisation. on ne sera pas surpris de cette problématique, au vu de la définition que nous avons donné de l’attente : rappelons que la détermination des attentes légitimes pose problème dans la mesure où elle ne découlent pas directement de la lettre du contrat. par ailleurs, nous avons défini l’ « attente » comme la représentation qu’une partie se fait des modalités de l’exécution du contrat. il est certes vrai que bien des attentes naissent avant même que le contrat ait été conclu. dès lors que deux partenaires entrent en négociation en vue de conclure un contrat, chacun pourra être encouragé à espérer que les négociations aboutiront comme ils le souhaitent. la notion d’attente, donc, est sans aucun doute très intéressante en rapport avec les questions relatives aux ruptures de pourparlers. quoiqu’il en soit, il s’agit là d’une question bien différente, étant donné que les parties en présence ne sont pas encore dans une relation contractuelle, et que leurs attentes portent essentiellement sur la question de savoir si un contrat verra le jour ou non. si nous avons choisi de limiter notre étude à la phase d’exécution, c’est que c’est à ce stade que les attentes se manifestent au grand jour, qu’elles se transforment en mécontentement, et que leur déception donne lieu à des différends. précisons tout de même que cela n’exclut nullement les attentes qui naissent avant ou au moment de la conclusion du contrat. on peut même dire que c’est généralement pendant cette période que naissent les attentes les plus fondamentales. cependant, c’est à la manifestation expresse de leur frustration en cours de réalisation du contrat que seront attachés nos développements. §3.- domaine ratione personae. ici, la question est la suivante : quelles sont les personnes concernées par notre sujet ? une telle interrogation découle directement du domaine ratione materiae que nous avons défini et ceci nous permet de
38 revenir sur une question déjà abordée à ce propos : nous avions plus haut défini les types d’instruments juridiques abordés dans notre étude. nous examinons ici les parties prenantes à ces instruments, ce qui recoupe nécessairement les considérations précédentes. les parties au contrat d’investissement. il s’agit donc des parties à un contrat, bien sûr. plus précisément, notre étude portant principalement sur le droit des investissements, c’est aux attentes des parties au contrat d’investissement, c'est-à-dire généralement un contrat d’etat, que nous nous intéresserons prioritairement : l’etat d’un côté, et l’investisseur privé ressortissant d’un autre etat, de l’autre. cependant, il faut d’emblée préciser qu’il arrive qu’un différend relatif à un investissement, mettant aux prises un investisseur et l’etat étranger dans lequel il investit, ne découle pas forcément directement d’un contrat conclu entre ces deux parties. certaines opérations d’investissement ne sont pas réductibles à un seul contrat, mais sont le fruit de montages juridiques complexes, faisant intervenir, le cas échéant, non seulement les émanations de l’etat (organismes ou entreprises publics), mais également des entreprises privées de l’etat d’accueil de l’investissement. l’élément important, selon nous, est que tout opération d’investissement se traduit, sous une forme ou sous une autre, par une forme d’accord entre l’investisseur étranger et l’etat d’accueil. c’est d’ailleurs généralement à l’encontre de l’etat, sur le fondement d’un traité d’investissement48 , que les investisseurs dirigent leurs plaintes49 . on peut dans cette mesure, dans un très grand nombre de cas, assimiler la relation entre investisseur et etat d’accueil à une relation contractuelle, cette relation fut-elle médiate. dans un tbi, l’etat s’engage, certes, vis-à-vis de son cocontractant étatique. cependant, par delà ce dernier, le tbi l’engage aussi à l'égard des ressortissants de l’autre partie. on observera en outre que l’etat hôte sait désormais d’avance qu’il est 48 c’est-à-dire par une « treaty claim », par opposition à une « contract claim ». 49 arguant parfois aussi de la connivence entre celui-ci et une entreprise locale avec laquelle l’investisseur a contracté.
39 susceptible d’être attrait directement devait un tribunal arbitral par l’investisseur privé : telle est la situation dans le cadre du cirdi, du nafta, ou de la charte de l’énergie. on peut dès lors avancer que l’existence de cette possibilité procédurale est loin d’être sans incidence sur la nature du lien existant entre etat hôte et investisseur privé étranger. les parties au contrat privé de droit interne. par ailleurs, nous l’avons vu, nous n’entendons pas examiner les évolutions du droit international des investissements isolément. celui-ci se formant à partir des droits internes, notre étude portera également (bien qu’accessoirement) sur les contrats de droits internes. les vieilles traditions juridiques contractuelles, en effet, ne sont-elles pas à la source de tout droit des contrats, y compris international ? notre analyse prendra donc en compte les acquis tirés des contrats conclus entre personnes privées. les parties au contrat administratif. enfin, un détour par le droit émanant de l’etat en tant que personne publique paraît indispensable. ceci explique le détour par le droit administratif comparé. on ne peut en effet ignorer les similitudes entre la relation établie entre etat et personne privée en droit interne et celle entre etat d’accueil et investisseur en droit international des investissements. le droit administratif, notamment français ou allemand, a en effet expérimenté dès le début du xxe siècle, sinon même avant, les différentes modalités du traitement de l’inégalité fondamentale existant dans une relation contractuelle établie entre la puissance publique, d’un coté, et la personne privée, de l’autre ; dans un contrat de concession de service public, par exemple, la seconde a été en particulier de longue date soumise aux aléas de l’arbitraire étatique, l’administration pouvant invoquer des considérations d’intérêt public pour modifier à tous moment de façon unilatérale les termes mêmes du contrat. il n’est dès lors pas surprenant qu’une sentence arbitrale récente, rendue dans le cadre du cirdi, ait fait référence à l’arrêt gaz de bordeaux du conseil d’etat français comme à la théorie établie par ce dernier
40 sur la théorie de l’imprévision50 . d’une façon générale, des solutions spécifiques à ce type de relation juridique ayant été dégagé en droits internes, nous verrons dans quelle mesure il convient de s’en inspirer. section 4 : problématique et plan de l’étude. les termes de notre sujet à présent définis et son domaine délimité, précisons la manière dont nous entendons l’aborder. §1.- formulation de la problématique. fort du constat de l’intérêt que présente la notion d’ « attente légitime » d’un point de vue théorique, ainsi que de celui que lui portent les acteurs du droit international des investissements, nous nous efforcerons d’en étudier plus précisément les contours, les fonctions qui lui sont attribuées, ainsi que les potentialités. la notion, en effet, semble intervenir de plus en plus fréquemment dans les argumentaires des plaideurs et des arbitres, et cela dans les contextes les plus variés. qu’il s’agisse, par exemple, de savoir si l’etat a violé son obligation de traitement juste et équitable à l’égard de l’investisseur, ou si ce dernier a été exproprié indirectement, les arbitres semblent trouver dans le recours aux attentes légitimes de l’investisseur un critère utile. nos réflexions s’articuleront autour de deux questions principales, que l’on peut formuler comme suit : 50 cms gas transmission company v. argentina, final award, 25 may 2005 (icsid case no. arb/01/08), § 224.
41 - d’un point de vue théorique, à quel genre de préoccupations la notion d’ « attente légitime » a-t-elle vocation à apporter des réponses ? notamment, il s’agira de savoir si la notion répond plutôt à des préoccupations d’ordre strictement économique, ou si elle peut être rattachée à un « pan éthique » du droit international des investissements, lequel est, comme le rappelle p. juillard, la « résultante de deux forces qui se sont exercées successivement pour lui donner son contenu » 51 . d’un côté, il s’agit de la branche relative à la condition des étrangers, dont le fondement est d'ordre éthique. de l’autre, une branche plus marquée par les préoccupations économiques. la notion d’attente légitime peut-elle être rattachée à l’une de ces deux branches ? s’agit-il d’une notion remplissant un rôle plutôt social, de protection d’une partie contre les manœuvres de l’autre ? s’agit-il au contraire d’une notion répondant à une préoccupation d’ordre strictement économique, destinée à favoriser les flux d’investissements ? - d’un point de vue plus pratique, dans quelle mesure la notion peut-elle contribuer à déterminer le contenu des obligations contractuelles ? il s’agira ici plus précisément de savoir si la prise en compte des attentes légitimes influent sur l’interprétation du contrat par le juge ou l’arbitre. c’est ici, dans la mesure où nous n’entendons pas négliger la pratique au profit de la théorie juridique, qu’il faudra également se demander ce qui, concrètement, confère à une attente un caractère légitime (à quel titre elle sera considérée comme pertinente) et ce qui, au contraire, incitera à considérer qu’il s’agit d’une simple espérance, dépourvue de pertinence du point de vue juridique. 51 p. juillard & d. carreau, droit international économique, dalloz, paris, 3e éd., 2007, n°1073.
42 avec ces deux questions fondamentales à l’esprit, notre objectif sera, à partir de l’étude des droits positifs, d’établir la synthèse des éléments qui peuvent contribuer à l’établissement d’une théorie générale des attentes légitimes52 . a cette fin, il semblera opportun d’adopter une méthode inductive : à partir d’une analyse des solutions retenues en droit positif, en s’attachant notamment à la manière dont les tribunaux ont recours à la notion pour justifier leurs décisions, nous tenterons de parvenir à une théorisation. §2.- plan de la thèse. la première partie sera donc d’abord consacrée à l’identification des notions de droit internes qui semblent avoir précédé et inspiré celle qui nous intéresse aujourd’hui dans le cadre du droit international des investissements. nous tenterons de savoir, essentiellement par l’étude des droits internes français, allemand, et anglais, quel rôle jouent ces notions et quelles similitudes elles présentent avec celle d’ « attente légitime ». nous distinguerons à cette fin entre les principes du droit public et ceux du droit privé. dans la seconde partie de cette étude, nous nous consacrerons plus spécifiquement aux fonctions assignées à la notion d’ « attente légitime » en droit international des investissements. a la lumière des enseignements qu’on aura pu tirer de la première partie, nous nous efforcerons, très modestement, d’apporter quelque clarification à cette notion en pleine expansion et en proie aux commentaires les plus contradictoires, le droit comparé ne jouant, au sein de cette seconde partie, qu’un rôle subsidiaire. 52 en l’occurrence en droit international des investissements, mais à partir de l’étude des droits internes.
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45 1ère partie : des racines anciennes en droit interne. la notion d’attente légitime, si fréquente dans le contentieux de l’investissement de ces dernières années, pourrait apparaître comme une trouvaille récente. pourtant il n’en est rien. elle a des racines tout aussi anciennes que la préoccupation à laquelle elle est censée répondre : comment assurer une exécution à la fois juste et efficace du contrat, lorsque le dogme de l’autonomie de la volonté s’y avère insuffisant ? les grands systèmes nationaux cherchent de longue date des solutions à ce type de problèmes, et ont donné naissance à un certain nombre de notions similaires à celle d’attente légitime. comment, dès lors, raisonnablement prétendre consacrer une étude à l’attente légitime en droit international des investissements, droit situé au confluent des ces grands systèmes, sans opérer un détour conséquent par l'étude des notions qui s’y sont développées ? cependant, avant d’en venir à l’étude des notions de droit interne présentant des parentés avec l’ « attente légitime » telle qu’on la rencontre en droit international des investissements, nous tenterons de préciser les termes de la problématique qui leur est commune. en effet, c’est en adoptant cette méthode que nous pourrons le mieux apprécier dans quelle mesure elles remplissent des fonctions semblables. plan de la 1ère partie. approfondissons pour commencer la problématique inhérente à l’attente légitime, commune aux différents ordre juridiques internes et au droit international des investissements, particulièrement en droit des contrats (chapitre 1). nous pourrons alors, dans un deuxième temps, présenter la manière dont les grands systèmes juridiques que nous avons sélectionnés répondent à ces problèmes, par des notions souvent similaires à cette d’attente légitime (chapitre 2).
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47 chapitre 1. une problématique commune. pourquoi se préoccuper de la question de la déception des attentes des parties au contrat ? pourquoi cette question, alors que l’on sait que c’est la rencontre des volontés, et non les attentes subjectives de l’une ou l’autre des parties, qui donne naissance et contenu au contrat ? la sécurité juridique ne commande-t-elle pas que les contrats soient appliqués tels qu’ils sont rédigés et conformément à la volonté des parties, plutôt que de chercher à satisfaire les attentes de l’une ou l'autre des parties ? si ces interrogations sont légitimes, il convient d’emblée de ne pas exagérer les implications de l’admission de la notion d’attente légitime. il faut concevoir cette dernière avant tout comme permettant une approche différente du droit des contrats ; approche qui n’a pas pour objet de rejeter le principe de l’autonomie de la volonté, mais plutôt de mettre à l’épreuve et éventuellement de compléter les solutions traditionnelles. une approche différente du droit des contrats. traiter des attentes légitimes en droit des contrats, c’est prendre le parti d’aborder ce domaine sous un angle différent. il s’agit, plutôt que d’envisager le contrat comme point de rencontre de plusieurs volontés, de l’aborder comme un lieu de promotion de différents intérêts : chacune des parties contracte dans le but de satisfaire un intérêt, qu’il convient de prendre en compte si l’on veut assurer au contrat la plus grande efficacité possible. une telle approche n’est pas nouvelle puisqu’elle caractérise des œuvres juridiques déjà anciennes, comme celles de rené demogue ou d’emmanuel lévy au début du siècle dernier, et plus généralement ce que l’on a pu appeler le socialisme juridique53 . par ailleurs, 53 ainsi on peut lire sous la plume de r. demogue que “ce qui fait la force obligatoire de la volonté, ce n’est pas la volonté en elle-même, c’est ce fait qu’il en a été pris acte dans le milieu social.”( r. demogue, traité des obligations en général, a. rousseau, paris, tome 1, 1923, n° 81, p. 155) ou encore que “les contrats ne sont pas les produits de la libre volonté, mais des moyens pour atteindre dans la liberté, avec la
48 on a fait remarquer que, depuis un certain nombre d’années, le droit français des contrats évolue dans le sens d’une objectivation, qui se traduit notamment par le fait que : « … il est accordé moins d’égard à la volonté du débiteur au bénéfice d’une attention plus grande portée aux attentes du créanciers. »54 nous reviendrons sur cette évolution ainsi que sur la manière dont les droits des contrats allemand et anglais peuvent également prendre en compte les attentes légitimes des parties, mais bornons nous à constater pour l’instant que cette approche alternative du contrat existe. une telle approche présente un double intérêt. tout d’abord, s’intéresser au contrat sous l’angle des attentes légitimes n’est en rien incompatible avec le principe de l’autonomie de la volonté comme fondement de sa force obligatoire55 . sans contester le fait que c’est la rencontre des volontés qui engage, la prise en compte de l’ « attente légitime » incite à pondérer ce principe lorsque l’équilibre entre les intérêts en présence le nécessite. dans cette mesure, la notion d’ « attente légitime » peut agir comme un complément de la volonté, dans les situations où celle-ci ne suffit plus à assurer la plus grande justice ou la plus grande efficacité contractuelle (section 1). le deuxième intérêt de la notion vient préciser le premier. si l’attente peut constituer un complément de la volonté, c'est aussi parce qu’elle permet un rattachement direct du droit à la normalité. par l’adjectif « légitime », la notion comporte une indication de la manière dont il faut variété qu’elle comporte des buts d’utilité sociale.” (r. demogue, op. cit., n° 773, p. 594). quant à e. lévy, nous aurons l’occasion de revenir sur son œuvre plus loin. 54 h. aubry, un apport du droit communautaire en droit français des contrats : la notion d’attente légitime, ridc 2005/3, p 628 ; dans le même sens, v. j. calais-auloy, « l'attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? » in aspects actuels du droit des affaires, mélanges en l’honneur de y. guyon, paris, dalloz, 2003, p. 171. 55 dans le même sens, h. aubry, un apport du droit communautaire, op. cit., p. 631 : « … la reconnaissance et l’adoption de la notion d’attente légitime ne devraient pas remettre en cause les fondements de notre droit des contrats ».
49 distinguer les attentes qui sont à prendre en compte et celles que le droit doit ignorer, par référence à la normalité. autrement dit, les deux termes de la notion constituent deux étapes du raisonnement : tandis que l’emploi du terme « attente » suggère que c’est la comparaison des attentes d’un sujet avec le résultat obtenu qui permet de mesurer la satisfaction de son intérêt, l’apposition de l’épithète « légitime » permet de mesurer la « raisonnabilité » de cette attente (section 2). section 1 : l’attente légitime comme complément de la volonté. l’attente légitime présente des liens complexes avec la volonté. d'un côté, elle en fait partie : les attentes d’une partie ne correspondent-elles pas, en effet, à ses représentations quant à l’exécution du contrat, c'est-à-dire sa volonté implicite, voire embryonnaire ? d’un autre, elle s’y oppose : elle permet au sujet confiant de se prévaloir de la volonté déclarée de son cocontractant (ou plus généralement de l’apparence), par opposition à ce qu’il dit être sa volonté réelle. l'idée d’attente est donc intrinsèquement liée à celle de volonté, tout en permettant une approche différente des mêmes phénomènes. c'est dans cette mesure qu’elle peut servir de complément aux règles tirées du dogme de l’autonomie de la volonté (§1). cela dit, il conviendra de préciser notre propos en distinguant entre plusieurs catégories d’attentes (§2).
50 §1.- fonctions possibles de l’ « attente légitime » dans un système fondé sur l’autonomie de la volonté (distinction fonctionnelle). afin de bien poser la question du rôle de l’attente légitime dans un droit fondé sur le principe de l’autonomie de la volonté, il faut partir de la constatation de l’imperfection de ce principe. a. imperfection du principe de l’autonomie de la volonté. décalage entre intérêts des parties et contenu du contrat. on pourrait formuler la constatation de départ ainsi : malgré le fait que le consentement des parties est requis pour la naissance d’un contrat valable, le texte du contrat (c'est-à-dire la volonté déclarée) ne reflète pas toujours bien les intérêts (c'est-à-dire généralement la volonté interne, ou les attentes) des parties. il arrive que certains éléments présentant une grande importance pour l’un des cocontractants ne soient pas exprimés dans le contrat, ou qu’au contraire le contrat contienne une clause que l’une des parties n’a pas voulu. prenons l’exemple de la personne qui acquiert un terrain dans le but d’y construire une maison, partant du principe que le terrain est constructible, et s’apercevant plus tard qu’il ne l’est pas. le contrat de vente est valable, puisque les parties se sont mis d’accord sur les éléments essentiels : objet de la vente, prix etc… cependant, alors que l’acquéreur contractait dans le but de construire une maison, le caractère constructible du terrain n’est pas mentionné dans le contrat. de même la personne qui conclut un contrat avec un transporteur de courrier rapide s’attend à ce que le contrat oblige le transporteur à faire parvenir le courrier à destination dans des délais brefs, puisque c’est pour cette raison qu’il l’a choisi. pourtant, le simple jeu de la
51 volonté pourra avoir pour effet que le contrat exonère le transporteur de toute responsabilité en cas de retards56 . cela signifie donc que le contrat, bien que conclu (en principe) librement, n’assure pas toujours la meilleure promotion des intérêts des parties, et on peut y voir une forme de défaillance du contrat. ne prétend- on pas, en effet, que le libre jeu des volontés est le meilleur moyen pour chacun de défendre ses intérêts ? bien entendu, on répondra qu’il revenait au créancier de faire en sorte que les éléments pour lui déterminants soient intégrés au contrat. pourtant, on sait qu’il n’en a pas toujours les moyens. deux séries de causes de décalages. on peut identifier selon nous deux types de causes à un tel décalage entre la volonté exprimée par un contractant dans le contrat et les intérêts qu’il cherche à promouvoir : - soit il n’avait pas conscience de l’importance de cet élément ou de ce que le contrat lui imposait exactement (et dans ce cas la volonté est insuffisante pour protéger ses intérêts) ; - soit il n’a pas jugé nécessaire d’intégrer une partie de sa volonté au document contractuel (et dans ce cas le contrat n’exprime pas toute la volonté). chacune de ces hypothèses dénote l’une des défaillances que présenterait un droit purement basé sur le libre jeu des volontés : la première tient au fait que le libre jeu de la volonté n’est précisément pas toujours libre (la volonté de l’un étant moins éclairée que celle de l’autre, la puissance de l’un pour imposer sa volonté étant supérieure à celle de l’autre), 56 bien entendu, les ordres juridiques auxquels nous nous intéressons apportent d’ores et déjà tous des réponses à ce type de problème, sans nécessaire se référer aux attentes légitimes des parties. en droit français, par exemple, on sait que la cour de cassation considèrerait une telle clause comme une « clauses abusives », qui serait réputée non écrite. nous nous situons donc ici dans un ordre juridique hypothétique, dans lequel aucune restriction ne serait apporté au principe de l’autonomie de la volonté.
52 et ne suffit donc pas toujours à protéger les intérêts des parties (notamment lorsque l’une d’elle est en position d’infériorité) : c’est l’exemple du contrat avec le transporteur de courrier express ; la seconde découle du fait qu’on ne peut pas toujours supposer que toute la volonté des parties est exprimée dans le contrat : cela correspond à l’exemple de l’acquéreur du terrain. traduction de ce décalage par l’insatisfaction de l’une des parties. ces défaillances peuvent conduire à la situation paradoxale où l’une des parties ne sera pas pleinement satisfaite, alors même que le contrat a été bien exécuté et qu’en principe elle ne s’est liée que dans la mesure où elle le voulait. or qu’est-ce que l’insatisfaction si ce n’est la déception des attentes ? le créancier est insatisfait lorsque les résultats de l’exécution du contrat ne correspondent pas aux attentes qu’il avait formées. c’est ici, en effet, que la prise en compte des attentes légitimes peut intervenir comme complément de l’autonomie de la volonté, dans la mesure où elle peut contribuer à pallier ces deux types de carences. intéressons nous donc à la manière dont la notion d’ « attente légitime » peut contribuer à pallier les défauts du contrat dans chacune de ces deux hypothèses : lorsque la volonté ne suffit pas à protéger les intérêts des parties (b) et lorsque le contrat ne reflète pas entièrement la volonté des parties (c). b. l’attente légitime comme complément à l’insuffisance de la volonté pour protéger les intérêts des parties. le problème du déséquilibre des forces des contractants. la première cause de décalage entre intérêts du créancier et contenu du contrat, nous l’avons vu, réside dans le fait que la volonté n’est pas toujours
53 suffisante pour protéger les intérêts des parties. plus exactement, la volonté est insuffisante dans la mesure où elle n’est pas toujours libre. d’ailleurs, la fiction qui fonde le principe d’autonomie de la volonté, selon laquelle chaque sujet juridique est maître de son destin, qu’il est le meilleur défenseur de ses intérêts, et qu’il est libre de contracter comme il l’entend, est depuis longtemps remise en cause. le droit a d’ores et déjà évolué dans le sens d’une fonction plus sociale, partant du constat que tous les contractants n’ont pas la même influence sur le contenu du contrat : soit que les connaissances du créancier soient inférieures à celles du débiteur (un professionnel saura, par exemple, souvent convaincre un consommateur qu’il a besoin de telle ou telle option supplémentaire pour son forfait téléphonique), soit que la volonté déclarée ne corresponde pas à la volonté interne (le contrat peut contenir des clauses imposées par un professionnel, sur lesquelles la volonté réelle du consommateur n’a aucune influence). on le voit, on se situe ici dans l’hypothèse, caractéristique notamment du droit de la consommation, où l’un des contractants est plus faible que l’autre. l'inégalité pouvant exister entre deux contractants peut justifier que l’on impose certaines limites au pur jeu de la libre volonté. le problème, auquel l’attente légitime peut contribuer à apporter des réponses, est de savoir comment protéger les intérêts de la partie la plus faible, sa simple volonté n’y suffisant pas. on peut considérer en effet que le libre jeu des volontés est faussé lorsque l’une des parties possède des avantages (par exemple des informations, des compétences, des moyens financiers ou une expérience) dont l’autre est dépourvue, et qui lui permettent de « dicter sa loi ». l’autre partie est considérée comme faible car elle ne dispose pas des mêmes armes que son cocontractant, armes nécessaires pour lui permettre de faire correspondre le texte – expression de la volonté déclarée commune – avec les attentes légitimes qui lui sont propres. l’attente légitime peut alors intervenir pour éviter que la puissance du débiteur ne se traduise par l’impossibilité pour le créancier de défendre ses intérêts. en se référant aux attentes légitimes de la partie faible,
54 on se préoccupe de la question de savoir si le contrat apporte satisfaction à ses intérêts, dans la mesure où ceux-ci apparaissent légitimes57 . l'exemple du droit communautaire. l'évolution des systèmes nationaux, et notamment du droit français, dans le sens de la prise en compte des attentes de la partie faible trouve notamment son origine dans le droit communautaire. celui-ci fournit en effet un certain nombre d’exemples dans lesquels la notion d’attente légitime est utilisée pour protéger la partie faible (en principe le consommateur). citons la directive du 25 mai 1999 sur la vente et les garanties de biens de consommation, selon laquelle les biens sont présumés conformes au contrat lorsque leur qualité et leurs prestations sont conformes à ce que le consommateur peut raisonnablement attendre58 . de même, dans la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux déjà, le produit défectueux était définit de la manière suivante : « 1) un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment : a) de la présentation du produit ; b) de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu ; c) du moment de la mise en circulation du produit »59 . 57 nous approfondirons la question de savoir ce que peut signifier l’adjectif « légitime » dans la section 2 de ce chapitre. 58 directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, joce l 171/12 du 07/07/1999, article 2.2 d). 59 directive du 5 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des états membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, joce l 210/29 du 07/08/1985, article 6.1.
55 une problématique commune au droit de la consommation et au droit international des investissements... les situations contractuelles caractéristiques du droit international des investissements peuvent apparaître comparables, bien que différentes, à certaines situations de droit contractuel interne, notamment en droit de la consommation. elles mettent en présence des parties de force inégale. comme le consommateur par rapport au professionnel, l’investisseur est supposé (bien que pas toujours effectivement) en situation d’infériorité par rapport à son partenaire étatique lorsqu’il investit dans un pays étranger. de la même manière que l’on a recours à l’attente légitime du consommateur pour le protéger de la malveillance du professionnel, l’attente légitime de celui qui investit dans un pays étranger est mise en avant par les arbitres soucieux de le protéger face aux caprices de l’etat d’accueil. …malgré des enjeux distincts. il faut néanmoins être très prudent dans la comparaison : si le droit de la consommation se caractérise, comme le droit international des investissements, par l’inégalité des contractants, on ne peut comparer la situation de l’investisseur à celle d’un consommateur. a la différence de celui-ci, notamment, c’est généralement lui, et non l’etat avec lequel il contracte, qui possède les connaissances techniques relatives au contenu du contrat. c'est souvent lui encore qui possède la plus grande puissance économique (notamment lorsque qu’on se situe dans l’hypothèse d’un contrat entre une multinationale et les autorités publiques d’un pays en voie de développement). dans certains cas donc, il faudra constater que c’est plutôt l’etat qui est en position d’infériorité : c’est alors sa situation qui apparaît plus comparable à celle du consommateur. quoiqu'il en soit, les situations d’inégalités existent aussi bien en droit interne qu’en droit international des investissements, et se sont souvent (mais pas toujours) ces situations qui rendent nécessaire le recours à l’attente légitime de la partie à protéger.
56 il convient toutefois de distinguer ce type de situations de celles dans lesquelles l’attente légitime intervient pour pallier un tout autre genre de carences. c. l’attente légitime comme complément, là ou le contrat n’exprime que partiellement la volonté des parties. le problème du décalage entre volonté déclarée et volonté réelle. dans la deuxième série d’hypothèses, le recours à la volonté déclarée est insuffisant pour interpréter le contrat, parce que le texte contractuel n’exprime pas toute la volonté des contractants. certes, le juge ne peut en principe se fier qu’aux manifestations claires de volonté, et dans la seule mesure où les volontés des deux parties concordent. néanmoins on peut prétendre que, si un élément déterminant est absent du document contractuel alors qu’il apparaît évident que les deux parties devaient l’avoir à l’esprit en concluant le contrat, cet élément faisait partie de la volonté réelle des parties. par ailleurs, dans la mesure où l’on ne peut pas apporter la preuve que cette volonté interne est partagée, il faut se limiter à constater que le créancier avait une attente, laquelle était légitime parce que l’autre partie devait la partager. négligence ou confiance ? le problème dont il est question ici provient généralement de ce que, paradoxalement, le fait qu’une déclaration pré-contractuelle n’aie pas été intégrée au contrat n’est pas le signe de sa faible importance. alors qu’elle a pu être déterminante dans la décision de contracter ou d’investir, les parties n’ont pas jugé nécessaire d’en faire une clause du contrat. or si une telle omission peut avoir pour cause la simple négligence de la partie défavorisée (nous reviendrons sur cette question et sur celle de savoir si cette négligence a une incidence sur la légitimité de l’attente, cf. infra, notamment p. 350s.), elle peut aussi se justifier par la confiance que l’on (au moins l’une des parties) croit pouvoir supposer régner
57 entre les contractants. ainsi dans le cadre d’un investissement international, l’investisseur, suite à des négociations qui se sont déroulées de manière coopérative et bienveillante, ne juge pas nécessaire d’exiger que la promesse faite par l'etat d’accueil soit intégrée au contrat. on peut prendre l’exemple d’un investisseur qui fait l’acquisition d’une usine de retraitement de déchets sur la foi des déclarations de l’etat selon lesquelles il obtiendra sans problème la licence d’exploitation de l’usine : bien que le contrat de vente ne contienne aucune mention de la licence d’exploitation, l’acquéreur a une attente selon laquelle la licence lui sera accordée, puisque le seul motif de son acquisition réside dans la perspective d’exploitation de l’usine. dès lors, la question est la suivante : une telle supposition de confiance doit-elle être encouragée par le droit ? faut-il, au contraire, sanctionner ce genre d’omissions, et inciter les contractants à détailler le plus possible les contrats, afin d’assurer une plus grande sécurité juridique ? on le voit, l’intérêt de la notion ne réside ici, non plus dans la protection d’une partie supposée plus faible que l’autre, mais dans le l’objectif d’un climat de confiance générale entre les parties. réponses traditionnelles et réponses « modernes ». tandis que la solution traditionnelle interdira de prendre en compte ce genre d’éléments psychologiques, du moment que la preuve d’une volonté commune ne peut être apportée, les partisans d’une conception plus objective du droit des contrats (du « solidarisme contractuel »60 par exemple) pourront avoir tendance à répondre qu’il faut encourager un climat contractuel de confiance. les premiers considèreront qu’il appartient à chacun de faire le nécessaire pour protéger ses propres intérêts (en l’occurrence en s’assurant que toutes les clauses nécessaires sont intégrées au contrat avant de le signer), les seconds auront tendance à penser que la fonction du droit est d’encourager une attitude d’entraide et de collaboration. 60 cf. infra p. 134.
58 ainsi, pour revenir à notre exemple de l’acquéreur d’un terrain qu’il croit constructible, l’attente selon laquelle le terrain était constructible a-t-elle une influence sur la question de savoir si cette qualité faisait partie du contrat ? quelles circonstances doivent être réunies pour que l’on décide de l’attente était légitime et doit être protégée au titre de l’exécution du contrat ? faut-il au contraire considérer que, quelles que soient les circonstances qui entourent la conclusion du contrat, il appartenait à l’acquéreur de s'assurer que le caractère constructible soit mentionné dans le document contractuel (étant donné le caractère déterminant de cette qualité) ? protection des attentes légitimes par l’intermédiaire d’autres notions. il est vrai que les attentes fondées sur la confiance supposée entre les contractants sont souvent protégées par d’autres notions. un certains nombre de notions bien établies ont, sans s’appuyer nécessairement sur l’attente légitime, pour objet d’assurer un climat de confiance. en droit français, on dira qu’un tel climat est assuré en par le fait qu’on impose aux parties une large obligation de bonne foi. en droit international des investissements, c’est généralement l’obligation de traitement juste et équitable qui remplit cette fonction : elle impose une attitude bienveillante à l’égard de l’investisseur, là où ses obligations ne sont pas suffisamment exigeantes pour assurer un traitement convenable (c'est-à-dire à la hauteur de la confiance de celui-ci) à l’investisseur. ainsi, par exemple, dans l’affaire metalclad61 , le contrat par lequel l’investisseur (metalclad) avait acquis un terrain au mexique ne contenait aucune stipulation sur le fait que tous les permis nécessaires à la construction d’une usine étaient acquis. néanmoins, le bit imposait au mexique une obligation de traiter metalclad de manière juste et équitable : il a été jugé qu’à ce titre, l’etat devait répondre de ses déclarations qui avaient 61 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1).
59 encouragé l'investisseur à investir et ne pas décevoir l’attente selon laquelle l’accord sous-entendait que rien ne s’oppose à la construction de l’usine. §2.- différentes catégories d’attentes (distinction matérielle). d’une distinction fonctionnelle à une distinction matérielle. de la distinction fonctionnelle que nous venons d’opérer, il faut passer à une distinction matérielle si l’on désire mieux cerner la réalité recouverte par la notion d’ « attente légitime ». la distinction entre différents types d’attentes devrait permettre de préciser la notion et la manière dont elle intervient pour compléter la volonté, en offrant un aperçu de la diversité des modes selon lesquels les attentes peuvent être générées. si l'on peut distinguer entre plusieurs formes d’attentes, en effet, c’est essentiellement à raison de leurs sources. et celles-ci sont multiples. des attentes sont générées chez tous les individus, à tout moment, par toutes sortes de circonstances : elles naissent bien sûr de promesses, mais également de simples déclarations (plus ou moins claires), de comportements, d’apparences (c'est-à-dire des signes extérieurs auxquels on fait correspondre une réalité), d’habitudes, d’usages, d’une expérience personnelle, de relations particulières avec un partenaire, de ce qui est « raisonnable » ou de ce qui ne l’est pas, etc. il convient de mettre de l’ordre dans toutes ces sources, pour tenter de parvenir à une vue d’ensemble : c’est en opérant les distinctions fondamentales que nous serons mieux à même d’identifier les critères de la légitimité de telle ou telle expectative ultérieurement.
60 a. distinction entre attentes issues de l’apparence et attentes issues de la régularité des comportements. importance de la source de l’attente. lorsque le juge est confronté à un argument fondé sur l’attente légitime, la question à laquelle il doit d’abord chercher une réponse est la suivante : l’attente invoquée a-t-elle un fondement suffisamment rationnel et objectif pour que le droit puisse en tenir compte ? il n’est, en effet, pas question de prendre en compte de simples espérances, qui seraient le pur fruit des représentations fantasmagoriques de l’une des parties. le juge doit pouvoir apprécier lui-même, en fonction d’un certain nombre de critères, la « raisonnabilité » de l’attente. dans cet exercice, il est clair que le juge devra se demander avant tout comment sont nées les attentes invoquées. comment le créancier en est-il venu à former telle ou telle attente ? la source qui est à l’origine était-elle suffisamment sérieuse, certaine, objective et claire pour fonder une attente ? « bonnes » et « mauvaises » sources. avant d’en venir aux différentes sources possibles, il convient donc d’exclure les « mauvaises » sources, c'est-à-dire celles qui indiquent que l’attente en question n’est pas digne de protection car trop subjective : toute attente provenant de la pure subjectivité du contractant doit être ignorée. il ne serait en effet ni possible ni souhaitable de protéger toutes les attentes, quelle que soit leur « raisonnabilité ». ainsi, les attentes liées aux motifs du créancier ne sauraient être retenues par le juge. par exemple, le créancier qui contracte dans le but de réaliser un profit a certes une attente de profit, mais cette attente est une simple espérance, dont la satisfaction dépend de la diligence du créancier et du risque pris par lui et n’a donc pas vocation à être protégée par le droit. par opposition, les « bonnes » sources sont celles qui font que l’espérance était réaliste et justifiée, car des éléments objectifs incitaient naturellement (c'est-à-dire auraient incité toute personne raisonnable) à avoir de telles attentes. c’est ici que l’on peut opérer une distinction entre deux
61 catégories d’éléments pouvant légitimer une attente : certaines sont créées par les apparences, alors que d’autres sont issues de la confiance dans une certaine régularité des choses. deux catégories de sources valables, correspondant à deux types de confiance. si l’on admet, comme nous l’avons dit, que l’attente légitime a pour fonction la protection de la confiance née dans le chef du créancier, il s'en suit que la confiance peut porter sur deux types d’objets, qui constituent les deux types de sources d’attentes légitimes. expliquons nous. il nous semble possible d’identifier deux formes de confiance, dont chacune est socialement reconnue comme naturelle et nécessaire, et donc digne de protection : - la confiance dans l’apparence : en d’autres termes la confiance dans le fait que ce que je vois et que j’entends est réel. par « apparence », il faut entendre ici toutes les circonstances qui se manifestent à moi par mes sens : les déclarations du partenaire contractuel, les signes extérieurs susceptibles de mes renseigner sur sa personne ou sur l’objet du contrat, ses comportements etc… - la confiance dans une certaine régularité des comportements : confiance dans le fait que ce qui est normal et habituel (dans le passé) sera (dans l’avenir). la justification de chacun de ces types de confiance est sans doute à chercher dans la nécessité de l’action. si je ne peux pas faire confiance aux apparences, je suis condamné à ne rien entreprendre ; toute entreprise serait en effet beaucoup trop risquée, puisque les circonstances sur lesquelles je me fonde peuvent se dérober à tout moment. il faut donc parfois, si l’on veut agir, se fier aux apparences. de même, si je ne peux faire
62 confiance au fait que les comportements habituellement observés et considérés comme normaux continueront à l’être, je ne puis prévoir les conséquences de mes actes. b. distinction entre attentes subjectives et attentes objectives. on peut toutefois opérer une seconde distinction, également à raison des sources de l’attente : il est des attentes que nous appellerons « subjectives » (ou « conjoncturelles ») et d’autres que nous appellerons « objectives » (ou « structurelles »). les premières découlent d’un cas concret, sont les fruits de circonstances propres à l’espèce. nous les appelons subjectives, non pas qu’elles dépendent de la subjectivité d’une personne déterminée, mais en ce sens qu’elles procèdent d’une situation particulière. les secondes, au contraire, sont définissables a priori, pour toute une catégorie de contrats ou de situations définies (attente de sécurité du produit vendu par exemple). cette distinction peut apparaître quelque peu dogmatique. elle sera néanmoins utile lorsqu’il s’agira de déterminer la légitimité des attentes invoquées dans un cas concret : les attentes objectives ne nécessiterons pas une étude détaillées des faits de l’espèces mais découlerons directement de la nature du contrat conclu ou d’une situation standard. c. distinction entre attentes créées par le partenaire et attentes créées par l’ensemble des circonstances. on peut, enfin, distinguer entre attentes crées par le partenaire contractuel et attentes créées par l’ensemble des circonstances.
63 pouvant paraître artificielle également, cette distinction pourra avoir son utilité car nous constaterons que certaines notions ont plus spécifiquement pour objet la protection des premières d’autres la protection des secondes. par ailleurs on pourra distinguer entre ces deux types d’attentes lorsque nous tenterons de systématiser les critères d’appréciation de la légitimité des attentes. ainsi, pour apprécier la légitimité des attentes créées par les déclarations du cocontractant, il faudra s’attacher à des critères tels que le caractère plus ou moins formel de ces déclarations, ou le caractère plus ou moins pertinent de la déclaration dans la détermination de l’action du destinataire. pour les deuxième type d’attentes, il faudra s’attacher à un spectre de critères beaucoup plus large, comprenant entre autre les usages propres à une profession, au contexte du contrat, et plus généralement à tout ce qui fait la « normalité ». section 2 : l’attente légitime comme rattachement du droit à la normalité. la section précédente nous a permis de mettre en place la problématique de l’attente. nous avons donné un aperçu des mérites que peut avoir une approche centrée sur les attentes du créancier plutôt que sur la volonté du débiteur. c’est vers le deuxième élément, la légitimité, qu’il convient de se tourner à présent, afin de comprendre toute la complexité et la richesse de la notion d’ « attente légitime ». « légitime » ne désigne en effet pas seulement ce qui est fondé en droit ou équitable, mais aussi, selon le robert, ce « qui est justifié par le bon droit, la raison, le bon sens ». autant de termes vagues qu’il faut tenter de préciser.
64 le constat est le suivant : la mise en balance des intérêts, c'est-à-dire des attentes et de leur légitimité, ne peut se faire indépendamment de considérations d’ordre public. il n’est pas question de prendre en compte l’ensemble des attentes des parties, mais seulement celles qui semblent correspondre aux représentations collectives de la société, autrement dit les attentes « normales ». ce qui fait la spécificité de la notion d’attente légitime est justement qu’elle permet une intervention directe de la normalité dans le droit : elle fait intervenir la normalité dans l’appréciation du poids à donner à tel ou tel intérêt. il faudra donc tenter de définir ce qu’on entend par normalité, tâche dont nous nous acquitterons en nous appuyant sur la distinction qu’il faut faire entre normalité descriptive et normalité prescriptive (§2), après avoir considéré la nature des liens qu’entretient la notion de légitimité avec celle de normalité (§1). §1.- légitimité et normalité. nécessité de définir la légitimité. contrairement à ce qu’ont pu soutenir des auteurs qui ont récemment abordé la notion d’attente légitime, il est essentiel de s'intéresser au sens de la notion de « légitimité » avant d’en venir à la question des critères concrets de cette légitimité62 . ce second élément constitutif de la notion d’attente légitime révèle en effet une partie de sa force mais aussi sa fragilité. nous avons dit dans notre chapitre introductif qu’en qualifiant une attente de légitime, on la sortait de la pure subjectivité d’un individu pour la confronter à l’étalon de la réalité sociale. si la notion de 62 v. par exemple h. aubry, op. cit., p. 632 : « il revient évidemment au législateur et aux juges de déterminer ce qui est conforme au droit. on peut donc affirmer (même si c’est un truisme) que sont légitimes les attentes que le législateur et le juge prennent en considération. ce n’est alors pas le sens du terme « légitime » qu’il faut préciser, mais les signes auxquels les juges doivent s’attacher pour évaluer le caractère légitime des attentes dans chaque espèce. »
65 légitimité n’a pas de sens juridique en soi, elle comporte une caractéristique certaine : elle renvoie à la sphère extra-juridique en ce qu’elle permet au juge, à la manière d’un standard, de : « … évaluer et sanctionner des comportements ou situations par référence aux pratiques et systèmes de valeurs dominants. »63 en d’autres termes, la notion de légitimité renvoie à la normalité, et permet donc une irruption directe de la normalité dans le droit. on nous répondra peut-être que la normalité est présente dans toute règle juridique. il est vrai, en effet, que chaque règle de droit entérine une partie de la normalité (ou de ce que nous avons appelé les « attentes généralisées » dans notre chapitre introductif64 ). remettons-nous en à d. loschak, qui a particulièrement bien exprimé cette idée : « dans la mesure où la loi positive s’inspire d’une certaine conception du bien et du mal et plus largement d’une idée a priori de ce que doit être la vie en société, dans la mesure où elle reflète les valeurs d’une société et entérine les pratiques en vigueur, il va de soi que les comportements prescrits ou autorisés par la loi sont aussi, globalement, ceux qui, à une époque et dans une société données, sont considérés comme « normaux ». »65 par ailleurs, nous admettons volontiers que la notion d’attente légitime n’est pas la seule à permettre une application directe de la « normalité » (nous allons voir comment il faut la définir) au titre d’une règle juridique. des notions telles que le « bon père de famille », chère au code civil, ou de « délais raisonnables » en droit administratif, confient également au juge la tâche d’apprécier la légalité de certains comportements en fonction de ce que l’on considère – ou de ce que l’on devrait considérer – comme « normal ». cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer le contenu d’un contrat, il semble 63 d. loschack, « droit, normalité et normalisation », dans aa.vv., le droit en procès, puf, paris, 1984, p. 51-77, p. 64. 64 cf. supra p. 10s. 65 d. loschak, op. cit., p. 53.
66 qu’aucune notion n’incite de manière aussi explicite le juge à s’appuyer sur la normalité. avec la notion d’attente légitime, le juge tranche, non plus en fonction d’une règle explicite (censée assurée la normalité des comportements) qu’il applique mécaniquement, mais la règle l’invite à apprécier les comportements qu’il doit juger en fonction de la normalité. la légitimité de l’attente, dans une situation déterminée, renvoie à ce qu’on aurait normalement pu attendre dans cette situation. ainsi, on a pu noter au sujet de la transcription en droit français de la directive européenne sur les produits défectueux66 , que : « … « légitimement » renvoie à la sécurité normale que le consommateur est raisonnablement en droit d’attendre du produit. »67 conséquence du lien entre légitimité et normalité sur les critères d’appréciation de l’attente légitime : caractère non limitatif des critères de la légitimité. l’attente légitime trouve donc son sens dans la comparaison avec les comportements « normaux ». avant d’en venir à la définition de cette normalité, constatons que cela à des implications importantes. si l’on admet que la légitimité n’a de sens que par référence à une certaine normalité, et étant donné que la normalité n’a rien de codifié, mais est au contraire évolutive, protéiforme, et difficile à saisir, les critères d’appréciation de la légitimité ne peuvent faire l’objet d’un inventaire exhaustif. est légitime tout ce qui est normal : par conséquent, même si l’on a l’habitude d’apprécier la légitimité d’une attente en fonction de tel ou tel critère, il conviendra de demeurer ouvert à toute autre manifestation possible de la normalité comme référence de la légitimité. 66 directive qui définit le produit défectueux comme celui « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre », cf. supra. p. 54. 67 p. jourdain, commentaire de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, j.c.p., éd. e, 1998, p. 1204, spéc. n° 15. pour une mention de la notion de « sécurité normale » que le demandeur doit établir dans le cadre de cette loi, v. t.g.i. d’aix-en-provence, ord. réf. 2 octobre 2001, epx. inzerillo c/ société deville, d. 2001, p. 2981.
67 lorsque nous évoquerons, à travers les chapitres de cette thèse, les critères de la légitimité des attentes, il ne sera donc jamais question d’en proposer une liste exhaustive. le juge ou l’arbitre reste, dans l’appréciation de l’attente légitime, à tout moment libre de se référer directement à la normalité (dès lors naturellement qu’il motive suffisamment sa conception de la normalité). deuxième conséquence : pas de légitimité sans normalité définissable. la deuxième conséquence du lien entre légitimité et normalité – après le caractère ouvert du terme « légitime » – est que l’effectivité de la notion d’attente légitime dépend de la question de savoir dans quelle mesure on peut donner un contenu à la normalité. la légitimité étant tributaire de la normalité, elle n’a d’utilité que dans la mesure où la normalité elle-même est suffisamment définissable. puisque c’est la normalité qui donne son contenu (son sens) à la légitimité, on doit en premier lieu être en état de donner un contenu réel et objectif à la normalité doit. si cela paraît évident, il convient de le souligner car il s’agit d’une importante limite de la notion d’attente légitime. en effet, le juge ne peut recourir à l’attente légitime que dans la mesure où : - il est possible de considérer que les circonstances propres à l’espèce donnent lieu à une ou plusieurs attentes normales; et - cette normalité est définissable de manière suffisamment précise. si ces deux conditions ne sont pas réunies, la notion d’attente légitime doit être maintenue à l’écart. ce point est d’autant plus important pour notre étude que, comme nous allons le voir tout de suite, la normalité semble plus difficile à définir en droit international.
68 troisième conséquence : importance du rôle du juge ou de l’arbitre. le constat d’existence d’une légitimité immanente à la société, fondée sur les valeurs sociales et les mentalités qu’elle génère, travaillée par les flux et les reflux de phénomènes socio-culturels divers, eux-mêmes véhiculés par différents médias désigne ici l’importance du rôle du juge. ce dernier n’est pas seulement, selon l’expression classique, « la bouche de la loi ». il doit savoir aussi (mais ne sait pas toujours) exprimer les désirs latents, les expectatives inavouées, mais aussi les standards de comportement en constante évolution qui fermentent au sein d’une société à un moment donné. le juge devient alors un interprète, au sens le plus fort du terme. il adapte les standards de la normalité sociale pour mieux les appliquer à chacun des cas dans lesquels sont mis en examen et la normalité d’un comportement et la frustration des attentes qu’elle a suscitées. caractère accru du problème de définition de la normalité en droit international. cette question du décalage entre la lettre du droit et les valeurs et standards qu’il véhicule apparaît de manière accentuée en droit international des investissements (domaine qui constitue, rappelons-le, la finalité de cet étude). celui-ci met en présence des parties le plus souvent issues de milieux culturels très différents, faisant intervenir une composante interculturelle intéressante. en effet, si la normalité est souvent difficile à définir dans un ordre juridique interne, on pressent bien que la difficulté se trouvera décuplée dès lors qu’un différend mettra en présence des partenaires d’horizons variés : chacun aura tendance à invoquer la normalité propre à sa culture. ce qui est normal pour l’un l'est-il forcément pour l’autre ? avec la meilleure foi du monde, les parties peuvent avoir des attentes très différentes, et pourtant aussi légitimes les unes que les autres au regard de leurs origines respectives. comment soutenir que ce qui est normal pour l’etat d’accueil (souvent un pays du sud initialement tenté par un modèle « socialiste » d’économie dirigée) l’est tout autant pour l’investisseur (généralement ressortissant d’un pays du nord, et marqué par les canons de l’économie
69 libérale de marché ) ? par ailleurs, la culture dont sont issus les arbitres a-t- elle une influence sur la manière sont ceux-ci trancheront sur le caractère légitime ou non d’une attente ? enfin, le problème apparaît d’autant plus sérieux si l’on considère le caractère universaliste de la notion de normalité : chacun a tendance à considérer que ce qui constitue la normalité chez lui a vocation à l’universalité. et pourtant, de quel droit l’une des parties pourrait elle prétendre imposer sa conception de la normalité à l’autre ? on le voit, les différends qui caractérisent le droit international des investissements sont de nature à mettre en évidence les décalages qui peuvent exister entre différentes cultures, c'est-à-dire entre différentes normalités. nulle part le caractère relatif de la normalité n’apparaîtra de manière aussi frappante. il est difficile d’imaginer un concept à la fois plus universaliste et plus relatif que celui-ci, ce qui laisse augurer de nombreuses difficultés dans l’application de la notion d’attente légitime dans le contexte international. admettons qu’il serait donc mal venu de se désintéresser du sens de la notion de légitimité : c’est en comprenant le sens de cette notion qu’on en perçoit l’intérêt, mais aussi la faiblesse relative. la notion de légitimité ne sera jamais parfaitement certaine, puisqu’elle renvoie à un concept lui-même mouvant. en tant que telle, la notion d’attente légitime fait penser aux standards, ces catégories juridiques vides de contenu que le juge applique en fonction de ce qu’il considère comme socialement « normale »68 . 68 sur la notion de standard et la question de savoir si l’ « attente légitime » peut être considérée comme uns standard, cf. infra p. 377.
70 §2.- normalité descriptive et normalité prescriptive. ambiguïté de la notion de normalité. la normalité joue donc un rôle fondamentale dans l’application de la notion d’attente légitime, puisqu’elle contribue à lui donner sa force et ses limites. plus exactement, c’est dans la seule mesure où l'on peut définir la normalité de manière suffisamment convaincante que la notion d’attente légitime présente un intérêt. or précisément, c’est bien souvent ici qu’interviennent les véritables difficultés. c'est que la normalité est elle-même par essence une notion ambiguë. si l’on en croit les dictionnaires, en effet, la normalité désigne à la fois ce qui est et ce qui devrait être. autrement dit la norme est tantôt ce qui se fait couramment et tantôt ce que l’on considère comme « bien », à la fois les usages et les valeurs, ou encore le « sein » et le « sollen ». d’un côté, la normalité décrit les comportements prédominants (nous appellerons cela la « normalité descriptive »), de l’autre elle prescrit des comportements souhaitables (nous dirons « normalité prescriptive » ou « normative »). un exemple simple de cette dichotomie est celui de la corruption : la corruption n’est pas quelque chose d’exceptionnel, c’est donc quelque chose de normal ; néanmoins il s’agit d’un comportement qui heurte les valeurs de la société, la majorité des gens s’accordant à penser que c’est quelque chose d’anormal. néanmoins, les deux éléments de la normalité sont inextricablement liés. lorsque les membres d’un groupe social observent un certain nombre de comportements « habituels » (ou certains « usages »), un sentiment selon lequel on est obligé de se comporter conformément à ces habitudes est susceptible de se développer. en d’autres termes, des obligations naissent de la « normalité ».
71 une ambiguïté transmise à la notion d’attente légitime. la normalité a donc une double dimension, que l'ont retrouve à travers l’attente légitime. a la manière des standards, dont on a pu dire qu’ils « mettent en œuvre les différentes formes de normalité »69 , ce sont autant les deux dimensions de la normalité qui sont transmises à l’attente légitime. il semble en effet que l’on puisse appliquer à l’attente légitime ce qui a été dit à propos des standards : « coexistent des standards purement descriptifs, notamment dans le contentieux fiscal, et des standards dogmatiques, la plupart des standards se tenant dans l’entre-deux en promouvant une normalité dogmatique en ce qu’elle ne transcrit pas ce qui est et néanmoins descriptive en ce qu’elle peut être tenues pour le produit des mentalités de l’époque et non pour un choix solitaire du juge. »70 « légitime » renvoie bien à la normalité descriptive puisque, nous l’avons vu, la confiance dans une certaine régularité des comportements est en principe considérée comme légitime. mais la notion a également un résonance prescriptive, dans la mesure où le jugement de légitimité est un jugement sur ce qui doit être. le juge ou l’arbitre devant apprécier le caractère légitime d’une attente doit donc se référer tant à « ce qui se fait » (la pratique, les usages, plus généralement la culture d’une société donnée), qu’à « ce que le droit voudrait que l’on fasse » (les standards, les chartes professionnelles, etc…). une bi-dimensionalité déjà inhérente à la notion d’ « attente » ? il est par ailleurs intéressant de remarquer que cette dichotomie existe, dans une certaine mesure, dans le terme anglais « expectation ». reprenons l’exemple donné par m.h. mendelson dans son cours à l’académie de droit international de 1998 sur les sources coutumières 69 s. rials, le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), lgdj, paris, 1980, p. 76. 70 s. rials, op. cit., p. 76.
72 du droit international public71 . il explique qu’en anglais, l’ « expectation » est ambiguë : elle peut signifier une simple prédiction72 (« i expect it to be sunny tomorrow »). mais elle peut également désigner une obligation73 (« students are expected to stay awake during lectures »). d’ailleurs, ne peut-on pas en dire autant de l’ « attente » dans la langue française ? « attente » peut en effet signifier « exigence », c'est-à-dire une forme d’obligation. il semble donc que la double dimension de la normalité se retrouve non seulement à travers le terme légitime mais déjà dans l’attente, même s’il convient de ne pas donner trop d’importance à ce constat. conclusion du chapitre 1. si l’attente légitime constitue un complément de la volonté dans l’approche du droit des contrats, c’est donc en définitive parce qu’elle permet de la pondérer en faisant intervenir la normalité. elle procède de la constatation selon laquelle le pur jeu de la volonté ne suffit pas à préserver un climat contractuel sain, c'est-à-dire où règne la confiance et dans lequel chacun est en mesure de défendre ses intérêts. on peut voir dans l’attente légitime un instrument de mesure de l’équilibre entre subjectivité (prise en compte des intérêts et attentes privés) et objectivité (apparence et régularité des comportements). 71 m.h. mendelson, the formation of customary international law, rcadi 1998-i (tome 272). 72 en allemand on parlerait de « erwartung ». 73 en allemand, « anspruch ».
73 chapitre 2. des notions similaires. il va de soi que les préoccupations que nous venons d’évoquer existent dans les ordres juridiques internes depuis bien plus longtemps que dans le domaine des investissements internationaux, lequel est apparu beaucoup plus récemment. ainsi, il est naturel que se soient développées au sein de ces ordres juridiques un certain nombre de notions censées y apporter des réponses. dans la mesure où, comme nous l’avons, c’est en grande partie à partir des droits internes que se forme le droit international des investissements, il apparaît opportun d’identifier et de s’intéresser d’assez près à ces notions avant d’en venir à l'étude spécifique de la notion d’attente légitime en droit international. le droit des contrats d’état constituant « un point de rencontre privilégié du droit public et du droit privé »74 , nous procèderons à cette recherche en distinguant entre la protection des attentes légitimes des particuliers dans leurs relations avec les autorités publiques (section 1) et la protection des attentes légitimes des parties au contrat de droit privé (section 2). section 1 : la protection des attentes légitimes des particuliers dans leurs relations avec les autorités publiques (droit public). pertinence de l’étude des droits publics internes. parmi les branches du droit interne, on pourrait prétendre que le droit administratif est, 74 e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, p. 77.
74 par certains aspects, le plus pertinent pour l’étude du droit international des investissements : c’est dans cette discipline que l’on recherche, depuis longtemps, des solutions aux problèmes spécifiques liés à la relation entre etat et personnes privées. la plupart des problèmes propres à cette relation, en effet, se sont posés et ont en large mesure été résolus dans les ordres juridiques internes bien avant d’apparaître en droit international des investissements. la similarité de ces problèmes a notamment été soulignée par une doctrine particulièrement autorisée en la personne de f. orrego vicuna. l’auteur, après avoir évoqué la notion de « legitimate expectations » en droit public anglais et les problèmes auxquels elle est censée apporter des solutions, fait remarquer que “the situation is not altogether different under international law.”75 la notion d’attente légitime utilisée en droit international des investissements, d’ailleurs, n’est-elle pas directement tirée du droit public anglais ? on peut le penser76 : en effet, non seulement c’est dans ce droit que l’on rencontre régulièrement la notion sous une forme identique à celle qui apparaît dans les sentences de droit des investissements (la notion de « legitimate expectation »), mais c’est un des rares systèmes dans lesquels cette notion est utilisée dans un sens technique77 . la notion de « reasonable expectation » que l’on rencontre assez souvent en droit anglais des contrats78 , n’a au contraire pas de sens technique, pas plus que celle d' « attente légitime » en droit français ou de « berechtigte erwartung » en droit allemand. néanmoins, nous nous demanderons si, au delà de cette parenté apparente, le sens et la fonction de la notion sont réellement les mêmes en droit public anglais et en droit international des investissements. 75 f. orrego vicuna, regulatory authority and legitimate expectations: balancing the rights of the state and the individual under international law in a global society, 5/3 int. l. forum 188, 2003, p. 194. 76 voir, notamment, f. orrego vicuna, op. cit., p. 193 s. 77 en droit allemand, le terme technique est celui de vertrauensschutz (qui signifie « protection de la confiance »), et non celui de « berechtigte erwartung », qui serait la traduction la plus exacte de « legitimate expectation ». 78 nous reviendrons à cette notion plus loin.
75 nous poserons la même question au sujet des notions de droit public utilisées dans les systèmes français et allemand, ainsi qu’en droit communautaire. les questions auxquelles nous devons tenter de trouver des réponses sont les suivantes : quelles sont les attentes protégées ? dans quelles mesure sont-elles protégées par de droit positif ? nous donnerons donc un aperçu du mode d’opération des principes reconnus respectivement en droits anglais, allemand, et européen (§1), puis nous nous demanderons si, malgré l’absence d’un tel principe en droit français, celui-ci comporte des règles répondant à la même préoccupation de protection de la confiance des administrés (§2). §1.- la protection de la confiance légitime dans les droits publics anglais, allemand, et européen. le domaine de la notion. avant toute chose, il convient de noter que les principes de protection de la confiance légitime que connaissent respectivement les droits publics anglais, allemand, et européen ne sont pas des principes strictement contractuels, mais s’appliquent aux rapports entre l’administration et les administrés en général. le droit anglais, d’ailleurs, ne connaît pas de « contrats administratifs » en tant que tels puisqu’il applique le même corps de règles aux contrats passés par l’administration qu’aux autres contrats. le droit allemand est également réticent à l’application d’un droit différent aux contrats de l’administration. ces principes s’appliquent donc aux rapports entre administration et administrés, que ceux-ci soient dans une relation contractuelle ou non.
76 chronologie de la naissance d’un principe de confiance légitime à travers l’europe. le principe aujourd’hui connu sous le nom de « confiance légitime » est apparu en allemagne dans les années vingt79 (« vertrauensschutz »). ce n’est cependant que dans les années cinquante qu’il connaîtra réellement son avènement80 , avec le jugement du tribunal administratif supérieur de berlin du 14 novembre 195681 . il correspond à une nouvelle organisation du droit administratif d’après-guerre autour de l’idée d’ etat de droit (« rechtsstaat »), promouvant notamment l’idée de sécurité juridique. on a pu y voir un principe censé contrebalancer celui de la libre révocation des actes administratifs (grundsatz der freien widerrufbarkeit von verwaltungsakten)82 . il connaît sa première traduction législative en 1976 avec la « loi sur la procédure administrative »83 . enfin, la cour constitutionnelle fédérale reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de protection de la confiance légitime par deux décisions des 8 juillet 197184 et 2 février 197885 . le droit communautaire adoptera le principe très rapidement après sa consécration en droit allemand : il semble en effet particulièrement bien répondre au souci de combiner les mutations perpétuelles du droit communautaire avec une certaine sécurité juridique. l’idée de protection de la confiance légitime apparaît dès 195786 dans la 79 h. ipsen, widerruf gültiger verwaltungsakte, abhandlungen und mitteilungen aus dem seminar für öffentliches recht der hamburgischen universität, heft 26, hamburg, 1932, 93ss; g. püttner, vertrauensschutz im verwaltungsrecht, vvdstrl 32 (1974), 207). notons qu’à la fin du 19e siècle, un privatiste français, emmanuel levy, avait déjà bâti toute une théorie des obligations sur cette même notion de « confiance légitime ». nous aurons l’occasion d’y revenir (cf. infra p. 110). 80 g. püttner, vertrauensschutz im verwaltungsrecht, op.cit., p. 209. 81 ovg berlin vii b 12/56, dvbl 72/1957, p. 503, note haueisen f.; dans cette affaire, la veuve d’un ancien fonctionnaire avait reçu la promesse officielle qu’elle bénéficierait d’une rente si elle quittait l’allemagne de l’est pour berlin ouest, ce qu’elle décida de faire. la rente lui fut accordée à tort pendant un an, puis retirée, avec demande de remboursement des sommes versées. mais le juge décida que la confiance de l’intéressée dans la continuité de la situation devait être protégée. 82 hans-uwe erichsen & wolfgang martens, allgemeines verwaltungsrecht, walter de gruyter, 5. auflage, p. 214. 83 loi fédérale du 25 mai 1976, bgbi, i, 1976, 1253. 84 voir rdp 1972, obs. m. fromont. 85 voir rdp 1979, 1654, obs. m. fromont. 86 cjce 12 juillet 1957, algera e.a. c/assemblée commune de la ceca, aff. jtes 7/56 et 3 à 7/57, rec. 1957, 81, concl. lagrange, 136.
77 jurisprudence et l’arrêt lemmerz-werke de 196587 fera apparaître clairement le lien avec le droit allemand comme référence dans l’élaboration du principe. sa qualité de principe général du droit est reconnue progressivement et consacrée formellement par un arrêt gesellschaft gmbh in firma august töpfer du 3 mai 197888 . conséquence de la consécration du principe en droit communautaire, les juridictions anglaises vont elles-mêmes progressivement adopter le principe sous le nom de « principle of legitimate expectations »89 . le processus d’intégration du principe en droit anglais se fera sous l’impulsion d’une poignée de juges particulièrement influents, notamment lord diplock90 , qui saurons « faire jurisprudence ». si les juges anglais sont traditionnellement connus pour leur réticence à s’inspirer des systèmes juridiques étrangers à la common law, le manque de règles suffisamment précises, dans le contexte de la complexification des rapports entre administration et administrés au lendemain de la seconde guerre mondiale rendra le recours au droit comparé indispensable. l’influence des droits communautaire et allemand apparaît dans le cas de la confiance légitime tout à fait évidente et les auteurs anglais le reconnaissent bien volontiers91 . après une présentation de l’idée générale qui fonde le principe de protection de la confiance légitime dans ces trois systèmes (a), nous tenterons d’identifier les attentes considérées comme dignes de 87 cjce 13 juillet 1965, lemmerz-werke gmbh c/haute autorité ceca, aff. 111/63, rec. 1965, 836, concl. roemer, 865. 88 cjce 3 mai 1978, aff. 112/77, gesellschaft gmbh in firma august töpfer et co. c/ commission, rec. 1978, 1019, concl. mayras, 1034. 89 ce terme correspondant à la terminologie anglaise utilisée en droit communautaire. 90 lord diplock a siégé à la chambre des lords de 1968 a 1985. v. sur son influence, robert thomas, legitimate expectations and proportionality in administrative law, oxford - portland oregon, 2000, p. 25; r. stevens, law and politics: the hause of lords as a judicial body, 1800-1976, weidenfeld and nicolson, london, 1979, pp. 565-569. 91 v. r. thomas, op. cit., p. 26 : “however, the principles of legitimate expectations and proportionality were manifestly not inventions of the common law.”; p. 41-42: “the development of the principle [of legitimate expectations] was inspired by the german principle of vertrauensschutz, meaning the protection of trust”.
78 protection (b) et de comprendre dans quelle mesure elles sont réellement protégées (c). a. l'idée commune aux principes de droits anglais, allemand, et européen. 1) présentation générale. l'idée générale. les principes de droits publics allemand (vertrauensschutz), anglais (legitimate expectations), et européen (confiance légitime92 ) ont à leur base une seule et même idée. référons nous pour commencer à la formulation de cette idée générale proposée par j.p. müller, juriste allemand auteur d’un ouvrage sur le principe de la protection de la confiance légitime en droit international public. il commence son ouvrage par les lignes suivantes : « le vertrauensschutz comme principe juridique signifie que certaines attentes, lorsqu’elles sont créées par le comportement concluant d’une personne juridique chez un partenaire ou dans une communauté plus large, produisent des effets juridiques. » 93 il s’agit donc d’un principe selon lequel l’administration ne doit pas, par des changements soudains de sa ligne de conduite, décevoir la confiance qu’elle a pu créer chez les administrés. voyons plus précisément comment ce principe est formulé au sein des différents ordres juridiques qui le reconnaissent. nous tenterons ensuite, à partir de ces différentes formulations, d'en dégager les éléments essentiels. 92 les termes précités de « vertrauensschutz » et « legitimate expectations » étant respectivement utilisés dans le champs du droit communautaire. 93 j.p. müller, vertrauensschutz im völkerrecht, baörv, vol. 56, cologne/berlin (1971), p. 1 : „vertrauensschutz als prinzip rechtlicher ordnung bedeutet, daß bestimmte erwartungen, die ein rechtssubjekt durch sein schlüssiges verhalten bei einem rechtspartner oder bei der weiteren rechtsgemeinschaft erweckt, rechtsgestaltend wirken.“
79 droit allemand. s. calmes, auteur d’une thèse sur la protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire, et français, propose la définition suivante du principe de vertrauensschutz en droit allemand : « … en vertu de ce mécanisme défensif de droit matériel, « contreprincipe du pouvoir étatique » face aux mutations de la réglementation et aux engagements non tenus, si une personne privée de bonne foi s’est, en toute confiance, fiée au comportement d’un organe public et au maintien de la ligne de conduite ainsi créée, les autorités doivent, par la suite, tenir compte des attentes légitimes suscitées dans le chef de cette personne - qui doit subir « le plus petit inconvénient possible » en cas de changement -, c’est-à-dire ne doivent pas prévariquer et rompre la confiance, en modifiant de manière inattendue et brutale cette ligne de conduite, en tout cas dans la mesure où aucun intérêt public impérieux ne l’exige. »94 droit anglais. en droit anglais, nous l’avons vu, le principe est plus récent, puisqu’il n’est apparu en tant que tel95 que dans les années 197096 , et a semblé un temps limité à un rôle procédural97 . aujourd’hui, cependant, l'existence d’un principe de droit administratif anglais, applicable au fond aussi bien qu’à la procédure, et en apparence exactement identique à celui du droit allemand, ne semble plus faire de doute. voici comment l’a formulé la court of appeal qui rendait l’arrêt r. v. north and east devon health authority, ex parte coughlan en 2000 : . 94 s. calmes, du principe de la protection de la confiance légitime en droits allemands, communautaire et francais, thèse, 2001 (paris 2). 95 la notion de “legitimate expectation” apparaît déjà dans certains arrêts antérieurs mais aucune référence à un principe n’y est faite. 96 on fait généralement remonter sa première apparition dans le sens moderne à son utilisation par lord denning dans l’arrêt schmidt v. secretary of state for home affairs [1969] 2 ch. 149 (voir notamment r. thomas, legitimate expectations and proportionality in administrative law, oxford - portland oregon, 2000, p. 47; r. baldwin and d. horne, expectations in a joyless landscape, (1986) 49 mlr 694; b. hadfield, judicial review and the concept of legitimate expectations (1988) 39 nilq 103, 104). 97 voir, notamment, l’arrêt associated provincial pictures houses ltd. v. wednesbury corp (1947) 2 all er 680, (1948) 1 kb 223.
80 “where the court considers that a lawful promise or practice has induced a legitimate expectation of a benefit which is substantive, not simply procedural, authority now establishes that here too the court will in a proper case decide whether to frustrate the expectation is so unfair that to take a new and different course will amount to an abuse of power. here, once the legitimacy of the expectation is established, the court will have the task of weighing the requirements of fairness against any overriding interest relied upon for the change of policiy.”98 r. thomas définit le principe de manière plus simple : “legitimate expectations means that any individual who, as a result of governmental conduct, holds certain expectations concerning future governmental activity, can require those expectations to be fulfilled unless there are compelling public interest reasons for not doing so.”99 droit communautaire. pour f. hubeau, enfin, qui écrit sur le principe tel qu’il est reconnu en droit communautaire : « la reconnaissance d’une violation du principe de confiance légitime apparaît […] comme la réaction du juge sanctionnant l’utilisation, en soi régulière, par l’auteur de la norme juridique critiquée, de ses pouvoirs dans les conditions qui surprennent toutefois la confiance que les destinataires de la norme en cause pouvaient légitimement avoir que l’état du droit ne serait pas modifié sans mesure transitoire. »100 que ce soit en droit allemand, anglais, ou communautaire, le principe répond à la préoccupation d’une certaine permanence des situations créées par l’administration. elle part de l’idée qu’il est légitime pour les administrés de s’attendre à une relative stabilité des situations établies. 98 r. v. north and east devon health authority, ex parte coughlan (2000) 3 all er 850, § 57. v. aussi r c/ home secretary, ex p kharn, 1984, 1 wlr 1337 ; 1984.3 all. er 935. 99 r. thomas, legitimate expectations and proportionality in administrative law, oxford - portland oregon, 2000, p. xv. 100 f. hubeau, le principe de protection de la confiance légitime dans la jurisprudence de la cour de justice des communautés européennes, cah. dr. eur. 1983, p. 144.
81 une idée également présente en droit international des investissements. on verra que cette idée de stabilité est également l’un des principaux aspects de l’attente légitime telle qu’elle s'est développée en droit international des investissements. en particulier, au titre de l’interprétation du principe de traitement juste et équitable, les tribunaux arbitraux considèrent généralement que l’investisseur a une attente, légitime et digne de protection, selon laquelle le cadre juridique dans lequel il réalise l’investissement restera, du moins dans une certaine mesure, stable101 . plus généralement, c’est l’attente créée par les déclarations et comportement de l’etat hôte de l’investissement qui est protégée par l’intermédiaire du principe de traitement juste et équitable. 2) les éléments fondamentaux du principe. listes des éléments constitutifs du principe. on le voit, le principe de confiance légitime vise à concilier les changements de politiques – jugés indispensables pour la poursuite de l’intérêt général – avec les intérêts individuels des administrés102 . les mêmes éléments fondamentaux sont présents, quel que soit l’ordre juridique considéré : - tout ces systèmes s’entendent sur le fait que les attentes légitimes des administrées peuvent avoir des effets juridiques. - le deuxième élément tient à la source des attentes dont il est question. ne peuvent avoir des effets juridique seulement les 101 v. notamment infra p. 238s. 102 c’est ainsi que la court of appeal dans l’arrêt coughlan précité (supra n. 98), considérait que : “the court’s task in all these cases is not to impede executive activity but to reconcile its continuing need to initiate or respond to change with the legitimate interests or expectations of citizens or strangers who have relied, and have been justified in relying, on a current policy or extant promise.” (§ 65)
82 attentes créées par la conduite des autorités publiques. cela exclut donc la prise en compte d’attentes fondées sur d’autres éléments, tels l’expérience ou la « normalité ». - le troisième élément tient au fait que l’attente doit pouvoir être qualifiée de légitime pour être protégée, c'est-à-dire sanctionnée par le droit. - enfin, pour que l’attente soit protégée, il faut qu’aucun intérêt public impérieux ne s’y oppose. un raisonnement en deux temps. la problématique centrale – en fonction de laquelle les juges ont élaboré un certain nombre de critères – est donc celle de la balance à établir entre l’intérêt du particulier (qui invoque la déception de son attente légitime) et l’intérêt général (poursuivit par l'administration à travers la mesure incriminée). les autorités publiques étant tenues à deux obligations souvent contradictoires – protéger les attentes légitimes qu'elle crée chez les individus, d’une part, et adapter ses mesures et pratiques en visant la satisfaction de l’intérêt du plus grand nombre, d’autre part – il convient de déterminer à partir de quel point la première obligation doit prévaloir sur la seconde. s’il est souhaitable de protéger les attentes légitimes des particuliers, on ne peut le faire au prix du sacrifice de l’intérêt général. comme l’a souligné le juge anglais sedley j. dans l’affaire hamble103 , il faut donc décomposer le raisonnement en deux temps : premièrement l’attente considéré est-elle raisonnable104 ? deuxièmement, dans l’hypothèse où elle est raisonnable, doit-elle prévaloir par rapport à 103 r. v. ministry of agriculture, fisheries and foods, ex p. hamble (offshore) fischeries ltd [1995] 2 all e.r. 714. 104 rappelons que, selon la conception de ce juge, le terme “reasonable” se distingue de celui de “legitimate”, ce dernier ne s’appliquant qu’aux attentes effectivement sanctionnées par le droit.
83 l’objectif de poursuite de l’intérêt général qui met obstacle à sa satisfaction ? p.p. craig résume de la manière suivante la tâche du demandeur : “an applicant would have to show both that the expectation was reasonable in all the circumstances; and it would also have to be shown that the policy considerations which militated against the fulfilment of these expecatations did not serve to defeat them.”105 les deux questions fondamentales sont donc : - qu’est-ce qu’une attente « légitime » ? que signifie ce terme, et quels sont les facteurs qui font qu’une attente paraît plus ou moins légitime ? en particulier une attente peut-elle être dépourvue de légitimité alors qu’elle a été créée par une déclaration étatique ? au contraire, un lien objectif entre comportement de l’administration et attente de l’administré suffit-il à établir la légitimité de celle-ci ? - dans quelle mesure, et à quelles conditions les attentes légitimes sont-elles protégées ? afin de trouver des réponses à ces questions, intéressons nous de plus près à la jurisprudence. b. les attentes dignes de protection. de ce que nous savons pour l’instant, on peut simplement conclure que les droits allemand, anglais, et européen ont en commun un 105 p.-p. craig, substantive legitimate expectations in domestic and community law, cambridge law journal 1996, p. 300.
84 principe selon lequel il faut prendre en compte une partie des attentes créées dans le chef des administrés par le comportement des autorités publiques, dans la mesure où l’on peut les qualifier de légitimes. on fait donc déjà face à deux incertitudes qu’il importe de résoudre si l’on vont comprendre comment fonctionne le principe, et dans quelles mesure il diffère d’un système de droit à l’autre. premièrement, dans quelles circonstances peut-on considérer qu’une attente a été créée du fait du comportement d’une autorité publique ? deuxièmement, le caractère de légitimité de l’attente nécessite-t-il la réunion de conditions supplémentaires, et si oui lesquelles ? le débat en droit anglais. alors que les droits allemand et communautaire sont relativement élaborés quant aux critères de protection des attentes légitimes, la jurisprudence anglaise s’est longtemps caractérisé par le débat portant sur la question de l’étendue des pouvoirs du juge dans l’appréciation des mesures prises par l’administration. a partir du moment où la mesure administrative considérée requiert la mise en balance de l’intérêt collectif recherché et de la déception éventuelle de l’attente légitime d’un individu ou d’un groupe d’individu, en effet, le juge chargé de statuer sur la légalité de la mesure court le risque de se substituer à l’autorité publique dans l’appréciation de l’opportunité de la décision. cela est sans doute dû au fait que le principal critère de légalité est celui de la « reasonableness », sans que ce terme ne soit défini plus précisément. il semble que ce débat aie eu lieu au détriment d’un véritable débat de fond quand aux critères de légitimité et demprotection des attentes106 . il n’est donc pas surprenant que les critères présentés ici soient essentiellement issus des droits allemand et communautaire, le juge anglais se contentant souvent de justifier sa décision par le caractère raisonnable ou non de la décision administrative incriminée (dans la mesure où il s’octroie le droit de contrôler l’action administrative). 106 cela a pu conduire r. thomas (op.cit., p. 72) à regretter que “this tautological definition of unreasonableness, indicative of the antirationalist traditions of common law […] allows the judges to avoid, or rather never think through, a more rational and explicit justification for their decision.”
85 1) nécessité d’un lien de causalité entre comportement des autorités publiques et existence de l’attente. la première restriction quant au domaine d’application du principe tient à la source de la confiance : sont seules prises en compte les attentes créés par des actes de l’administration. ces actes, qui constituent la base de la confiance, peuvent prendre des formes variées. assurances formelles. il peut s’agir, d’abord, de promesses ou d’assurances formelles, dans la mesure ou celles-ci sont suffisamment précises107 . néanmoins, il faut s’assurer, du moins selon la jurisprudence communautaire, que l’acte n’est pas entaché d’illégalité, c'est-à-dire notamment qu’il émane d’une autorité compétente108 et, en matière de fonction publique, qu’il tient compte des dispositions statutaires109 . cependant, notamment en droits anglais et allemand, la question de l’illégalité de l’acte administratif est examinée au stade de la légitimité de la confiance, et non au stade de son existence. déclarations informelles. il peut s’agir également de simples renseignements ou déclarations informelles110 , bien entendu toujours à la condition qu’il s’agisse d’expressions suffisamment précises. en droit allemand, néanmoins, il semble qu’il faille établir une volonté de se lier (« bindungswille ») de la part de l’administration pour que le renseignement 107 ainsi, le fait qu’un haut fonctionnaire de la commission européenne ait déclaré que celle-ci allait « résoudre le problème » n’a pas été considéré comme créant chez le destinataire une confiance (arrêt du 11 mai 1983, klöckner-werke/commission, 303 et 612/81, rec. p. 1507, point 33). en revanche, dans l’arrêt anglais attorney-general of hong kong v. ng yuen shiu [1983] 2 ac 629, la cour d’appel considéra que la promesse faite à des immigrants clandestins chinois selon laquelle chacun d’eux serait reçu et auditionné individuellement créait dans leur chef une attente légitime. 108 v. arrêt du 15 mai 1975, frubo/commission, 71/74, rec. p. 563, point 20. 109 v. arrêt du 6 février 1986, vlachou/cour des comptes, 162/84, rec. p. 481, point 6. 110 v. arrêt du 19 mai 1983, mavridis/parlement, 189/91, rec. p. 1731, points 24 et 25.
86 soit considéré comme une base de confiance111 . en outre, l’acte doit pouvoir être qualifié de « konkludent », c'est-à-dire qu’il doit permettre de tirer une conclusion112 . pratiques. dans certains cas, ensuite, une simple pratique peut créer une attente légitime selon laquelle cette même pratique continuera à être observée dans le futur. la cour européenne considéra par exemple que l’acte de la commission consistant à imposer une amende à un producteur d’acier qui avait dépassé le quota autorisé devait être retiré, puisque dans le passé elle avait continuellement toléré de tels dépassements, donnant ainsi naissance à une attente légitime dans le chef du producteur113 . de même dans l’arrêt anglais gchq114 , lord fraser affirma que : “legitimate, or reasonable, expectation may arise from an express promise given on behalf of a public authority or from the existence of a regular pratice which the claimant can reasonably expect to continue.”115 la jurisprudence allemande a également admis le principe selon lequel l’administration peut se lier par sa « pratique réelle » (« tatsächliches verwaltungshandeln »), les administrés ne devant pas être soudainement confronté à une pratique nouvelle et surprenante116 . actes réglementaires et législatifs. le droit communautaire considère enfin que la confiance peut être créée par une législation ou une réglementation. selon f. hubeau, c’est même dans ce domaine que la notion 111 voir par exemple : h. maurer, « kontinuitätsgewähr und vertrauensschutz », in isensee j./kirchhof p. (hrsg.), handbuch des staatsrechts der bundesrepublik deutschland, c.f. müller, heidelberg, bd. iii, 1988, 211, p. 260. 112 voir, par exemple, r. kägi-diener, justiz und verwaltung aus der sicht des problems der bindung des ordentlichen richters an verwaltungsakte, zürcher studien zum öffentlichen recht, heft 9, zürich, 1979, 349. 113 voir arrêt cjce 12 novembre 1987, aff. 344/85, ferriere san carlo c/ commission, rec. 1987, 4435, concl. mancini, 4443. 114 council of civil service unions v. minister for the civil service [1985] ac 374 (“gchq” case). 115 § 401 b. 116 h. maurer, « kontinuitätsgewähr und vertrauensschutz », op. cit.
87 de confiance légitime trouve sa seule application réellement utile117 . pourtant, cette forme d’actes de l’administration sont plus difficilement admis comme base de confiance dans les conceptions allemande et anglaise du principe. selon la jurisprudence communautaire, le principe de confiance légitime peut être mis en œuvre sans que l’administration ou le législateur se soient explicitement engagés à ne pas changer soudainement la réglementation ou la législation. il faudra cependant prendre en compte le caractère de plus ou moins grande stabilité inhérent à la règle en question118 . en droit anglais, les actes législatifs ou réglementaires ne semblent pas compter au nombre des actes pouvant créer une confiance chez un particulier119 . la question est plus controversée en droit allemand. paradoxalement, le débat n’a porté quasiment que sur les règlements et jamais sur la législation – cette dernière étant plus facilement admise comme base de confiance. on a objecté à l’application du principe de confiance légitime aux actes réglementaires que ce principe, lié à la bonne foi, présume un « rapport spécial » entre l’autorité publique et l’intéressé, que seule une base individuelle de confiance peut créer120 . cependant, comme le note s. calmes, reprenant un argument développé par j.a. baur121 : « … l’exigence du contact individuel entre l’administration et la personne confiante ne résiste pas à un examen pratique et juridique approfondi : cette conception, en vertu de laquelle il faut écarter la protection de la confiance lors de propos généraux, a des conséquences pratiques intenables, car elle revient à mettre en garde les citoyens vis- à-vis des propos généraux et abstraits des personnes publiques, et les 117 f. hubeau, le principe de protection de la confiance légitime dans la jurisprudence de la cour de justice des communautés européennes (cah. dr. eur. 1983, p. 143), p. 145 s. 118 dans les arrêts deuka des 18 mars 1975 (78/74 rec. p. 421) et 25 juin 1975 (5/75 rec. p. 759), rendus dans une affaire qui portait sur des modifications du régime des primes de dénaturation du blé, la cour jugea que ces modifications ne pouvaient pas s’appliquer aux opérateurs ayant introduit des demandes de dénaturation avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. 119 r. thomas, op. cit., p. 53 s. 120 u. gueng, zur verbindlichkeit verwaltungsbehördlicher auskünfte und zusagen, impression spéciale complétée tirée de zbi 71/1970, 449-465, 473-489 et 497-512, st. gallen 1971, 18 ss. 121 j.-a. baur, auskünfte und zusagen der steuerbehörden an private im schweizerischen steuerrecht, diss., zürich, 1979, p. 227.
88 encourage à se laisser, de façon systématique, personnellement conseiller par les fonctionnaires. »122 la jurisprudence, pourtant, ne semble aujourd’hui encore jamais avoir reconnu l’existence d’une confiance basée sur une réglementation. la législation peut, en revanche, incontestablement constituer une base de confiance en droit allemand, lorsqu’elle correspond à des dispositions publiées, claires et précises en faveur de l’intéressé123 . lien de causalité entre l’acte administratif et la confiance de l’intéressé. enfin, il ne suffit pas d’établir une correspondance entre un acte prenant l’une des formes que nous avons vu et le contenu de la confiance. encore faut-il être sûr qu’il existe un lien de causalité entre les deux, c'est-à- dire que la confiance est réellement née de l’acte en question. 2) les critères de la légitimité de la confiance. la question des critères de la légitimité des attentes est sans doute la plus importante. c’est en effet ici que l’on verra quels types d’attentes sont, selon les conceptions des différents droits étudiés, dignes de protection et lesquelles sont, au contraire, considérées comme de simples espérances dépourvues de signification. 122 s. calmes, op. cit., p. 295. 123 voir, notamment : m. baumann, der begriff von treu und glauben im öffentlichen recht, diss. 1952, zürich, 84 ; e.-w. böckenförde, « diskussionsvotum », vvdstrl 32 (1974), 245 ; v. götz, «bundesverfassungsgericht und vertrauensschutz », bundesverfassungsgericht und grundgesetz, festgabe aus anlass des 25-jährigen bestehens des bundesverfassungsgerichts, bd. ii, j.c.b. mohr (paul siebeck), tübingen, 1976, 421, 422s ; h. huber, «vertrauensschutz - ein vergleich zwischen recht und rechtsprechung in der bundesrepublik und in der schweiz », verwaltungsrecht zwischen freiheit, teilhabe und bindung, festgabe aus anlass des 25-jährigen bestehens des bundesverwaltungsgerichts, münchen, 1978, 313, 326, b. rüberg, vertrauensschutz gegenüber rückwirkender rechtsprechungsänderung, schriften zum wirtschaftsverfassungs- und wirtschaftsverwaltungsrecht, bd. 12, hamburg, 1977, 120.
89 il ressort très vite de l'étude de la jurisprudence, tant allemande qu’anglaise ou communautaire, que le fait qu’une attente ait été créée par le comportement d’une autorité publique ne suffit pas à lui conférer un caractère légitime. ainsi les tribunaux refusent de protéger l’attente selon laquelle un certain état des choses demeurera inchangé lorsque le changement est prévisible suffisamment longtemps à l'avance. en revanche, l’existence d’une condition selon laquelle le particulier doit avoir pris des mesures en fonction de ses attentes est plus problématique. imprévisibilité du changement : condition commune aux droits allemand, anglais, et communautaire. le facteur principal de légitimité de l’attente, que ce soit en droit communautaire, anglais, ou allemand124 , est que l’intéressé ait été dans l’impossibilité de prévoir la changement d’orientation de la politique de l’administration. il s’agit de s’assurer qu’aucune information préalable n’a été fournie à l’intéressé, qui pouvait donc se fier à la cohérence de la ligne de conduite de l’administration. ainsi dans l’arrêt britannique hughes v. department of health and social security125 , lord diplock considéra que l’attente créée par une circulaire administrative perdait son caractère de légitimité dès lors qu’un nouvelle circulaire la contredisait, puisque celle-ci rendait le changement d’attitude de l’administration prévisible. il suffit que l’éventualité d’un changement soit connue pour que l’on considère le changement comme prévisible126 . ainsi, les juridictions allemandes ont considéré qu’un homme d’affaire qui avait dépensé des sommes considérables pour ouvrir des salles de jeu et avait conclu plusieurs contrats de bail à long terme ne pouvait se prévaloir du principe de confiance 124 voir, par exemple, o. kimminich, die rückwirkung von gesetzen, jz 17/1962, 518, 523. 125 hughes v. department of health and social security [1985] ac 776, 788 b-c. 126 pour le droit anglais, voir, par exemple, r. thomas, op. cit., p. 55 : “if the possibility of change was reasonably foreseeable then it will not be reasonable to maintain the same expectations as before.”
90 légitime puisque le parlement avait annoncé la possibilité d’une interdiction future des machines à sous exploitées127 . en droit communautaire, la jurisprudence montre que l’imprévisibilité est appréciée très strictement. d'abord, dès lors que le particulier s’est livré à des opérations spéculatives fondées sur les lacunes d’une réglementation128 , la prévisibilité d’une modification est présumée. a fortiori, la mauvaise foi de l’intéressé lui interdit de se prévaloir du principe de confiance légitime129 . même en dehors de ces hypothèses, l’imprévisibilité est généralement difficile à établir, la cour faisant preuve d’une grande sévérité. elle considéra par exemple que des opérateurs ayant conclu des contrats d’exportation, qui se plaignaient des incidences d’un changement dans la méthode de calcul des compensations monétaires, devaient s’attendre à ce changement, puisque la commission avait soumis au conseil une proposition en ce sens. selon la cour : « … même s’il n'était pas certain que la modification proposée par la commission serait adoptée par le conseil, il devait au moins être évident à ces dates, pour un opérateur averti, que l'introduction d’une nouvelle méthode de calcul était imminente. »130 l’écoulement d’un laps de temps suffisant entre le moment où le changement devient envisageable et celui de sa survenance pour permettre à l’opérateur économique de prendre des dispositions nécessaires semble donc suffire à priver ses attentes de stabilité de leur caractère légitime. il faut ajouter que la condition d’imprévisibilité du changement nécessite que l’on apprécie différemment la légitimité des 127 voir b. weber-dürler, vertrauensschutz im öffentlichen recht, habilitationsschrift, verlag helbing & lichtenhahn, basel und frankfurt am main, 1983, 289. 128 voir, par exemple : cjce 27 mai 1975, aff. 2/75, einfuhr- und vorratsstelle getreide c/ mackprang, rec. 1975, 607 points 3 et 4, concl. warner, 624 (quelqu’un « qui recherche un bénéfice artificiel aux frais des deniers publics » ne peut pas s’attendre à une protection des autorités communautaires). 129 voir, par exemple : cjce 12 décembre 1985, aff. 67/84, rec. 1985, 3983 point 21 ; 16 mai 1991, aff. 96/89, rec. 1991, i, 2461 point 30 ; 1er avril 1993, aff. 31/91, rec. 1991, i, 1761. 130 voir arrêt du 10 décembre 1972, coopératives agricoles de céréales/commission et conseil, 95 à 98/74, 15 et 100/75, rec. p. 1615, point 45.
91 attentes d’un particulier et celles d’un professionnel. un homme d’affaire expérimenté étant censé être mieux informé de la conjoncture économique et des orientations de l’administration, les changements de celle-ci sont plus prévisible pour lui que pour un particulier. ainsi, comme le fait observer lord mckenzie stuart, ancien président de la cour de justice des communautés européennes : “[t]he court is less susceptible … to the blandishment of the large and experienced undertaking well able to see in which direction the economic wind is blowing and able to make for a safe anchorage before the storm cloud breaks.”131 il en découle que la légitimité de la confiance d’un professionnel est plus difficile à établir que celle d’un particulier. prise de dispositions ? un autre critère, beaucoup moins clair et plus controversé, concerne la question de savoir si, pour invoquer la légitimité de son attente, l’administré doit fournir la preuve du fait qu’il a pris des dispositions sur la base de celle-ci. tandis que la jurisprudence et la littérature, essentiellement allemandes, semblent considérer que la prise de dispositions sur le fondement de la confiance est requise pour que la confiance soit protégée132 , certains auteurs considèrent que c’est la confiance en elle- même qui doit être protégée, indépendamment de l’action qu’elle a pu engendrer133 . sans entrer dans les détails de cette controverse, notons simplement que, s’il ne s’agit peut-être pas d’une condition nécessaire, elle peut contribuer à établir l’importance, et donc la légitimité de l’attente.134 131 lord mackenzie stuart, the european communities and the rule of law, stevens, london (1977), p. 96. 132 b. weber-dürler, vertrauensschutz im öffentlichen recht, op. cit., p. 96. 133 u. gueng, zur verbindlichkeit verwaltungsbehördlicher auskünfte und zusagen, impression spéciale complétée tirée de zbi 71/1970, 449-465, 473-489 et 497-512, st. gallen 1971, p. 35. 134 pour une étude plus détaillée de la question, v. s. calmes, du principe de la protection de la confiance légitime, op. cit., pp. 370 ss.
92 la question de l’illégalité de l’acte constituant la base de la confiance. le fait que l’acte de l’administration qui est à l’origine de la confiance de l’administré soit entaché d’illégalité a-t-il une conséquence sur la légitimité de cette confiance ? selon le droit allemand, il appartient dans un tel cas au juge de décider quel est le meilleur compromis entre légalité et sécurité juridique. ainsi dans un arrêt de 1956135 , une juridiction allemande décida qu’une veuve, qui avait émigré de rda en rfa après avoir reçu un certain de nombre de promesses selon lesquelles elle recevrait des allocations de la sécurité sociale, et à qui l’on demanda de rembourser les sommes perçues lorsque l’administration se rendit compte que les versements avaient été illégaux, avait une attente légitime selon laquelle elle recevrait les sommes en question : en l'occurrence, la sécurité juridique, par l’intermédiaire du principe de protection de la confiance légitime, semblait donc devoir primer. suite à cette décision, une disposition en reprenant la solution a été incluse dans la « loi sur la procédure administrative non contentieuse »136 . suivant le paragraphe 48(2) de celle-ci : « un acte administratif irrégulier qui accorde une prestation en nature fractionnable ou une prestation en espèces unique ou périodique, ou qui en constitue le préalable, ne peut être retiré lorsque le bénéficiaire s'est fié au maintien de cet acte administratif et que sa confiance, mise en balance avec l'intérêt général attaché au retrait de l'acte, mérite protection. la confiance est en principe digne de protection si le bénéficiaire a consommé les prestations accordées ou s'il a pris une disposition patrimoniale qu'il ne peut plus modifier ou ne pourrait modifier qu'au prix de préjudices intolérables. »137 135 berlin oberverwaltungsgericht (1957) 72 deutsches verwaltungsblatt 503. 136 « verwaltungsverfahrensgesetz » du 25 mai 1976, en vigueur depuis le 1er janvier 1977, bgbl, i, 1253ss. 137 „ein rechtswidriger verwaltungsakt, der eine einmalige oder laufende geldleistung oder teilbare sachleistung gewährt oder hierfür voraussetzung ist, darf nicht zurückgenommen werden, soweit der begünstigte auf den bestand des verwaltungsaktes vertraut hat und sein vertrauen unter abwägung mit dem öffentlichen interesse an einer rücknahme schutzwürdig ist. das vertrauen ist in der regel schutzwürdig, wenn der begünstigte gewährte leistungen verbraucht oder eine vermögensdisposition getroffen hat, die er nicht mehr oder nur unter unzumutbaren nachteilen rückgängig machen kann.“
93 on aura l’occasion de voir qu’une solution analogue a été retenue dans une sentence de droit international des investissements (la seule, à notre connaissance, dans laquelle le tribunal ait eu à prendre position sur la question) : la sentence spp v. egypt138 . en droit communautaire, en revanche, la solution adoptée est différente. nous avons vu que la question de la légalité de l’acte joue déjà un rôle au stade de l’appréciation de l’existence de la confiance139 : un acte entaché d’illégalité ne peut en principe pas donner naissance à une confiance dans le chef d’un administré. dans ce genre de situation, les juges n’auront donc pas à se prononcer sur la légitimité de la confiance créée par un tel acte. s’ils devaient se poser la question malgré tout, on ne voit pas comment ils pourraient considérer une telle confiance comme légitime. la cjce décida dans un arrêt maizena140 que : « on ne saurait […] retenir l’argument que maizena a tiré de la prétendue violation du principe de la protection de la confiance légitime, en ce que la république fédérale d’allemagne se serait départie inopinément d’une pratique qu’elle suivant depuis plusieurs années et qui n’avait pas été contestée par la commission. une pratique d’un état membre non conforme à la réglementation communautaire ne peut jamais donner lieu à des situation juridiques protégées par le droit communautaire, et cela même dans le cas où la commission aurait omis de faire les démarches nécessaires pour obtenir de la part de cet état une application correcte de la réglementation communautaire. »141 la solution du droit anglais est similaire. selon ce droit, le principe de l'ultra vires, qui sanctionne tout acte d’une autorité publique qui 138 southern pacific properties (middle east) ltd v. arab republic of egypt (spp), 20 may 1992, 3 icsid reports 189 (icsid case no. arb/84/3), § 83 (cf. infra, p. 224) 139 cf. supra p. 85. 140 arrêt du 15 décembre 1982 hauptzollamt krefeld/maizena gmbh, 5/82, rec. 1982 p. 04601. 141 arrêt maizena, op. cit. point 22.
94 dépasse le cadre des compétences qui lui sont assignées, prime sur celui de la confiance légitime142 . conclusion sur les critères de la légitimité de la confiance. en définitive, on constate que dans l’ensemble, les conditions de mise en oeuvre du principe sont très restrictives et ne laissent que peu de place à son application effective. comme le fait remarquer j.p. puissochet à propos de l’application du principe en droit communautaire, on peut semble-t-il affirmer que : « … l’écart paraît grand entre la portée et la fonction théoriques de ce principe et l’effectivité des conséquences de son application par la juridiction communautaire : le nombre de cas dans lesquels celle-ci a reconnu sa violation demeure relativement limité. »143 c. mesure dans laquelle les attentes sont protégées. mise en balance des intérêts en présence. toutes les conditions que nous venons de passer en revue, si elles sont remplies, ne permettent pas encore de garantir la protection des attentes légitimes considérées. nous avons vu en effet que le caractère légitime de l’attente ne suffit pas à sanctionner sa déception : encore faut-il qu’aucun intérêt public impérieux144 ne s’y oppose. il s’agit donc ici de mettre en balance les intérêts en présence. 142 voir, notamment, western fish products v. penwith district council [1981] 2 all er 204 ; maritime electric co. v. general dairies ltd. [1937] ac 610 ; voir aussi r. thomas, op. cit., p. 57. 143 j.p. puissochet, op. cit., p. 593. 144 on trouve également les expressions de « motif grave », intérêt « supérieur » ou « péremptoire », ou encore « raison impérieuse ».
95 ainsi, par exemple, la protection de la confiance légitime ne peut pas conduire à un danger quelconque pour la vie et la santé145 . en outre, l’intérêt financier de l’etat constitue invariablement un intérêt lourd dans la balance. néanmoins, l’application de cette notion vague d’intérêt public impérieux requiert, dans chaque espèce, un jugement subjectif fondé sur l’ensemble des circonstances. nous n’entrerons donc pas ici dans le détail de ces considérations. différence avec l’approche du droit international des investissements. les arbitres du droit international des investissement, notre étude le montrera, semblent accorder un moindre poids à l’intérêt de l’etat dans l’appréciation de la question de savoir si la confiance de l’investisseur est ou non digne de protection. c’est là sans doute la principale différence entre la notion de confiance légitime telle qu’elle est appliquée en droit interne et la prise en compte de l’attente légitime de l’investisseur dans le contexte d’un investissement international. cette différence est, à notre sens, essentiellement due au fait que les arbitres y ont recours dans le cadre de l’interprétation des traités d’investissement, traités dont l’objectif premier est la protection de l’investisseur face à l’etat d’accueil ; le droit administratif interne, au contraire, est essentiellement centré sur la protection de l’intérêt de service public (même si cela est moins vrai, il faut l’admettre, pour le droit anglais que pour les droits administratifs français et allemand). modes de sanction de la déception de la confiance légitime. les attentes légitimes peuvent être protégés selon deux modes principaux : le premier consiste à garantir à l’intéressé la stabilité de la situation dans laquelle il a investit sa confiance. dans le second cas, qui ne s’applique en principe que lorsque la première solution n’est plus réalisable, on lui procure un dédommagement pour la déception de ses attentes légitimes. 145 pour des exemples, v. w. leisner, « das gesetzesvertrauen des bürgers - zur theorie der rechtsstaatlichkeit und der rückwirkung der gesetze », festschrift für friedrich berber zum 75. geburtstag, c.h. beck’sche verlagsbuchhandlung, münchen 1973, p. 273.
96 remarques conclusives. notons pour finir que le fait qu’il existe un principe de protection des attentes légitimes commun aux droits allemand et anglais est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de deux pays aux cultures juridiques a priori opposées. alors que le droit administratif anglais est fondé sur la « rule of law », qui soumet les individus et les autorités publiques au même corps de règles146 , le droit allemand, plus proche du droit français, est fondé sur l’inégalité entre l’etat et les individus. dès lors, on peut se demander pourquoi le droit administratif français ne reconnaîtrait pas à son tour un tel principe. §2.- la protection de la confiance légitime, un idée en constante progression en droit administratif français. le droit français a longtemps semblé foncièrement réfractaire à la reconnaissance d’un principe de protection de la confiance légitime en tant que tel. comme le faisait remarquer p. fraisseix en 1999, en effet : « le schéma classique du droit français fait reposer l’intervention du juge administratif sur des faits établis et non sur des « espérances fondées » en ce sens que l’acte générateur de droits doit revêtir une normativité suffisante, autrement dit doit être en mesure d’affecter l’ordonnancement juridique. il doit s’agir de jure d’un règlement ou d'un acte individuel, et non de seules promesses. »147 146 v., par exemple, r. thomas, op. cit., p. 3 : “public authorities are not entitled to be treated differently than any private individuals…” 147 p. fraisseix, la notion de confiance légitime dans la jurisprudence administrative française, revue de la recherche juridique. droit prospectif. 1999/2, p. 403, p. 417.
97 ces lignes ne laissent entrevoir aucun espoir de reconnaissance prochaine par le juge administratif français d’un principe de protection de la confiance légitime. les moyens fondés sur le principe de confiance légitime ont d’ailleurs longtemps semblé devoir être systématiquement rejetés par les juridictions administratives françaises, et notamment par le conseil d’etat et le conseil constitutionnel148 . d’autres auteurs, néanmoins, semblaient, à la même époque, moins catégoriques. j.-p. puissochet, conseiller d'etat et juge à la cjce, sous-entendait en 1996 que les solutions retenues par le droit français étaient à peu près identiques à celles des ordres juridiques dans lesquels ce principe est reconnu, puisqu’il écrivait : « … si le principe de confiance légitime n'est vraiment consacré et développé qu’en droit allemand (et, déjà, dans une moindre mesure, en droit néerlandais), la plupart sinon la totalité des autres systèmes juridiques de la communauté parviennent à des résultats comparables voire identiques à l’aide de notions différentes. »149 malheureusement, l’auteur ne précisait pas quelles étaient les notions utilisées en droit français pour parvenir à ces « résultats comparables voire identiques ». à nous donc de nous poser la question. car si les résultats obtenus sont réellement les mêmes, il est permis de penser que la protection de la confiance des administrés fait partie des préoccupations du juge administratif français : cette hypothèse semble d’ailleurs se confirmer aujourd’hui par la reconnaissance récent d’un principe général de sécurité juridique150 . nous tenterons de montrer que le principe de protection de la confiance légitime, qui semble aujourd’hui en passe d’être reconnu 148 ta grenoble 30 juin 1993, ta grenoble 15 juillet 1997, cour administrative d’appel de nantes 12 juin 1995, conseil d’etat : fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles des côtes du nord, 2 octobre 1992. mme brockly, 30 déc 1996. conseil constitutionnel, 30 déc 1996 : « aucune norme constitutionelle ne garantit … un principe dit de confiance légitime. » 149 j.-p. puissochet, vous avez dit confiance légitime? (in mélanges guy braibant, dalloz, paris, 1996), p.584 ; plus prudent, mais dans le même sens, p. fraisseix estimait en 1999 que « … les prémisses d’une future intégration de la confiance légitime se constatent » (in la notion de confiance légitime, op. cit.). 150 arrêt ce, 24 mars 2006, société kpmg (req. n° 288490), ajda 2006.1028, cf. infra.
98 explicitement par le conseil d’etat par l’intermédiaire de celui de sécurité juridique (b), était en réalité en germe de longue date, car sous-jacent à un certain nombre de solutions bien établies du droit administratif (a). a. une idée sous-jacente à certains mécanismes traditionnels. le rejet traditionnel de la notion de confiance légitime par la jurisprudence administrative française traduit-il un désaveu de la logique qui lui est inhérente ? rien n’est moins sûr. on peut en effet observer que certains mécanismes du droit administratif français conduisent souvent aux mêmes solutions que celles qui sont retenues par les droits étudiés plus haut. en effet, l’idée selon laquelle l’action de l’administration ne peut être déterminée sans la prise en compte de certains intérêts individuels (par opposition à l'intérêt collectif), et notamment des expectatives créées par l’administration dans le chef des particuliers, n’est pas tout à fait nouvelle. nous allons montrer ici qu’un certain nombre de mécanismes classiques du droit administratif répondent au souci d’assurer une certaine stabilité à la confiance des administrés créée par les autorités publiques. notons que la conformité des solutions du droit français avec un principe de protection de la confiance légitime tel que nous l’avons présenté plus haut paraît d’autant moins improbable que nous avons vu la manière restrictive dont il est appliqué, notamment en droits allemand et communautaire. nous nous en tiendrons ici aux illustrations les plus évocatrices de l’ancienneté de la préoccupation de protection de la confiance des administrés151 : dans le cadre de la théorie de la responsabilité administrative, d’abord, et dans celui de l’abrogation et du retrait des actes administratifs unilatéraux, ensuite. 151 une étude exhaustive de la question nous mènerait au-delà de l’objet de notre étude. pour une étude plus approfondie, v. la thèse de s. calmes, du principe de la protection de la confiance légitime en droits allemands, communautaire et français, pp. 778 ss.
99 1) théorie de la responsabilité administrative et protection de la confiance des administrés. l’arrêt compagnie des mines de siguiri. ce sont d’abord les solutions traditionnelles relatives à la responsabilité administrative pour faute qui semblent répondre à la préoccupation de protection de la confiance légitime. s. calmes, dans une thèse de droit comparé consacrée au principe de protection de la confiance légitime en droit public, a montré que le conseil d’etat pouvait prendre en compte la confiance subjective suscitée chez un particulier par la conduite d’une autorité publique pour déterminer si la responsabilité pour faute de celle-ci devait être engagée152 . elle cite à ce titre l’arrêt de conseil d’etat compagnie des mines de siguiri153 de 1929 – date à laquelle naissait en allemagne le principe de protection de la confiance légitime. l’arrêt siguiri concernait le changement brusque et non justifié par une autorité publique de sa ligne de conduite à l’égard de travaux réalisés par la société demanderesse. le retrait soudain d’autorisation pour la réalisation de travaux déjà largement engagés avait été décidé, selon le conseil d’etat, « dans des conditions abusives ». s’il n’est fait référence, ni à l’attente légitime, ni à aucune notion similaire, nous pensons, comme s. calmes, que le raisonnement est implicitement basé sur la déception des attentes légitimes créées par l’etat dans le chef de la société demanderesse : « les travaux de la société, entrepris depuis plusieurs années, étaient connus de l’administration et avaient même été encouragés par elle; [...] en ordonnant à la société de ‘cesser’ et ‘d’abandonner immédiatement et complètement’ ses travaux, alors qu’aucune plainte des indigènes ne lui imposait une décision aussi brusque, l’administration de la colonie a 152 s. calmes, op. cit., p. 785 : « il suffirait peut-être d’intégrer implicitement l’intérêt subjectif de confiance du requérant dans une balance des valeurs, dont dépendrait la qualification objective de « faute ». c’est d’ailleurs ce que semble avoir déjà fait le conseil d’etat… ». 153 ce 22 novembre 1929, compagnie des mines de siguiri, 1022 ; s 1930, 3, 17, note bonnard r.
100 fait de ses pouvoirs un usage abusif de nature à engager sa responsabilité pécuniaire à l’égard de la société »154 en encourageant les travaux puis en retirant l’autorisation, l’administration avait créé puis déçu une confiance chez la société. similitude avec la sentence metalclad. cette affaire n’est pas sans rappeler le contexte factuel et la solution de la sentence de droit international des investissements metalclad v. mexico155 de 2000, à laquelle nous aurons l’occasion de consacrer de larges développements. dans cette affaire, le tribunal arbitral sanctionna l’etat mexicain parce qu’il avait incité l’investisseur étranger à commencer la construction d’une usine de retraitement de déchets industriels, et mis par la suite des obstacles à l’achèvement des travaux, pour finalement s’opposer à l’exploitation de l’usine. comme dans l’arrêt siguiri, la décision était largement justifiée par le changement brutal de conduite des autorités publiques, attitude qui avait eu pour effet (ce qui n’est pas dit expressément mais suggéré dans l’arrêt siguiri) de créer puis de décevoir des attentes chez l’investisseur. 2) la protection des droits acquis. la jurisprudence dame cachet. un deuxième type de situations dans lesquelles la prise en compte de la confiance créée chez l’administré a très tôt semblé déterminante aux yeux du juge administratif concerne l’abrogation ou le retrait des actes administratifs unilatéraux. ici, c’est la fameuse jurisprudence dame cachet156 sur les droits acquis qui fournit la meilleure illustration. par cet arrêt, le conseil d’etat a établi que, dans certaines conditions, l’administration ne peut retirer des mesures illégales 154 arrêt siguiri précité, p. 1023. 155 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1). 156 ce, 3 novembre 1922, dame cachet, rec. 790.
101 qu’elle a prise sous la forme d’actes à caractère exécutoire et ayant créé des droits. si cette jurisprudence est dépassée157 , elle témoigne au moins de la préoccupation précoce du juge de maintenir une situation créée au bénéfice d’un administré. néanmoins, il faut le souligner, cette jurisprudence était soumise à des conditions très rigoureuses, se limitant à des actes créateurs de droits (par opposition notamment à des déclarations informelles). notion de droits acquis en droit international des investissements et lien avec les attentes légitimes. non seulement la théorie du maintien des droits acquis a été appliquée en droit international des investissements (manifestant l'influence des droits internes sur la formation du droit international des investissements), mais les liens entre celle-ci et la notion d’attente légitime ont directement été mis en évidence. dans la sentence amco i, le tribunal considéra que : « en effet, en recevant l’autorisation d’investir, amco s’est trouvée investie de droits acquis (à réaliser l'investissement, à le mettre en œuvre dans l’attente raisonnable de réaliser un profit et de bénéficier des incitations faites par la loi). […] ces droits acquis ne pouvaient être retirés par la république, si ce n’est en observant les conditions de fond et de procédure établies par la loi et pour les motifs admis par celle- ci.»158 le tribunal suggère, nous semble-t-il, que c’est parce que les droits acquis par l'investisseur entraînait chez lui un certain nombre d’attentes légitimes (ou raisonnables) que ceux-ci ne pouvaient être retirés. toutefois, la prudence reste requise. on ne saurait déduire précipitamment du simple constat de la ressemblance des résultats que la logique inhérente au principe de confiance légitime est admise en droit 157 v, notamment arrêt ternon (2001). 158 sentence amco c. indonésie i, 20 nov. 1984, 24 ilm 1022 (1985), § 248 (traduction e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, p. 150).
102 français. le droit français demeure, pour l’essentiel, un droit objectif fondé sur le principe de légalité plutôt de sur des considérations subjectives telles que les expectatives d’un particulier. c'est pourquoi il est intéressant de constater que les tribunaux français semblent de moins en moins hostile à la reconnaissance d’un principe de sécurité juridique (qui comporte un élément subjectif, comme nous allons le voir) : cela signifie qu’ils semblent prêts à admettre d’autre modes de raisonnements. b. un principe en voie de reconnaissance. intérêt croissant de la doctrine pour la confiance légitime. on a pu constater, depuis une dizaine d’années environ, un intérêt croissant porté par la doctrine aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime. certains auteurs suggéraient dès la fin des années 90 l'intégration de ces principes en droit français, y voyant des « conditions nécessaires pour la réalisation et l’approfondissement de l’etat de droit »159 . en 1996, b. mathieu prédisait la reconnaissance prochaine par le juge administratif français d’un principe de sécurité juridique160 . d’autres, en revanche, y étaient plus réticents, considérant le confiance légitime comme une « composante facultative »161 de l’etat de droit, ou voyant dans le terme de sécurité juridique une notion trop vague et protéiforme pour fonder un principe : pour ceux-là, il valait mieux la considérer comme une ligne directrice, ou tout au plus un impératif162 . 159 e. prevedourou, le principe de confiance légitime en droit public français, institut d’histoire constitutionnelle hellénique et de droit constitutionnel, études 8, droit et économie, p.n. sakkoulas, athènes, 1998, p. 89. 160 b. mathieu, liberté contractuelle et sécurité juridique : les oracles ambigus des sages de la rue de montpensier (a propos de la décision 96-385 dc du conseil constitutionnel du 30 décembre 1996), lpa 7 mars 1997, n° 29, 5, p. 7 161 s. calmes, op. cit., p. 637. 162 v. notamment g. pellissier, développements récents de l’impératif de sécurité juridique, à propos de trois arrêts du conseil d’etat des 10 et 24 octobre 1997, lpa 20 février 1998, n° 22, 6.
103 malgré ces tentatives doctrinales, les juridictions administratives et le conseil constitutionnel se sont longtemps montrés intransigeants face aux tentatives de reconnaissance d’un principe de protection de la confiance légitime163 . pourtant, la jurisprudence de ces dernières années semble devoir donner raison aux partisans du principe de sécurité juridique (dont, nous allons le voir, la confiance légitime constitue l’un des aspects), notamment par un arrêt important de 2006. aussi, il est aujourd’hui permis de se demander si le conseil d’etat n’est pas sur le point de reconnaître expressément un principe de protection de la confiance légitime en droit administratif français. cas isolé d’application explicite du principe de confiance légitime : l’arrêt freymuth. mentionnons pour commencer une décision (la seule pour l’instant à notre connaissance) dans laquelle le principe de protection de la confiance légitime a été expressément reconnu par une juridiction administrative française. dans un arrêt freymuth du 8 décembre 1994, le tribunal administratif de strasbourg a considéré que : « … par la modification soudaine de la réglementation susévoquée, entraînant sans aucune transition le passage d’un régime de liberté à celui d’une totale interdiction, l’administration a méconnu à l'égard du requérant le principe de confiance légitime ; que cette méconnaissance est de nature à engager sa responsabilité à raison du préjudice causé au requérant de ce fait ».164 il faut cependant signaler que cette avancée jurisprudentielle a été annulée par la cour administrative d’appel de nancy par un arrêt du 17 juin 1999. il s’agit 163 décision du conseil constitutionnel du 30 décembre 1996,« [a]ucune norme constitutionnelle ne garantit [...] un principe dit de ‘confiance légitime’ ». cc n° 96-385 dc du 30 décembre 1996, 145 ; jo 31 décembre 1996, 19557, saisine, 19560 ; ajda 1997, 162. rejet confirmé un an plus tard par la décision cc n° 97-391 dc du 7 novembre 1997, 232 ; jo 11 novembre 1997, 16390ss ; ajda 1997, 969, chron. schoettl j.-e. cc n° 97-391 dc du 7 novembre 1997, 232 ; jo 11 novembre 1997, 16390ss ; ajda 1997, 969, chron. schoettl j.-e. ; df 1997, n° 48, comm. 1220 ; cahiers cons. constit. 1998 n°4, 15- 16 ; lpa mars 1998, n° 27, chron. mathieu b. ; rfdc 1998, n° 33, 157, obs. philip l. ; rdp 1998, 45, chron. rousseau d. 164 ta strasbourg 8 décembre 1994, freymuth, ajda 1995, 560.
104 donc en réalité d’une confirmation, conforme à la jurisprudence récente du conseil d’état165 , du fait que le droit français ne connaît pas de principe de protection de la confiance légitime en tant que tel. application du principe dans le champ d’application du droit communautaire. malgré cela, on ne peut ignorer que, le principe de confiance légitime étant un principe général du droit communautaire dégagé par la cjce, il vaut en france dans le champ d’application du droit communautaire. comme l’explique f. séners : « [le principe de confiance légitime] n’est garanti en france par aucune norme de valeur constitutionnelle […], il ne trouve pas à s’appliquer dans les situations qui ne sont pas régies par le droit interne […]. il trouve par contre à s’appliquer dès lors que la situation juridique soumis au juge administratif français est régies par le droit communautaire. »166 or il est permis de se demander, comme nous y incite f. melleray167 , si une telle situation, où la protection de l’attente de stabilité des administrés dépend de si l’on se trouve ou non dans le champs d’application du droit communautaire, pourra perdurer encore longtemps. il n’est donc pas exclu que le principe soit amené à s’étendre progressivement à des situation de droit purement interne. actes individuels. ainsi, pour ce qui est de la confiance créée par des déclarations formelles, le droit français n’est pas très différent des droits anglais, allemand, ou communautaire. il reconnaît en effet que l’administration peut engager sa responsabilité pour faute parce qu’elle ne respecte pas des promesses formelles et précises faites à des opérateurs 165 v. notamment ce, ass., 5 mars 1999, rouquette, lipietz et autres, revue française de droit administratif, 1999, pp. 357-377, conclusions christine maugüé. 166 francois séners, conclusions sur ce, ass., 11 juil. 2001, fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et autres, revue française de droit administratif, 2002, pp. 33-40, p. 38. 167 f. melleray, la revanche d’emmanuel lévy ? l'introduction du principe de protection de la confiance légitime en droit public français, droit et société 2004 n°56-57, pp. 143 s.
105 économiques, qui avaient conclu sans imprudence certaines transaction sur la foi des garanties qui leur avaient été données168 . actes législatifs ou réglementaires. en revanche, le droit français ne semble pas admettre qu’une confiance digne de protection puisse être créée par une législation ou une réglementation : une mesure économique s’applique immédiatement aux situations existantes169 . l’arrêt kpmg. un arrêt remarquable de l’année 2006 semble avoir mis fin à la ligne du conduite du conseil d’etat consistant à rejeter l’idée d'un principe général de sécurité juridique (et du principe de confiance légitime qui y est directement rattaché). par un arrêt sté kpmg du 24 mars 2006, le conseil d’etat reconnaît expressément l’existence d’un tel principe, et évoque les liens qu'il entretient avec la protection de la confiance légitime. dans l’arrêt kpmg, le lien est directement établi entre principe de sécurité juridique et principe de confiance légitime : ce dernier ne serait qu’un composant du premier. paul cassia, dans son commentaire de l’arrêt, précise que : « le principe de confiance légitime constitue l’aspect subjectif de la sécurité juridique : il implique que les administrés disposent d’un droit acquis au maintien d’une situation. »170 il continue : « la décision sté kpmg franchit le pas décisif de la reconnaissance du principe de confiance légitime, même si elle le fait sous le manteau de la sécurité juridique. »171 168 voir ce, 1er juin 1949, mialet, rec. lebon, p. 257 ; ce, 25 juin 1954, otto, rec. lebon, p. 380. 169 voir ce, 20 mai 1966, hautbois, rec. lebon, p. 346. 170 p. cassia, la sécurité juridique, un « nouveau » principe général du droit aux multiples facettes, rec. dalloz 2006 n° 18, p. 3. 171 p. cassia, op. cit., p. 3.
106 ainsi, il est permis de penser que le droit français connaît enfin, comme ses voisins européens, un principe général de protection de la confiance légitime. la jurisprudence avenir devra toutefois en préciser la teneur, déterminer dans quelle mesure il est invocable en tant que tel par les justiciables et préciser les conditions de son application. conclusion. en définitive, il semble que l’on puisse dire qu’il existe un principe, reconnu ou en voie de développement dans les quatre systèmes juridiques étudiés (même s’il est moins prononcé en droit français), selon lequel les attentes des administrés doivent être protégées, à condition de ne pas mettre sérieusement en danger l’intérêt général. néanmoins, il apparaît immédiatement que la notion d’attente légitime en droit international des investissements n’est la transcription exacte d’aucune de ces notions, notamment parce qu’elle couvre un champs plus large : la notion y intervient pour protéger des attentes nées de l’ensemble des circonstances aussi bien que par les déclarations ou le comportement des autorités publiques.
107 section 2 : la protection des attentes légitimes des parties au contrat de droit interne (droit privé). si c’est probablement dans le droit public que l’attente légitime du droit international des investissements trouve sa source la plus directe, on ne peut ignorer le fait que la notion est généralement invoquée, par les arbitres internationaux comme pas les plaideurs, dans un contexte contractuel. c’est presque toujours à l'occasion de l’exécution d’un contrat (ou d’un ensemble de contrats) que le demandeur invoque la déception de ses attentes. c'est donc vers le droit privé, berceau de la théorie générale des contrats, qu’il convient de se tourner à présent. la question. les attentes légitimes ont-elles un rôle à jouer dans l’exécution172 des contrats ? c’est, en substance, la question que nous allons nous poser tout au long de cette section. la question est intéressante parce que, tandis qu’on aura spontanément tendance à répondre « non », après quelque réflexion l’affirmative semblera devoir l’emporter. on répondra d’abord « non » parce que les systèmes de droit contractuel auxquels nous avons affaire – qui ont au demeurant inspiré une bonne part des systèmes juridiques du monde – sont tous fondés sur le principe de l’autonomie de la volonté173 . l’idée selon laquelle une obligation est créée par la volonté des contractants – et non par la confiance créée chez l’un deux – est fermement ancrée, tant dans le droit français qu’anglais et allemand. a priori, l’idée de protection des attentes légitimes devrait donc leur 172 sur la justification de la limitation à la phase d’exécution du contrat, cf. supra p. 36s. malgré l’intérêt que présenterait l’étude des attentes légitimes au stade de la formation du contrat, nous l’excluons donc de notre étude. cela explique que nous n’aborderons guère les questions relatives à la reconnaissance en droit français de l’acte unilatéral de volonté ni aux questions tenant à la théorie de la cause en droit français ou la théorie du culpa in contrahendo en droit allemand. 173 « théorie fondamentale selon laquelle la volonté de l’homme (face à celle du législateur) est apte à se donner sa propore loi » (g. cornu (sous la direction de), vocabulaire juridique, 7e édition, puf, paris, 2005, v° autonomie).
108 être parfaitement étrangère : c’est la volonté commune des parties au contrat qui compte, et non les dispositions psychologiques de l’une d’elles. l’attente n’émanant par hypothèse que de l'une des partie, elle n’a, dans ce contexte, théoriquement aucune incidence sur le contenu du contrat. pourtant, une étude approfondie de ces systèmes montre qu’il faut relativiser cette affirmation. on constate en effet que le recours à la volonté commune des parties, s’il constitue un fondement satisfaisant du lien contractuel, ne suffit pas à fournir les réponses à tous les problèmes propres à la vie du contrat, notamment ceux liés à son exécution. en particulier, n’est-il pas nécessaire au bon fonctionnement de l’institution contractuelle de ménager une confiance suffisante entre les cocontractants, confiance à laquelle la théorie de l’autonomie de la volonté ne fournit aucune garantie ? l'idée de collaboration entre les cocontractants, prônée aujourd’hui par les partisans du « solidarisme contractuel », n’est-elle pas, dans une certaine mesure, inhérente à tout système de droit des contrats174 ? nous allons voir qu’en effet, chacun des droits internes étudiés réserve, à sa manière, une place non négligeable à la protection de certaines attentes unilatérales, dans la mesure où celles-ci apparaissent légitimes. la méthode. pour bien répondre à la question posée, il faudra la diviser en deux sous-questions. d’abord, le contrat devant par définition être exécuté en fonction de son contenu, c’est d’abord vers l’interprétation (par l’intermédiaire de laquelle ce contenu est déterminé) qu’il faudra se tourner : le contrat est-il interprété exclusivement en fonction de la volonté commune des parties ; le juge, au contraire, considère-t-il parfois le contrat à travers le spectre de l’attente de l’une des parties ? on pourra se demander ensuite s’il existe des notions dont le rôle spécifique réside dans la protection des attentes légitimes. examinons donc dans un premier temps dans quelle mesure les méthodes générales d’interprétation donnent effets aux attentes légitimes 174 comme nous avons pu le voir dans notre chapitre introductif, cf. supra p. 9s.
109 et non seulement à la volonté commune des parties (§1). nous nous intéresserons ensuite plus spécifiquement aux notions spécialement conçues pour la protection de certaines attentes individuelles de l’une des parties (§2). § 1.- la prise en compte des attentes légitimes dans l’interprétation des contrats. l’autonomie de la volonté étant au fondement de nos systèmes de droit contractuel, les contrats sont prioritairement interprétés en fonction de la volonté commune des contractants. dans ce contexte, les attentes légitimes, dans la mesure où elles sont prises en compte, sont nécessairement reléguées à un rôle supplétif. cependant, cette primauté de la volonté n’a pas empêché un certain nombre de tentatives doctrinales, plus ou moins isolées et plus ou moins influentes, pour remettre en cause ce fondement, notamment en proposant de le remplacer par celui de la protection des attentes légitimes175 . nous voudrions, avant d’en venir à la question de l’interprétation des contrats proprement dite, présenter brièvement la manière dont un auteur français, e. lévy, a pu concevoir le rapport contractuel dans sa globalité sous un angle différent, celui de la confiance légitime. cela nous permettra non seulement de comprendre que la conception volontariste n’est pas la seule possible, mais également de percevoir l’influence qu’ont pu avoir ce genre de théories sur le droit positif actuel. 175 même si ce n’est pas toujours ce terme qui est utilisé. en ce qui concerne la littérature juridique allemande et suisse sur le rôle de la confiance dans la formation et l’interprétation des contrats, v. notamment c.-w. canaris, vertrauenshaftung im deutschen privatrecht, c.h. beck, munich (1971); g. von craushaar, der einfluss des vertrauens auf die privatrechtsbildung, c.h. beck, munich (1969); h. eichler, die rechtslehre vom vertrauen, jcb mohr, tübingen, 1950; g. kegel, „verwirkung, vertrag und vertrauen“, in: fs klemens pleyer zum 65. geburtstag, hrsg. p. hoffman u.a. (1986); k.-h. lenz, das vertrauensschutzprinzip, berlin, 1968; h. maurer, « kontinuitätsgewähr und vertrauensschutz », in isensee j./kirchhof p. (hrsg.), handbuch des staatsrechts der bundesrepublik deutschland, c.f. müller, heidelberg, bd. iii, 1988, 211 ; a. simonius, „über die bedeutung des vertrauensprinzips in der vertragslehre“, in festgabe der basler juristenfakultät zum schweiz. juristentag, basel, 1942, p. 233 ss. : „dem vertrauensprinzip wird von doktrin und praxis gegenwärtig wohl nirgends deutlicher eine beherrschende stellung zugewiesen, als in der schweiz.“ (p. 235).
110 c'est donc après un détour par cette théorie alternative, au domaine plus large que celui de la question de l’interprétation à proprement parler puisqu’elle envisage la théorie contractuelle dans sa globalité sous un angle différent (a), que nous en viendrons à la question du rôle, important quoi que supplétif, des attentes légitimes dans l’interprétation des contrats en droit positif (b). a. la théorie d’emmanuel lévy. la notion de « confiance légitime » chez e. lévy. contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de croire, la notion de confiance légitime n’est pas totalement étrangère à l’histoire du droit français. si le droit positif actuel ne lui accorde pas une place centrale, r. chapus, dans son manuel de droit administratif général, tient à rappeler au lecteur que : « la source intellectuelle du principe [de protection de la confiance légitime] est considérée comme se situant dans le droit allemand (repris par le droit communautaire) […]. on oublie ainsi que notre littérature juridique compte une œuvre dont l’auteur, emmanuel lévy, s’est attaché à situer la notion de ‘confiance légitime’ au centre de l’organisation des rapports juridiques. »176 on ne peut en effet laisser de côté cet auteur, dont l’œuvre, dès la fin du 19e siècle, a été largement consacrée au développement d’une théorie des obligations sur le fondement d’une notion si proche de celle qui nous intéresse : celle de « confiance légitime » (ou « croyance légitime », selon les textes). si cette thèse n’a pas été partagée par la doctrine majoritaire177, auprès de laquelle, aux dires de p. roubier, elle « n’a pas 176 r. chapus, droit administratif général, paris, monchrestien, coll. domat, 15e éd., 2001, n°135. 177 v. par exemple g. ripert, le socialisme juridique d'emmanuel lévy, revue critique de législation et jurisprudence, 1928, p. 69 : « je demande quel est le signe de la légitimité de la confiance. je constate
111 obtenu une grande audience »178, une partie de ses thèses ont trouvé un écho, tant en jurisprudence179 qu’en doctrine180. cet exposé aura au moins le mérite de montrer que l’approche qui caractérise ce type de notions n’est ni tout à fait nouvelle en france, ni forcément en contradiction avec les solutions traditionnelles du droit français. confiance et responsabilité. e. lévy est l’un des fondateurs du socialisme juridique, en ce sens que sa théorie tend à conférer au juge le pouvoir de sanctionner tous les comportements sur le simple fondement de la justice sociale. selon lui, la notion qui doit précéder celle de responsabilité est la notion de « confiance » : la responsabilité entre en jeu dès lors qu’un rapport de confiance est trompé. sa théorie part en fait de l’observation que nous avons fait plus haut, à savoir que la confiance est la condition de toute action humaine. pour e. lévy, il découle de cette constatation que, plus la confiance est nécessaire pour agir, plus la responsabilité de celui qui l’a trompé risque d’être engagée : « la responsabilité [est] proportionnelle à la confiance nécessaire.»181 la confiance légitime au fondement du contrat. dans le cadre du droit de la responsabilité contractuelle, la confiance légitime constitue pour lévy le fondement de la force obligatoire du contrat. pour l’illustrer, il cite souvent l’exemple suivant : je me rends dans une librairie et j’achète un livre dont le libraire n’était pas qu'emmanuel lévy glisse sur ce point. comme durkheim règne temporairement, il murmure : la croyance légitime à la régularité d'un droit est la croyance « à la normalité d'une activité » ». 178 p. roubier, théorie générale du droit, sirey, paris, 2ème édition, 1951, 174. 179 assemblée plénière, 13 décembre 1962, d.1963, 277, note j.calais-auloy, jcp 1963, ii, 13105, note p. esmein. 180 voir, notamment, j.-l. sourioux, la croyance légitime, jcp 1982, i, 3058 ; p. voirin, note sous c. bordeaux, 10 décembre 1928, d.p. 1929, 2, 81 : « la théorie de i'apparence n'est pas une planche de salut à i'usage des négligents et des étourdis, mais une protection réservée aux victimes d'une croyance légitime. » 181 responsabilité et contrat, rev. crit. lég. et jurisp., 1899, p. 390.
112 propriétaire, mais seulement dépositaire. pour moi, le contrat de vente est valable (et le véritable propriétaire, s’il souhaite récupérer son livre, devra m’indemniser) : je pouvais, en effet, légitimement croire que le livre était à vendre, puisqu’il était exposé dans une librairie. la justification de cette solution selon lévy est que « l’esprit du lieu me protège » 182. on peut rapprocher ce raisonnement de celui sur lequel est fondée la théorie de l’apparence, à laquelle nous aurons l’occasion de nous intéresser plus loin183 : l’ensemble des circonstances créent une apparence selon laquelle le livre était à vendre, apparence qui suscite une attente (légitime car en phase avec les éléments objectifs qui me permettent de juger de la situation) selon laquelle le contrat que je conclurai avec le libraire sera un contrat de vente valable. selon cette théorie, un contrat peut être valablement conclu alors que les conditions de formation (capacité, pouvoirs, qualité de vendeur, consentement, etc) ne sont pas réunies. ce qui compte, c’est la confiance que le créancier « était en droit » de fonder au regard de l’ensemble des circonstances : « la croyance légitime en nous et en autrui nous fait acquérir le droit, oblige les autres envers nous »184 notons que cela ne signifie pas que le jeu des volontés est privé de toute pertinence. néanmoins, si c’est en principe bien la promesse faite par le débiteur qui fonde l’obligation, ce n’est que parce qu’elle suscite (en même temps et au même titre que d’autres circonstances) la confiance (légitime parce qu’une promesse est une incitation à compter sur les actions futures du promettant) du créancier. interprétation du contrat et critères de légitimité de la confiance. la confiance continue de jouer le rôle central lorsque l’on en vient 182 v. notamment e. lévy, la confiance légitime, rtdciv 1910.717, p. 720. 183 cf. infra, p. 166s. 184 e. lévy, responsabilité et contrat, rev. crit. lég. et jurispr. 1899.361.
113 à l’interprétation des contrats : la confiance étant au fondement du contrat, c’est elle qui détermine le contenu de celui-ci. le juge doit donc l’interpréter en fonction du contenu de la confiance, c'est-à-dire des attentes, dans la mesure où elles sont légitimes. se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure et selon quels critères le juge doit considérer la confiance comme légitime. c’est ce qui conduit lévy à confier au juge le rôle d’interprète des croyances collectives : « on recherche l’intention des parties. qu’est-ce à dire ? on recherche l’intention qu’elles ont dû avoir, qu’on ne voit pas, qu’on leur attribue ; la conscience collective se reflète dans celle des cocontractants.»185 pour dire les choses autrement : le juge est le vérificateur de la conformité de la croyance individuelle avec la croyance sociale. le juge n’est donc plus seulement « la bouche de la loi ». il est aussi l’intermédiaire entre, d’une part, le contrat, et, d’autre part, les expectatives collectives, les désirs latents, qui caractérisent la société dans son ensemble. b. rôle supplétif des attentes légitimes dans l’interprétation des contrats. quelle est aujourd’hui la place des attentes légitimes (ou de la protection de la confiance) parmi les règles d’interprétation des contrats ? les systèmes juridiques étudiés étant fondamentalement articulés autour du principe d’autonomie de la volonté, faut-il rejeter a priori l’idée de la protection des attentes légitimes, comme incompatible avec celui-ci ? s’agit- il, au contraire, de deux idées que l’on peut combiner, qui peuvent se compléter l’une l’autre ? 185 e. lévy, l’exercice du droit collectif, rtd civ., 1903, p. 102.
114 la théorie de l’autonomie de la volonté a pour effet logique que les contrats s’interprètent avant tout en fonction de la volonté des parties. en réalité, les différents droits étudiés lui accordent une importance variable : le droit anglais, par exemple, est réputé pour son approche objective, se référant à ce que l’ « homme raisonnable » (« reasonable man ») aurait compris en lisant le texte contractuel plutôt qu’à l’intention subjective des parties, à la différence du droit français, qui accorde à cette dernière une importance primordiale186 . cependant, y compris en droit français, la volonté des parties ne permet pas toujours d’interpréter le contrat dans son ensemble de manière satisfaisante. le code civil, d’ailleurs, n’incite-t-il pas le juge à prendre en compte des éléments extérieurs aux intentions des parties ? notamment, étant donné que, conformément à l’article 1134, alinéa 3 du code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi, le juge chargé de déterminer le contenu du contrat doit lui-même prendre en compte le principe de bonne foi. or si, pour de nombreux auteurs187 , la référence à la bonne foi n’est qu’un moyen supplémentaire de renvoyer aux intentions des parties, ne faut-il pas y voir, au contraire, une référence à des éléments extérieurs à la volonté commune des parties permettant de justifier les attentes de l’une 186 notons tout de même que l’on ne peut réduire l’approche du droit anglais à une méthode purement objective. en réalité, le juge anglais confronté à la tâche d’interpréter un contrat a également recours à l’intention commune des parties, mais dans la seule mesure où celle-ci est parfaitement claire (voir, notamment, e. mckendrick, contract law, palgrave macmillan, 3rd ed., 1997, p. 168 s. ; t. a. downes, textbook on contracts, blackstone press, 6th ed., 2001, p. 221). 187 v., par exemple, aubry et rau, cours civil de droit français d’après la méthode de zachariae, 5e éd., par g. rau, ch. falcimaigne et m. gault, t. 4e , paris, 1902, §346, p. 563 ; g. ripert, la règle morale dans les obligations civiles, 4e éd., paris 1949 (n°157 : « l'évolution du droit civil ne tend nullement à éliminer la recherche de l’intention. bien au contraire, ce droit se perfectionne dans la mesure où il peut tenir compte de la bonne foi des sujets de droit. ») ; g. ripert, les règles du droit civil applicables aux rapports internationaux rcadi 1933-11 (tome 44) (p. 601 « [le principe de bonne foi] doit se combiner avec le principe que le contrat doit être interprété d'après la commune intention des parties. il ne faut donc pas voir dans l'exécution de bonne foi un recours à l'équité. le juge doit faire exécuter le contrat tel qu'il a été conclu ou que l'on a voulu le conclure; il doit simplement s'assurer que l'une des parties ne cherche pas de mauvaise foi à s'assurer un avantage qui n'était point compris dans le contrat. ») ; p. jourdain, « la bonne foi dans la formation du contrat, rapport français » in : la bonne foi (journées louisianaises) travaux de l’association capitant, t. xliii, éd. litec, 1992 (p. 121 : « elle est une règle de conduite qui exige des sujets de droit une loyauté et honnêteté exclusive de toute intention malveillante. ») ; ph. malaurie, note sous cass. civ. 3e , 22 nov. 1995, d. 96 (p. 604 : « ce qui est interdit, c’est la mauvaise foi contractuelle : faire croire qu’on s’est engagé alors qu’on n’en avait pas l’intention. »).
115 d’elles ? de même, la référence aux usages en droits français et allemand188 et, plus récemment, la référence explicite, dans la jurisprudence189 et la doctrine190 françaises, à la notion d’ « attente légitime » (ou autres notions équivalentes), conduisent le juge à interpréter le contrat en fonction de l’expectative légitime de l’une des parties, notamment là où rien de lui permet de découvrir une intention commune. quant à l’approche du droit anglais, plus pragmatique et objective, nous allons voir que l’on peut considérer qu’elle repose toute entière, implicitement, sur la protection des attentes raisonnables, notamment par les notions de « fair dealing », « implied terms », et « reasonable expectations ». il apparaît donc que, là où aucune volonté commune des contractants n’est discernable, ce sont les attentes légitimes qui prennent le relais, et constituent dès lors la référence pour l’interprétation des contrats. passons donc en revue les règles d’interprétation donnant effet, implicitement ou explicitement, aux attentes légitimes des parties en droits français (1), allemand (2), et anglais (3). 1) interprétation et attentes légitimes en droit français. on constate que l’évolution des règles traditionnelles d’interprétation du contrat en droit français tend à donner une place plus importante à la protection des attentes légitimes (a) et que les tendances les plus récentes s’appuient de plus en plus explicitement sur la notion même (b). 188 art. 1159 ss. du code civil et §§242, 157 du bgb. 189 cf. infra p. 157. 190 v. notamment j.-l. sourioux, la croyance légitime. (j.c.p. 1982. i . 3058) ; j. mestre, rtdciv, 1998, 366 ; j. calais-auloy, « l'attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? » in aspects actuels du droit des affaires, mélanges en l’honneur de y. guyon, paris, dalloz, 2003, p. 171 ; d. mazeaud, la confiance légitime et l’estoppel, ridc 2006/2, p. 363.
116 a. attentes légitimes et règles traditionnelles d’interprétation des contrats en droit français. interprétation subjective ou objective ? selon une présentation usuelle de l’interprétation des contrats en droit français, il existe deux méthodes d’interprétation : l’une objective et l’autre subjective191 . alors que la méthode subjective consiste, conformément à la théorie de l’autonomie de la volonté, à se demander quelle était la commune intention des parties, la méthode objective part de la constatation que, sur certains points, une intention commune est inexistante, et qu’il faut donc s’en remettre à des éléments extérieurs à la volonté des parties. en effet, comme le notent y. lequette, f. terré et ph. simler : « en présence d’une formule ambiguë, il est vraisemblable que chacune des parties lui a donné le sens qui lui est le plus favorable. les parties n'ont pas eu une intention commune, mais des arrière-pensées différentes comme le sont leurs intérêts. » 192 chacun, en effet, a sa propre représentation des droits et obligations de chacun. or que sont ces « arrière-pensées », ces représentations, sinon les attentes respectives des parties quant à la manière dont le contrat sera exécuté ? certes, pour déterminer le sens du contrat, les juges ne peuvent chercher à découvrir le contenu des ces arrière-pensées. ils doivent s’en remettre, selon la méthode objective toujours, à des éléments extérieurs à la volonté des parties, le recours auquel leur est d’ailleurs indiqué par le code civil : bonne foi (art. 1134 al. 3), équité contractuelle et usages des affaires (art. 1135). alors que, pour les partisans de l’interprétation subjective, ces éléments ne constituent que des prolongements de la volonté des parties, la doctrine que nous appellerons « moderne », plus émancipée de la théorie de 191 v. par exemple y. lequette, f. terré et ph. simler, droit civil : les obligations, dalloz-sirey, paris, 9e éd., 2005, n° 422 ss. 192 y. lequette, f. terré et ph. simler, droit civil : les obligations, op. cit., n° 423.
117 l’autonomie de la volonté, leur donne un sens propre. en particulier, interpréter conformément au principe de bonne foi ne signifie plus simplement donner effet à l’intention des parties : la bonne foi, comme l’usage, devient une notion qui fait intervenir un facteur extérieur à la volonté des parties ; ce facteur extérieur est l’étalon selon lequel les arrières-pensées de l’un des contractants seront jugées plus justifiées que les autres. selon nous, non seulement les méthodes objectives d’interprétation reviennent souvent à donner effet aux attentes légitimes (α), mais on peut, de plus en plus, en dire autant de la méthode dite subjective (β). α) attentes légitimes et interprétation objective. l’objectivation de la bonne foi. la bonne foi est un principe fondamental du droit français, qui intervient à tous les stades de la vie du contrat, y compris à celui de son exécution. les parties au contrat doivent, on le sait, exécuter leurs obligations de bonne foi (art. 1134 al. 3 du code civil) : il s’ensuit que le juge confronté à la question de savoir si le créancier a respecté son obligation doit d’abord se demander comment l’obligation devait être comprise conformément au principe de bonne foi. certes, on a longtemps considéré (et certains considèrent encore)193 ce principe comme un simple prolongement du principe de l’autonomie de la volonté : se demander si l’obligation avait été exécutée de bonne foi, c’était se poser la question de savoir si elle donnait pleinement effet à l’intention commune des parties et si le débiteur n’avait pas eu d’intention malveillante. cependant, on est en droit de penser que cette conception de la bonne foi est aujourd'hui désuète, celle-ci étant désormais, depuis une trentaine d’années, largement comprise comme un instrument de 193 cf. supra, note 188.
118 « moralisation du droit des contrats »194 . interpréter par référence à la bonne foi, c’est aujourd’hui imposer aux parties une obligation de loyauté et prendre en compte un certain nombre d’éléments indépendants de leur volonté, y compris la confiance née entre eux. cette évolution de la notion de bonne foi correspond probablement à une objectivation d’ensemble du droit français des contrats. la force obligatoire du contrat, en effet, repose de moins en moins sur la volonté des individus, et de plus en plus sur la confiance. c’est, en substance, ce qu’enseignent ph. malaurie et l. aynès : « plutôt que d’attribuer à la volonté abstraite des parties le pouvoir de créer leur loi, certains proposent de fonder la force obligatoire sur la confiance – la reliance, disent les anglais. la confiance est inséparable de la sécurité juridique. le droit français évolue lentement vers cette conception, qui éclaire le principe et ses sanctions (responsabilité contractuelle, résolution…) par celui de la bonne foi : l'inexécution serait fautive dans la mesure où elle a trompé la confiance du créancier. »195 comme le montre ce passage, l’objectivation de la notion de bonne foi s’accompagne de son rapprochement de l’idée de protection de la confiance. conséquence : la bonne foi au service de la confiance. le lien entre bonne foi et protection de la confiance du créancier est réitéré un peu plus loin par les auteurs précités, lorsque ceux-ci définissent la notion de bonne foi comme le fait, pour chacune des parties, de : « … ne pas surprendre la confiance qu’elle a suscitée en contractant ;»196 194 d. mazeaud, « loyauté, solidarité, fraternité: la nouvelle devise contractuelle? », in l’avenir du droit, mélanges f. terré, 1999, p. 604 : « il est en effet acquis que le phénomène de moralisation du droit des contrats n’a pas, ou très peu, intéressé la doctrine avant ces trente dernières années. » 195 ph. malaurie et l. aynès, les obligations, defrénois, paris, 2004, n°752 (c’est nous qui soulignons). 196 op. cit., n°764.
119 les mêmes auteurs font également explicitement le lien entre la notion de bonne foi et celle d’ « attente légitime », la seconde servant à définir l’un des éléments de la première : « la bonne foi rejoint la théorie de la cause, dans la mesure où elle sert "l’attente légitime" de chacune des parties. »197 en définitive, les auteurs expliquent que le droit des contrats connaît ces dernières années une objectivation, visible notamment à travers l’évolution de la conception de la bonne foi dans le rapprochement de celle-ci avec l’idée de protection de la confiance ou des attentes légitimes. mesure dans laquelle le recours aux attentes légitimes constitue une objectivation. il peut paraître contradictoire de prétendre que la prise en compte des attentes constitue un objectivation du droit. pourtant, nous l’avons vu, la résonance éminemment subjective de la notion d’attente est contrebalancée par l’épithète « légitime », qui introduit un contrôle de conformité de l’attente avec une certaine normalité198 . dès lors qu’il n’est pas possible d’identifier une intention commune des parties sur un point donné, en effet, la référence à la bonne foi conduit le juge à adopter une interprétation objective du contrat au service de la confiance. cela signifie que le contrat, loin d’être interprété indépendamment de la subjectivité des parties, l’est en fonction d’éléments objectifs pouvant contribuer à faire la lumière sur les attentes justifiées des parties. ainsi, par exemple, nous verrons plus loin que des documents publicitaires ayant incité le créancier à contracter peuvent être pris en compte pour l’interprétation du contrat dans la mesure où il permettent de déterminer ce que le créancier était en droit d’attendre de son exécution199 . 197 ph. malaurie et l. aynès, les obligations, op.cit., p. 352 note 78. sur les rapports entre cause et attentes légitimes, malaurie et aynès renvoient à j. rochefeld, cause et type de contrat, lgdj, 1999, préf. j. ghestin, n°s 331-333. 198 cf. supra p. 14s., p. 63s. 199 cf. infra, p. 130.
120 il s’agit donc, par cette interprétation objective, de garantir aux parties que la confiance créée du fait de la relation contractuelle ne soit pas déçue, confiance dont on établit le contenu à l’aide d'éléments objectifs200 . c’est bien là la tâche du juge, car comme nous l’avons vu, là où le contrat ne dit rien, chacune des parties aura tendance à invoquer sa propre représentation, ses arrière-pensées, et donc ses attentes subjectives quant aux obligations de son cocontractant et aux siennes propres. le juge confronté à ces attentes le plus souvent contradictoires devra donc trancher, en fonction des éléments objectifs qu’il a à sa disposition, la question de savoir lesquelles de ces attentes sont les plus légitimes. y. picod, dans sa célèbre étude consacrée à la loyauté dans l’exécution des contrats, souligne également le fait que la notion de bonne foi (ou de loyauté) peut contribuer à aller plus loin dans l’interprétation des contrats, indépendamment de la volonté : « … si la bonne foi contractuelle n’incarne nullement la volonté contractuelle, elle n’a pas pour autant vocation de la limiter. sa fonction est de justifier des obligations que la volonté des contractants ne permet pas de déceler. la loyauté contractuelle intervient là où le contrat ne dit rien, c'est-à-dire là où il serait illusoire d‘invoquer une prétendue volonté qui ne s‘est pas du tout ou insuffisamment exprimé ».201 un peu plus loin, le même auteur précise, en se rapprochant beaucoup de l’idée de protection des attentes, de quelle manière la bonne foi peut venir au secours de la volonté pour combler les lacunes de cette dernière : « aujourd’hui plus que jamais, exécuter loyalement, c’est exécuter en recherchant la plus grande efficacité possible pour son cocontractant, en lui procurant le plus haut degré de satisfaction, au-delà des stipulations contractuelles. […] cela signifie que le débiteur doit 200 ne peut-on d’ailleurs pas voir dans cette méthode un prolongement de la théorie de l’autonomie de la volonté ? le juge qui tente de dégager les attentes légitimes des parties cherche en effet à donner effet aux volitions qui n’ont pas été exprimer clairement dans le contrat. comme nous l’avons vu dans le chapitre introductif, en effet, l’attente peut s’analyser en une forme embryonnaire de volonté (cf. supra p. 14). 201 y. picod, le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, paris, lgdj, 1989.
121 répondre à la confiance de son créancier en offrant d’exécuter de la façon la plus utile possible, en présence d’un contrat qui n’a pas prévu toutes les modalités de son exécution ».202 bonne foi rime donc avec satisfaction du partenaire contractuel : or la satisfaction d’un contractant se mesure en fonction de ses attentes. la satisfaction, c’est la conformité du résultat obtenu avec les attentes. dans cette mesure, il existe un lien direct entre l’obligation d'exécuter de bonne foi et la volonté interne, et donc avec l’aspect psychologique de l’attente légitime. toutefois, il va de soi que le juge ne peut pas prendre en compte toutes les attentes des contractants (d’autant plus que celles des uns et des autres sont souvent contradictoires), mais seulement celles d’entre elles qui lui semble justifiées, étant donné les circonstances. car « attente légitime », nous l’avons vu, n’est pas une notion purement subjective : si elle contient un élément subjectif (l’attente), celui-ci est objectivé par le terme « légitime », qui est un sceau apposé de l’extérieur. or les élément auxquels renvoie la bonne foi (usages, valeurs, normalité) sont les éléments objectifs qui font de certaines espérances des parties des attentes légitimes. quel est l’objectif du juge lorsqu’il invoque de tels éléments extérieurs pour interpréter le contrat ? il s’efforce, nous semble-t-il, de donner au contrat un sens qui n’est pas arbitraire, parce qu’il correspond à ce que les parties pouvaient attendre. en réalité, la question n’est pas tant de savoir si les deux parties avaient la même attente que de savoir si l’une des parties pouvait avoir cette attente, et que l’autre aurait dû (s’il avait été diligent) l’avoir également (ce qui la rend légitime). cela permet d’intégrer au contrat des éléments « normaux » pour un contrat de cette catégorie (usages, valeurs), mais aussi ce qui, sans faire formellement partie du contrat, est connu des deux parties (documents n’appartenant pas directement au contrat, 202 op. cit. ; voir, dans le même sens, a. bénabent, op. cit., n°285 : « du côté du débiteur, [la bonne foi] l’oblige à une exécution honnête et complète de l’obligation promise, incluant les efforts propres à assurer à son partenaire la satisfaction attendue… ».
122 mais ayant été échangés par les parties au cours des négociations), et ayant eu une influence sur les comportements contractuels. l’application de la notion de bonne foi ou des notions proches (loyauté, solidarisme contractuel) du droit français, on s’en rend bien compte, revient donc souvent à protéger les attentes légitimes des parties au contrat203 . similarité avec la notion de bonne foi en droit international public. remarquons ce que nous venons de dire semble pouvoir s’appliquer également au principe de bonne foi en droit international. r. kolb écrit au sujet du principe de bonne foi en général, dans un étude de droit international à la lumière du droit comparé : « l’aspect le plus marqué de la bonne foi objective réside dans la protection de la confiance légitime ou des attentes légitimes. la bonne foi-confiance fait naître une série de droits et d’obligations particuliers de l’interaction sociale afin de protéger la confiance légitime qu’un sujet de droit a fait naître chez un autre par ses actes, omissions, déclarations ou comportements. elle donne le sceau juridique à une certaine régularité de comportement révélée vers l’extérieur et ne permet pas à l’auteur de ces attitudes d’opposer au sujet confiant les aléas de sa volonté réelle. »204 203 un auteur a fait remarquer que, y compris en dehors du droit des contrats, les articles du code civil contenant la notion de bonne foi renvoient souvent implicitement à l’attente légitime : « on trouve dans le code civil quelques dispositions qui, donnant effet à la bonne foi, se réfèrent implicitement à l’attente légitime. notamment l’article 201 (le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins ses effets à l'égard des époux lorsqu’il a été contracté de bonne foi), l’article 549 (le possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi), l’article 1321 (les contre-lettres n’ont point d’effet contre les tiers), l’article 2009 (après cessation du mandat, les engagements du mandataire sont exécutés à l’égard des tiers de bonne foi), l’article 2279 (en fait de meubles, la possession vaut titre). », j. calais-auloy, « l'attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? » in aspects actuels du droit des affaires, mélanges en l’honneur de y. guyon, dalloz, paris, 2003, p. 171. 204 r. kolb, la bonne foi en droit international public : contribution à l'étude des principes généraux de droit, puf, paris, 2000, p. 108.
123 usages205 . le recours aux usages dans l’interprétation des contrats est également de nature (voire destiné) à protéger les attentes légitimes des parties. on peut d’ailleurs établir un lien entre usages et bonne foi : c’est ce qu’a proposé par exemple p. jourdain, qui invite à apprécier la bonne foi selon « les (bons) usages de la vie en société »206 . de même on peut lire sous la plume de j. ghestin que : « … la bonne foi apparaît finalement comme la consécration générale d’une exigence de loyauté dont le degré, mais non le principe, peut être défini par le législateur, ou à défaut, déterminé par la jurisprudence à partir des usages et, plus généralement, des bonnes pratiques contractuelles. »207 par ailleurs deux articles du code civil sont consacrés aux usages. les articles 1159 et 1160 prévoient que : « ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé. » et que : « on doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées. » ces deux articles du code ont donc pour effet de permettre au juge de déterminer certains éléments du contenu du contrat indépendamment de la volonté des parties. cependant, il ne peut le faire qu’en fonction des usages, c'est-à-dire d’éléments connus des deux parties208 . c’est la raison pour laquelle certains usages ne sont applicables qu’à certaines 205 l’usage est parfois considéré comme l’un des éléments de la bonne foi. v. distinction faite par b. jaluzot entre bonne foi subjective et bonne foi objective : la bonne foi dans les contrats, étude comparative de droit français, allemand, et japonais, thèse, dalloz, paris, 2001, n° 301 s. 206 p. jourdain, « la bonne foi dans la formation du contrat, rapport français » in : la bonne foi (journées louisianaises) travaux de l’association capitant, t. xliii, éd. litec, 1992, p. 121. 207 j. ghestin ,traité de droit civil, la formation du contrat, lgdj, paris, 3e éd., 1999, n°264. 208 cass. com. 18 janvier 1972, jcp 72.ii.17072.
124 catégories de contractants (les usages commerciaux, par exemples, s’appliquent aux commerçants). cette faculté prêtée au juge procède de l’idée selon laquelle il est des clauses qui n’ont pas besoin d’être stipulées pour être valables, étant donné leur caractère habituel, c'est-à-dire correspondant à la pratique normale. en d’autres termes, le juge peut partir du principe que les parties s’attendaient à leur application. il s’agit d’un sous-entendu, d’un non-dit. comme le souligne a. bénabent, en effet : « … l’usage est un élément précieux […] car il permet d’introduire dans le contrat ce que les parties pouvaient considérer comme allant de soi sans avoir à être précisé. »209 si les usages propres à certaines professions sont parfois codifiés sous la forme de « chartes professionnelles », leur codification n’est pas nécessaire pour qu’ils soient valables. il en va ainsi, par exemple, de l’usage professionnel permettant à l’acheteur qui n’a pas reçu la livraison de la marchandise en temps utile de se la procurer auprès d’un autre fournisseur en se faisant indemniser par son vendeur défaillant du prix payé au tiers210 . β) attentes légitimes et interprétation subjective. intention des parties et attentes légitimes dans la jurisprudence de la cour de cassation. la protection des attentes légitimes lors de l’interprétation ne se limite pas aux cas où c’est une méthode objective qui est appliquée. on observe en effet que, dans certains cas où le juge a apparemment recours à une méthode subjective d’interprétation, celle-ci ne conduit pas toujours à donner effet à la volonté commune des parties, mais peut tendre à protéger les attentes légitimes de l’une d’entre elles. ce 209 a. bénabent, les obligations, monchrestien, domat, paris, 10e éd., 2005, n° 278. 210 v. notamment j. ghestin et b. desché, traité des contrats - la vente, lgdj, paris, 2003, n°700.
125 phénomène s’observe notamment dans les cas où aucune intention n’a été exprimée par les parties sur un point donné. l'interprétation subjective s’appuie alors, sous l’apparence de la recherche de l’intention commune, sur l’attente légitime unilatérale. en effet lorsque le juge entend s'appuyer sur la volonté des parties alors qu’elles n’en ont pas exprimé clairement, se pose un problème évident de preuve : la volonté interne n'étant, par définition, pas exprimée, il n’est pas possible de la connaître de manière certaine. dès lors, de deux choses l’une : - soit le juge doit s’en remettre à une volonté purement hypothétique, qui correspondra généralement à ce que cette volonté aurait du être, selon les pratiques, usages, ou valeurs de la société (c'est-à-dire selon la normalité), si les deux parties avaient été de bonne foi. on le voit, le juge ne s’appuie alors plus sur ce que les parties ont réellement voulu, mais sur ce qu'elles auraient du, normalement, vouloir. - soit le juge doit rechercher ce que l’une des parties a voulu sans le dire (sa volonté interne non exprimée) et s’appuyer sur des données objectives pour déterminer si l’autre partie aurait du considérer que le contenu de cette volonté allait de soi. la « normalité » peut alors aider à se mettre à la place du créancier pour deviner ce qu’il a attendu et si l’attente était légitime. en revanche, cette recherche ne pourra conduire qu’à une présomption concernant la nature des attentes : dès lors qu’un élément viendra contredire cette présomption, il faudra la rejeter.
126 la seconde hypothèse nous semble être celle qui correspond le mieux à la réalité pratique de l’activité du juge, comme nous allons le voir à présent. exemple tiré de la jurisprudence. l’étude d’un cas concret nous permettra d’illustrer cette activité du juge. dans un arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 2 avril 1974, un contrat avait été conclu entre l’office de radiodiffusion télévision française (ortf) et un écrivain par lequel l'ortf avait commandé à l’auteur une pièce de théâtre inédite. selon les termes du contrat, l’auteur cédait à titre exclusif jusqu’à expiration de la deuxième année, à dater de la première diffusion, le droit de procéder à la radiodiffusion et à la reproduction de l’œuvre. l’ortf ayant reçu le manuscrit, elle régla les honoraires mais, quatre ans plus tard, informa l’auteur qu’elle avait définitivement abandonné le projet d’émission et qu’il retrouvait la libre disposition de son oeuvre. la cour considéra, « par une interprétation rendue nécessaire par l’ambiguïté de la convention sur ce point », qu’il découlait du contrat que la station de radio avait non seulement le droit mais l’obligation de diffuser la pièce, et qu’en s’abstenant de le faire, elle avait causé un dommage qu’elle devait réparer par le versement de dommages-intérêts. elle rejeta le pourvoi puisque : « … c’est par une interprétation souveraine de la volonté des parties que les juges du second degré ont estimé que l’ortf avait contracté l’obligation de procéder à la radiodiffusion sonore et visuelle de l’œuvre de bastide après acceptation de celle-ci ; »211 selon nous, la question tranchée par la cour n’était pas tant de savoir si les représentants de l’ortf avaient, comme l’auteur, eu l’intention d’inclure au contrat une obligation pour eux de diffuser la pièce : il n’est, en effet, pas possible de savoir si une telle intention existait. en 211 cass. civ. 1ère , 2 avril 1974, bull. i n°109 (c’est nous qui soulignons).
127 revanche on peut sans doute affirmer que l’auteur avait une attente légitime selon laquelle sa pièce serait diffusée : l'intérêt du contrat n’était pour lui sans doute pas strictement pécuniaire, mais résidait également dans l’obtention d’une certaine notoriété. sous couvert de la recherche prétendue de la volonté commune des parties, c’est donc en réalité la recherche des attentes raisonnables de l’une d’entre elles qui guide ici le juge. or le souci principal du juge, dans tous les cas où il dispose d’une marge d’appréciation, est la recherche du juste. il s’agit ici de ne pas décevoir celui des contractants dont le comportement et les espérances étaient les plus normales, les plus habituelles. ne serait-il pas, en effet, extrêmement injuste de favoriser celui qui profite du silence du contrat pour écarter le réel, le non-dit, l’évidence qui régit les rapports humains quotidiens ? on voit donc bien qu’il s’agit de protéger les attentes légitimes de l’une des parties, et non de donner effet à l’intention commune des parties. en définitive, si le contrat est la loi des parties, ses lacunes sont autant de zones où il n’y a pas de loi spécifique entre ces parties, et où le « normal » reprend ses droits. b. tendances récentes du droit français en matière d’interprétation des contrats. l’objectivation du droit des contrats. nous avons commencé à évoquer le sens de l’évolution du droit des contrats : nous avons dit que l’objectivation de la notion de bonne foi s’accompagne du constat de l’objectivation du droit français des contrats tout entier. ce constat n’est pas nouveau, et semble aujourd’hui admis par une large majorité de la doctrine,
128 tant les auteurs ayant développé cette idée sont nombreux212 . cette objectivation du droit des contrats se traduit à la fois par le déclin de l’autonomie de la volonté213 et le recours à la confiance du créancier comme fondement le la force obligatoire du contrat. sans remettre en cause le rôle de la volonté dans la création du lien contractuel, on considère aujourd’hui qu’elle doit plus souvent céder le pas à des éléments objectifs pour ce qui est de la détermination du contenu du contrat214 . c’est ainsi que g. viney a pu parler d’un : « mouvement de fond qui affecte actuellement le droit des obligations dans son ensemble et qui consiste à substituer les notions d' « attente » ou de « croyance légitime » à la volonté subjective des parties dans la création des obligations ».215 cette évolution peut s’expliquer, de manière très générale, par un souci accru de promotion de la sécurité juridique. plus spécifiquement, on peut invoquer l’ « attraction du droit de la consommation »216 , créé pour la 212 v. notamment : g. cornu, l'évolution du droit des contrats en france, journées de la société de législation comparée, 1979, vol. 1., pp. 447 ss. ; j. ghestin, la notion de contrat, d. 1990, chr. p. 147 s. ; j. mestre, « l’évolution du contrat en droit privé français », in l’évolution contemporaine du droit des contrats, journées r. savatier, puf 1986, p. 41 s. ; h. et l. mazeaud, j. mazeaud et f. chabas, leçons de droit civil, t. ii, vol. 1er , obligations, théorie générale, monchrestien, paris, 9e éd. 1998, p. 22 s. ; a. danis- fatôme, apparence et contrat, thèse (paris i) 2004 (bibliothèque de droit privé tome 414), spécialement n° 844 s. 213 a. danis-fatôme (op. cit.) a montré que l’objectivation du droit des contrat, avant de se manifester par le recours à la confiance légitime, s’est d’abord traduit par un « dirigisme contractuel amenant le législateur à apporter des limites à la liberté contractuelle en imposant des contrats ou leur contenu. », n°845. d. mazeaud (la confiance légitime et l’estoppel, ridc 2006/2, p. 363), en revanche, est légèrement plus prudent, puisqu’il rappelle que « …même si son déclin en droit positif est avéré, le principe d’autonomie de la volonté reste encore très ancré dans les esprits et le centre de gravité du contrat demeure, en france, la volonté de s’engager exprimée par celui qui s’oblige, bien plus que la confiance légitime du créancier engendrée par la promesse du débiteur », d’autant plus que « le droit français est peu enclin à accueillir en son sein des concepts et règles flexibles, flous, empreints de subjectivité, tels la confiance légitime, les attentes raisonnables ou la cohérence contractuelle… » (p. 364). 214 v. dans ce sens a. danis-fatôme, apparence et contrat, thèse (paris i) 2004 (bibliothèque de droit privé tome 414), n° 850 : « … en présence, d’un contrat valable, la confiance du créancier intervient pour déterminer le contenu de cet accord. » ; le même auteur cite également a. chirez, de la confiance en droit contractuel, thèse, nice, 1977, n°12 p. 19 : « la confiance définit (…) le contenu du contrat ». 215 g. viney dans sa préface à la thèse précitée de a. danis-fatôme. 216 l’expression est empruntée à d. mazeaud, v. cet auteur, l’attraction du droit de la consommation, rtdcom 1998, p. 53.
129 protection de la partie faible qu’est le consommateur mais dont les principes tendent aujourd’hui à se généraliser au droit commun des contrats. l’ « attraction du droit de la consommation »217 . la naissance du droit de la consommation répond au souci de protéger le consommateur dans ses relations contractuelles avec des professionnels. etant donné son inexpérience présumée, son défaut d’information ou de conseil juridique, on considère qu’il convient, par un certain nombre de règles juridiques, de compenser sa faiblesse relative. l’avènement du droit de la consommation repose sur la reconnaissance des limites de la faculté de la volonté individuelle de chacun à protéger ses propres intérêts, et donc sur l’idée que le libre jeux des volontés ne produit pas toujours les résultats les plus justes. c'est ce que faisait déjà remarquer john stuart mill, pourtant théoricien du « laisser faire », à propos des contrats de longue durée : “an exception to the doctrine that individuals are the best judges of their own interest, is when an individual attempts to decide irrevocably now what will be best for his interest at some future and distant time. the presumption in favour of individual judgement is only legitimate, where the judgement is grounded on actual, and especially on present, personal experience; not were it is formed antecedently to experience, and not suffered to be reversed even after experience has condemned it. when persons have bound themselves by a contract, not simply to do some one thing, but to continue doing something … for a prolonged period, wihtout any power of revoking the engagement … [any] presemption which can be grounded on their having voluntarily entered into the contract … is commonly next to null.”218 ce constat peut sans doute être étendu à tous les contrats dont le contenu risque d’échapper à ceux qui les concluent. cette tendance à conclure des contrats dont on ne saisit pas la portée exacte est aujourd’hui 217 cf. d. mazeaud, l’attraction du droit de la consommation, rtdcom 1998, p. 53. 218 john stuart mill, principles of political economy, w. ashley ed. 1961, p. 950.
130 encore accentuée par une « pratique contractuelle de masse »219 (c'est-à-dire la multitude des contrats passés quotidiennement par les individus) combinée avec la complexité et la longueur de certains contrats d’adhésion. le fait est que le droit commun des obligations semble aujourd’hui « colonisé »220 par le droit de la consommation. le doyen j. carbonnier est allé jusqu’à dire que le droit de la consommation est le « nouveau droit des obligations »221 . conçu pour protéger le consommateur, ce droit spécial tend à limiter les effets de sa volonté – dans la mesure où celle-ci ne semble pas suffisamment libre – afin de protéger les attentes raisonnables que le consommateur, par manque d’expérience ou de compétence, n’a su protéger par lui-même. les attentes raisonnables sont donc apparues comme un nouveau critère d’interprétation – en même temps qu’un fondement de remplacement – des obligations imposées au professionnel, là où l’on écarte la volonté du consommateur comme insuffisamment éclairée pour défendre ses intérêts. devant le constat que les attentes du consommateur ne correspondent pas forcément à la volonté qu’il a exprimé ou qui lui est simplement imputée, le souci de justice sociale tend en effet à privilégier la protection des attentes légitimes. or il semble aujourd’hui, par un phénomène d’attraction très bien décrit et analysé par d. mazeaud, que ces règles ont tendance à se généraliser à l’ensemble du droit des contrats222 . la jurisprudence sur les documents publicitaires. la jurisprudence récente sur les documents publicitaires nous semble particulièrement révélatrice de l’approche plus objective que les juges sont 219 expression empruntée à y. lequette, ph. simler, et f. terré, droit civil : les obligations, dalloz-sirey, paris, 9e éd., 2005, n°248. 220 expression de d. mazeaud, l’attraction du droit de la consommation, op. cit., p. 54. 221 j. carbonnier, droit civil, les obligations, puf, 22ème éd. 2005, n° 12. 222 d. mazeaud, l’attraction du droit de la consommation, op. cit.
131 aujourd’hui prêts à adopter et de la progression de l’idée de protection des attentes légitimes en matière d’interprétation des contrats. les tribunaux n’hésitent plus à prendre en considération, à l’appuis de leur tâche d’interprétation des contrats, les documents publicitaires présentés pour inciter un consommateur à contracter. ainsi, par exemple, dans un arrêt du 17 juin 1997223 , la chambre commerciale de la cour de cassation a jugé qu’une société « avait manqué à son engagement » parce qu’elle avait vendu un appareil qui ne présentait pas une qualité « garantie dans ses documents publicitaires ». de même dans un arrêt du 10 février 1998224 , la troisième chambre civile décida qu’un vendeur immobilier avait violé une obligation contractuelle qu’elle inférait de documents extra-contractuels : le vendeur avait présenté à l’acheteur un plan selon lequel le terrain faisant l’objet de la vente jouxtait une bande de terrain signalée comme espace vert. cette bande de terrain ayant finalement changé de destination et étant devenu constructible, les juges du fond avaient condamné le vendeur à des dommages intérêts pour inexécution partielle de leur obligation de délivrance. la cour de cassation rejeta le pourvoi du vendeur selon lequel la nature extra- contractuelle du plan présenté excluait sa prise en compte pour l’interprétation de son obligation contractuelle. celle-ci décida que : « … ayant relevé que la bande de terrain litigieuse avait été présentée et mentionnée comme espace vert sur le plan de commercialisation et le plan de masse du lotissement qui avaient été remis aux (acquéreurs), lesquels avaient pris en considération l’environnement immédiat pour se déterminer, la cour d’appel a pu retenir qu’en faisant figurer sur le plan de masse et le plan de commercialisation la mention d’espace verts situés en bordure de la parcelle acquise par les époux g., sur le terrain dont il avait la maîtrise, (le vendeur) avait souscrit un engagement et qu’il ne l’avait pas respecté. » 223 cass. com., 17 juin 1997 (jcp, éd. e, 1997, ii, 1022, note labarthe ; d. 1998, jur. 248, note pignarre et paisant; rtdciv 1998, 363, obs. mestre). 224 cass. civ. 3ème , 10 février 1998, rtdciv 1998, 366, obs. j. mestre.
132 la cour conclut donc bien à l’existence d’une obligation qui n’a pas sa source dans l’intention commune des contractants (le vendeur n’ayant probablement jamais eu l’intention de s’obliger à vendre un terrain jouxtant un espace vert) mais dans l’attente de l’une des parties, à savoir l’acquéreur. on constate que l’existence d’une telle obligation est soumise à une condition : non seulement le débiteur doit avoir fait naître une attente chez le créancier, mais celle-ci doit avoir été déterminante dans la décision de contracter. la jurisprudence montre en outre qu’un document publicitaire n’a de valeur contractuelle que s’il est suffisamment précis et détaillé225 . on peut donc, avec j. mestre, conclure que : « la cour de cassation entend manifestement donner tout son poids à l’attente légitime d’une partie sensible à la publicité de l’autre. »226 rapprochement avec le droit international des investissements. on est tenté de rapprocher cette solution de celle retenue dans la sentence arbitrale metalclad227 , à laquelle nous reviendrons plus loin : dans cette affaire228 le tribunal condamna l’etat à indemniser l’investisseur, parce qu’il avait encouragé l’acquisition par ce dernier d’une société – ceci par des déclarations selon lesquelles cette société avait obtenu tous les permis de construire requis pour la construction d’une usine sur un terrain dont elle était propriétaire – et avait ensuite mis des obstacles considérables à la construction de l’usine (notamment pour défaut de permis de construire). dans les deux cas, le raisonnement est similaire puisqu’il tient dans les trois mêmes étapes : 225 cass. civ. 3ème , 17 juillet 1996, d. 1996, ir 207. 226 j. mestre, rtdciv, 1998, 366. 227 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1). 228 v. le résumé détaillé des faits infra p. 215.
133 1. une information pré-contractuelle a créé une attente chez le partenaire, selon laquelle la conclusion du contrat lui ouvrirait une possibilité particulière (jouir de la propriété d’un terrain jouxtant un espace vert, dans l’arrêt de la cour de cassation ; construire une usine dans la sentence metalclad) ; 2. les attentes créées ont encouragé le partenaire à contracter ; 3. la décision protège les attentes du partenaire (soit en ce que leur contenu devient partie intégrante du contrat, soit en ce que la partie qui a généré puis déçu l’attente doit indemniser le partenaire). certes, le fondement juridique de chacune des décision est totalement différent (détermination du contenu du contrat, dans le premier cas ; violation d’une obligation découlant d’un trait international (traitement juste et équitable), dans le second), mais le raisonnement appliqué est très proche et la solution est comparable. prise en compte d’attentes de sources variées. pour en revenir au droit français, on constate donc que la bonne foi peut être interprétée, et le sera peut-être plus encore à l’avenir, comme protégeant les deux types de confiance évoqués plus haut : confiance dans la normalité (usages, valeurs) que nous avons appelé aussi confiance dans la régularité des comportements ; et confiance dans l’apparence (du moins lorsque celle-ci est créée par le comportement du cocontractant). notons d’ailleurs que les voix se multiplient aujourd’hui en france qui se déclarent favorable à une application plus extensive de la notion de confiance légitime ou d’attente légitime. entre autres, ces voix proviennent des partisans du « solidarisme contractuel »229 . 229 v. notamment d. mazeaud, la confiance légitime et l’estoppel, ridc 2006/2, p. 363 ; h. aubry, un apport du droit communautaire en droit français des contrats : la notion d’attente légitime, ridc 2005/3, pp. 627 s. ; j. calais-auloy, « l'attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? » in aspects actuels du droit des affaires, mélanges en l’honneur de y. guyon, paris, dalloz, 2003, p. 171.
134 le courant du « solidarisme contractuel ». la tendance observée en droit français apparaît plus nette encore du côté de la littérature proposée par les promoteurs du « solidarisme contractuel », dont nous avons déjà cité l’un des principaux représentants : denis mazeaud. héritiers de rené demogue et de léon bourgeois, ceux-ci plaident pour une « vision humaniste du droit des contrats »230 . si elle n’exprime pas l’etat actuel du droit positif français231 , elle est intéressante en ce qu’elle pousse particulièrement loin dans le sens de l’évolution qui semble s’être amorcée. les « solidaristes » considèrent le contrat, comme demogue déjà, avant tout comme une entreprise de collaboration. les contractants s’associent pour former une sorte de mini-société. comme des associés, il décident de mettre certains éléments en commun dans l’intention de partager des bénéfices ou d’atteindre un but commun : « c’est une sorte de petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument comme dans la société civile ou commerciale.»232 dès lors, chaque contractant doit agir, non seulement en vue de poursuivre ses propres intérêts, mais en prenant en compte les intérêts de l’entreprise contractuelle et ceux de son cocontractants. loin de partir du présupposé d’une méfiance entre adversaires aux intérêts opposés, le solidarisme préconise que le contrat renforce la confiance entre deux individus. dès lors, le juge confronté à la tâche d’interprétation du contrat est invité à vérifier quelle interprétation des clauses du contrat ménage le plus les intérêts, mais aussi les attentes de chacune des partie. les solidaristes ne se contentent pas de l’évolution du droit positif, même s'ils saluent généralement les avancées d’ores et déjà accomplies et la direction suivie par celui-ci : selon d. mazeaud, le contrat du 230 d. mazeaud, « loyauté, solidarité, fraternité: la nouvelle devise contractuelle? », in l’avenir du droit, mélanges f. terré, 1999, p. 606. 231 d. mazeaud, lui-même, le reconnaît, op. cit., p.604-606. 232 r. demogue, traité des obligations en général, t. i, paris, 1931, p. 9.
135 droit français est aujourd’hui un « contrat sociable »233 , en ce sens que les contractants sont soumis à un certain nombre d’obligations accessoires qui leurs interdisent de se comporter de manière abusive ou déloyale. mais il faut selon lui aller plus loin. doit venir le temps d’un droit des contrats où : « … l’altruisme et l’entraide deviennent des vertus contractuelles majeures qui se traduisent par des devoirs de coopération et d’abnégation, plus ou moins intenses selon la situation dans laquelle se trouvent les partenaires. »234 remarques conclusives sur l’interprétation des contrats en droit français. on le voit, la « moralisation du droit » conduit, de manière croissante, à interpréter les contrats par référence aux attentes légitimes des parties. même ceux qui considèrent le solidarisme contractuel comme une utopie doivent se rendre à l’évidence : la volonté commune des contractants doit fréquemment laisser la place aux attentes légitimes de l’une d’elle lorsqu’il s’agit de déterminer le contenu du contrat. la question, toutefois, n’est pas simplement de savoir si un contractant attendait telle ou telle chose de son cocontractant, mais de savoir si ces attentes sont justifiées. s’il s’agit bien de donner effet à la partie la plus enfouie de la volonté individuelle (celle qui n’est pas exprimée), on ne peut le faire que dans la mesure où les attentes considérées sont « normales ». cette tendance n’est d’ailleurs pas propre au droit français. on la retrouve notamment, et de manière plus explicitement, dans l’interprétation des contrats en droit allemand. 233 denis mazeaud, « loyauté, solidarité, fraternité: la nouvelle devise contractuelle? », in l’avenir du droit, mélanges f. terré, 1999, p.617. 234 ibid.
136 2) interprétation et attentes légitimes en droit allemand. a. règle fondamentale d’interprétation des contrats. le droit allemand se caractérise, beaucoup plus traditionnellement que le droit français, par l’importance de la place accordée à la confiance entre partenaires par rapport à celle des intentions des parties. si la force obligatoire du contrat de droit allemand est également fondée sur la volonté des parties, celle-ci joue un rôle moins important qu’en droit français dans l’interprétation du contrat par le juge. celui-ci a plus facilement recours à des méthodes objectives. le bgb (bürgerliches gesetzsbuch, équivalant allemand du code civil) contient deux dispositions relatives à l’interprétation des contrats, qui peuvent apparaître contradictoires. tandis que le § 133 oblige le juge à interpréter le contrat en fonction de la « volonté réelle » des parties (méthode subjective ou « willenstheorie »), le § 157 lui impose de s’appuyer sur « la bonne foi, en ayant égard aux usages admis en affaires » (méthode objective ou « erklärungstheorie »). la contradiction entre ces deux dispositions ne semble pas résolue aujourd’hui. en pratique, il apparaît que le juge favorise l'approche objective, ne s’appuyant sur la volonté réelle des parties que lorsque celle-ci semble parfaitement claire. pour k. zweigert & h. kötz, par exemple : « en définitive, il ne fait aucun doute que la volonté empirique des parties n’a de rôle à jouer que dans les rares cas où une telle volonté peut être identifiée de manière certaine. lorsque ce n’est pas le cas, il convient de donner au contrat le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la situation du créancier, en fonction des circonstances de l’espèce. »235 235 k. zweigert & h. kötz, einführung in die rechtsvergleichung, 3. auflage, j.c.b. mohr, tübingen, 1996, p. 399 : „im ergebnis besteht freilich kein zweifel daran, dass es bei der vertragsauslegung auf den empirischen willen der parteien nur in den seltenen fällen ankommt, in denen sich ein solcher wille
137 dès lors que le contrat nécessite une interprétation, c'est-à-dire que les clauses manquent de clarté sur un point donné, la règle est donc que le contrat doit être interprété de manière objective, l’intention des parties ne jouant plus qu’un rôle marginal. dès lors, le juge attache plus d’importance à ce qui est perceptible par les parties – c'est-à-dire, entre autre, la volonté déclarée – qu’à la volonté réelle. zweigert et kötz notent que ce recours prompt à une méthode objective d’interprétation est de nature à protéger la confiance légitime des parties dans le sens normal des mots, c'est-à-dire les attentes légitimes créées par ces mots236 : « ainsi, c’est la confiance légitime du destinataire de la promesse dans le sens habituel de celle-ci qui est protégée. »237 intéressons nous de plus près à la manière dont les notions du bgb de treu und glauben et verkehrssitte du § 157 renvoient aux attentes légitimes des parties. b. la notion fondamentale de treu und glauben. place centrale du treu und glauben en droit des contrats. le principe de bonne foi (« treu und glauben »), érigé en « clause générale » (« generalklausel »), est une notion absolument fondamentale du droit allemand des contrats. a la différence de ce qui se passe en droit français, le treu und glauben (littéralement fidélité et foi) est une notion- cadre, au fort rôle créateur de droit. a partir de celle-ci, en effet, la tatsächlich feststellen lässt. ist das nicht der fall, so gilt die erklärung mit demjenigen sinn, den ihr ein vernünftiger mensch in der lage des erklärungsempfängers nach den umständen beilegen musste.“ 236 sur le fait que les termes « confiance légitime » et « attente légitime » renvoient à la même idée, cf. supra p. 19s. 237 zweigert & kötz, op. cit., p. 399 : „auf diese weise wird das berechtigte vertrauen des adressaten auf den üblichen sinn der erklärung geschützt.“
138 jurisprudence a pu développer un grand nombre de règles juridiques distinctes. néanmoins, la notion a une signification propre, que les notions développées à partir d’elle n’expriment que de manière plus spécifique. la bonne foi du droit allemand joue, comme en droit français, un rôle particulièrement important dans l’interprétation des contrats. le bgb allemand invite à deux reprises le juge à se référer à la bonne foi dans l’interprétation du contrat puisqu’il prévoit, dans son § 242, que : « le débiteur a l’obligation d’exécuter la prestation comme l’exige la bonne foi (fidélité et confiance) eu égard aux usages admis en affaires. »238 cette règle générale est complétée par le § 157 du bgb, plus spécifiquement relatif à l’interprétation des contrats, qui dispose que : « les contrats doivent être interprétés comme l’exige la bonne foi, eu égard aux usages admis en affaires. »239 treu und glauben et confiance des parties. le droit allemand fait donc, plus explicitement encore que le droit français, le lien entre bonne foi et objectivité, notamment par l’intermédiaire des usages. l'étude de la doctrine révèle en outre que ces deux notions sont indissociables de la confiance ou de l’attente des parties. si la notion de treu und glauben n’est pas définie par le bgb, h.s. sonnenberger en donne la définition suivante : « la notion [de treu und glauben] signifie premièrement l’obligation de loyauté, de tenir sa parole et de ne pas décevoir ou abuser de la confiance créée par celle-ci, mais au contraire de se comporter conformément aux attentes légitimes du cocontractant, elles-mêmes 238 § 242 bgb: „der schuldner ist verpflichtet, die leistung so zu bewirken, wie treu und glauben mit rücksicht auf die verkehrssitte es erfordern“ . 239 §157 bgb (auslegung von verträgen) : „verträge sind so auszulegen, wie treu und glauben mit rücksicht auf die verkehrssitte es erfordern.“
139 fonction des devoirs sociaux et éthiques du milieu professionnel concerné. »240 le professeur larenz définit le principe du « treu und glauben » de façon similaire : « le principe du treu und glauben signifie, conformément à son sens littéral, que chacun doit être « fidèle » à sa parole donnée, et qu’il ne doit décevoir où abuser de la confiance, qui est à la base de toute relation humaine, et qu’il doit se comporter conformément aux attentes d’un partenaire loyal. »241 de fait, une bonne partie de la doctrine allemande242 , en se fondant sur la jurisprudence, considère le principe de bonne foi comme une « maxime » qui exige des partenaires contractuels un comportement convenable (« anständig ») et loyal, afin de protéger la confiance mutuelle. il apparaît donc qu’en droit allemand, beaucoup plus encore qu’en droit français, l’idée de confiance et de respect mutuel pour les intérêts de l’autre partie est inhérente à la bonne foi. les auteurs font d’ailleurs généralement le lien entre treu und glauben et vertrauensschutz 240 h. j. sonnenberger, treu und glauben: ein supranationaler grundsatz? in: festschrift walter odersky, berlin 1996, 703 et s., p. 708 : « der begriff [von treu und glauben] meint erstens das gebot der redlichkeit, dass man zu seinem wort steht und in dieses gesetztes vertrauen nicht enttäuscht oder missbraucht, sondern sich so verhält, wie es den von sozialen und verhaltensethischen geboten der betreffenden verkehrskreise geprägten berechtigten erwartungen des partners entspricht ». 241 k. larenz, allgemeiner teil des deutschen bürgerlichen rechts, 7. auflage, 1989 : « der grundsatz von treu und glauben besagt seinem wortsinn nach, dass jeder in « treue » zu seinem gegebenen worte stehen und das vertrauen, das die unerlässliche grundlage aller menschlichen beziehungen bildet, nicht enttäuschen oder missbrauchen, dass er sich so verhalten soll, wie es von einem redlich denkenden erwartet werden kann. » sur les liens entre bonne foi et protection de la confiance des parties en droit allemand, v. aussi j. gernhuber, §242-funktionen und tatbestände, jus 1983, p. 764: „als treue zum wort und als verpflichtung „glaubigem“ vertrauen zu entsprechen.“; b. jaluzot, op. cit., n° 315. 242 v. encore r. kreibich, der grundsatz von treu und glauben im steuerrecht, rechtsdogmatische untersuchung seiner äusseren bezüge und inneren struktur, exemplarisch vertieft an den grundsätzen der verwirkung und des venire contra factum proprium, dissertation, augsburger rechtsstudien, bd. 12, c.f. müller, heidelberg, 1992, p. 8.
140 (qui signifie littéralement, comme nous l’avons vu en droit administratif allemand, « protection de la confiance »)243 . la cour fédérale exige tout de même que cette confiance soit digne d’être protégée : elle le sera, par exemple, si, au stade de l’exécution du contrat, une partie se comporte de manière à laisser entendre qu’elle ne commettra pas tel ou tel acte. en revanche, le caractère prévisible d’un acte ou événement ôte en principe sa légitimité à la confiance du créancier (comme nous l’avons vu par ailleurs en droit public). ainsi, la confiance d’une partie dans le fait que l’autre n’entamerait pas d’action en justice ne peut être légitime lorsque celle-ci avait menacé plusieurs fois de le faire244 . b. jaluzot, auteur d’une thèse sur la bonne foi en droits des contrats allemand, japonais, et français, ajoute que : « la confiance est souvent constituée par des « attentes » (kitai en japonais ; erwartung en allemand) des parties, en raison de diverses circonstances. une partie est en droit de s’attendre à certains évènements en raison du comportement de l’autre partie. »245 néanmoins, le droit allemand ne prend pas uniquement en compte les attentes suscitées par le comportement du cocontractant. les attentes protégées peuvent également découler de la normalité et de 243 ainsi pour les auteurs du münchener kommentar (commentaire du bgb) : „dem wortsinn nach weisen die begriffe treu und glauben vor allem einerseits in die richtung des vertrauensschutzes, andererseits in die richtung einer „billigen“ rücksichtsnahme auf die schutzwürdigen interessen anderer beteiligter ...“ ; pour une conception différente, v. le commentaire du bgb soergel, selon lequel : „inhaltlich knüpft die formel von „treu und glauben“ im grunde an das ansehen, das jemand als person oder in einer bestimmten funktion (zb als elternteil, als kaufmann, als ein dienstverpflichteter, als treuhänder, als gesellschafter) genießt und dem er gerecht werden soll. dieses ansehen beruht seinerseits darauf, dass jemand bei der erfüllung der ihm obliegenden pflichten und bei der ausübung seiner rechte die verständigen interessen des andere mitbedenkt. treu und glauben hat damit nur sehr unmittelbar etwas mit vertrauensschutz zu tun, im grunde auch in anderer wortbedeutung: selbst wer sein verhalten von anfang an ankündigt und damit keine andern erwartungen weckt, kann treuwidrig handeln. „vertrauen“ als in treu und glauben enthaltenes element ist stärker gemeint im sinn von „vertrauenswürdig“. 244 bgh 5 dez. 1991, njw 1992, 834. 245 b. jaluzot, la bonne foi dans les contrats, étude comparative de droit français, allemand, et japonais, thèse, dalloz, paris, 2001, n° 317.
141 l’ensemble des circonstances, notamment par le biais de la notion de « verkehrssitte ». notion de « verkehrssitte ». la notion allemande de « verkehrssitte » n’est pas très éloignée de celle d’ « usage » que nous connaissons246 . « sitte » signifie en effet la coutume, les mœurs ou l’usage, et « verkehr » peut être traduit par « commerce » : littéralement donc, la « coutume commerciale ». il s’agit donc de la manière dont une activité commerciale donnée, par référence aux codes et pratiques propres à un milieu professionnel, est habituellement exercée247 . les commentateurs du § 157 insistent néanmoins sur le fait que la « verkehrssitte » n’est pas équivalente à une règle de droit et n’est à ce titre qu’une source d’interprétation de second rang248 . étant donnée la forte parenté entre cette notion et celle d’ « usage » en droit français, nous renvoyons à l’analyse de celle-ci faite plus haut.249 c. l’interprétation complétive. l’aspect sans doute le plus intéressant – du moins pour notre étude – de l’interprétation des contrats en droit allemand réside dans la technique dite de l’ « interprétation complétive » (« ergänzende auslegung »). conditions de mise en œuvre de l’interprétation complétive. l’interprétation complétive est celle qui intervient, non pas là où les parties sont en désaccord sur le sens des mots, mais là où le contrat ne dit 246 cf. supra p. 123. 247 v. staudinger, bgb-kommentar, §157, rz. 6 b): „als verkehrssitte wird die den verkehr der beteiligten kreise beherrschende tatsächliche übung bezeichnet“; rg jw 1938, 807. 248 v. notamment staudinger, op. cit. §157, rz. 6 b). 249 cf. supra p. 123.
142 rien. pour que le juge puisse y recourir, il faut en outre, au regard des circonstances, que la lacune nécessite d’être comblée. méthode de l’interprétation complétive. l’interprétation complétive permet d’abord au juge d’appliquer au contrat les règles prévues par la loi – de la même façon que le juge français doit appliquer aux contrats dits spéciaux, dans la mesure du silence des parties, les règles prévues par la loi, ou que le juge anglais doit intégrer au contrat les terms implied by law. elle lui permet par ailleurs, et c’est ici qu’elle est intéressante dans notre perspective, de considérer, au regard de l'économie du contrat, que celui-ci contient une clause implicite (de la même manière que le juge anglais peut intégrer au contrat des terms implied by fact). la question s’est posée, par exemple, dans un cas où deux médecins s’étaient vendu réciproquement leur cabinets, situés dans deux villes différentes, par un contrat ne prévoyant pas de clause de non-concurrence. le second étant revenu après quelques mois exercer sa profession dans la ville de son ancien cabinet, le premier considéra que le contrat avait été violé. la cour fédérale, par une formule désormais consacrée, considéra qu’il s’agissait de : « dégager et de prendre en compte ce que les parties, bien que ne l’ayant pas exprimé, auraient exprimé, au regard de l’économie générale du contrat, si elles avaient prévu une clause relative au point demeuré sans réponse, tout en prenant en compte l’obligation de bonne foi ainsi que les usages admis en affaires. »250 elle considéra en l’espèce que le contrat devait être interprété de telle manière que le second médecin ne pouvait revenir exercer sa profession dans la ville de son ancien cabinet pendant une période de 2 ou 3 ans. la cour se réfère donc à deux éléments, l’un subjectif (ce que les parties auraient exprimé), et l’autre objectif (prise en compte de la 250 bgh 18. dez. 1954, bghz 16, 71 : „dasjenige zu ermitteln und zu berücksichtigen, was die parteien zwar nicht erklärt haben, was sie aber in anbetracht des gesamten vertragszwecks erklärt haben würden, wenn sie den offen gebliebenen punkt in ihren vereinbarungen ebenfalls geregelt hätten und hierbei zugleich die gebote von treu und glauben und der verkehrssitten beachtet hätten.“
143 bonne foi et des usages admis en affaires). cependant, la volonté dont il est question est purement hypothétique, et ne présente, malgré les apparences, aucun lien avec la psychologie des parties. cette dualité dans la terminologie n’est pas sans évoquer celle qui caractérise la notion d’ « attente légitime » (cf. surpa p. 14). s’il s’agit bien de respecter la subjectivité des contractants, on le fait dans les limites de la légitimité définie objectivement. on prend en compte la volonté, mais dans la seule mesure où celle-ci est « normale ». comme l’observe h. kötz : « il est vrai que l’on rencontre souvent en jurisprudence l’idée selon laquelle il s’agit de dégager la volonté commune des parties. toutefois, on entend par là la volonté qui aurait été celles des parties, en tant que personnes raisonnables et sincères, si un tiers les avaient questionné sur le point laissé en suspend. »251 comparaison avec la jurisprudence française. cette affaire n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’arrêt de la cour de cassation évoqué plus haut, dans lequel celle-ci considérait que l’office de radiodiffusion télévision française, qui avait commandé une pièce de théâtre à un auteur avait l’obligation, non seulement de régler ses honoraires, mais encore de diffuser la pièce252 . comme dans cet arrêt, en effet, ne sont-ce pas les espérances légitimes, normales, de l’une des parties qu’il s’agit de protéger ? assurément, en effet, dans l’affaire allemande, le second médecin n’avait-il aucune intention de s'interdire de revenir exercer sa profession dans sa ville d’origine. c'est donc l’attente du premier qui était déterminante. remarques conclusives. il apparaît que la référence à la volonté hypothétique constitue une recherche de la volonté que les parties 251 zweigert & kötz, op. cit., p. 401: „zwar heißt es gelegentlich in der rechtsprechung, dass es um die ermittlung des gemeinsamen willens der parteien gehe. aber damit ist dasjenige gemeint, auf das die parteien sich als vernünftige und redliche menschen eingelassen hätten, wenn sie von einem dritten auf den offen gebliebenen punkt hingewiesen worden wären.“ 252 cf. supra p. 126.
144 auraient dû avoir. c’est en effet cette volonté commune « normale » qui peut servir à légitimer l’attente de l’une seule des parties. en d’autres termes, la raison pour laquelle on prétend que les parties auraient du avoir telle ou telle volonté est celle qui justifie que l’une des parties puisse légitimement s’y attendre. 3) interprétation du contrat et attentes légitimes en droit anglais. intérêt de la doctrine récente pour la notion de « reasonable expectations ». pour ce qui est du droit anglais, nous observerons, pour commencer, l’intérêt croissant de la doctrine privatiste pour la notion de reasonable expectations253 (parallèlement à celui que portent les publicistes à celle de legitimate expectations), en particulier en droit des contrats. il est néanmoins regrettable de constater que les différents auteurs ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le sens qu’ils donnent à cette notion. si tous paraissent d’accord pour dire que la satisfaction des attentes raisonnables des parties fait partie intégrante du droit anglais des contrats, ils désignent par ce terme des idées souvent différentes, voire opposées. après une brève présentation de ces divergences, nous tenterons d’analyser les idées retenues par les auteurs utilisant la notion dans le sens où elle nous intéresse ici. remarquons d’abord que si, la plupart du temps, c’est le terme de reasonable expectations qui est employé par les privatistes dans le contexte du droit des contrats, certains utilisent indifféremment ce dernier ou 253 parmi les articles de doctrine de ces dix dernières années portant sur le sujet, on peut citer notamment : b. reiter and j. swan, “contracts and the protection of reasonable expectations”, in studies in contract law, ed. reiter and swan (1980) 1 ; b. h. kuklin, the plausibility of legally protecting reasonable expectations (1997) 32 valparaiso l rev 19 ; s.m. adams, good faith, unconscionability and reasonable expectations (1995) 9 j. contract law 55 ; j. steyn, contract law: fulfilling the reasonable expectations of honest men (1997) 113 lqr 433 ; c. mitchell, leading a life of its own? the roles of reasonable expectation in contract law, oxford journal of legal studies 2003, 23(4): 639-665.
145 la notion de legitimate expectations254 . aucune distinction claire entre ces deux termes n’étant universellement admise255 , nous nous bornerons à constater que celui de reasonable expectations est en principe employé en droit privé, et celui de legitimate expectations en droit public – et nous nous conformerons à cette pratique. en revanche, il est difficile de donner une définition du terme de reasonable expectation qui serait admise par tous les auteurs256 . a. la règle fondamentale d’interprétation des contrats. rôle de l'intention des parties. contrairement à certaines idées reçues, le juge anglais du contrat se réfère d’abord, comme les juges français et allemand, à l’intention commune des parties257 . précisons néanmoins que cette règle n’y a pas tout à fait la même portée que dans ces deux autres systèmes juridiques, le juge anglais n’hésitant pas à substituer son propre jugement du résultat souhaitable ou « raisonnable » à la recherche 254 v. par exemple j. adams et r. brownsword qui, dans leur ouvrage key issues in contract (1995), utilisent le terme « legitimate expectation » tandis que dans l’ouvrage de r. brownsword, contract law: themes for the twenty-first century (2000), ce dernier désigne la même réalité par le terme de « reasonable expectation ». 255 néanmoins, pour deux différentes propositions de distinction entre ces termes, v. s. schonberg, legitimate expectations in administrative law, oup, 2001, p. 6 (dans le même sens, v. lord diplock dans l’arrêt council of civil service unions v minister for civil service [1985] 1 ac 374, pp. 408-409) ; c. mitchell, leading a life of its own? the roles of reasonable expectation in contract law, oxford journal of legal studies 2003, 23(4): 639-665, p. 643. 256 sur l’extrême disparité qui peut exister entre les sens donnés à la notion de « reasonable expectation » par les différents auteurs, v. c. mitchell, leading a life of its own? the roles of reasonable expectation in contract law, 23(4) oxford journal of legal studies (2003), 639-665, not. pp. 640 s. 257 v. par exemple e. mckendrick, contract law, 3rd edition, mcmillan, p. 169 ; h. beale, chitty on contracts, sweet & maxwell, 29th ed., 2004., n° 808. pour un arrêt ancien établissant la supériorité de l’intention réelle des parties sur le sens objectif des mots utilisés dans le contrat, v. lloyd v. lloyd [1837] 2 my. & cr. 192, 202 : “if the provisions are clearly expressed, and there is nothing to enable the court to put upon them a construction different from that which the words import, no doubt the words must prevail; but if the provisions and expressions be contradictory and there be grounds, appearing on the face of the instrument, affording proof of the real intention of the parties, then that intention will prevail against the obvious and ordinary meaning of the words.” ; v. également smith v. packhurst [1742] 3. atk. 135 ; ford v. beech [1848] 11 q.b. 852.
146 réelle de l’intention des parties258 . si l'idée selon laquelle le juge a le pouvoir de « refaire » le contrat est rejetée par la plupart des juristes anglais, il est vrai qu’il dispose d’un fort pouvoir d’interprétation. rôle des attentes raisonnables. la conception anglaise de l’interprétation des contrats a été bien résumée par cheshire, fifoot et furmston qui la définissent directement par rapport aux attentes raisonnables : “the parties are to be judged, not by what is in their minds, but by what they have said or written or done. while such must be, in some degree, the standpoint of any legal system, the common law […] lays peculiar emphasis upon external appearance […] the function of an english judge is not to seek and satisfy some elusive mental element but to ensure, as far as practical experience permits, that the reasonable expectations of honest men are not disappointed.”259 il apparaît clairement que ce n’est pas la volonté réelle des parties qui est recherchée pour déterminer le contenu du contrat, mais exclusivement la volonté déclarée. de plus, on perçoit déjà le sens extrêmement objectif qui est donné au terme « reasonable expectations », puisque celui-ci est opposé au terme de « mental element ». l’ambiguïté, en réalité, découle de ce que l’expression « reasonable expectations » est utilisée tantôt seule, tantôt suivie de « of honest men ». or si l’on dit que l’on interprète le contrat en fonction des « reasonable expectations of honest men », cela signifie que ce sont les attentes abstraites, celles qu’auraient eu d’ « honnête gens », et non les attentes concrètes d’une partie au contrat, qui sont à prendre en compte. comprise ainsi, l’expression « attente légitime » aurait un contenu beaucoup plus objectif que celui que nous lui avons donné jusqu’à maintenant : ici, on 258 dans ce sens, v. mckendrick, contract law, 3rd ed., mcmillan, p. 169 : “the guiding principle which the courts apply is that, in interpreting (or, as lawyers usually say, ‘construing’) the contract, the court must seek to ascertain and give effet to the intention of the parties. however in many cases the process of imputing an intention to the parties is an extremely artificial one, which is sharply influenced by the court’s view of the ‘desirability’ of the contract term which it is called upon to interpret.” 259 cheshire, fifoot, & furmston’s, law of contracts, butterworths, 2003, p. 28 s. (c’est nous qui soulignons).
147 ne part plus des attentes invoquées pour se demander si, en l’occurrence, elles étaient justifiées ou non, mais on interprète le contrat en se demandant comment un homme raisonnable aurait compris le contrat, c'est-à-dire quelles auraient été ses attentes. notons au passage que cette conception donne un pouvoir beaucoup plus fort au juge, qui est le seul à pouvoir dire ce qu’aurait attendu l’homme raisonnable. cette conception de l’attente légitime semble en fait rejoindre celle dont nous cherchons à nous démarquer et que l’on a pu trouver en france sous la plume de p. lockiek260 . cependant, nous avons vu quelles difficultés ont les juges comme les auteurs à se mettre d’accord sur le sens de cette notion. il s’ensuit que le même terme de « reasonable expectations » peut, comme nous allons le voir, souvent être utilisé pour désigner l’attente légitime telle que nous l’entendons, et que les règles d’interprétation se justifient souvent par la protection de telles attentes. b. rapports entre good faith et attentes légitimes. caractère marginale de la notion de good faith. venons en d’abord au rôle de la bonne foi dans l’interprétation du contrat de droit anglais. ce droit ne connaît pas de principe général de bonne foi en tant que tel : la notion de « good faith », que l’on rencontre de temps en temps, n’a pas de contenu juridique précis, et ne joue qu’un rôle marginal dans l’interprétation des contrats. la plupart des auteurs considèrent d’ailleurs que son introduction en droit anglais serait inutile261 . le juge confronté à la tâche 260 cf. supra, chapitre introductif, np. 20s. 261 v. notamment m.g. bridge (does anglo-canadian contract law need a doctrine of good faith?, 9 can bus l.j. (1984), 413), qui arrive à la conclusion que : “anglo-canadian law does not need to legislate a standard of good faith because it has evolved sufficiently towards a the protection of justified expectations”.
148 d’interpréter un contrat ambiguë préfèrera se demander ce que l’ « l’homme raisonnable » aurait compris en lisant le document contractuel. rapports entre good faith et reasonable expectations. or on remarque que ce rejet majoritaire du principe de bonne foi en doctrine est souvent justifié par la constatation que le droit anglais contient suffisamment de mécanismes protégeant les attentes raisonnables des parties262 . la bonne foi, selon eux, ne serait donc ni plus ni moins qu’une notion permettant de protéger les attentes légitimes des parties. en effet, l’une des principales préoccupations du juge anglais, depuis bien plus longtemps qu’en france, est de donner effet aux attentes raisonnables (« reasonable expectations ») des parties. l’idée selon laquelle les attentes raisonnables doivent être protégées serait même, si l’on en croit certains juges et auteurs, à la base de toutes les règles d’interprétation. ainsi, par exemple, steyn lj déclarait dans l’arrêt first energy que : “… a theme that runs through our law of contract is that the reasonable expectations of honest men must be protected. it is not a rule or a principle of law. it is the objective which has been and still is the principal moulding force of our law of contract. it affords no licence to a judge to depart from binding precedent. on the other hand, if the prima facie solution to a problem runs counter to the reasonable expectations of honest men, this criterion sometimes requires a rigorous re-examination of the problem to ascertain whether the law does indeed compel demonstrable unfairness.” 263 le juge charismatique qui est à l’origine de ces lignes, devenu lord par la suite, reprendra la même idée à de nombreuses reprises. dans un article désormais célèbre, intitulé contract law : fulfilling the reasonable dans le même sens, j. steyn, the role of good faith and fair dealing in contract law: a hair-shirt philosophy ? [1991] denning lj, p. 131. 262 v. les citations infra. 263 first energy (uk) ltd v. hungarian international bank ltd [1993] 2 lloyd’s rep 194, p. 196 (c’est nous qui soulignons); dans le même sens, voir également j. adams and r. brownsword, key issues in contract (1995), pp. 153-154 : “legitimate expectation is the key to contractual obligation.” ; w.d. slawson, binding promises (1996) p. 52 : “…reasonable expectations [of the parties] are the contract.” ; r. brownsword, contract law: themes for the twenty-first century (2000) p. v.
149 expectations of honest men264 , il explique que le respect des attentes raisonnables constitue le fondement même du droit anglais des contrats et que, pour cette raison, il est inutile d’intégrer un principe de bonne foi au droit anglais : “… i have no heroic suggestion for the introduction of a general duty of good faith in our contract law. it is not necessary. as long as our courts always respect the reasonable expectations of parties our contract law can satisfactorily be left to develop in accordance with its own pragmatic tradition.[…] after all, there is not a world of difference between the objective requirement of good faith and the reasonable expectations of the parties.”265 notons que, quoiqu’ici sous la plume d’un seul et même auteur, la notion semble être utilisée dans deux sens différents : d’une part « reasonable expectations of honest men » et d’autre part « reasonable expectations of the parties ». s’agit-il alors de donner effet aux attentes théoriques (celles de l’homme raisonnable) ou aux attentes réelles et concrètes des parties, dans la mesure où elles paraissent raisonnables ? il est difficile de le savoir, tant la notion semble osciller en permanence entre ces deux significations, pourtant bien distinctes. d’autres auteurs utilisent la notion, en soulignant sa superposabilité avec la bonne foi, mais ne permettent pas davantage de lui donner un sens certain. il en va ainsi, par exemple, de l’affirmation de s. styles, pour qui : “… in essence, good faith and reasonable expectations amount to the same thing.”266 quoiqu’il en soit, les auteurs sont d’accord pour dire que la protection des attentes légitimes des parties est assurée par d’autres notions que celle de 264 j. steyn, contract law: fulfilling the reasonable expectations of honest men (1997) 113 lqr 433. 265 j. steyn, op. cit., p. 439 (c’est nous qui soulignons). 266 s. styles, « good faith : a principled matter » in a.d.m. forte (ed), good faith in contract and property law (1999) 157, p. 168.
150 bonne foi – à commencer par la notion de reasonable expectations elle-même – et que cette dernière n’apporterait donc rien de nouveau au droit anglais. mais à quelles autres notions est-il fait référence exactement ? quelles sont, mis à part la directive trop générale selon laquelle les attentes raisonnables doivent être respectées, les règles d’interprétation des contrats en droit anglais protégeant les attentes légitimes de parties ? c. la technique des clauses implicites. les implied terms. en définitive, la technique d’interprétation à laquelle le juge a principalement recours est celle des « implied terms »267 . cette technique autorise le juge à considérer que certaines clauses, quoique non stipulées, sont contenues implicitement dans le contrat. elle constitue un instrument important de la protection des attentes raisonnables des parties au contrat268 . ces clauses implicites se divisent en trois catégories, à raison de leurs sources. la première catégorie est constituée par les clauses implicites de source légale. comme en droit français, les contrats nommés sont réglementés par la loi. ici, il s’agit simplement d’appliquer à ces contrats les dispositions légales qui les concernent. la deuxième catégorie de clauses implicites découle des usages. la justification de l’inclusion de ces clauses dans le contrat est constituée par l’idée que leur application va de soi, puisqu’elles correspondent à la pratique normale pour le type de contrat concerné. autrement dit, le juge les intègre au contrat parce qu’il considère comme normal, au vu de la moyenne des comportements, qu’un contractant raisonnable s’y attende. elles 267 a cet égard, il est intéressant de constater que de nombreux manuels de droit anglais des contrats ne font aucune mention des règles d’ « interprétation des contrats » mais contiennent un nombre conséquent de pages consacrées aux « implied terms ». 268 j. steyn, op. cit., p. 441 : “in our system, however, the implication of terms fulfils an important function in promoting the reasonable expectations of the parties.”
151 contribuent donc à protéger les attentes légitimes. comme en droit français et allemand, les usages ont donc un rôle dans l’interprétation des contrats. la troisième catégorie de clauses implicites, enfin, a pour source les faits de l’espèce. c’est ici, à notre sens, que le souci de protection des attentes légitimes s’exprime le plus nettement. la jurisprudence a dégagé un critère permettant de déterminer quelles clauses peuvent être considérées comme implicites au regard des faits ; il s’agit du « officious bystander test », qui a été formulé initialement de la manière suivante : “prima facie that which in any contract is left to be implied and need not be expressed is something so obvious that it goes without saying ; so that, if while the parties were making their bargain an officious bystander were to suggest some express provision for it in the agreement, they would testily suppress him with a common ‘oh, of course’”.269 plus récemment, lord simmon a précisé que : “for a term to be implied, the following conditions (which may overlap) must be satisfied : (1) it must be reasonable and equitable; (2) it must be necessary to give business efficacy to the contract, so that no term will be implied if the contract is effective without it; (3) it must be so obvious that “it goes without saying”; (4) it must be capable of close expression; (5) it must not contradict any express term of the contract.”270 la clause doit donc être strictement nécessaire au fonctionnement du contrat pour que le juge décide qu’elle y est implicitement contenue. les deux formulations que nous avons restitué insistent par ailleurs sur un point essentiel : l’inclusion de la clause dans le contrat doit aller de soi, être évidente. là encore, la notion comporte une référence à une certaine normalité des choses, à une moyenne des comportements : la clause du contrat étant normale ou évidente (« it goes without saying ») au regard des faits, il 269 mackinnon lj dans l’arrêt shirlaw v. southern foundries ltd [1939] 2 kb 206. 270 lord simmon dans l’arrêt bp refinery (westernport) pty ltd v. shire of hastings (1978) aljr 20, 26.
152 est légitime de s’attendre à ce qu’elle soit implicitement incluse dans le contrat. néanmoins, la difficulté identifiée plus haut persiste une fois de plus : importe-t-il simplement que l’ « on » puisse s'y attendre ou une attente concrète de l’une des parties est-elle requise pour que la clause soit valable ? rapprochement avec le droit international des investissements. on peut, ici encore, opérer un rapprochement avec certaines solutions du droit international des investissements, qui concerne aussi bien la technique de l’interprétation complétive en droit allemand que celle des implied terms en droit anglais. notre étude du droit des investissements montrera en effet que certaines attentes de l’investisseur sont considérées comme légitimes (et à ce titre dignes de protection) alors qu’elles n'ont pas été créées par le comportement ou les déclarations de l’etat d’accueil, mais découlent de l’ensemble des circonstances de l’espèce. ainsi, dans une sentence tecmed v. mexico271 , le tribunal arbitral considéra que l’investisseur avait une attente légitime de durée de son investissement, que l'etat d’accueil avait frustré en refusant, après une durée de un an, de renouveler une licence nécessaire à l’exploitation de l’investissement. l’existence de cette attente légitime était justifié par la simple constatation que l’investissement était impossible à rentabiliser sur une courte durée. comme en droit interne, c’est donc le caractère normal de l’attente au regard des circonstances qui incite les arbitres à la protéger. conclusion du §1. il serait aujourd’hui certes excessif de prétendre que les droits anglais, allemand, et français connaissent des règles d’interprétation identiques. outre les différences théoriques – le droit français 271 tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. the united mexican states, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2). pour un rappel détaillé des faits, cf. infra p. 228.
153 restant attaché avant tout à la recherche de l’intention commune des parties, tandis que le droit allemand privilégie la confiance et que le juge anglais a d’abord égard au sens « normal » des termes utilisés dans le contrat – n’oublions pas les différences pratiques, dues notamment à la manière dont les contrats sont respectivement rédigés dans les différents ordres juridiques – clauses souvent beaucoup plus détaillés, laissant donc une moindre marge d’interprétation, dans les contrats de tradition anglaise. ajoutons-y les incertitudes lexicales, puisque chacun aura tendance à comprendre la notion d’attente légitime comme il l’entend. néanmoins, la tendance générale est aujourd’hui incontestablement au rapprochement. et il ne semble pas exagéré de prétendre que celui-ci s’opère autour de l’idée de protection des attentes légitimes des parties. l’intérêt croissant pour la notion (même si elle ne veut pas nécessairement dire la même chose pour tout le monde) ne peut être ignoré. cette évolution n’est pas dénuée d’intérêt dans le cadre d’une étude de droit international des investissements. nous y reviendrons notamment lorsque le moment viendra de se demander s’il existe un principe général de droit international selon lequel il faut protéger les attentes légitimes des parties au contrat. §2.- notions ayant spécifiquement pour objet la protection des attentes. nous venons de voir que le juge confronté à la tâche d’interprétation du contrat a, la plupart du temps indirectement, égard aux attentes légitimes des parties. cependant, les attentes légitimes interviennent bien avant le stade de l’interprétation. les droits contractuels internes que
154 nous étudions connaissent tous des notions dont l'objet réside spécifiquement dans la protection des attentes légitimes, dont celle-ci constitue la raison d’être, destinées à assurer une exécution sans problèmes. en effet, tandis que les concepts de croyance légitime ou de confiance légitime ne sont pas inconnus de la doctrine française, l’usage de la notion de reasonable expectation est courant en droit anglais des contrats, et les juristes allemands ont recours, dans le même souci de protection des attentes légitimes, aux règles du venire contra factum proprium ou du vertrauensschutz272 . au delà de ces notions, dont la parenté avec celle d’ « attente légitime » est immédiatement apparente, il en existe également d’autres qui répondent à la même préoccupation. on peut selon nous distinguer entre deux types de notions : les unes ont pour objet la protection des attentes suscitées par le comportement du cocontractant (a). les autres protèges les attentes créées par les apparences (b). a. notions sanctionnant les comportements contradictoires. comportements contradictoires et attentes légitimes. pour commencer, observons que chaque système de droit des contrats comporte des règles ayant pour objet l’interdiction des comportements contradictoires au détriment du cocontractant273 . il s’agit là d’un corollaire de l’obligation de loyauté (ou de bonne foi), interdisant tous comportements trompeurs. cette obligation de cohérence est dictée, non pas par l’autonomie de la volonté, mais par l’idée de protection de la confiance entre contractants : chaque partie crée des attentes chez son cocontractant par certains de ses comportements, 272 cette dernière notion étant d’abord un concept de droit public (cf. supra) mais a été adopté par la doctrine privatiste allemande. 273 [ajouter une référence aux principes unidroit, nouvelle version 2004, article 8 intitulé « interdiction de se contredire.]
155 attentes qui risquent d’être déçues dès lors que celui-ci adopte une ligne de conduite différente. 1) la sanction des comportements contradictoires en droit français. nous l’avons vu, la notion d’ « attente légitime » a fait, notamment sous l’influence de droit de la consommation274 , son apparition en droit commun des contrats. elle est utilisée par le juge pour l’interprétation du contrat, mais aussi (et peut-être surtout) pour sanctionner les comportements contractuels contradictoires. interdiction des comportements contradictoires en droit français. l’idée d’interdiction de se contredire au détriment de son cocontractant (ou, ce qui revient au même, l'obligation de cohérence contractuelle) occupe une place de plus en plus importante au sein de la jurisprudence et de la doctrine françaises. ainsi, dans un article récent intitulé la confiance légitime et l’estoppel275 et consacré à la manière dont est reçue l’idée de protection de la confiance légitime en droit privé français, d. mazeaud passe en revue les principales décisions par lesquelles la cour de cassation semble avoir fait application d’un principe d’interdiction des comportements contractuels contradictoires. nous ne restituerons pas ici l’étude détaillée de la jurisprudence faite par l’auteur et renvoyons pour cela à l’article précité. voyons plutôt dans quelle mesure on peut dire que le droit français est en train de consacrer un principe d’interdiction des 274 dans ce sens, v. aussi notamment j. calais-auloy, « l'attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? » in aspects actuels du droit des affaires, mélanges en l’honneur de y. guyon, paris, dalloz, 2003, p. 171, p, 172 : « nous constaterons que l’attente légitime prise en considération par la loi ou la jurisprudence est souvent celle du consommateur. la protection des consommateurs a sans doute joué un rôle important pour la révélation de la notion. » ; th. bourgoignie, « a la recherche d’un fait générateur de responsabilités unique et autonome dans les rapports de consommation : le défaut de conformité à l’attente légitime des consommateurs », in liber amicorum n. reich, nomos, baden-baden, 1997, p. 221. 275 d. mazeaud, la confiance légitime et l’estoppel, ridc 2006/2, p. 363.
156 comportements contradictoires par la combinaison de notions traditionnelles (telle la bonne foi) et de la notion plus récente d’ « attente légitime ». bonne foi et obligation de cohérence. en droit français, l’interdiction de se contredire au détriment de son cocontractant (ou, ce qui revient au même, l'obligation de cohérence) peut être directement rattachée à l’article 1134, alinéa 3. nous avons vu que la prise en compte de la bonne foi conduit le juge à interpréter le contrat en protégeant les attentes légitimes des parties. mais ne peut-on pas aller plus loin et affirmer que l’obligation de bonne foi comporte une interdiction des comportements contradictoires ? la doctrine et la jurisprudence nous y autorisent. dans la dernière édition de leur ouvrage consacré au droit des obligations, malaurie et aynès placent l’obligation de cohérence en première position dans la définition de la bonne foi : « l’article 1134, alinéa 3, interdit d’abord au créancier certains comportements contradictoires. »276 si le débiteur se comporte de manière à laisser penser qu’il exécutera son obligation selon telle ou telle modalité, et qu’il l’exécute finalement différemment, il sera donc considéré comme violant le principe bonne foi, puisqu’il aura déçu l’attente légitime qu’il avait créé chez le créancier. du côté du créancier, l’obligation de cohérence vaut également : ainsi, il a été interdit à un créancier d’invoquer une clause résolutoire parce qu’il avait laissé perdurer l’inexécution.277 la jurisprudence récente confirme ce principe, puisque dans un arrêt du 8 mars 2005278 , la chambre commercial a décidé, au visa de l’article 1134, alinéa 3, qu’un comportement contractuel contradictoire 276 malaurie et aynès, op. cit. n° 764. 277 cass. civ. 1ère 16 février 1999, bull. civ. i, n°52, defrénois 2000, art. 37107, n°9, note d. mazeaud 278 cass. com., 8 mars 2005 : d. 2005, panorama, 2843, obs. fauvarque-cosson ; rdc 2005, 1015, obs. d. mazeaud ; rev. lamy, droit civil, juillet/août, 2005, p. 5, note d. houtcieff ; rtdciv 2005, 391, obs. j. mestreet b. fages.
157 constitue un manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi. l’importance de cet arrêt a été soulignée par mm. mestre et fages dans leur chronique : « [l]’arrêt est d’importance car, même s’il rattache la solution à la désormais classique exigence d’exécution de bonne foi, il montre que la chambre commerciale n’est pas insensible à l’obligation de faire preuve d’une certaine cohérence dans le comportement. »279 lien entre interdiction des comportements contradictoires et attentes légitimes. le lien entre bonne foi et protection des attentes légitimes avait déjà été explicitement reconnu par la cour de cassation à ce sujet, dans un arrêt inédit rendu par la chambre commerciale le 11 mars 1997, où elle avait directement recours à la notion d’attente légitime : « … en vertu de l’article 1134, alinéa 3 du code civil, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant. »280 de même, dans un arrêt (également inédit) du 11 février 2003, la chambre commerciale a rejeté le pourvoi fondé sur l’article 1134, alinéa 3, mais sur le fondement de la faute du demandeur (celle-ci l’empêchant d’invoquer l’article 1134, alinéa 3). elle n’a, en revanche, par contredit l’affirmation du demandeur selon laquelle : « …en vertu de l'article 1134, alinéa 3, du code civil, nul ne peut se contredire illégitimement au détriment d'autrui ; qu'ainsi, le contractant qui, volontairement ou non, crée chez son cocontractant une croyance légitime, sur le fondement de laquelle ce dernier altère sa position à son 279 rtdciv. 2005.391. 280 cass. com. 11 mars 1997, inédit, pourvoi n°95-16.853, lamy cass., cité par h. aubry, un apport du droit communautaire au droit français des contrats : la notion d’attente légitime, ridc 2005/3, pp. 627 s., note 46 (c’est nous qui soulignons).
158 préjudice, ne peut pas par un changement de comportement tromper cette attente légitime. »281 reconnaissance récente de l'estoppel en droit français. plus récemment encore, la cour de cassation a expressément reconnu282 le principe de l’estoppel, principe d’interdiction des comportements contradictoires issu des droits de common law (cf. infra droit anglais). toutefois, il faut noter qu’il n’a pour l’instant été reconnu qu’en matière procédurale. la sanction des comportements contradictoires soumise à la condition d’un préjudice ? enfin, remarquons que les comportements contradictoires n’ont pour l’instant été sanctionné que lorsqu’ils entraînaient un préjudice chez le cocontractant. faut-il dès lors supposer qu’il s’agit là d’une condition d’application de la règle ? comme le fait remarquer e. gaillard à propos de l’obligation de cohérence en droit du commerce international : « il est bien rare en effet que les parties n’aient pas, à tort ou à raison, quelque incohérence à se reprocher mutuellement dans les grand litiges commerciaux internationaux. aussi aura-t-on garde de ne pas oublier la condition de préjudice porté à autrui, sans laquelle aucune contradiction ne saurait être sanctionnée. »283 le bon sens semble donc indiquer qu’une telle condition est, et demeurera, requise, faute de quoi la moindre contradiction ferait l’objet de sanctions. on peut donc sans aucun doute transposer la constatation du professeur gaillard au droit interne des contrats. de la même façon, nous aurons l’occasion de voir qu’en droit international des investissements, les comportements contradictoires de l’etat d’accueil de l'investissement ne sont en principe 281 cass. com. 11 février 2003, inédit titré, pourvoi n° 99-21251 (c’est nous qui soulignons). 282 cass. civ. 1ère 6 juillet 2005, golshani c/ gouvernement de la république islamique d’iran. 283 e. gaillard, l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du droit du commerce international. rev. arb. 1985.241, p. 242.
159 sanctionnés (au titre de l’obligation de traitement juste et équitable) que dans la mesure ou ils ont causé à l'investisseur un dommage. cette condition de protection de l’attente a notamment été souligné par une sentence récente thunderbird v. mexico284 . la sanction des contradictions est en réalité sanction de la déception des attentes. quoiqu’il en soit, l’interdiction des comportements contradictoires semble pouvoir se justifier uniquement par référence aux attentes du cocontractant. pourquoi, en effet, interdire les comportements contradictoires s’il n’y a pas de confiance déçue, c'est-à-dire nulle insatisfaction ? si de tels comportements doivent être sanctionnés, c’est uniquement en raison de l’effet qu’ils ont sur la personne du cocontractant. on voit bien que ce n’est en réalité pas la contradiction en elle-même qui pose problème mais les effets pervers qu’elle peut avoir sur les intérêts du cocontractant. comme le note b. fauvarque-cosson à propos de la notion d’estoppel en général, en effet : « bien sûr, la contradiction est essentielle. mais ce n’est pas tout. il faut encore que la confiance légitime de l’autre ait été trompée. »285 c’est également ce qui ressort de l’étude de l’interdiction des comportements contradictoires en droit allemand, comme nous allons le voir à présent. 284 international thunderbird gaming corporation v. the united mexican states, uncitral rules, final award , 26 january 2006, cf. infra p. 233. 285 b. fauvarque-cosson, « l’estoppel du droit anglais », in l'interdiction de se contredire au détriment d’autrui, ouvrage collectif sous la direction de m. behar-touchais, economica, paris, 2001, p. 3, p. 15.
160 2) la sanction des comportements contradictoires en droit allemand. venire contra factum proprium. en droit allemand également, la règle de l’interdiction des comportements contradictoires s’est développée à l’aune du principe de bonne foi (c'est-à-dire du « treu und glauben », bgb §242). elle est connue sous le nom de non concedit venire contra factum proprium ou de verbot widersprüchlichen verhaltens, et signifie que nul n’est admis à se prévaloir de l’existence de faits contraires à ses allégations précédentes. existant en allemagne depuis bien plus longtemps qu’en france, la règle y est mieux établie, et ses conditions d’application sont définies de manière plus précise. le venire contra factum proprium est indissociable de l’idée de vertrauensschutz, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler dans le contexte du droit administratif286 . la protection de la confiance constitue en effet, selon la doctrine majoritaire et la jurisprudence, la justification théorique de l'interdiction des comportements contradictoires287 . la condition du vertrauenstatbestand. c’est en raison du lien avec la théorie du vertrauensschutz que les comportements contradictoires ne sont généralement pas sanctionnés en l’absence d’un « vertrauenstatbestand » (terme désignant l’état de confiance créé entre deux partenaires)288 . néanmoins le vertrauenstatbestand est défini de manière large : il peut être créé aussi bien par des déclarations antérieures, contemporaines, ou postérieures à la conclusion du contrat, que par des renseignements, des conseils, ou des représentations quant à l’état du droit, ainsi que par le fait de laisser perdurer un comportement illicite, ou même par 286 cf. supra p. 75s. 287 v. notamment r. singer, das verbot widersprüchlichen verhaltens, münchen: beck 1993, p. 6 : „hauptgrund und zugleich rechtstheoretische legitimation für das verbot des venire contra factum proprium ist nach h.m. in rechtsprechung und schrifttum der vertrauensschutz.“; staudinger, kommentar zum bürgerlichen gesetzbuch, §242 no. 288 : „entscheidend ist meist der aspekt des vertrauensschutzes.“ ; pour la jurisprudence, v. par exemple bghz 32, 273, 279. 288 v. par exemple njw 1985, 2589.
161 une simple omission alors que l’on pouvait s’attendre à une prise de dispositions289 . cependant, il faut toujours que soit établie l’imputabilité (zurechenbarkeit) du vertrauenstatbestand à la partie à laquelle est reprochée le comportement contradictoire. cela signifie que celle-ci devait avoir la maîtrise des circonstances ayant fait naître la confiance déçue chez le partenaire, et qu’il aurait donc pu les empêcher290 . l'imputabilité est appréciée in abstracto. nuance. notons tout de même que, selon une partie de la doctrine et de la jurisprudence, l’existence d’un vertrauenstatbestand peut exceptionnellement ne pas être requise. dans certains cas, en effet, l’existence d’une « contradiction indissoluble » (unauflösbarer widerspruch) peut suffire à sanctionner le comportement en question. un exemple typique de « contradiction indissoluble » est celui d’une partie qui se prévaudrait d’une disposition légale qu’elle a elle-même méconnue précédemment291 . dans le domaine procédural, cette règle a été appliquée par la cour fédérale pour considérer que la partie qui s’était prévalue de la compétence des juridictions étatiques pour contester la compétence d’un tribunal arbitral, ne pouvait par la suite, lorsque le litige était porté devant les juridictions étatiques, argumenter que seul un tribunal arbitral était compétent. 3) la sanction des comportements contradictoires en droit anglais. nous avons vu que les juristes anglais ont recours à la notion de « reasonable expectation » pour expliquer de nombreux 289 v. r. singer, op. cit., p. 6. 290 staudinger, op. cit., §242 no. 293. 291 staudinger, op. cit., §242 no. 300.
162 mécanismes ou solutions jurisprudentielles292 . cependant, ils s’agit d’une notion vague, sur le sens de laquelle ni les juges ni les auteurs ne semblent parvenir à se mettre d’accord. en revanche, le droit anglais connaît des notions au sens technique clairement défini, dont la fonction réside dans la protection des attentes légitimes. nous nous concentrerons sur les notions d’estoppel et de reliance. l’estoppel. c’est essentiellement par la notion d’estoppel que le droit anglais interdit les comportements contradictoires. notion à grand succès, puisqu’elle a été consacrée en droit international, et plus récemment en droit français, il convient d’aborder cette notion avec prudence. il faut noter d’emblée qu’il s’agit d’une notion provenant principalement de l’equity293 (par opposition à la common law, terme qui désigne en l’occurrence le droit commun anglais). cela signifie, pratiquement, qu’elle intervient pour contrebalancer l’application trop rigide des règles de droit, et non au titre de l’application des règles de droit en tant que telles. par ailleurs, il s’agit en principe d’une notion procédurale, qui ne permet pas de fonder une demander substantielle. enfin, rappelons qu’il ne s’agit pas d’un concept unique, mais éclaté : il existe toutes sortes d’estoppels, dont les deux les plus pertinents pour le droit des contrats sont le promissory estoppel et le proprietary estoppel. avec ces nuances en tête, mais sans entrer dans leurs détails, nous donnerons donc un aperçu de la manière donc fonctionne ces deux formes d’estoppel. promissory estoppel. le promissory estoppel constitue sans doute la forme la plus importante de l’estoppel en droit anglais des contrats. on objectera peut-être que son étude paraît déplacée dans une thèse consacrée à la phase d’exécution du contrat, puisque cette forme d’estoppel concerne la 292 cf. supra .p 145s. 293 cette distinction entre common law et equity remonte au xve siècle, lorsque s’est développé un système de juridiction d’équité du roi, parallèlement aux juridictions de droit commun, qui se caractérisaient pas leur rigidité dans l’application des règles de droit et le caractère trop restreint de leur compétence.
163 création d’obligations contractuelles. néanmoins, il nous semble indispensable de la mentionner ici : le promissory estoppel est en effet souvent utilisé pour justifier la naissance d’une nouvelle obligation contractuelle, certes, mais dans un contrat déjà existant. pendant longtemps, l’existence d’une relation contractuelle préalable était même requise pour faire jouer le promissory estoppel294 . sa reconnaissance remonte à l’arrêt high trees house295 de 1947. d’abord contesté par une partie de la doctrine, il a été confirmé et précisé par la jurisprudence, assouplissant ses conditions de mise en œuvre. elles sont aujourd’hui au nombre de trois : - il faut d’abord une promesse claire et précise. - ensuite, on doit pouvoir considérer qu’il serait inéquitable de la part du promettant de revenir sur sa promesse, se réfugiant derrière ses droits. - enfin, certaines décisions ont considéré qu’il fallait que le destinataire de la promesse ait changé sa position à son désavantage en se fiant à la promesse. la doctrine, cependant, n’est pas unanime sur l’existence de cette condition. lorsque ces conditions sont réunies, le jeu de l’estoppel interdit au promettant de revenir sur sa promesse : il est estopped. l'intérêt principal du promissory estoppel et qu’il peut rendre valable une promesse même en l’absence de consideration, c'est-à-dire de contrepartie économique. proprietary estoppel. la deuxième forme d’estoppel, le proprietary estoppel, possède un domaine d’application plus vaste : d’une part il ne s’agit pas d’une notion strictement contractuelle, et d’autre part il ne 294 cette condition n’a été abolie qu’en 1979, par l’arrêt brikom investments ltd v carr (ca) [1979] q.b. 467. 295 central london property trust ltd v. high trees house ltd [1947] k.b. 130.
164 nécessite pas de promesse claire et précise296 . lorsque le propriétaire d’un bien immobilier laisse entendre, par ses déclarations, que le demandeur acquerra un droit ou intérêt sur sa propriété, et que ce dernier s’est fié sur cette promesse à son désavantage, alors le promettant ne peut plus faire valoir ses droits. estoppel et reliance en droit américain. c’est en droit américain que la notion d’estoppel (plus connue aux etats-unis sous le nom de reliance) semble présenter les liens les plus évidents avec la notion d’ « attente légitime ». moins attachés que les anglais à l’exigence de consideration, les américains font jouer un rôle plus important que les anglais à la confiance dans la formation des obligations. ainsi la section 90 du second restatement du droit des contrats fonde la force obligatoire de certaines promesses sur la confiance légitime crée chez le destinataire297 . cette forme de contrats fonde donc sa force obligatoire sur la confiance : il s’agit d’obliger le promettant à ne pas décevoir les attentes créées par lui chez son partenaire. des auteurs américains montré que le promissory estoppel était de plus en plus utilisé à des fins de protections des attentes légitimes de profit nées d’un contrat, par opposition à la lettre du contrat. ainsi, l’article 1967 du code civil louisiannais consacre la règle : “a party may be obligated by a promise when he knew or should have known that the promise would induce the other party to rely on it to his detriment and the other party was reasonable in so relying.” 296 crabb v. arun district council [1976] ch. 179 ca. 297 section 90 du second restatement sur le droit des contrats : “a promise which the promisor should reasonably expect to induce action or forbearance on the part of the promisee or a third person and which does induce such action or forbearance is binding if injustice can be avoided only by enforcement of the promise. the remedy granted for breach may be limited as justice requires.”
165 estoppel et attentes légitimes. b. fauvarque-cosson constate, à propos de la manière dont s’est développé la notion d’estoppel dans les autres systèmes juridiques anglo-saxons, que : « toute construction d’une doctrine unitaire de l’estoppel repose sur les deux piliers suivants : la contradiction dans l’attitude de la partie soumise à l’estoppel et la confiance faite à l’auteur de l’estoppel par celui qui l’invoque. »298 comment ne pas constater avec cet auteur, en effet, qu’avec cette notion on se place au moins autant du point de vue du créancier (la confiance trompée) que de celui du débiteur (contradiction entre certains de ses actes). sans « detriment », en effet, la contradiction n’emporte aucun effet juridique. l'estoppel et interdiction des comportements contradictoires en droit international. cette logique a été transposée en droit du commerce international, comme en atteste une doctrine particulièrement autorisée en la personne de d. bowett, lequel n’hésite pas à établir un lien direct entre l’estoppel et la bonne foi, ainsi qu’avec la théorie de l’apparence : “assuming that another party to whom the statement is made acts to its detriment in reliance upon that statement or from that statement the party making the statement secures some advantage, the principle of good faith requires that the party adhere to its statement whether it be true or not. it is possible to construe the estoppel as resting upon a responsibility incurred by the party making the statement for having created an appearance of act, or as a necessary assumption of the risk of another party acting upon the statement.”299 298 b. fauvarque-cosson, « l’estoppel du droit anglais », in l'interdiction de se contredire au détriment d’autrui, op.cit., (p. 3), p. 15. 299 d. bowett, estoppel before international tribunals and its relation to acquiescence, 33 byil 176 (1957), p. 177.
166 l’estoppel, rapproché du principe allemand de non concedit venire contra factum proprium300 , a par ailleurs été accueilli au rang de principe général de droit en matière de commerce international, il est vrai indépendamment de toute référence à la notion d’attente légitime, dans la sentence amco c. indonésie301 . mais n’est-ce pas, par ailleurs, une logique proche de celle de l’estoppel qui est appliquée lorsque les tribunaux arbitraux sanctionnent, au titre de l’obligation étatique de traitement juste et équitable302 , les comportements contradictoires de l’etat d’accueil ayant pour effet la frustration des attentes légitimes de l’investisseur, alors même que le contrat est déjà conclu (ou, plus généralement, l’investissement déjà réalisé) ? il s’agit en effet de sanctionner la déception des attentes ayant entraîné un dommage, y compris lorsqu’il s’agit d’attentes qui n’ont pas encouragé le partenaire à contracter (puisque le contrat était déjà conclu). nous aurons l’occasion d’illustrer ce point avec l’étude de la sentence tecmed v. mexico. b. notions protégeant les attentes suscitées par les apparences. liens entre apparence et attentes légitimes. il a été montré que l’une des manifestations de l’objectivation du droit des contrats réside dans la montée en puissance de l’apparence comme source des obligations303 . c’est que la théorie de l’apparence a pour objet la protection d’un certain type de confiance : celle créée par les apparences. comme le note anne danis- fatôme dans sa thèse consacrée au thème de l'apparence en droit des contrats, en effet : 300 v. notamment e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, p. 77. 301 amco c. indonésie i, 20 november 1984 (icsid case no. arb/81/1), 24 ilm 1022 (1985) (en l’occurrence, le moyen fondé sur l’estoppel fut toutefois rejeté). 302 obligation imposée à l’etat, comme nous le verrons, par la plupart des traités d’investissement. 303 v. a. danis-fatome, apparence et contrat, op. cit., n° 844 s.
167 « le développement du rôle de l’apparence dans la protection du contractant correspond bien à la tendance contemporaine de la doctrine française qui consiste à redéfinir la force obligatoire du contrat en la déplaçant de la volonté de celui qui s’engage vers la représentation de celui qui reçoit. »304 or, nous l’avons vu305 , la « représentation » d’un contractant correspond à son attente quant aux modalités de l’exécution du contrat. l’auteur précité met d’ailleurs elle-même l’accent sur ce point, puisqu’elle continue de la manière suivante : « ce mouvement tend à donner primauté à la volonté déclarée sur la volonté réelle du cocontractant. il se traduit également en droit français par la prise en compte de l’attente légitime du créancier. »306 néanmoins, il convient de préciser que les attentes dont il s’agit ici ne sont donc plus celles suscitées par le comportement du cocontractant, mais par les apparences en général307 . c’est ce que nous allons voir par l’étude de la théorie de l’apparence en droit français (1) et de la rechtsscheinhaftung en droit allemand (2). 1) théorie de l’apparence et croyance légitime en droit français. le mandat apparent. la théorie de l’apparence en droit français est connue d’abord par l’intermédiaire de la doctrine du « mandat apparent ». en vertu de cette doctrine, a est considéré comme le mandataire de b à l’égard des tiers lorsque ceux-ci ont pu légitimement croire que a agissait au nom et pour le compte de b – sans qu’ait eu lieu un quelconque échange de consentements entre a et b. il s’agit donc d’un contrat de mandat 304 a. danis-fatome, apparence et contrat, op. cit., n° 849 (c’est nous qui soulignons). 305 cf. supra, chapitre introductif, p. 29. 306 a. danis-fatome, op. cit., n° 849 (c’est nous qui soulignons). 307 on peut considérer en effet, comme nous le verrons plus bas, que les comportements et déclarations du cocontractant font partie des apparences.
168 né entre deux personnes indépendamment de la volonté d’au moins l’une d’elles (le mandant). la naissance d’un mandat apparent requiert néanmoins des circonstances autorisant le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs du mandataire308 . on peut donc dire que le mandat apparent est un « mandat sans volonté » : un contrat valable entre deux personnes alors même que l’une d’elle n’a jamais eu la volonté de s’engager. il tire sa force obligatoire, non pas de la volonté mais de l’apparence créée par l’une des parties. en réalité, il ne s’agit que de l’une des applications d’une théorie générale connue sous le nom de « théorie de l’apparence ». la théorie de l’apparence en général. avec le mandat apparent, nous sommes encore en présence d’une notion relative à la question de la formation des conventions. pourtant, cela ne place pas la théorie de l’apparence dans son ensemble hors du domaine de notre sujet : si elle joue un rôle important au stade de la formation du contrat, sa pertinence ne se limite pas à ce domaine. on peut en effet définir la théorie de l’apparence comme un mécanisme qui autorise à consacrer au profit des tiers ayant commis une erreur excusable, l'objet de leur croyance erronée. au stade de la formation du contrat, cela se traduit concrètement de la manière suivante : en présence d'un contrat atteint d'un défaut de droit ou d'un défaut de pouvoir, la théorie de l’apparence permet d’imposer à une partie des obligations sur le fondement de la croyance de l’autre partie à l'existence d'un contrat valable (dans la mesure où la croyance est légitime, c'est-à-dire l’erreur excusable). mais venons en au domaine qui nous intéresse, celui de l’exécution du contrat. au stade de la détermination du contenu du contrat (c'est-à-dire dans l’hypothèse où celui-ci est valable), le mécanisme de l’apparence peut s’appliquer lorsque la prestation fournie par une partie ne correspond pas à ce que l’autre croyait légitimement pouvoir obtenir de 308 assemblée plénière, 13 décembre 1962, d.1963, 277, note j.calais-auloy, jcp 1963, ii, 13105, note p. esmein. par cet arrêt, la cour de cassation a accueilli, pour la première à notre connaissance, la notion de « croyance légitime ».
169 l’exécution du contrat. il s’agit alors d’interpréter le contrat en fonction de son contenu apparent. dans la mesure où elle peut fonder, dans un contrat par ailleurs valable, telle ou telle obligation supplémentaire ou une modalité particulière de l’exécution, elle contribue à la détermination du contenu du contrat, liée à la question de savoir comment dont le contrat doit être exécuté309 . cette forme du principe est relativement nouvelle mais non moins importante, et mérite particulièrement notre attention. la théorie de l’apparence, on le voit, a un domaine bien plus large (et, semble-t-il, de plus en plus large) que celui du seul mandat apparent, et même de la question de la formation des conventions, à tel point qu’une thèse récente y a été consacrée310 . distinction entre croyance légitime et attente légitime. cependant, il convient de distinguer entre croyance légitime et attente légitime. tandis que la notion de croyance légitime désigne une erreur excusable, l’attente légitime se définit comme l’anticipation raisonnable de l’exécution par le cocontractant de ses devoirs contractuels. cela étant, le rapport entre les deux notions est incontestable. rapport entre croyance légitime et attentes légitimes. nous venons de le voir, la notion centrale de la théorie de l’apparence est celle de « croyance légitime ». en effet, l’apparence en tant que telle ne crée aucun effet : c’est la croyance sincère (ou plutôt celle qui, au vu des circonstances de l’espèce, apparaît devoir être sincère) dans le fait que cette apparence correspond à la réalité qui lui fait produire des effets juridiques. de manière générale, on peut justifier la théorie de l’apparence par référence au souci de sécurité juridique : dans les circonstances où la vérification de certaines apparences ne peut être raisonnablement exigée, la sécurité des transactions justifie que l’on donne 309 cf. supra p. 162s. (sur le « promissory estoppel »). 310 thèse citée plus haut : a. danis-fatôme, apparence et contrat, thèse (paris i) 2004 (bibliothèque de droit privé tome 414).
170 effet à la croyance créée par cette apparence311 . toutefois, on peut être plus précis et affirmer que c’est la protection des attentes légitimes qui fonde la théorie de l’apparence. la croyance erronée est prise en compte parce qu’elle génère des attentes relatives à l’exécution du contrat : attentes qui sont légitimes parce que nées de croyances elles-mêmes légitimes. or ces attentes seront forcément déçues s’il n’est pas donné effet à l’apparence créée. il faut donc admettre, avec a. danis-fatôme, que : « dire que la théorie de l’apparence donne, en présence d’un contrat valable, force obligatoire à la croyance légitime du contractant en ce qu’il recevrait telle prestation ou pourrait demander l’exécution de sa créance à tel créancier, c’est considérer ce à quoi celui-ci pouvait légitimement s’attendre. »312 dès lors que la légitimité de la croyance conditionne la légitimité de l'attente, les critères de la légitimité sont les mêmes pour ces deux notions. l’idée fondamentale est que la croyance (et donc l’attente des effets conformes à cette croyance) est légitime du moment que les circonstances autorisent le contractant à ne pas vérifier la réalité des faits. ainsi, dans le cas du mandat apparent, le tiers doit établir des circonstances l’autorisant à ne pas vérifier l’étendu des pouvoirs du mandataire313 . cependant, ce critère central est pondéré par d’autres, et notamment par celui de la gravité de l’acte juridique entrepris par le tiers en conséquence de sa croyance : plus l’acte est grave ou important, plus on exigera des efforts importants de la part du tiers pour vérifier la correspondance de l’apparence avec la réalité. 311 a. danis-fatôme (op.cit., n° 852) propose d’aller jusqu’à justifier la prise en compte de la volonté déclarée par le juge par la notion de croyance légitime : « c’est parce que sa déclaration de volonté a fait naître chez son partenaire la croyance légitime qu’il obtiendrait du contrat telle ou telle prestation qu’il importe de lui donner force obligatoire. » 312 a. danis-fatôme, op.cit., n° 854. 313 dans le cas du mandat apparent, les tribunaux apprécient la légitimité de la croyance en fonction d’un faisceau d’indices, au nombre desquels figurent la nature du contrat, les fonctions exercées par le mandataire apparent au sein d’une société, le caractère régulier des relations antérieures, les conditions de l’établissement de l’acte en question.
171 rapprochement avec le droit international des investissements. nous constaterons que l’on retrouve ces critères sous une forme similaire en droit international des investissements, dans l’appréciation de la légitimité de l’attente. celle-ci est en effet appréciée, en autre, en fonction du comportement de l’auteur de l’attente : ainsi, lorsque l’attente de l’investisseur est en réalité une croyance erronée (parce qu’elle porte sur un état de fait qui ne correspond pas à la réalité), les arbitres se demandent s’il s’est comporté de manière diligente, c'est-à-dire, pour employer des termes plus familiers au droit français, s’il a agi en professionnel averti, et notamment, s’il s’est suffisamment renseigné. en d’autres termes, la question est de savoir si un comportement plus prudent lui aurait permis, au regard des circonstances, de dissiper par lui-même son attente. ainsi l’attente, de même que la croyance, n’est légitime que dans la mesure où elle est excusable. nous y reviendrons notamment à l’occasion de l'étude de l’affaire mtd v. chili314 , dans laquelle l’investisseur prétendait qu’il avait une attente légitime que le terrain sur lequel portait son investissement soit constructible. le tribunal refusa cet argument parce qu’il considérait que l’investisseur, dans la mesure il aurait pu mieux se renseigner, aurait du s’attendre à ce qu’il ne le soit pas. 314 cf. infra p 358 s.
172 2) la théorie de la rechtsscheinhaftung en droit allemand. présentation de la théorie. l’équivalent allemand de la théorie de l’apparence est la rechtsscheinhaftung315 – littéralement responsabilité (« haftung ») du fait de l’apparence (« schein ») de droit (« recht ») – et fonctionne de manière similaire à la théorie du droit français. la rechtsscheinhaftung est généralement considérée comme un cas d’application de la théorie plus générale du vertrauensschutz316 , dont nous avons traité plus haut317 . l’idée qui la sous-tend a été définie par c.-w. canaris de la manière suivante : « on parle traditionnellement de rechtsscheinhaftung lorsque le droit accorde une créance qui n’existe pas « en soi », en raison de l’apparence de son existence. »318 il s’agit là d’une définition très large, qui ne donne pas d’indication précise du fonctionnement du mécanisme. elle consiste à dire que celui qui suscite chez son partenaire une confiance dans l’existence d’une situation juridique donnée ne peut légalement décevoir cette confiance. conditions d’application. les conditions requises pour faire jouer contre une partie le mécanisme de responsabilité fondé sur l’apparence créée sont les suivantes : 315 l’idée de la protection de la confiance suscitée par les apparences créées est ancienne en allemagne et a pris des formes multiples avant de parvenir à la théorie actuelle (v., pour une historique des théories doctrinales relatives à la question, c.-w. canaris, vertrauenshaftung im deutschen privatrecht, c.h. beck, munich (1971), pp. 10 s.). 316 v. notamment, münchener kommentar, 3. auflage, §242 no. 443 : „die haftung nach rechtsscheingrundsätzen ist ein spezieller anwendungsfall des soeben behandelten vertrauensschutzes...“ 317 cf. supra, p. 75s. 318 c.-w. canaris, vertrauenshaftung im deutschen privatrecht, op. cit., p. 9.
173 - l’apparence doit lui être imputable (zurenchenbar). - le partenaire doit avoir eu réellement confiance en l’existence de la situation juridique en question. - le partenaire doit avoir été de bonne foi (gutgläubig ; il s’agit de la bonne foi subjective, au sens du §122 alinéa 2 bgb). le critère posant le plus de problèmes aux juges est celui de l’imputabilité de l’apparence à la partie attaquée. son application a conduit la jurisprudence à opérer des distinctions en fonction de l’appartenance ou non de la partie dont on apprécie la responsabilité à une catégorie de professionnel (une telle appartenance pouvant entraîner l’application d’usages propres à cette catégorie). importance de l’attente légitime. quoi qu’il en soit, la question déterminante est, une fois de plus, celle de savoir si le comportement de la partie en question a créé une attente chez le partenaire. c’est ce qu’expliquent les rédacteurs du commentaire du bgb münchener kommentar : « … il s’agit toujours de déduire les effets juridiques les plus justes des actes ou omissions d’une partie ainsi que des attentes qu’ils ont pu fonder chez l’autre partie, en ayant égard aux intérêts juridiques contradictoires en présence. »319 on peut donc conclure, de la même manière qu’en droit français, qu’il faut donner effet à la croyance légitime (« guter glaube ») dans la mesure où elle a pu générer des attentes. 319 münchener kommentar, 3. auflage, §242 no. 445 : „es geht immer darum, aus dem tun oder unterlassen der einen seite und den darauf gegründeten erwartungen der anderen in abwägung der beiderseitigen schutzwürdigkeit die interessengerechte rechtsfolge abzuleiten.“
174 conclusion de la 1ère partie. la préoccupation de protection de la confiance des sujets de droit semble omniprésente en droit interne, que ce soit dans les relations entre autorités publiques et administrés ou entre partenaires contractuels. il convient toutefois de ne pas faire d’amalgames et de garder à l’esprit les présupposés propres à chaque notion. la notion d’attente légitime ou des notion proches peuvent viser à rétablir un certain équilibre entre deux partenaires de force inégale (attente légitime du consommateur dans sa relation au professionnel, confiance légitime de l’administré dans sa relation avec l’etat). d’autres ont simplement pour objet de créer les conditions nécessaires à un climat de confiance entre partenaires engagés dans une relation synallagmatique (bonne foi, « implied terms », « rechsscheinhaftung »). par ailleurs, ces notions peuvent être inspirées par les philosophies les plus diverses. si l’on compare les notions d’« attente légitime » du consommateur et de « confiance légitime » de l’administré, par exemple, les objectifs poursuivis apparaissent très différents, si ce n’est divergents : la confiance légitime du droit public a pour objet, bien souvent, la protection de puissantes entreprises face à l’etat. la notion revêt un caractère plus « social » en droit privé, dans la mesure où il s’agit de protéger un sujet réellement faible : un consommateur à la merci de la toute-puissance du professionnel avec lequel il contracte. un auteur s’est récemment intéressé à la comparaison entre la théorie d’e. lévy et le principe de confiance légitime nouvellement appliqué en droit administratif français pour mettre en évidence l’opposition qui existe entre deux applications de la même notion de confiance légitime : « à une construction libérale permettant de protéger les intérêts des opérateurs économiques contre l’etat (car c’est bien de cela qu’il s’agit
175 le plus souvent) s’oppose une construction socialiste visant avant tout à garantir les ouvriers contre leur patron. »320 s’il est recommandé de s’inspirer du droit interne pour faire évoluer le droit international des investissements, il importe de garder à l’esprit les distinctions qui s’imposent et d’observer la plus grande prudence. 320 f. melleray, la revanche d’emmanuel levy ? l'introduction du principe de protection de la confiance légitime en droit public français, droit et société 2004 n°56-57, pp. 143 s, p. 149.
176
177 2nde partie : un développement récent en droit international des investissements. la question étudiée – dans quelle mesure le droit protége-t- il les attentes des parties au contrat ? –, nous venons de le voir dans la première partie, n’est pas spécifique au droit international des investissements. les droits internes y proposent déjà de longue date des réponses, en ayant recours à des notions souvent proches, et parfois très similaires à celle d’ « attente légitime ». au-delà même de la parenté des notions, il semble que, quel que soit le système de droit considéré, l’on cherche – sans aller jusqu’à assimiler les relations contractuelles à des relations cordiales – à faire respecter un certain équilibre et une certaine confiance entre les parties au contrat. l’idée centrale est en effet que des relations d’affaires ne sont pas possibles sans confiance. par ailleurs, dans le cas spécifique d’un déséquilibre entre les partenaires, il s’agit de prévenir les abus par l'une des parties de sa position dominante. la fonction des notions considérées est donc fondamentalement la même, qu’il s’agisse des droits internes, publics ou privés, ou du droit international des investissement. attentes légitimes et spécificité du contentieux international de l’investissement. de la spécificité du contentieux de l’investissement international découle l’autonomie des fonctions de la notion d’ attente légitime dans ce contexte. celui-ci se caractérise notamment par sa relativement faible densité normative, d’une part, et par les intérêts en présence, d’autre part : entreprise privée, d’un côté ; etat dont cette entreprise n’est pas ressortissante, de l’autre. tandis que l’entreprise privée contracte dans le but de réaliser un profit, l’etat agit en principe dans l’intérêt général. tandis que l’entreprise privée qui investit à l’étranger est en situation de relative faiblesse, l’etat d’accueil jouit d’un pouvoir normatif et réglementaire
178 qui lui confère une position de supériorité. en revanche, sous un autre angle de vue, c’est l’etat qui peut paraître en situation de faiblesse, étant donnée la supériorité des compétences technologiques de l’investisseur. par ailleurs, nous allons voir que la notion d’attente légitime est rarement invoquée de manière autonome, mais plutôt à l’appui de règles bien établies, telles que l’obligation de traitement juste et équitable et l’interdiction de l’expropriation indirecte. il apparaîtra alors qu’elle peut revêtir des significations et des fonctions différentes. enfin la confiance protégée par la pratique arbitrale n’est pas tant celle des parties que celle de l’une des parties, à savoir l’investisseur, généralement considéré comme la partie la plus faible. on sera cependant amené à se demander si un tel présupposé est toujours justifié et s’il ne serait pas concevable d’appliquer la notion d’attente légitime à la partie étatique au différend. ancienneté de la notion d’ « attente légitime » en droit international des investissements et explosion récente de son utilisation. si le recours quasi-systématique à la notion d’attente légitime est très récent (datant essentiellement de la sentence metalclad de l’année 2000321 , cf. infra), on en relèvera au moins une apparition plus ancienne. dans la sentence kuweit v. aminoil322 de 1982, en effet, le tribunal s’appuyait déjà sur la notion, dans le contexte du calcul du montant des réparations dues par l'etat d’accueil : « both parties to the present litigation have invoked the notion of « legitimate expectations » for deciding on compensation. that formula is well-advised… »323 321 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1). 322 government of kuweit v. american independent oil co. (aminoil), 66 ilr 518 (1982). 323 sentence aminoil, op.cit., § 148.
179 il faut admettre, néanmoins, qu’on ne trouve par la suite plus guère de trace de la notion, jusqu’à la sentence metalclad. depuis cette dernière sentence, en revanche, on la rencontre de plus en plus fréquemment. on peut citer pêle-mêle, parmi les décisions rendues entre 2000 et aujourd’hui et faisant référence à la notion : pope & talbot v. canada ; alex genin and others v. republic of estonia ; mondev international ltd v. united states of america ; adf group, inc. v. united states of america ; tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. the united mexican states ; mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile ; occidental exploration and production company (oepc) v. ecuador ; cms gas transmission company v. argentina ; international thunderbird gaming corporation v. the united mexican states ; saluka investments v. the czech republic ; azurix corp. v. the argentine republic, lg&e energy corp. v. the argentine republic, etc… autant de sentences auxquelles nous aurons l’occasion de revenir au cours de notre étude. distinction entre traitement et protection de l’investissement. notre étude du droit international des investissements s’appuiera sur la distinction établie par la doctrine entre traitement et protection de l’investissement324 . les termes « traitement » et « protection » de l’investissement s’appliquent en effet à deux stades différents de la vie de l’investissement. tandis que par « traitement de l’investissement » on entend l’ensemble des règles prescrivant à l’etat d’accueil une certaine conduite pour la durée de l’existence de l’investissement, la « protection de l’investissement » désigne l’ensemble des règles qui préviennent ou sanctionnent les atteintes par l’etat d’accueil à l’existence de l’investissement international325 . il nous a semblé justifié de reprendre cette distinction à notre compte. en effet, la notion d’attente légitime revêt des significations et des 324 la distinction est empruntée à p. juillard (d. carreau et p. juillard, droit international économique, paris, dalloz, 3e éd., 2007, n° 1254 s.). 325 voir notamment d. carreau et p. juillard, droit international économique, op. cit., n°1254.
180 fonctions différentes dans ces deux aspects du droit international des investissements. plan de la 2nde partie. nous nous intéresserons aux fonctions remplies par la notion d’attente légitime et à la manière dont elle est appliquée, successivement dans le contexte du traitement (titre 1) et de la protection (titre 2) de l’investissement, avant de tenter de parvenir à une théorie générale des attentes légitimes en droit international des investissements (titre 3).
181 titre 1. traitement de l’investissement et attentes de l’investisseur. l’opération d’investissement une fois réalisée, le thème du traitement de l’investissement constitue, chronologiquement, la première dimension du droit international des investissements. du traité d’investissement le plus souvent applicable découlent un certain nombre d’obligations imposées à l’etat sur le territoire duquel cet investissement est réalisé. au premier rang de ces obligations, la plupart des traités d’investissement imposent à l’etat de réserver à l’investissement un « traitement juste et équitable ». l'interprétation de ce principe du « traitement juste et équitable » a fait l’objet de nombreuses sentences depuis quelques années. les arbitres ont fourni un travail considérable pour tenter de préciser le contenu de ce principe flou, travail dans lequel la notion d’ « attente légitime » a joué un rôle non négligeable. nous présenterons donc pour commencer ce principe fondamental du droit international des investissements de manière générale, ainsi que la nature des rapports qu’il entretient avec la notion d’ « attente légitime » (chapitre 1) avant de nous intéresser de près aux modalités de protection de l’attente légitime au titre de ce principe (chapitre 2).
182
183 chapitre 1. la notion d’ « attente légitime » comme composante du principe de traitement juste et équitable. principe fondamental du droit international des investissements, il semble nécessaire de faire du traitement juste et équitable une rapide présentation générale (section 1) avant de voir dans quelle mesure il présente des liens avec la notion d’ « attente légitime » (section 2). section 1 : le « traitement juste et équitable », pièce maîtresse du traitement des investissements. nous mettrons ici en évidence la place déterminante qu’occupe aujourd’hui le principe de traitement juste et équitable au sein du contentieux de l’investissement (§1), pour tenter ensuite de définir les contours de ce principe en pleine évolution (§2). §1.- importance du principe du traitement juste et équitable. longtemps laissé à l’écart, ce principe a connu un regain d’intérêt au cours des dix dernières années (a). on s’est pourtant longtemps demandé s’il apportait réellement à l’investisseur une protection au-delà de celle que lui apporte la norme minimale de traitement de droit international coutumier (b).
184 a. emergence croissante d’une notion longtemps laissée à l’écart. importance du principe de traitement juste et équitable dans le contentieux récent des investissements. ce principe occupe une place d’une importance croissante dans le contentieux international de l’investissement. la quasi-totalité des traités bilatéraux d’investissements (exception faite des traités conclus par certains pays d'asie)326 , ainsi que l’alena, en effet, contiennent une disposition faisant obligation à l'etat d’accueil d’accorder à l’investisseur étranger un « traitement juste et équitable ». ainsi, l’article 1105 (1) de l’alena prévoit que : “each party shall accord investments of investors of another party treatment in accordance with international law, including fair and equitable treatment and full protection and security.” malgré la présence quasi-systématique du principe dans les traités d'investissement, ce n’est qu’au cours de ces cinq ou dix dernières années qu’on l’a vu gagner une place importante dans le contentieux. depuis la célèbre sentence metalclad de 2000327 , la plupart des affaires comportent une plainte pour refus d’accorder un traitement juste et équitable, à tel point que le principe semble ces dernières années faire l’objet d’une véritable jurisprudence arbitrale328 . 326 v. notamment i. tudor, the ‘fair and equitable treatment’ standard in the international law of foreign investment, florence (iue), thèse, 2006, p. 40 : “there are only a few bits that do not make reference to the fair and equitable treatment. out of the 358 studied bits, only 19 belong to the category”; v. également l’annexe iii de cette thèse. 327 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1), pour un résumé des faits, v. infra p. 215. 328 nous verrons plus loin (infra p. 321) dans quelle mesure on peut parler d’une « jurisprudence arbitrale » en droit international des investissements.
185 fonction et caractères principaux du principe. il est à peu près impossible de donner une définition du principe de traitement juste et équitable. cependant, on peut se faire une idée de sa fonction au sein du droit international des investissements. il convient avant tout de mettre l’accent sur le fait que, malgré son caractère souple, il s'agit bien d’un principe juridique, et non d’un principe renvoyant à l’équité, qui autoriserait les arbitres à statuer non pas selon les règles de droit mais ex æquo bono. comme l’écrit christoph schreuer : “… although “fair and equitable” may be reminiscent of the extralegal concepts of fairness and equity, it should not be confused with decision ex aequo bono. it is a legal concept that is susceptible to interpretation and application by a tribunal without an authorization by the parties to go beyond the law and to apply equitable principles.”329 les arbitres ont également souvent mis l’accent sur le caractère juridique du principe. ainsi, selon le tribunal dans la sentence adf v. usa, l’appréciation de la conformité du comportement de l'etat avec le principe de traitement juste et équitable : “… must be disciplined by being based upon state practice and judicial or arbitral case law or other sources of customary or general international law.”330 il s’agit donc d’un principe juridique. plus précisément, il s’agit d’un standard de traitement, c'est-à-dire d’une norme qui définit, de manière souple, le traitement que les etats doivent accorder aux investisseurs étrangers. il a donc pour fonction de définir le niveau de protection auquel les investisseurs ont droit. a ce titre, on peut le ranger à côté d’autres principes tel celui de « pleine et entière protection et sécurité », du « traitement national », et de « la nation la plus favorisée ». 329 c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, journal of world investment & trade, 357-386 (june 2005), p. 365. 330 adf group, inc. v. united states of america, 9 january 2003, 6 icsid reports 490, §184.
186 standard de protection a priori dépourvu de contenu précis, on a été amené à se demander s’il s’agissait du même standard que la norme minimale de traitement du droit international coutumier, ou d’un standard distinct. c’est à cette question, non négligeable du point de vue de ses conséquences pratiques, que nous voudrions consacrer quelques lignes à présent. b. la question de l’autonomie du principe par rapport à la norme minimale du droit international coutumier. le problème. la question de savoir si le principe de traitement juste et équitable prescrit un niveau de traitement supérieur à la « norme minimale » de droit international général, c’est-à-dire au niveau de protection accordé aux investisseurs par le droit international coutumier, ou si elle ne fait que renvoyer à cette norme minimale, a suscité une longue polémique. pour certains, le principe de traitement juste et équitable n’est qu’un élément de la norme minimale de traitement accordé aux ressortissants étrangers et à leurs biens requise par le droit international331 . pour d’autres, au contraire, le traitement juste et équitable est indépendant de la norme minimale, et requiert un niveau de traitement plus élevé332 . il s’agit d’une question importante : si le principe de traitement juste et équitable renvoie à un principe de droit coutumier, il peut s’appliquer à tout etat accueillant sur son sol un investisseur étranger. dans le cas contraire, on ne peut imposer l’obligation de traitement juste et équitable qu’aux etats parties à un traité d’investissement contenant ce principe. 331 notamment gann, « the us bilateral investment treaty program », stanford journal of international law, 21 (1985) ; huu-tru, « le réseau suisse d’accords bilatéraux d’encouragement et de protection des investissements », revue générale de droit international public, 92 (1988) ; paterson, « canadian investment promotion and protection treaties », annuaire canadien de droit international, 29 (1991). 332 v. notamment c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, journal of world investment & trade, 357-386 (june 2005), p. 364; r. dolzer & m. stevens, bilateral investment treaties, icsid 1995, p. 60 ; p.t. muchlinski, multinational enterprises and the law, blackwell, oxford, 1999, p. 626.
187 un problème aujourd’hui résolu. la question semble aujourd’hui résolue. un grand nombre de traités bilatéraux d’investissement, notamment ceux conclus par les etats-unis, la france, le royaume-uni et le japon, de même que les nouveaux modèles de traité bilatéral d’investissement des etats-unis et du canada associent le principe de traitement juste et équitable à la norme minimale coutumière333 . c’est le cas également des nouveaux accords de libre-échange conclus par les etats-unis. dans le cadre de l'alena, la situation a été clarifiée par la commission du libre-échange de l’alena, qui a publié, le 21 juillet 2001, une interprétation obligatoire de l’article 1105, (1)334 selon laquelle : l’article 1105 (1) prescrit la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers comme norme minimale de traitement à accorder aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre partie. les concepts de « traitement juste et équitable » et de « protection et sécurité intégrales » ne prévoient pas de traitement supplémentaire ou supérieur à celui exigé par la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers. la constatation qu’il y a eu violation d’une autre disposition de l’alena ou d’un accord international distinct ne démontre pas qu’il y ait eu violation de l’article 1105 (1). on peut donc en conclure que le principe de traitement juste et équitable est aujourd’hui interprété comme une expression de la norme minimale de traitement du droit international coutumier dans le contexte spécifique du droit international des investissements. 333 les modèles de bit américain et canadien sont disponibles sur www.unctadxi.org/templates/docsearch_779.aspx 334 pour le libellé de l’article 1105, (1) cf. supra p. 184.
188 §2.- un principe aux contours encore incertains. s’il apparaît aujourd’hui difficile de donner une définition satisfaisante du principe de traitement juste et équitable (a), on peut se faire une idée de sa teneur (b) et des éléments principaux qui font son contenu (c). a. difficulté d’une définition unitaire. différentes sources d’incertitude. pour plusieurs raisons, il est difficile de donner une définition générale du principe de traitement juste et équitable. cela est dû d’abord aux différences de formulation d’un tbi à l’autre335 , ensuite aux différences d’interprétation d’un tribunal arbitral à l’autre, et enfin au fait que c’est un principe évolutif et dont l’application dépend très largement des faits de l’espèce. comme l’a fait remarquer le tribunal dans la sentence mondev : “[a] judgment of what is fair and equitable cannot be reached in the abstract; it must depend on the facts of the particular case”336 néanmoins, il semble possible d’en identifier la teneur, ainsi que les principaux éléments qui font son contenu. 335 v. i.tudor, op. cit. pp. 42-47. celle-ci distingue notamment, dans les bits, entre cinq niveaux de précision dans l’énonciation du principe du traitement juste et équitable : 1) simple énonciation du principe sans aucune précision, 2) énonciation avec référence au droit international général, 3) énonciation avec référence au droit international général et exemples d’actes contraires au principe, 4) énonciation du standard conjugué aux notions d’ « arbitraire » et de « discrimination », et 5) énonciation du standard conjugué au principe de « pleine et entière sécurité ». 336 mondev international ltd v. united states of america, 11 october 2002 (icsid case no. arb(af)/99/2), § 118.
189 b. teneur du principe. coloration morale du principe de traitement juste et équitable. une interprétation littérale de la notion de « traitement juste et équitable » renvoie naturellement au domaine de la morale. les termes « juste » et « équitable » relèvent en effet plus de la morale que du droit. partant de cette approche le tribunal dans la sentence mtd equity v. republic of chili parvenait à la conclusion que : “in their ordinary meaning, the terms “fair” and “equitable” used in article 3(1) of the bit mean “just”, “even-handed”, “unbiased”, “legitimate”. […] hence, in terms of the bit, fair and equitable treatment should be understood to be treatment in an even-handed and just manner, conducive to fostering the promotion of foreign investment.”337 comme son nom l’indique, le principe répond donc à un soucis de justesse et d’équité. certes, cette approche ne précise guère l’interprétation juridique à donner du principe. toutefois, elle a le mérite de mettre l’accent sur l’aspect moral qu’il fait intervenir dans la relation entre etat d’accueil et investisseur étranger : l’obligation de traitement juste et équitable est celle qui impose à l’etat d’accueil une attitude bienveillante à l’égard de l'investisseur (et de l’investissement) et sanctionne les comportements trompeurs. cette interprétation semble d’ailleurs bien refléter l’esprit d’origine du principe. comme le font remarquer dominique carreau et patrick juillard, le principe de traitement juste et équitable trouve ses origines dans le pan éthique du droit international des investissements (par opposition à son pan strictement économique) : 337 sentence mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile, 25 may 2004 (icsid case no. arb/01/7), §113.
190 « cette tradition d’ordre éthique s'est d’abord manifesté, sur le terrain juridique, par l’apparition de standards de droit international, destinés à corriger l’action du souverain vis-à-vis de l’étranger. ces standards – parmi lesquels figure, au premier plan, le standard du traitement juste et équitable, devaient suffire à la sécurité des personnes. »338 patrick juillard avait d’ailleurs déjà exprimé cette idée il y a plus de dix ans dans son cours à l’académie de droit international : « le droit des investissements, dans sa conception traditionnelle, semblait privilégier la moralité plus que l'efficacité, comme en témoigne la place donnée aux notions de traitement juste et équitable, ou de pleine et entière protection et sécurité.»339 le principe de traitement juste et équitable serait donc une partie de ce qui a subsisté de la conception traditionnelle du droit international des investissements, qui privilégiait la moralité à l’efficacité. cette coloration morale est important pour notre étude car elle a – l’étude de la jurisprudence nous le montrera – une incidence sur la manière dont est utilisée la notion d’attente légitime dans le cadre de l’application du principe de traitement juste et équitable : contrairement à ce qui ce passe dans le contexte de la protection de l’investissement (avec, notamment, la notion d’expropriation indirecte), il semble que la notion d’attente légitime soit utilisée d’abord pour assurer la sécurité de l’investisseur. « traitement juste et équitable » et « bonne foi ». on peut donc semble-t-il à bien des égards rapprocher la fonction du principe de traitement juste et équitable de celle de la notion de bonne foi, commune à plusieurs ordres juridiques internes. on observe d’ailleurs que les arbitres font parfois référence explicitement à la bonne foi en relation avec le principe340 . pourtant, nous allons voir qu’on ne peut purement et simplement assimiler le 338 d. carreau, p. juillard, droit international économique, précis dalloz, paris, 2007 (3e édition), n° 1076. 339 p. juillard, l’évolution des sources du droit international des investissements, rcadi, tome 250, p. 132. 340 v., par exemple, la sentence tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. mexico, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2), au §154.
191 principe de traitement juste et équitable à celle de bonne foi de l'etat d’accueil. evolution de la teneur du principe de traitement juste et équitable. indépendamment de sa coloration morale, l’interprétation du principe de traitement juste et équitable a connu une évolution remarquable : interprété dans un premier temps de manière relativement peu exigeante vis-à- vis de l’etat d’accueil (donc plutôt favorable à celui-ci), cette tendance s’est finalement inversée pour en faire une arme puissante au bénéfice de l’investisseur. on situe généralement le point de départ de la jurisprudence sur le traitement des étrangers à 1926, date de l’affaire neer341 , à laquelle la notion de traitement juste et équitable n’avait pas encore vu le jour. le standard alors établit par le tribunal se caractérisait par son extrême indulgence à l’égard de l’etat quant à son traitement des étrangers. seule la mauvaise foi délibérée ou le traitement outrageant rendait le traitement illégal342 . la deuxième affaire la plus fréquemment citée dans le cadre de l’interprétation du traitement juste et équitable est celle qui a donné lieu à la décision elsi (usa v. italy)343 rendue par la cour internationale de justice – bien que cette décision ne concerne pas non plus directement le traitement juste et équitable mais l’interdiction du traitement arbitraire et discriminatoire. là encore, le caractère choquant du traitement était requis pour que celui-ci soit sanctionné : “arbitrariness is not so much something opposed to a rule of law, as something opposed to the rule of law … it is a wilful disregard of due 341 neer v. mexico, opinion, united states-mexico general claims commission, 15 october 1926, 21 a.i.j.l. 555, 1927. 342 neer v. mexico, op. cit., p. 556: “… the treatment of an alien, in order to constitute an international delinquency, should amount to an outrage, to bad faith, to wilful neglect of duty, or to an insufficiency of governmental action so far short of international standards that every reasonable and impartial man would readily recognize its insufficiency.” 343 elettronica sicula s.p.a (elsi) (united states of america v. italy), i.c.j. reports 1989, p. 15.
192 process of law, an act which shocks, or at least surprises, a sense of judicial propriety.”344 en 2000, conformément à cette jurisprudence, on pouvait encore considérer que l’obligation de traitement juste et équitable n’était violée qu’à condition que l’investisseur ait été traité d’une manière si injuste ou si arbitraire que le traitement apparaissent inacceptable d’un point de vue international345 . en 2001, il semblait encore normal d’affirmer que la violation principe du traitement juste et équitable supposait de la part de l’etat d’accueil une « négligence volontaire de ses obligations, une insuffisance dans son action tombant largement en deçà des standards internationaux, ou même la mauvaise foi subjective »346 . mais c’est également en 2001 qu’une tendance inverse commença à se dessiner, avec l’affaire pope & talbot. le tribunal déclara : « … the tribunal interprets article 1105 to require that covered investors and investments receive the benefits of the fairness elements under ordinary standards applied in the nafta countries, without any theshold limitation that the conduct complained of be ‘egregious’, ‘outrageous’ or ‘shocking’, or otherwise extraordinary.” 347 pour la première fois, un tribunal se plaçait donc du point de vue de l’investisseur (quel traitement l’investisseur est-il en droit d’attendre ?) et non plus exclusivement du point de vue de l’etat (quelles sont les limites du comportement que l’etat peut se permettre ?). l’accent n’était plus mis sur les caractères du comportement de l’etat mais sur les conditions 344 elsi, op. cit., §128. pour une discussion détaillée sur l’affaire elsi et le traitement juste et équitable, voir s. vasciannie, the fair and equitable treatment standard in international investment law and practice, b.y.i.l., vol. 70, 1999, pp. 134-137. 345 c’est en ces termes, en effet, que l’idée est exprimée dans la sentence s.d. myers, inc. v. government of canada, partial award, 13 november 2000, § 263: “ the tribunal considers that a breach of article 1105 occurs only when it is shown that an investor has been treated in such an unjust or arbitrary manner that the treatment rises to the level that is unacceptable from the international perspectives. that determination must be made in the light of the high measure of deference that international law generally extends to the right of domestic authorities to regulate matters within their own borders.” 346 alex genin and others v. republic of estonia, 25 june 2001, §367: “acts that would violate this minimum standard would include acts showing a wilful neglect of duty, an insufficiency of action falling far below international standards, or even subjective bad faith.” 347 pope & talbot v. canada, 10 april 2001, 7 icsid reports 102, §118.
193 de la satisfaction de l’investisseur. ce changement de perspective est déterminant pour la suite. il dénote une évolution du principe dans un sens de plus en plus favorable à l’investisseur. les tribunaux ultérieurs ayant à appliquer le standard de traitement juste et équitable sont tous allé dans cette même direction. ainsi, on peut lire dans la sentence mondev que : “to the modern eye, what is unfair or inequitable need not equate with the outrageous or the egregious. in particular, a state may treat foreign investment unfairly and inequitably without necessarily acting in bad faith.”348 on le voit, la teneur du principe a bien évolué puisque, d’un principe qui ne prohibait que mauvaise foi délibérée ou le traitement manifestement outrageant (affaire neer, supra), on est passé à un principe dont la violation ne requiert pas même la mauvaise foi de l’etat. c. contenu du principe : quelques éléments. formation d’un noyau dur du principe de traitement juste et équitable. aucun traité ne définissant le contenu du principe, il faut chercher celui-ci dans la jurisprudence et dans la doctrine. patrick juillard, en 1994, regrettait que : « pour l’instant, force est de constater que l’imprécision qui affecte des notions telles que le traitement juste et équitable, ou encore la pleine et entière protection et sécurité, ne fait que mettre en lumière l’incapacité où se sont trouvés les etats à donner un contenu à ces principes. »349 348 mondev international ltd v. united states of america, 11 october 2002 (icsid case no. arb(af)/99/2), §116. voir également les sentences tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. mexico, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2), §153 ; cms gas transmission company v. argentine republic, 12 may 2005 (icsid case no. arb/01/8), §280. 349 p. juillard, l’évolution des sources du droit international des investissements, rcadi, tome 250, p. 133.
194 peut-on aujourd’hui en dire autant ? la jurisprudence récente d’abord, la doctrine ensuite, attestent que la notion de traitement juste et équitable est sorti du flou intégral qui la caractérisait il y a dix ans, même si elle est encore loin d’être parfaitement claire. la jurisprudence. les arbitres ont fourni depuis une dizaine d’années un travail considérable pour préciser les contours de la notion de traitement juste et équitable. malgré les différences de formulation du principe d’un traité d’investissement à l’autre, on peut aujourd’hui identifier un certains nombre de points de concordance, voire un consensus, dans l’interprétation récente du principe par les tribunaux arbitraux350 – consensus qui concerne en particulier la référence quasi-systématique aux attentes légitimes des parties351 . en 2004, le tribunal qui rendait la sentence waste management inc. v. mexico résuma la jurisprudence antérieure de la manière suivante : “... a general standard for article 1105 is emerging. taken together, the s.d. myers, mondev, adf, and loewen cases suggest that the minimum standard of treatment of fair and equitable treatment is infringed by conduct attributable to the state and harmful to the claimant if the conduct is arbitrary, grossly unfair, unjust or idiosyncratic, is discriminatory and exposes the claimant to sectional or racial prejudice, or involves a lack of due process leading to an outcome that offends judicial impropriety -- as might be the case with a manifest failure of natural justice in judicial proceedings or a complete lack of transparency and candour in an administrative process. in applying this standard it is relevant that the treatment is in breach of representations 350 notamment dans les sentences s.d. myers inc. v. government of canada, uncitral rules, partial award 13 september 2000; mondev international ltd v. united states of america, 11 october 2002 (icsid case no. arb(af)/99/2) 6 icsid reports 192; loewen group, inc. and raymond l. loewen v. usa, 26 june 2003 (icsid case no. arb(af)/98/3) (disponible sur www.naftaclaims.com); adf group, inc. v. united states of america, 9 january 2003 (icsid case no. arb(af)/00/1) , 6 icsid reports 490 ; tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. the united mexican states, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2) (disponible sur le site internet du cirdi). 351 dans ce sens, v. i. tudor, the ‘fair and equitable treatment’ standard in the international law of foreign investment, op. cit., pp. 199-205.
195 made by the host state which were reasonably relied on by the claimant.” 352 la doctrine. la doctrine également semble concorder lorsqu’il s’agit d’énumérer les éléments qui constituent le noyau du principe353 . la liste, bien que non limitative, proposée par i. a. laird résume assez bien les conclusions tirées par les différents auteurs : “ failure of due process; breach of legitimate expectations; acting beyond the scope of lawful authority; discrimination, for example by intentionally favouring nationals over non-nationals; the intentional undermining of a claimant's investment. this might involve threats from government officials to close the investment down; arbitrariness, for example if a measure can be characterized as being made on the basis of irrelevant considerations.”354 conclusion. il semble donc que l’on puisse largement réduire les incertitudes sur le contenu de la notion en constatant que sont généralement comptés au nombre des règles entrant dans l’application du principe les éléments suivants : - obligation de protection. - obligation de diligence. - absence de déni de justice et d’arbitraire. - obligation de transparence. 352 sentence waste management inc. v. united mexican states, 30 april 2004 (icsid case no. arb(af)/00/3), §98. 353 voir c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, op.cit., p. 373 s. ; i. a. laird, mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile - recent developments in the fair and equitable treatment standard, transnational dispute management, 2004 (vol. 1 - issue 4, october 2004), p. 5 ; p. muchlinski, ‘caveat investor’ ? the relevance of the conduct of the investor under the fair and equitable treatment standard, iclq vol. 55, 2006, p. 530-531. 354 i. a. laird, mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile - recent developments in the fair and equitable treatment standard, op.cit., p. 5. dans le même sens, v. c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, op.cit., p. 373 s. ; i. tudor, the ‘fair and equitable treatment’ standard in the international law of foreign investment, florence (iue), thèse, 2006, p. 191 s.
196 - interdiction de l’abus de pouvoir. - interdiction des traitements discriminatoires, en particulier le traitement plus favorable des nationaux. - bonne foi. - violation des attentes légitimes. la protection des attentes légitimes constitue l’un des éléments du principe de traitement juste et équitable. la jurisprudence la plus récente a confirmé le rôle de la notion d’attente dans la définition du traitement juste et équitable. dans la sentence lg&e de 2006, par exemple, on peut lire que : “in addition to the state’s obligation to provide a stable legal and business environment, the fair and equitable treatment analysis involves consideration of the investor’s expectations when making its investment in reliance on the protections to be granted by the host state.”355 cependant, notons tout de suite que nous n’entendons pas, à la différence de certains auteurs, réduire la notion d’ « attente légitime » à cette seule dimension, en la qualifiant de « sous-catégorie » du principe de traitement juste et équitable356 . s’il n’est pas faux de dire qu’elle est l’expression de l’un des aspect de ce principe, il serait abusif de dire qu’elle n’est que cela. nous verrons, en effet, qu’elle intervient fréquemment dans des contextes où il n’est aucunement question du niveau de traitement de l’investisseur par l’etat. néanmoins, il apparaît évident, étant donné la fréquence avec laquelle la protection des attentes légitimes est invoquée par les arbitres au titre du respect de ce principe, qu’elle en constitue l’un des éléments. 355 lg&e energy corp. v. the argentine republic, 3 october 2006 (icsid case no. arb/02/1), §127. 356 th. wälde, seperate opinion in the arbitration under chapter xi of the nafta and the uncitral arbitration rules: thunderbird ./. mexico, § 37: “one can observe over the last years a significant growth in the role and scope of the legitimate expectation principle, from an earlier function as a subsidiary interpretative principle to reinforce a particular interpretative approach, to its current role as a self- standing subcategory and independent basis for a claim under the “fair and equitable standard” as under art. 1105 of the nafta.”
197 c’est donc à la place de la notion d’ « attente légitime » au sein du principe de traitement juste et équitable que nous allons nous intéresser de plus près maintenant. section 2 : l’ « attente légitime », élément déterminant du principe de traitement juste et équitable. nous venons de le voir, la protection des attentes légitimes constitue l’un des éléments du traitement juste et équitable tel que la jurisprudence et la doctrine en ont défini les contours ces dernières années. mais n’est-il pas permis d’aller plus loin et d’affirmer, comme certains arbitres, qu’il s’agit de l’élément central du principe ? dans la sentence saluka, rendue en 2006, par exemple, le tribunal a estimé que : “the standard of “fair and equitable treatment” is therefore closely tied to the notion of legitimate expectations which is the dominant element of that standard.” 357 s'il est sans doute encore trop tôt pour affirmer que l’observation de l’obligation de traitement juste et équitable se traduit d’abord et avant tout par le respect des attentes légitimes de l’investisseur, force est de constater que cette notion intervient très souvent, et même quasiment systématiquement dans les sentences rendues depuis l’année 2000. nous nous intéresserons à la complexité des rapports entre les notions de traitement juste et équitable et d’attente légitime (§1), avant de voir comment l’on peut délimiter le spectre des attentes dont on parle dans le contexte du traitement juste et équitable (§ 2). 357 saluka investments v. the czech republic, 17 march 2006, § 302 (c’est nous qui soulignons).
198 §1.- rapports entre traitement juste et équitable et protection des attentes légitimes. les rapports que ces deux notions entretiennent sont complexes. une étude approfondie des sentences qui font appel à la notion d’attente légitime révèle une grande hétérogénéité dans son utilisation. nous allons voir que, si l’on peut – et selon nous, l’on doit – considérer la relation qu’elles entretiennent comme une relation à sens unique, telle que nous l’avons envisagée jusqu’à présent (la protection de l’attente légitime comme l’une des expressions du traitement juste et équitable), la notion d’ « attente légitime » est utilisée dans certains cas pour renvoyer à celle de traitement juste et équitable, donnant à cette relation une seconde dimension (b). cependant, avant d’en venir à ce question, voyons dans quelle mesure on peut considérer que la notion d' « attente légitime » est – beaucoup plus que l’un des éléments du principe – la notion centrale du principe de traitement juste et équitable (a). a. l’attente légitime, élément structurant du traitement juste et équitable ? jurisprudence plaçant la notion d’ « attente légitime » au centre du traitement juste et équitable. la sentence saluka, précitée, n’est pas la première à considérer expressément la notion d’attente légitime comme le cœur du standard du traitement juste et équitable. la sentence tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. mexico de 2003 fournit une bonne illustration de la place centrale généralement attribuée à la protection des attentes légitimes au sein de ce principe. le tribunal introduit sa conception du principe de traitement juste et équitable de la manière suivante :
199 “ the arbitral tribunal considers that this provision of the agreement, in the light of the good faith principle established by international law, requires the contracting parties to provide to international investments treatment that does not affect the basic expectations that were taken into account by the foreign investor to make the investment.”358 comme dans la sentence saluka, le tribunal place donc la protection des attentes légitimes au départ de la définition du principe de traitement juste et équitable. il ne fait intervenir les autres éléments de ce dernier (en l'occurrence l’obligation de cohérence et de transparence) que par l’intermédiaire celui-là : “the foreign investor expects the host state to act in a consistent manner, free from ambiguity and totally transparently in its relations with the foreign investor, so that it may know beforehand any and all rules and regulations that will govern its investments, as well as the goals of the relevant policies and administrative practices or directives, to be able to plan its investment and comply with such regulations.”359 rapport entre l’« attente légitime » et les autres élément du principe de traitement juste et équitable. le tribunal envisage donc différents cas de figure de déception des attentes légitimes de l’investisseur. il peut selon lui s’agir d’abord des attentes créées par les déclarations ou les comportements de l’etat d’accueil. mais le tribunal considère également que l’investisseur a toute une série d’attentes légitimes définissables a priori : attente d’un comportement cohérent de l’etat, attente d’un comportement transparent et dépourvu d’ambiguïté, et enfin attente d’un comportement non- arbitraire. or ces éléments sont précisément les autres éléments du principe de traitement juste et équitable. il semblerait que, selon le tribunal, ces éléments n’interviennent que par l’intermédiaire de la notion d’attente légitime : c’est parce que l’investisseur peut légitimement s’attendre à être traité de manière 358 sentence tecmed, op.cit., §154. 359 ibid. (c’est nous qui soulignons).
200 non-discriminatoire que le principe de traitement juste et équitable interdit un tel traitement. admettons que le raisonnement est étonnant : pourquoi passer par la notion d’attente légitime pour affirmer que l’etat a une obligation de cohérence, de transparence et de non-arbitraire ? la sentence lg&e de 2006 nous semble à cet égard plus intelligible : l’attente légitime y est présentée, non plus comme l’intermédiaire entre le principe de traitement juste et équitable et ses différents éléments constitutifs, mais comme la finalité de ces différents éléments. les obligations imposées à l’etat se justifieraient par le souci de ne pas décevoir les attentes légitimes des parties : “thus, this tribunal, having considered, as previously stated, the sources of international law, understands that the fair and equitable standard consists of the host state’s consistent and transparent behavior, free of ambiguity that involves the obligation to grant and maintain a stable and predictable legal framework necessary to fulfill the justified expectations of the foreign investor.”360 ici, la conception du tribunal est claire : les différents éléments énumérés se justifient tous par le fait qu’ils sont jugés nécessaires à la satisfaction des attentes justifiées de l’investisseur étranger. risque d’ambiguïté. remarquons que ces utilisations variables de la notion d’attente légitime peuvent prêter à une certaine confusion, puisque l’ « attente légitime », d’une part fait partie du contenu matériel du principe, et d’autre part joue le rôle d’intermédiaire entre les différents autres éléments. selon les sentences citées, le traitement juste et équitable ne serait autre que celui qui satisfait les attentes légitimes de l’investisseur. le critère de l’attente légitime serait une sorte de « critère carrefour », par l’intermédiaire duquel interviendrait les autres critères du traitement juste et équitable. n’est ce pas là soit une vision trop réductrice du principe, soit une conception trop extensive de la notion d’ « attente légitime » ? on peut donc se demander s’il ne vaudrait pas mieux cantonner la 360 lg&e energy corp. v. the argentine republic, 3 october 2006 (icsid case no. arb/02/1), §131.
201 notion d’attente légitime à l’une des fonctions qu’on veut lui faire jouer, faisant de la relation entre elle et la notion de traitement juste et équitable une relation à sens unique. c'est à cette question que nous allons nous intéresser à présent. b. attente légitime et traitement juste et équitable, une relation à sens unique. sens originel de la notion. il semblerait qu’en réalité, afin de préserver la force de la notion d’attente légitime, il faille se limiter à une conception uni-dimensionnelle de celle-ci. elle est en principe utilisée, en relation avec le principe de traitement juste et équitable, pour en préciser le contenu : traiter de manière juste et équitable, c’est, entre autres, satisfaire les attentes que l’etat a créé chez l’investisseur. c’est là à notre avis le sens originel de la notion, auquel il faudrait la cantonner, faute de quoi elle risque de perdre toute sa spécificité, et donc son utilité. utilisation « abusive » de la notion. cependant, on observe que la notion d’ « attente légitime » est parfois employée dans un sens différent, et à notre avis abusif. certains, nous allons le voir, l’utilisent en effet pour expliquer que, en vertu du principe de traitement juste et équitable, l’investisseur a à l’égard de l’etat d’accueil une attente légitime (ou encore attente fondamentale ou raisonnable) de transparence, de non-arbitraire, de non-discrimination etc… si ces affirmations ne sont pas fausses, elles font un usage de la notion d’ « attente légitime » qui en appauvrit le sens. dire que l’investisseur a une attente légitime de transparence ou de non-discrimination, cela revient en effet à dire qu’il a une attente légitime d’être traité de manière juste et équitable. or cela est évident, puisque l'etat d’accueil, en ratifiant le traité d’investissement applicable, a souscrit une obligation de traiter tous les
202 investisseurs ressortissants des autres etats parties de manière juste et équitable. parfois même, les tribunaux n’hésitent pas à affirmer que l’investisseur a une attente légitime d’être traité de manière juste et équitable361 . on ne peut que souligner le caractère tautologique d’une telle affirmation. a notre sens, la notion d’attente légitime ne devient intéressante que quand elle vient préciser le sens de l’obligation de traitement juste et équitable, autrement dit lorsqu’elle interdit, au titre du traitement juste et équitable, les comportements contradictoires de l’etat d’accueil portant préjudice à l’investisseur. lorsqu’elle se contente, au contraire, de renvoyer à d’autres éléments du traitement juste et équitable ou à ce principe lui-même, elle apparaît inutile, puisqu’elle n’apporte rien en plus de ce que le principe de traitement juste et équitable dit déjà. exemples tirés de la doctrine et de la jurisprudence. citons quelques exemples de cette utilisation abusive de la notion d’attente légitime. on peut lire dans le document de travail diffusé par l’ocde intitulé la norme du traitement juste et équitable dans le droit international des investissements, à propos de la sentence tecmed : « le tribunal a estimé que l’obligation de traitement juste et équitable est une expression et un élément du principe de la bonne foi admis en droit international, bien que – citant l’affaire mondev – la violation de ce principe n’exige pas nécessairement que soit établie la mauvaise foi de l’etat. ce principe englobe les attentes fondamentales de l’investisseur, à savoir recevoir de l’etat hôte un traitement transparent et cohérent, c’est-à-dire non arbitraire, correspondant à ce qu’un observateur neutre considérerait comme juste et équitable. » 362 dans la sentence tecmed elle-même, on peut lire que : 361 cf. p. suivante, notamment les sentences metalclad et saluka. 362 c.yannaca-small, la norme du traitement juste et équitable dans le droit international des investissements (documents de travail sur l’investissement international, no. 2004/3, ocde), p. 41 (disponible sur http://www.oecd.org/dataoecd/13/49/34327194.pdf).
203 “the foreign investor expects the host state to act in a consistent manner, free from ambiguity and totally transparently in its relations with the foreign investor, so that it may know beforehand any and all rules and regulations that will govern its investments, as well as the goals of the relevant policies and administrative practices or directives, to be able to plan its investment and comply with such regulations.”363 on peut citer également la sentence metalclad : « the totality of these circumstances demonstrates a lack of orderly process and timely disposition in relation to an investor of a party acting in the expectation that it would be treated fairly and justly in accordance with the nafta. »364 on retrouve cette utilisation de la notion dans la sentence saluka, lorsque le tribunal rappelle la prétention du demandeur, selon laquelle celui-ci aurait une attente légitime de non-discrimination : “the claimant contends that the czech government has frustrated this expectation by excluding ipb from the financial assistance provided to ipb’s competitors. this discriminatory treatment is said to have been unpredictable.”365 le tribunal reprend lui-même un peu plus loin cette notion dans ce sens : “having said this, the tribunal also emphasises that the host state, in providing state aid, is clearly bound not to frustrate an investor’s legitimate and reasonable expectation to be treated fairly and equitably.366 ” dans les différents passages cités, on distingue semble-t-il deux cas de figure : soit la notion d’ « attente légitime » renvoie directement à celle de traitement juste et équitable (attente d’être traité de manière juste et 363 sentence tecmed, op.cit., § 154. 364 sentence metalclad, op.cit., § 99. 365 sentence saluka, op.cit., § 352. 366 sentence saluka, op.cit., § 446.
204 équitable), soit elle renvoie à une notion qui découle elle-même directement du principe de traitement juste et équitable (par exemple, attente légitime d’être traité de manière non-discriminatoire). nécessité de conserver l’ « unidimensionalité » du rapport entre « attente légitime » et traitement juste et équitable. cette utilisation de la notion en appauvrit le sens parce qu’elle la réduite à un rôle d’articulation entre le principe de traitement juste et équitable et ses éléments. or l’intérêt de la notion va beaucoup plus loin que cela. elle contribue à préciser le contenu du principe de traitement juste et équitable car elle en constitue elle-même l’un des éléments constitutifs : pour un etat, traiter un investisseur étranger de manière juste et équitable signifie, entre autres, agir de manière conforme aux attentes légitimes de ce dernier, faute de quoi l’etat engage sa responsabilité. à condition que l’on soit en mesure de préciser ce que l’on entend par « attente légitime », cette utilisation de la notion constitue un pas significatif dans le sens de l’élucidation du contenu de l’obligation de traitement juste et équitable. dire que l’investisseur s’attend à ce que l’etat agisse de manière cohérente, en revanche, n’apporte rien, puisque cela revient en réalité à dire que l’investisseur s’attend à ce que l’etat d’accueil respecte ses attentes légitimes. lorsque la notion est utilisée dans l’un de ces sens à notre avis abusifs, soit elle conduit à une sorte de cercle vicieux dans lequel les notions de traitement juste et équitable et d’attente légitime renvoient sans cesse l’une à l’autre, soit elle est inutile, renvoyant à une notion découlant elle-même directement du traitement juste et équitable. on peut résumer cela par le schéma suivant, les flèches rouges représentant les utilisations abusives de la notion.
205 traitement protection des attentes de juste et equitable attentes légitimes quoi ? non-discrimination, transparence, etc… l’utilisation de la notion d’ « attente légitime » telle que nous nous y intéressons, au contraire, pourrait être schématisée de la manière suivante : traitement protection des interdiction faite à juste et attentes légitimes l’etat de décevoir les equitable attentes créées par son comportement.
206 §2.- nature des attentes protégées dans le cadre du traitement juste et équitable : attentes créées par l'etat d’accueil. a présent que nous savons l’importance de la notion d’attente légitime au sein du standard du traitement juste et équitable, nous pouvons nous tourner vers l’élucidation de cette notion mystérieuse. on ne saurait imaginer, en effet, de notion plus vague que celle d’ « attente légitime ». certes, nous avons définit dans notre chapitre introductif les grandes lignes de ce qu’il faut entendre par « attente légitime ». cependant, rien ne nous permet de dire, pour l’instant, dans quels cas les arbitres sont disposés à considérer quelles attentes comme légitime. avant de nous intéresser aux critères de la légitimité de l’attente dans des cas concrets, observons une double restriction quant à la nature des attentes que les tribunaux sont disposés à prendre en compte : la première tient à la manière dont elle sont générées, c'est-à-dire à leur origine (a) et la deuxième à leur contenu (b). a. origine de l’attente. identification des attentes protégées : attentes créées par l’etat d’accueil. tout d’abord, les arbitres ne se montrent jamais indifférents à la source des attentes considérées. il n'est pas question que les attentes invoquées sortent de nulle part : les attentes protégées dans le cadre de l’application du traitement juste et équitable sont en principe des attentes créées ou encouragées par l’etat d’accueil. si cette règle n’est énoncée dans aucun texte, c’est l'étude de la jurisprudence, notamment la jurisprudence très récente, qui incite à tirer cette conclusion. la plupart des sentences, en effet, mentionnent les « representations » (affirmations), « commitments » (engagements), ou
207 « assurances » (promesses) de l’etat qui sont à l’origine des attentes prises en considération. dans la sentence waste management, le tribunal mettait l’accent sur le fait que : “in applying [the fair and equitable treatment] standard it is relevant that the treatment is in breach of representations made by the host state which were reasonably relied on by the claimant.”367 cependant, certains tribunaux se contentent de se référer aux attentes suscitées par la « conduite » ou le « comportement » de l’etat d’accueil, laissant entendre que des déclarations ne sont pas nécessaires pour qu’une attente légitime soit créée. c’est le cas du tribunal ayant rendu en 2006 la sentence thunderbird : “…the concept of “legitimate expectations” relates, within the context of the nafta framework, to a situation where a contracting party’s conduct creates reasonable and justifiable expectations on the part of an investor…”368 de même, i. laird a noté dans un commentaire de la sentence mtd369 que : “the common element between the awards of the tribunals in waste management, tecmed and mtd is the emphasis on legitimate expectations and the reliance placed by investors on assurances made by governments.”370 le champ des attentes considérées au titre de l’application du principe de traitement juste et équitable est donc limité à celles qui sont 367 waste management inc. v. united mexican states, 30 april 2004 (icsid case no. arb(af)/00/3), §98 (c’est nous qui soulignons). 368 international thunderbird gaming corporation v. the united mexican states, 26 january 2006, §147 (c’est nous qui soulignons). 369 mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile, 25 may 2004 (icsid case no. arb/01/7). 370 i. a. laird, mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile - recent developments in the fair and equitable treatment standard, transnational dispute management, 2004 (vol. 1 - issue 4, october 2004), p. 7.
208 suscitées par l’etat d'accueil de l’investissement, que ce soit par ses déclarations ou par son comportement371 . b. objet de l’attente. les attentes prises en compte sont-elles également limitées à raison de leur objet ? les tribunaux aiment à rappeler que les règles de traitement de l’investisseur concernent la conduite de l’etat à l’égard de celui- ci, comme ici dans la sentence lauder : “anyway, this obligation [to provide fair and equitable treatment] is concerned with the conduct of the state, not with the results of the investments. therefore, the fact that the investor loses money does not indicate that the state has breached the obligation to provide fair and equitable treatment.”372 on peut être tenté de penser que les attentes doivent, par conséquent, porter sur cette conduite pour être prises en compte dans le cadre de la question du traitement juste et équitable. bornons nous à constater que, dans les principales sentences pertinentes en la matière, notamment les sentences metalclad, cme, et oepc citées plus loin, les attentes portaient effectivement sur le comportement futur de l’etat. cependant, rien ne permet a priori de limiter la notion d’ « attente légitime » dans ce sens. 371 nous n’entrerons pas dans le détail de la question de savoir dans quelle mesure les émanations de l’etat engagent la responsabilité de celui-ci (c'est-à-dire dans quelle mesure les agissements de personnes publiques sont imputables à l’etat). cette question, en effet, n’a rien de spécifique à notre sujet et mériterait qu’on y consacre des développements trop long au regard de l’objet de la présente étude. pour des développement sur le sujet, nous renvoyons à ch. leben, la théorie du contrat d’etat et l’évolution du droit international des investissements, rcadi 2003 (tome 302), n° 342 et s. ; e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, pp. 644 s. 372 ronald s. lauder v. the czech republic, 3 september 2001, §291.
209 chapitre 2 : modalités de protection de l’attente légitime au titre du traitement juste et équitable. l’arbitre saisi d’une réclamation pour violation par l’etat d’accueil du principe de traitement juste et équitable est confronté à une tâche délicate, vu l’imprécision de la notion. nous l’avons vu, la notion d’attente légitime a fortement contribué ces dernières années à préciser le contenu de ce principe. l’arbitre a donc été amené à l’utiliser de plus en plus fréquemment pour motiver sa décision. encore faut-il s’intéresser à la question de savoir comment l’arbitre l’utilise. complexité de la question. dans certains cas, la légitimité de l’attente de l’investisseur ne pose que peu de problèmes : c’est le cas par exemple de l’attente créée par une promesse de l’etat d’accueil en marge de la négociation d’un contrat avec l’investisseur. la légitimité de l’attente, si elle n’est certes pas tirée du texte du contrat, se justifie par la confiance créée par les déclarations de l’etat d’accueil, selon un mécanisme très proche de ce que nous avons pu voir en droit public allemand, anglais, ou communautaire. cependant, dans d’autres cas, l’appréciation de la légitimité des attentes créées se révèle beaucoup plus problématique. par exemple, l’etat qui se prévaut d’une législation favorable pour attirer sur son territoire un investissement crée, sans pourtant faire de promesse, une attente chez l’investisseur : on peut penser que celui-ci s’attendra à ce que cette législation soit maintenue. méthode d’analyse. partant de cette observation nous procéderons à une analyse allant du degré le plus évident de la légitimité à son degré le plus problématique. nous verrons donc pour commencer comment
210 sont protégées les attentes créées explicitement, par des déclarations claires de l’etat (section 1). ce n’est qu’ensuite que nous nous intéresserons au cas plus problématique : celui des attentes créées implicitement, c'est-à-dire par des déclarations ou comportements ambiguës, voir par le silence ou l’inaction de l’etat d’accueil (section 2). section 1 : la protection des attentes créées explicitement : l’interdiction faite à l’etat d’accueil de se contredire au détriment de l’investisseur. si l’etat crée chez l’investisseur des attentes, c’est d’abord par ses déclarations. nous entendrons par là non seulement les déclarations à proprement parler, qu’elles soient orales ou écrites, mais également les comportements suffisamment explicites et dépourvus d’ambiguïté pour être assimilés à des déclarations (l’élément déterminant étant la transmission d’un message clair par l’etat d’accueil à l’investisseur). de plus, il convient de préciser que les déclarations auxquelles nous nous intéressons ne sont pas celles qui sont dans le contrat, puisque, nous l’avons vu373 , la notion d’attente légitime telle que nous la traitons ne recouvre pas les attentes créées par les clauses du contrat. au titre de l’obligation de traitement juste et équitable, les tribunaux sanctionnent l’etat d’accueil lorsque celui-ci déçoit les attentes qu’il a créées par ses déclarations. autrement dit, on sanctionne les comportements contradictoires de l’etat, on lui impose une obligation de cohérence dans son attitude vis-à-vis de l’investisseur374 . celui-ci doit ainsi pouvoir agir en fonction des messages que lui transmettent les autorités publiques de l’etat 373 supra, p. 19s. 374 c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, the journal of world investment & trade, 2005, p. 374 : “a reversal of assurances by the host state which have led to legitimate expectations will violate the principle of fair and equitable treatment.”
211 dans lequel il investit, sans devoir adopter une attitude de méfiance systématique. la question. cependant, bien entendu, toutes les déclarations de l’etat d’accueil ne donnent pas naissance à des attentes dignes de protection. par quelles déclarations l’etat peut-il créer des attentes qui, bien que n’ayant pas pour origine la lettre du contrat, sont considérées comme devant être protégées pendant l’exécution de celui-ci ? pour répondre à cette question, nous opérerons une distinction temporelle. il semble en effet que, par l’intermédiaire de la « doctrine de l’attente légitime »375 , on impose à l’etat d’accueil un obligation de cohérence qui s’étend de la phase de négociation de l’investissement jusqu’à la fin de la vie de celui-ci. pourtant, on ne peut traiter de la même façon des déclarations intervenues entre partenaires contractuels potentiels, c'est-à-dire avant que les partenaires fussent engagés dans une relation contractuelle, et celles intervenues lorsque cette relation est déjà bien établie. la nature de la relation entre partenaires commerciaux, en effet, a une incidence sur les conséquences juridiques de leurs déclarations. ajoutons que l’attente créée à un stade avancé de l’exécution du contrat n’aura en principe pas le même poids (sur l’action de l’investisseur) que celle qui intervient dès le stade des négociations, avant la décision d’investissement. subdivisions possibles. on pourrait donc être tenté de distinguer entre attentes créées avant la conclusion du contrat, d’une part, et celles qui sont créées une fois le contrat déjà conclu, d’autre part. pourtant, à cette distinction nous en préférerons une autre : nous distinguerons entre attentes créés avant ou après l’opération constituant l’investissement. si les deux distinctions possibles coïncident souvent – la conclusion d’un contrat avec l’etat d’accueil constituant l’opération déterminante d’investissement – 375 expression inspirée de l’anglais ( « doctrine of legitimate expectations ») que nous utiliserons par simple commodité, plutôt que de parler systématiquement de « protection des attentes légitimes »).
212 ce n'est pas toujours le cas. certes, l’investissement consiste toujours en une forme d’accord entre investisseur et autorités de l'etat d’accueil. mais une analyse de certaines situations illustre le fait qu’on ne peut pas toujours réduire la décision d’investissement à la conclusion d’un seul contrat, mais plutôt à la réalisation d’un certain nombre d’opérations qui rentrent dans la formation d’un contrat complexe. il arrive même que l’investissement ne passe pas par la conclusion d’un contrat avec l’etat d’accueil, mais avec une personne privée ressortissante de cet etat. la relation entre investisseur et etat d’accueil est alors en réalité extra-contractuelle. parler alors de périodes antérieure et postérieure à la conclusion du contrat ne permet pas toujours de rendre compte de la réalité ; on devra souvent se poser la question de savoir de quel contrat on parle. en revanche, il apparaît généralement possible de déterminer quelle opération (généralement, mais pas toujours, un contrat avec l’etat d’accueil) constitue l’acte d’investissement, c'est-à-dire après la survenance duquel on peut dire que l’investisseur a investit. de plus, le fait que l’investisseur ait ou non déjà réalisé l’opération d’investissement au moment où une déclaration de l’etat crée chez lui une attente, nous le verrons, est celui qui a l’incidence la plus directe sur le caractère légitime ou non de l’attente. distinguons donc entre attentes créées avant l’opération d'investissement (§1) et attentes générées une fois l’investissement déjà réalisé (§2). §1.- respect des attentes créées avant l’opération d’investissement. un problème similaire à celui étudié dans l’ordre interne. dans tous les systèmes nationaux étudiés, nous l’avons vu, il existe des mécanismes et des notions dont la fonction est de ménager la confiance suscitée par l’un des partenaires contractuels dans le chef de l’autre. une telle confiance est souvent créée dès la phase de négociation du contrat. ces
213 mécanismes ont pour but de sanctionner les déclarations et comportements trompeurs qui peuvent intervenir avant la conclusion du contrat et inciter le partenaire des négociations à contracter. ils visent à sanctionner les comportements créant des attentes qui ne seront pas satisfaites (soit parce que ce sont des déclarations non conformes à la réalité, soit parce que ce sont des promesses non tenues). la jurisprudence française sur les documents publicitaires en fournit un parfait exemple376 . l’etat et l’investisseur qui s’apprêtent à investir sur le territoire de celui-ci se trouvent dans une situation analogue à celle des futurs contractants en phase de négociation dans l’ordre interne. l’etat, désireux d’attirer chez lui l’investisseur, fera un certain nombre de déclarations, une sorte de « publicité » pour son pays. il pourra, par exemple, se prévaloir du caractère favorable aux investisseurs étrangers de sa législation, etc. l'investisseur, lui, cherche avant tout à savoir si le territoire de l’etat en question est un environnement propice à l’opération qu’il envisage, il pèse le pour et le contre des risques et des avantages. ni l’etat ni l’investisseur ne sont encore engagés l’un envers l'autre, mais les déclarations de l’etat sont déterminantes dans la décision que prendra l’investisseur d’investir ou non. disposant souvent de peu d’informations sur un pays qu’il connaît mal, ce dernier n’aura d’autre choix que de se fier, au moins dans une certaine mesure, aux déclarations des autorités publiques de cet etat. c’est principalement pour protéger ce type d’attentes que la notion d’ « attente légitime » est utilisée en droit international des investissements. mais à partir de quand une déclaration est-elle suffisamment claire et suffisamment formelle pour donner lieu à une attente digne de protection ? de quel type de déclarations s’agit-il ? quelles déclarations sont identifiées comme de nature à créer des attentes qu’il serait injuste de décevoir ? afin de comprendre exactement comment la notion d’ « attente légitime » est utilisée dans ce contexte, nous présenterons d’abord les 376 cf. supra, p. 130s.
214 principales sentences arbitrales établissant le principe d’une protection de telles attentes (a), pour analyser ensuite les conditions de leur protection (b). a. le principe. plus encore, peut-être, que les droits internes, le droit international des investissements attache une grande importance aux déclarations qui entourent les négociations pré-investissement. ces déclarations apparaissent souvent comme déterminantes pour la vie de celui- ci, alors même qu’elles ne seront pas par la suite intégrées à une convention juridique sous forme de stipulations. bien que n’apparaissant dans le texte d’aucun contrat, elles peuvent en effet créer une certaine confiance chez l’investisseur, confiance qui mérite d’être protégée. en effet, l’investisseur n’est-il pas en droit de s’attendre à ce que ce genre de promesses soient tenues, surtout si elles ont été déterminantes dans sa décision d’investir ? la jurisprudence. les sentences arbitrales faisant intervenir la notion d’ « attente légitime » pour protéger les expectatives de l’investisseur créées par l’etat avant l’opération d’investissement sont nombreuses. ainsi, dans la sentence cme, le tribunal décida que : « [the government] breached its obligation of fair and equitable treatment by evisceration of the arrangements in reliance upon [which] the foreign investor was induced to invest. »377 il considéra donc que l’etat d’accueil était responsable d’une violation du traitement juste et équitable, du fait que celui-ci n’avait pas tenu certaines de ses promesses faites en marge des négociations du contrat, promesses sur lesquelles l’investisseur s'était fondé pour décider d’investir. 377 sentence cme czech republic b.v. v. czech republic, uncitral rules, partial award 11 september 2001, § 611.
215 mais ce tribunal n’était pas le premier à appliquer une telle règle. par cette décision, le tribunal faisait application d’un principe que l’on trouve pour la première fois énoncé de manière claire dans la sentence metalclad de 2000. selon ce principe, l’etat d’accueil est tenu de ne pas décevoir les attentes créées par lui chez l’investisseur, et sur lesquelles celui-ci s’est fondé pour réaliser son investissement. examinons de plus près les sentences les plus illustratives. l’affaire metalclad c. mexique378 . rappelons brièvement les faits de l’affaire. en 1993, la société de droit américain metalclad envisagea l’acquisition de la société mexicaine coterin, qui venait d’obtenir des autorités mexicaines une autorisation pour la construction d’une usine de retraitement de déchets industriels dans la commune de guadalcazar. suite à une série de déclarations que lui adressèrent les autorités mexicaines (qui lui assuraient notamment que tous les permis nécessaires à la construction de l’usine étaient acquis), metalclad leva l’option de la promesse de vente qu’elle avait contracté et commença à construire l’usine. très vite, pourtant, la commune de guadalcazar mit des obstacles à la construction et ordonna la cessation des travaux pour défaut de permis de construire municipal. metalclad, sur le conseil des autorités fédérales mexicaines, et après avoir reçu de celles-ci l’assurance qu’elle possédait toutes les autorisations nécessaires et que la commune ne pouvait lui refuser le permis de construire, continua néanmoins la construction. une fois les travaux terminés, metalclad fut empêché par des manifestants d’inaugurer et d’exploiter l’usine. ce n’est qu’après des mois de négociations que l’exploitation put commencer, mais les autorités communales poursuivirent 378 metalclad corporation v. the united mexican states, 30 august 2000 (icsid case no. arb(af)/97/1).
216 leurs efforts pour empêcher l’exploitation. elles refusèrent d’accorder le permis et prononcèrent une injonction interdisant l’exploitation du site. metalclad attaqua l’etat mexicain pour violation du traitement juste et équitable. le tribunal considéra que la conduite du mexique constituait une violation du principe de traitement juste et équitable. il se fonda pour cela sur les différentes déclarations émanant des autorités mexicaines. elles avaient eu, selon lui, pour effet de convaincre metalclad d’acquérir la société coterin, acte constitutif de son investissement : “when metalclad inquired, prior to its purchase of coterin, as to the necessity for municipal permits, federal officials assured it that it had all that was needed to undertake the landfill project.”379 puis: “in addition, metalclad asserted that federal officials told it that if it submitted an application for a municipal contruction permit, the municipality would have no legal basis for denying the permit anf that it would be issued as a matter of course.”380 il constata que ces déclarations avaient créé chez metalclad l’attente selon laquelle, s’il décidait d’investir en acquérant coterin, il n’y aurait aucun obstacle à la construction de l’usine, puisque tous les permis nécessaires à la construction étaient acquis ou que rien ne pouvait s’opposer à leur obtention : “metalclad was led to believe, and did believe, that the federal and state permits allowed for the construction and operation of the landfill.”381 379 sentence metalclad, § 80. 380 sentence metalclad, § 88. 381 sentence metalclad, § 85.
217 motivé par ces déclarations et ces promesses répétées selon lesquelles toutes les conditions étaient réunies pour qu’il puisse mener à bien son projet d’investissement, metalclad décida donc d’investir : “relying on the representations of the federal government, metalclad started constructing the landfill.”382 en mettant par la suite des obstacles à l’acquisition des permis nécessaires, les autorités mexicaines se comportèrent de manière contradictoire. elles frustrèrent les attentes de metalclad, qui étaient légitimes, puisqu’elles émanaient directement des déclarations répétées du mexique. cette frustration constituait donc selon le tribunal une violation du principe de traitement juste et équitable : “in following the advice of these officials, and filing the municipal permit application on november 15, 1994, metalclad was merely acting prudently and in the full expectation that the permit would be granted.”383 … “… the acts of the state and the municipality – and therefore the acts of mexico – fail to comply with or adhere to the requirements of nafta, article 1105(1) that each party accord to investments of investors of another party treatment in accordance with international law, including fair and equitable treatment.”384 l’affaire cme c. république tchèque385 . le principe énoncé dans metalclad fut notamment confirmé un an plus tard par la sentence cme c. république tchèque, bien que le tribunal ne se soit jamais référé explicitement à metalclad (sauf dans le contexte de l’expropriation indirecte, qui ne nous intéresse par pour le moment). 382 sentence metalclad, § 87. 383 sentence metalclad, § 89. 384 sentence metalclad, § 100. 385 cme czech republic b.v. v. czech republic, uncitral rules, partial award 11 september 2001.
218 rappelons brièvement les faits de l’affaire cme. mr. lauder, un homme d’affaire américain, investit, par l’intermédiaire d’entreprises allemande et hollandaise (cedc et cme) dans lesquelles il détenait une part majoritaire, dans une licence de télévision tchèque. il réalisa cet investissement conjointement avec un homme d’affaire tchèque, mr. zelezny. les conditions d’exploitation de la licence de télévision étaient définies et réglementées par une autorité publique, le « czech media council ». l’investissement se révéla être un grand succès, mais les relations entre les investisseurs étrangers (lauder, cme, cedc) et mr. zelezny finirent par se dégrader. de plus, le « czech media council », après quelques temps, changea de politique, en particulier quant à la forme de l’investissement (nature des contrats, joint-venture avec des partenaires tchèques, etc…). ces changements se révélèrent préjudiciables aux investisseur étrangers, dont les attentes de stabilité des conditions initiales de l’investissement furent prétendument déçues. les réglementations devinrent de plus en plus favorables au partenaire tchèque, mr zelezny, de telle manière que les investisseurs étrangers furent petit à petit exclus de leur propre investissement. l’instrument principal du « czech media council » était son pouvoir de contrôle sur la délivrance et la prolongation des licences d’opération des chaînes de télévision. sans préciser quelles déclarations de l’etat d’accueil avaient créée chez cme des attentes dignes de protection, le tribunal considéra que : “the media council breached its obligation of fair and equitable treatment by evisceration of the arrangements in reliance upon [which] the foreign investor was induced to invest.”386 on constate ici encore – même si la formule ne s’appuie pas directement sur la notion d’ « attente légitime » – le lien direct établi par le tribunal entre violation du traitement juste et équitable et déception des 386 sentence cme, op.cit., § 611.
219 attentes créées par les déclarations de l’etat d’accueil. en effet, la violation découle du fait que les conditions promises par le « czech media council » (« arrangements »), destinées à inciter mr. lauder (« induce ») à investir et sur lesquelles ce dernier s’était effectivement appuyé (« in reliance upon which… ») – sous-entendu dans l’attente de leur permanence – pour décider d’investir, ont été retirées. l'attente légitime dont il s’agirait ici serait donc une attente de stabilité des conditions promises (plus ou moins formellement) pour attirer l’investisseur. c’est le même type d’attentes que l’on retrouve dans la sentence oepc. l’affaire oepc c. equateur387 . l'affaire oepc, enfin, concernait le changement par une autorité publique de l’etat d’accueil de sa politique concernant les remboursements des tva correspondant aux acquisitions réalisées par l’investisseur pour les besoins de son investissement388 . le tribunal admis, en se référant notamment à la sentence metalclad, l’argument de l’investisseur qui fondait la violation du traitement juste et équitable par les autorités equatoriennes sur la déception des attentes légitimes qui l’avait décidé à investir : “oepc is of the view that by revoking preexisting decisions that were legitimately relied upon by the investor to assume its commitments and plan its commercial and business activities, ecuador has frustrated oepc’s legitimate expectations on the basis of which the investment was made and has thus breached the obligation to accord it fair and equitable treatment.”389 le principe selon lequel la déception des attentes légitimes suscitées avant la réalisation de l’investissement constitue une violation du principe de traitement juste et équitable semble donc faire l’objet d’une « jurisprudence » relativement constante. il faut néanmoins se demander 387 occidental exploration and production company (oepc) v. ecuador, uncitral rules, final award, 1 july 2004 (lcia case no. un 3467). 388 pour un rappel plus détaillé des faits, cf. infra p. 299. 389 sentence oepc, § 181 (c’est nous qui soulignons).
220 quelles conditions doivent être réunies pour que les tribunaux considèrent qu’il en est ainsi dans le cas d’espèce. b. les conditions de la protection des attentes créées. suffit-il que l’attente soit créée par les déclarations ou la conduite de l’etat d’accueil pour qu’elle soit protégée ? quel est le degré de précision requis pour qu’une déclaration soit considérée comme créant une attente légitime ? dès la sentence metalclad, il apparaît que, pour que l’attente soit considérée comme légitime et, à ce titre, digne de protection, il faut la réunion de plusieurs éléments : - le caractère raisonnable de l’attente. - la suffisante précision des déclarations de l’etat. - le caractère déterminant de l’attente dans la décision d’investissement. - le dommage. en revanche, il semble que la légalité de l’acte qui est à l’origine de l’attente créée ne soit pas requise pour la rendre légitime. observons plus en détail chacune de ces conditions. caractère raisonnable de l’attente créée. suffit-il qu’une attente aie pour origine une déclaration de l’etat d’accueil pour qu’elle soit considérée comme légitime ? il transparaît clairement de la sentence metalclad que non390 . encore faut-il que l’attente soit raisonnable. une déclaration, en effet, peut entraîner toutes sortes d’attentes qui sont en réalité le fruit tant du fantasme de l’investisseur que du contenu réel de la 390 notamment au § 89.
221 déclaration. de telles attentes, qui sont purement subjectives, et relèvent plutôt de la simple espérance, du souhait, n’ont pas vocation à être protégées. l’adjectif « légitime » requiert ici de vérifier l’existence d’un lien objectif entre la déclaration et le contenu de l’attente. ainsi dans metalclad, le tribunal précise que : « metalclad was entitled to rely on the representations of federal officials and to believe that it was entitled to continue its construction of the landfill. in following the advice of these officials, and filing the municipal permit application on november 15, 1994, metalclad was merely acting prudently…”391 le tribunal tient donc a souligner que les attentes de l’investisseur découlaient directement et sans ambiguïté des conseils donnés par les autorités étatiques, et constituaient une réaction normale et prudente (« merely acting prudently »). on peut donc supposer que, lorsque la déclaration étatique concerne un état de fait, les tribunaux seront amenés à considérer que l’attente n’est digne de protection que dans la mesure où cet état de fait n’était pas vérifiable. à notre connaissance, aucun tribunal n’a encore eu l’occasion de formuler cette condition. il serait pourtant logique, à l’instar, par exemple, de la théorie français de l’apparence, qu’elle soit requise. la justification du fait que les déclarations créent des attentes légitimes ne réside-t-elle pas dans le fait que de telles déclarations créent une apparence à laquelle l'investisseur est obligé de se fier pour déterminer son action ? le degré de précision requis des déclarations. il découle de la première condition que seules les déclarations suffisamment précises et dépourvues d’ambiguïté sont susceptibles de produire des attentes légitimes (à moins de considérer, avec th. wälde notamment392 , que c’est à l’etat de supporter le risque des l’ambivalence des ses propres déclarations). la 391 metalclad, § 89. 392 sur la position duquel nous aurons l’occasion de revenir (cf. infra, notamment p. 236).
222 question est en réalité celle de savoir quelle est la marge d’interprétation dont bénéficie l’investisseur destinataire d’une déclaration étatique393 . dans l’affaire thunderbird394 , le demandeur s’était prévalu du principe énoncé dans la sentence metalclad. le tribunal, sans remettre en cause le principe, rejeta néanmoins sa demande, considérant que la lettre qui avait été adressée au demandeur par l’autorité publique mexicaine compétente était trop équivoque pour créer une attente légitime. c’était faire une interprétation trop large de cette lettre que d’en tirer une attente selon laquelle le mexique n’entreprendrait rien qui puisse entraver l’exploitation de l’investissement envisagé par thunderbird395 . caractère déterminant de l’attente créée. le deuxième élément que la sentence metalclad fait apparaître clairement est le suivant : afin d'être protégée, il faut que l'attente créée par l’etat d’accueil ait été déterminante dans la décision de l’investisseur d’investir. en d’autres termes, l’investisseur doit s'être fondé sur les déclarations en question pour investir : c’est ce qu’il faut comprendre lorsque les arbitres évoquent la « reliance » (v. notamment les passages cités plus hauts des sentences cme et oepc). ce critère est déterminant parce qu’il permet d’écarter les attentes, certes déçues, mais qui n’ont pas joué un rôle suffisamment important dans les décisions prises par l’investisseur. le dommage (ou « detriment »). se pose enfin la question de savoir si, pour entrer en compte dans la question de la violation du principe de traitement juste et équitable, la déception des attentes légitimes doit avoir causé un dommage à l’investisseur (en anglais « prejudice » ou « detriment »). 393 une autre façon de poser la question est de se demander quelle est l’allocation des risques de l’ambiguïté des déclarations de l’etat. nous reviendrons sur ce point plus bas, dans le cadre de l'étude des attentes créées par des déclarations équivoques, infra p. 232s. 394 sentence international thunderbird gaming corporation v. the united mexican states, uncitral rules, final award , 26 january 2006 (disponible sur www.naftaclaims.com). 395 il faut noter néanmoins la prise en compte d’un facteur aggravant. la lettre adressée au demandeur était une réponse à une lettre de celui-ci, dans laquelle il donnait des informations inexactes quant aux machines devant faire l’objet de l’exploitation.
223 le tribunal rendant la sentence metalclad prenait en compte, sans le dire explicitement, ce critère. il ne suffisait pas, pour que le tribunal considère l’attente comme digne de protection, que l’etat d’accueil ait créé une attente et que celle-ci ait été déterminante pour la décision d’investir. le tribunal mentionne le fait que l’investisseur avait acheté coterin dans le seul but de construire une usine ; ceci pour bien souligner que la frustration de son attente rendait son investissement dépourvu de toute raison d’être, réduisant tous ses efforts, financiers ou autres, à néant : “metalclad acquired coterin for the sole purpose of developing and operating a hazardous waste landfill in the valley of la pedrera, in guadalcazar, slp.”396 par la suite, le tribunal mentionne également le fait que metalclad avait déjà commencé à construire l’usine au moment où les travaux furent interrompus : manifestement les arbitres tenaient à souligner à quel point la société était déjà investie dans le projet, et la perte que constituait donc l’empêchement de mener le projet à bien. ce critère sera formulé plus clairement dans la sentence thunderbird. il faut toutefois noter que le tribunal énonce dans cette sentence un principe qui s’applique aussi bien aux attentes créées après la conclusion du contrat qu’à celles créées avant celle-ci. d’autre part, il envisage la question de la protection des attentes légitimes de manière autonome, sans préciser dans quel contexte (traitement juste et équitable ou expropriation indirecte)397 . “… the concept of “legitimate expectations” relates, within the context of the nafta framework, to a situation where a contracting party’s conduct creates reasonable and justifiable expectations on the part of an investor (or investment) to act in reliance on said conduct, such that a 396 sentence metalclad, § 77. 397 comme nous le verrons plus bas, la notion d’attente légitime semble être en voie d’autonomisation.
224 failure by the nafta party to honour those expectations could cause the investor (or investment) to suffer damages”.398 observons tout de même que le critère du dommage causé n’est pas pris en compte systématiquement. il convient donc d’en relativiser l’importance. l’etat peut-il se prévaloir de la nullité de l’acte qui est à l’origine de l’attente créée pour en contester le caractère légitime ? on posera enfin la question de savoir si, dans le cas où l’attente a été suscitée par un acte étatique illicite ou nul, l’attente doit être systématiquement considérée comme non digne de protection. le gouvernement égyptien, dans l’affaire spp v. egypt 399 , s’était prévalu du fait que certains de ses actes, qui avaient encouragé l’investisseur à investir, étaient nuls parce qu’en contradiction avec le caractère inaliénable du domaine public et parce qu’ils n’avaient pas été pris conformément aux procédures prévues par le droit égyptien. le tribunal rejeta cet argument et considéra que l’attente de l’investisseur qui découlait de ces actes était justifiée : “83. whether legal under egyptian law or not, the acts in question were the acts of egyptian authorities, including the highest executive authority of the government. these acts, which are now alleged to have been in violation of the egyptian municipal legal system, created expectations protected by established principles of international law.”400 la solution semble donc similaire à celle retenue par les juridictions (et désormais par la loi) allemandes401 . 398 sentence thunderbird, § 147 (c’est nous qui soulignons). 399 southern pacific properties (middle east) ltd v. arab republic of egypt (spp), 20 may 1992, 3 icsid reports 189 400 sentence spp v. egypt, op.cit., §83. 401 cf. supra p. 292s.
225 cette sentence est cependant, à notre connaissance, la seule dans laquelle des arbitres eurent à prendre position sur cette question. on se gardera donc d’en tirer des conclusions définitives. §2.- respect des attentes créées après la réalisation de l’opération d’investissement. un problème distinct du précédent. les attentes dignes de protection créées par l’etat d’accueil chez l’investisseur, nous venons de le voir, naissent souvent avant la conclusion du contrat (ou des contrats) d’investissement. ces attentes constituant en principe le fondement de la décision d’investir – décision lourde de conséquences s’il en est –, il apparaît naturel de les protéger. mais que faire des attentes légitimes qui naissent de déclarations étatiques, non pas avant mais après que l’opération d’investissement ait été engagée ? on peut être tenté de penser qu’elles sont d’une importance mineure et qu’elles n’ont à ce titre pas vocation à être protégées : l’investissement déjà réalisé, ces attentes-là n’ont pu jouer un rôle déterminant. en effet, au moment où elles sont intervenues, il était déjà trop tard pour renoncer à l’investissement. de plus, comment prétendre que ces attentes sont légitimes, alors que, en général, un contrat est alors déjà formé ? son contenu est donc fixé une fois pour toute, à moins que les deux parties ne se mettent d’accord sur des modifications à lui apporter ou concluent un nouveau contrat. les déclarations unilatérales de l’une des parties ne devraient, dans le cadre de l’exécution du contrat d’investissement, plus avoir de rôle à jouer. pourtant, l’étude des sentences arbitrales récentes montre que la protection des attentes de l’investisseur ne se limite pas aux attentes créées avant la réalisation de l’opération d’investissement.
226 intéressons nous aux conditions de légitimité et de protection de ces attentes différent-elles (b) après avoir présenté les principales sentences pertinentes (a). a. le principe opportunité de la protection des attentes créées après la réalisation de l’investissement. s’il est permis de penser que les attentes nées de déclarations postérieures à la réalisation de l’investissement emportent moins de conséquences que celles survenues antérieurement, et ont à ce titre moins vocation à être protégées, on constate avec étonnement que les tribunaux ne distinguent souvent pas entre ces deux cas de figure. ainsi, on peut citer la sentence thunderbird, dans laquelle, avant de l’appliquer aux faits de l'espèce, le tribunal présente la notion d’ « attente légitime » de la manière suivante : “… the concept of “legitimate expectations” relates, within the context of the nafta framework, to a situation where a contracting party’s conduct creates reasonable and justifiable expectations on the part of an investor (or investment) to act in reliance on said conduct, such that a failure by the nafta party to honour those expectations could cause the investor (or investment) to suffer damages.”402 le tribunal semble donc considérer que le moment de l’intervention d’une déclaration créant chez l’investisseur une attente (avant ou après la décision la mise en œuvre de l’investissement) n’a guère d’incidence sur la légitimité de celle-ci. cette absence de distinction peut se justifier par l’idée que l’attente créée a potentiellement des conséquences tout aussi graves dans l’hypothèse où elle intervient lorsque l’investissement est déjà décidé: elles peuvent également mener à la prise de décisions lourdes de 402 sentence thunderbird, op.cit., §147. notons que le terme « contracting party » désigne ici bien entendu les etats parties à l’alena et non pas les parties au contrat d’investissement en cause.
227 conséquences, telles que l’allocation de nouveaux capitaux à un investissement déjà réalisé. si les tribunaux ne font en apparence pas de distinction entre attentes créées avant ou après la réalisation de l’opération d’investissement, l’analyse des sentences arbitrales permet-elle d’observer des nuances dans le régime appliqué à chacune de ces deux catégories d’attentes ? la sentence metalclad. dès la sentence metalclad, les attentes créées après la réalisation de l’investissement sont prises en comptes (en plus de celles générées avant la décision d’investir). le tribunal estime en effet que : “metalclad was entitled to rely on the representations of federal officials and to believe that it was entitled to continue its construction of the landfill. in following the advice of these officials, and filing the municipal permit application on november 15, 1994, metalclad was merely acting prudently and in the full expectation that the permit would be granted.”403 en d’autres termes, la société metalclad était en droit de penser qu’elle pouvait continuer la construction de l’usine – nous nous situons donc bien dans l’hypothèse où l’opération d’investissement a déjà commencé. elle avait une attente légitime (indépendamment de la question de savoir si un permis de construction municipal était juridiquement requis) selon laquelle les autorités mexicaines ne pourraient pas s’opposer à la poursuite des travaux (selon les autorités fédérales, la commune ne pouvait pas refuser le permis de construire municipal). or cette attente se justifiait, selon le tribunal, non pas par les déclarations antérieures à la décision d’investir mais à celles intervenues plus tard, lorsque la commune ordonna à metalclad de cesser les travaux. 403 sentence metalclad, §89.
228 la sentence tecmed v. mexico404 . c’est ensuite la sentence tecmed v. mexico qui a appliqué la règle de la protection des attentes légitimes à des attentes créées après la réalisation de l'investissement. dans cette affaire, la société de droit espagnol tecmed avait fait l’acquisition en 1996, suite à un appel d’offre, d’un site de retraitement de déchets situé dans une commune de l’état mexicain de sonora. elle transféra ensuite les droits ainsi acquis à sa filiale mexicaine cytrar. l’exploitation du site était soumise à la condition de l’obtention d’une licence, qu’il appartenait à une autorité publique mexicaine (ine) d’accorder pour une durée de un an, cette licence étant renouvelable tous les ans à la demande de l’investisseur. en 1998, c'est-à-dire un an après le début de l'exploitation, le gouvernement mexicain refusa, suite à de fortes pressions populaires, de renouveler la licence et demanda la fermeture du site pour raisons environnementales (parmi lesquelles il invoquait plusieurs violations par cytrar des lois environnementales locales). avant que ne survienne ce refus, tecmed avait accepté de délocaliser l’usine, à la seule condition que la licence soit maintenue jusqu’à ce que la nouvelle usine soit prête à fonctionner. aucun document écrit ne fut établi pour attester de cet accord entre tecmed et l’autorité publique mexicaine. cependant, l'autorité mexicaine adressa à tecmed une resolution, selon laquelle “…the current landfill operated by cytrar shall be closed as soon as the new facilities are ready to operate. 405 selon le demandeur (tecmed), la conduite des autorités mexicaines constituait une violation de l’obligation de traitement juste et équitable, contenue dans le traité bilatéral d'investissement entre l’espagne et le mexique. selon lui, cette violation consistait, entre autre, en la déception des attentes créées par les autorités mexicaines au moment des négociations relatives à la délocalisation de l’usine. il soutenait en effet que ces négociations, et en particulier la resolution qui lui avait été adressée avait créé chez lui une attente légitime selon laquelle cytrar pourrait continuer à 404 tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. mexico, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2). 405 sentence tecmed, §160.
229 exploiter l’usine jusqu’à sa délocalisation. cette attente aurait été frustrée lorsque, en novembre 1998, ine avait refusé de renouveler la licence alors qu’aucun nouveau site n’avait été trouvé : “according to the claimant, such refusal would frustrate its justified expectation of the continuity and duration of the investment made and would impair recovery of the invested amounts and the expected rate of return.”406 le tribunal donna raison au demandeur. il considéra que l’attente légitime de tecmed (selon laquelle la licence serait prolongée jusqu'à la relocalisation) avait bel et bien été frustrée, et se fonda pour cela exclusivement sur les déclarations des autorités mexicaines (notamment la resolution) intervenues alors que l’investissement était déjà réalisé depuis longtemps : “cytrar may have reasonably trusted, on the basis of existing agreements and of the good faith principle, that the permit would continue in full force and effect until the effective relocation date.”407 citons pour finir la sentence lauder, dans laquelle le tribunal, bien que rejetant l’argument de la frustration des attentes légitimes en l’espèce, reconnu également que : “the minimum requirement is that the state not engage in inconsistent conduct, e.g. by reversing to the detriment of the investor prior approvals on which he justifiably relied.”408 b. les conditions 406 sentence tecmed, §41. 407 sentence tecmed, §160. 408 ronald s. lauder v. the czech republic, 3 september 2001 (uncitral arbitration rules), §290.
230 absence de différentiation. etonnamment, les tribunaux ne semblent guère établir de différenciation entre l’appréciation de la légitimité de l’attente lorsque celle-ci est née avant ou après la réalisation de l’investissement. les conditions énumérées plus haut dans le contexte des attentes créées avant l’investissement demeurent donc, semble-t-il, largement valables. ici encore, c’est le caractère raisonnable de l’attente et la précision des déclarations des autorités publiques de l’etat d’accueil qui sont d’abord déterminants. ainsi, dans l’affaire lauder, le tribunal souligna l’importance de « specific undertakings » pour la question de la protection des attentes de l’investisseur : « there can not be any inconsistent conduct in a regulatory body taking the necessary actions to enforce the law, absent any specific undertaking that it will refrain from doing so. »409 la seule condition qui ne peut s’appliquer est, bien entendu, celle du caractère déterminant de l’attente pour la décision d’investissement. en revanche, on peut sans doute admettre que l’attente devait revêtir une importance suffisante, importance qui se traduit généralement par la « reliance », c’est-à-dire une action prise sur son fondement. quoiqu’il en soit, l’appréciation du caractère digne de protection des attentes créées explicitement par l’etat d’accueil semble poser assez peu de problèmes aux tribunaux. la question devient en revanche bien plus délicate lorsque les attentes invoquées ne reposent sur aucune déclaration claire. 409 sentence lauder, op.cit., § 297.
231 section 2 : la protection des attentes créées implicitement : le problème de l’inaction ou des déclarations et comportements ambivalents. le problème. tant que l’etat d’accueil adopte une conduite sans ambiguïté, tant qu’il fait des promesses explicites, formulées de manière claire, il est relativement aisé de déterminer quelles attentes légitimes sont créées chez l’investisseur. de plus, la question de leur légitimité est assez peu problématique : une promesse claire et sans ambiguïté est en principe destinée à être tenue. le destinataire a donc une attente légitime que ce que l’etat lui a promis se vérifie dans les faits. l’investisseur, cependant, peut tirer des comportements de l’etat d’accueil d’autres attentes, dont la légitimité fait problème. il s’agit d’attentes issues, non de promesses ou de comportements sans ambiguïté, mais au contraire de déclarations et d’actes ambivalents, voire du silence et de l’inaction de l’etat d’accueil. il est alors beaucoup plus difficile d’en déterminer le contenu, d’une part, et la légitimité, d’autre part. pourtant, les arbitres n’hésitent pas à considérer que l'etat crée chez l’investisseur des attentes dignes de protection, sans pourtant qu’il ait de comportement clairement de nature à les produire. l’identification d’attentes comme étant dérivées du comportement de l’etat (déterminante pour la question de la légitimité des attentes en question) est alors beaucoup plus difficile. ce qui est en cause, c’est en réalité la causalité objective entre le comportement de l’etat et les attentes de l’investisseur, autrement dit la question suivante : quels agissements (ou omissions) sont de nature à créer des attentes chez l’investisseur ? en effet, si une attente n’a pas forcément besoin d'être créée par l’etat d’accueil pour être légitime, le fait qu’elle le soit peut être un facteur important de sa légitimité. l’etat peut, de manière implicite, créer des attentes activement : c’est le problème des déclarations ambivalentes (§1). mais il peut également les susciter passivement : lorsque l’etat a une obligation d’agir ou
232 d’informer l’investisseur, on peut considérer que son silence et son inaction sont à l’origine de certaines attentes (§2). §1.- attentes créées activement : déclarations et comportements ambivalents. nous avons vu, avec la sentence thunderbird, que les déclarations de l’etat d’accueil doivent être suffisamment précises pour que l’on considère qu’elles créent véritablement une attente. nous devons ici apporter une nuance à ce principe. force est de constater, en effet, que certaines déclarations, sans constituer des promesses précises, créent naturellement des attentes qu’on ne saurait traiter comme illégitimes. intéressons nous à cette question en général (a) avant de nous concentrer sur le cas spécifique de l’attente de stabilité du cadre juridique (b). a. le problème des déclarations ou comportements ambivalents la question en termes d’allocation des risques. les attentes créées par des comportements ambivalents sont-elles susceptibles d’être légitimes ? cette question constitue sans doute le cœur du problème des attentes légitimes en droit international des investissements. la question, en effet, est celle de l’allocation du risque de l’ambiguïté des déclarations de l’etat d’accueil. lorsqu’une déclaration est susceptible de plusieurs interprétations, laquelle des deux parties (émetteur ou récepteur de cette déclaration) doit-il s’incliner face à une interprétation différente de l’autre partie ?
233 la question en termes de lien objectif. on peut également poser le problème en d’autres termes : c’est, une fois encore, la question du lien objectif entre la déclaration et l’attente que l’investisseur prétend en tirer qui est en cause. faut-il que l’attente découle avec certitude de la formulation en question, ou suffit-il qu’elle soit suggérée, qu’elle corresponde à l’une des interprétations possibles de la déclaration ? la réponse de la jurisprudence. la jurisprudence arbitrale impose en principe à l’etat une obligation de se comporter d’une manière dépourvue d’ambiguïté410 . pourtant, nous allons le voir411 , elle n’en déduit pas que l’investisseur destinataire d’une déclaration ambivalente peut en tirer l’attente qui lui convient le mieux. celui-ci, au contraire, est alors tenu de demander des informations plus claires. néanmoins, les circonstances peuvent jouer un rôle fondamental. comme l’a admis le tribunal dans la sentence thunderbird, en effet : “the treshold for legitimate expectations may vary depending on the nature of the violation alleged under nafta and the circonstances of the case.”412 certaines circonstances, l'urgence notamment, semblent justifier que l’investisseur fonde son action sur une déclaration susceptible d’une interprétation différente de la sienne, celui-ci ne disposant pas du temps nécessaire pour clarifier la situation. l’étude plus détaillée de la sentence thunderbird nous aidera à illustrer la complexité de cette question. la sentence thunderbird : l’ambiguïté ne légitime pas l’attente. s’il est difficile de trouver l’exemple d’une sentence arbitrale qui décide réellement qu’une déclaration ambivalente de l’etat crée une attente 410 v. notamment sentence tecmed, §§ 154, 167. 411 sentence thunderbird, infra. 412 sentence thunderbird, § 148.
234 légitime chez l’investisseur, la sentence thunderbird témoigne de la controverse dont cette question fait l’objet aujourd’hui. cette sentence a en effet été l’occasion d’un débat intéressant entre la majorité du tribunal et l’arbitre th. wälde, auteur d’un opinion séparée portant essentiellement sur la question des attentes légitimes. tandis que la majorité décida que la déclaration de l’etat sur laquelle l’investisseur avait fondé ses attentes n’avait pas été suffisamment claire pour créer une attente légitime, le professeur wälde considéra que, précisément du fait de cette ambiguïté, il avait créé des attentes qu’il ne tenait qu’à lui de dissiper en transmettant un message clair à l’investisseur. intéressons nous de plus près à cette sentence, qui illustre d’une part l’importance de la définition des attentes légitimes de l’investisseur dans le droit international des investissements, et d’autre part le désaccord qui peut persister entre les plus grands spécialistes de la question. les faits ayant donné lieu au litige sont, pour une fois, relativement simples. la société de droit canadien thunderbird souhaitant ouvrir au mexique plusieurs salles de jeux, elle s’enquit en juillet 2000 de la légalité de l’investissement envisagé, en adressant une lettre (ou solicitud) à l’autorité publique mexicaine compétente (segob). d’après la description faite par thunderbird dans la solicitud de l’activité envisagé, celle-ci devait concerner la commercialisation de jeux vidéos fondés sur l’habileté de l’utilisateur. la lettre précisait que dans le fonctionnement de ces jeux, les paris ou le hasard ne jouaient aucun rôle. segob communiqua à thunderbird un avis officiel (ou oficio), selon lequel : “…, according to your statement, the machines that your representative operates are recreational video game devices for purposes of enjoyment and entertainment of its users, with the possibility of obtaining a prize, without the intervention of luck or gambling, but rather the user’s ability and skilfulness. … in this light, it is important to clarify that, if the machines that your representative exploits operate in the form and conditions stated by you, this governmental entity is not able to prohibit its use [sic]”.
235 quelques mois plus tard, thunderbird inaugura plusieurs salles de jeux. cependant, en décembre 2000, après un changement de gouvernement, segob commença à fermer ces salles. en octobre 2001, il publia une « resolución administrativa » selon laquelle les machines exploitées par thunderbird étaient interdites, présentant les caractères de jeux de hasard. la question centrale, faisant l’objet principal du désaccord entre la majorité et l’arbitre th. wälde, était la suivante : fallait-il considérer que la lettre adressée par segob à thunderbird était de nature à créer une attente légitime selon laquelle le mexique n’interdirait pas l’exploitation de l’investissement envisagé par thunderbird ? selon thunderbird, en effet : “segob’s response to the solicitud provided the edms with written assurance or “negative clearance” to operate the specific machines identified in the solicitud; and defined a standard in accordance with which thunderbird could operate skill machines without regulation by segob, the standard being that the machines had to be ones in which the “principal factor” of operation was the user’s skill and ability. thunderbird does not assert that it had thus obtained a government permit or licence to operate. rather, segob generated, according to thunderbird, a legitimate expectation upon which the edms should have been able to rely reasonably.”413 l’argument fut rejeté par le tribunal, celui-ci considérant que la lettre de segob n’était pas de nature à créer de telles attentes. l’objet de la lettre, en effet, était simplement d’informer l’investisseur que, si, comme celui-ci le prétendait, les machines exploitées n’étaient pas des jeux de hasards, mais des jeux fondés sur les aptitudes de l’utilisateur, alors rien ne pouvait s’opposer à leur exploitation. or justement, il s’averra par la suite que les machines exploitées par thunderbird étaient effectivement des jeux de hasard. la véritable nature des machines ayant été dissimulée par thunderbird, les informations transmises au tribunal étaient incomplètes (et la lettre de segob se fondant donc sur des informations fausses), conduisant 413 sentence thunderbird, §139.
236 logiquement à une réponse imprécise, et thunderbird ne pouvait prétendre en tirer des attentes légitimes. l’opinion dissidente du professeur wälde. l’argument du tribunal paraît cohérent. cependant, l’un de ses membres, le professeur wälde, analyse le litige différemment. selon lui, la lettre de segob avait bel et bien créé une attente légitime, selon laquelle le mexique n’interdirait pas l’exploitation par thunderbird de ses salles de jeux. il eût donc incombé au tribunal de protéger cette attente. th. wälde propose une conception beaucoup plus large de la notion d’attente légitime que la majorité du tribunal, partant du présupposé que le rôle du droit international des investissements doit être la protection de l’investisseur face à la toute-puissance de l’etat d’accueil. il faut donc, selon lui, imposer à l’etat un degré très élevé de transparence et de clarté dans ses rapports avec l’investisseur. il considère que : “if official communications cause, visibly and clearly, confusion or misunderstanding with the foreign investor, then the government is responsible for pro-actively clarifying its position.”414 en d’autres termes, ce n’est selon lui pas à la partie faible (l’investisseur, selon lui toujours) de supporter le risque des ambiguïtés dans les informations qui lui sont communiquées par l’etat. pour lui, l’attente est légitime dès lors qu’elle correspond à l’une des interprétations possibles d’une déclaration ; la légitimité de l’attente n’est donc pas conditionnelle à la clarté du message qui lui est transmis. il résume lui-même sa divergence avec la majorité de la manière suivante : “[my colleagues] rather see the glass of the investor half empty, i rather see it half full. they imply a very high level of due diligence, of knowledge of local conditions and of government risk to be taken by the 414 th. wälde, seperate opinion in: thunderbird ./. mexico, op.cit., §4.
237 investor. i rather see the government as responsible for providing a clear message and of sticking to the message once given and as reasonably understood by the investor.”415 a l’appuis de la position de th. wälde, on peut se référer au principe de droit international selon lequel toute déclaration juridique ambiguë doit être interprétée « in dubio contra proferentem », c'est-à-dire à l’encontre de son auteur416 . on peut également citer le rapport de la cnuced sur le traitement juste et équitable de 1999 : “this interpretation suggests that where an investment treaty does not expressly provide for transparency, but does for fair and equitable treatment, then transparency is implicitly included in the treaty (unctad, 1999a, p. 34). secondly, where a foreign investor wishes to establish whether or not a particular state action is fair and equitable, as a practical matter, the investor will need to ascertain the pertinent rules concerning the state action; the degree of transparency in the regulatory environment will therefore affect the ability of the investor to assess whether or not fair and equitable treatment has been made available in any given case.”417 ce qui, selon certains (et th. wälde notamment), est imposé à l’etat est donc non seulement une obligation de cohérence et de transparence, mais c’est d’assumer toutes les interprétations possibles de ses déclarations et comportements. on est frappé de l’extrême indulgence de sa position à l’égard de l’investisseur privé. on peut se demander ce qui justifie cette position, qui part du présupposé de la toute-puissance de l’etat et de l’extrême faiblesse de l’investisseur, présupposé qui, souvent, ne correspond pas à la réalité. 415 th. wälde, op. cit., §6. 416 r. jennings & a. watts, oppenheim’s international law: peace, stevens, 9th edition, 1996, vol. i, p. 1279: “if two meanings are admissible, the provision should be interpreted contra proferentem, i.e. which is least to the advantage of the party which prepared and proposed the provision…”; c. schreuer, the interpretation of treaties by domestic courts, 45 byil 298 (1971). 417 unctad, fair and equitable treatment, 1999, p. 51.
238 b. le cas spécifique de l’attente de stabilité cadre juridique et économique418 . parmi les attentes provoquées implicitement par l’etat d’accueil, il en est une que l’on retrouve particulièrement souvent : l’attente de stabilité de l’environnement juridique et économique. un grand nombre de plaintes, en effet, concernent le dommage souffert du fait d’un changement dans la législation ou la réglementation de l’etat d’accueil. comme le note patrick juillard : « la décision d’investissement tout comme la décision d’autoriser cet investissement sont prises, par l’investisseur et par l’etat dont cet investisseur est le ressortissant, en fonction de la législation ou de la réglementation de l’etat d’accueil. cette législation ou cette réglementation sont plus ou moins incitatives, plus ou moins dissuasives : mais elles sont connues, et c’est en fonction de la connaissance qu’en ont l’investisseur et l’etat dont cet investisseur est le ressortissant que ceux-ci prendront, chacun pour ce qui le concerne, les décisions qui leur incombent. mais, pour prendre ces décisions, ils se fonderont sur un état donné du droit de l’etat d’accueil. que se passera- t-il si ce droit fait l’objet de modifications unilatérales ? »419 c’est précisément à cette question que nous allons tenter de répondre ici. on peut néanmoins la reformuler en des termes mettant en évidence ses liens avec notre sujet : l’investisseur a-t-il une attente légitime selon laquelle l’environnement juridique de l’investissement demeurera tel qu’il était au jour de la décision d’investir ? en d’autres termes, l’attente de stabilité de l’environnement juridique est-elle inhérente au traitement juste et équitable ? ou peut-elle être acceptée, mais moyennant la réunion d’un certain nombre de conditions ? l’etat doit-il, au contraire, conserver une entière liberté de modification unilatérale de son droit, au risque de bouleverser les conditions 418 en anglais “legal and business framework”. 419 p. juillard, l’évolution des sources du droit des investissements, rcadi 1994-vi (tome 250), p. 54-55.
239 de l’investissement ? les différentes sentences ne sont pas nécessairement cohérentes sur ce point. si le principe semble bien être que tout investisseur a une attente légitime de stabilité de l’environnement juridique dans lequel il investit (1), ce principe est soumis à un certain nombre de conditions (2) et de tempéraments (3). 1) le principe : légitimité de l’attente de stabilité du cadre juridique. les tribunaux arbitraux considèrent en général que, au titre du traitement juste et équitable, l’investisseur a une attente légitime de stabilité du cadre juridique de l’investissement. dans la sentence oepc, par exemple, on peut lire que : “[t]he stability of the legal and business framework is thus an essential element of fair and equitable treatment.”420 la décision d’investissement, comme l’a fait remarquer le tribunal dans la sentence saluka, est prise en fonction de la législation ou de la réglementation de l’etat d’accueil421 . si le droit de cet etat avait été différent, l’investisseur n’aurait donc pas investi. de la même manière, s’il avait eu connaissance du fait que ce droit était sur le point de changer, d’une manière 420 occidental exploration and production company (oepc) v. ecuador, 1 july 2004, § 183. voir également cms gas transmission company v. argentina, final award, 25 may 2005 (icsid case no. arb/01/08), § 274 : “there can be no doubt … that a stable legal and business environment is an essential element of fair and equitable treatment.” ainsi que lg&e energy corp. v. the argentine republic, 3 october 2006 (icsid case no. arb/02/1), § 127 : “in addition to the state’s obligation to provide a stable legal and business environment, the fair and equitable treatment analysis involves consideration of the investor’s expectations when making its investment in reliance on the protections to be granted by the host state.” 421 sentence saluka, op.cit., § 301 : “an investor’s decision to make an investment is based on an assessment of the state of the law and the totality of the business environment at the time of the investment as well as on the investor’s expectation that the conduct of the host state subsequent to the investment will be fair and equitable”.
240 qui lui serait défavorable, il n’aurait vraisemblablement pas investi non plus. la stabilité du cadre juridique est donc fondamentale pour l’investisseur. la question est de savoir si l’attente de stabilité du cadre juridique de l’investissement est légitime, même en l’absence d’une manifestation de volonté de la part du pays d’accueil. nous l’avons vu, l’attente créée par une déclaration claire de l’etat d’accueil est en principe légitime, et donc juridiquement protégée. les cas dans lesquels l’etat s’est engagé à « geler » sa législation dans l’état où elle se trouve à la date de la conclusion du contrat (clauses dite de stabilisation) ne pose donc guère de problème : les arbitres considèreront en principe que l’investisseur aura alors en principe une attente légitime de stabilité du cadre juridique. le cas qui nous intéresse est donc celui dans lequel l’etat n’a pris aucun engagement. or même dans ce cas-là, les tribunaux considèrent en principe que l’attente de stabilité est légitime. le tribunal dans l’affaire cms déclara ainsi que : “…there can be no doubt … that a stable legal and business environment is an essential element of fair and equitable treatment…” et arriva à la conclusion que : “the measures that are complained of did in fact entirely transform and alter the legal and business environment under which the investment was decided and made”422 . la même idée était déjà exprimée dans la sentence tecmed, puisqu’on peut y lire que : “the foreign investor expects the host state to act […] totally transparently in its relations with the foreign investor, so that it may know beforehand any and all rules and regulations that will govern its 422 sentence cms, op.cit., §§ 274, 275.
241 investments, as well as the goals of the relevant policies and administrative practices or directives, to be able to plan its investment and comply with such regulations.”423 comment considérer que l’etat crée une attente de stabilité sans faire de promesse ? il paraît à première vue étonnant d’affirmer qu’une attente légitime de stabilité du cadre contractuel est créée par l’etat, sans même que celui-ci n’aie fait de promesse à cet effet (clause de stabilisation). pourtant, on peut doublement considérer que l’attente de stabilité est générée par l’etat d’accueil. elle l’est d’abord par le simple fait que sa législation et sa réglementation, et notamment son code des investissements, sont connus de l’investisseur. celui-ci ne disposant d’autre élément que celui du droit tel qu’il existe à un moment donné pour fonder ses attentes, il est en quelque sorte contraint de partir du principe que les règles existantes sont dotées d’une certaine pérennité. mais surtout, cet etat renforce chez l’investisseur une attente de stabilité déjà existante lorsqu’il encourage un investisseur précis à venir investir chez lui, se prévalant pour cela des avantages procurés par sa législation et sa réglementation. la meilleur illustration de ce cas de figure dans la jurisprudence récente est l’affaire cms c. argentine424 . dans cette affaire, en effet, l’argentine s’était explicitement prévalu de sa législation, laquelle avait pour but, en indexant le peso au dollars américain, de gommer le risque lié à la dévaluation du peso. sans passer par une promesse explicite de stabilité (« specific commitments »), le tribunal considéra qu’il avait donc créé chez l’investisseur une attente à cet effet. ce principe est néanmoins soumis à certaines conditions. 2) les conditions de la légitimité de l’attente de stabilité. 423 sentence tecmed, § 154. 424 cms gas transmission company v. argentine republic, 12 may 2005 (icsid case no. arb/01/8), disponible sur le site du cirdi : http://www.worldbank.com/icsid/cases/awards.htm.
242 la légitimité de l’attente de stabilité de l’environnement juridique se présume-t-elle ? peut-on conclure de la mention, dans le traité d’investissement auquel on a affaire, du principe de traitement juste et équitable, le fait que l’investisseur a une attente légitime de stabilité ? cette attente fait-elle a priori partie intégrante du principe de traitement juste et équitable, indépendamment des autres dispositions du traité d’investissement et du contexte de l’investissement ? alors que certaines sentences donnent l’impression que c’est le cas425 , la plupart ne viennent à la conclusion que l’investisseur a une attente légitime de stabilité qu’après un examen détaillé des faits de l’espèce. ces dernières, auxquelles nous allons nous intéresser en détail, donnent donc plutôt à penser que la légitimité de l’attente de stabilité est soumise à un certaine nombre de conditions. passons en revue les conditions possibles pour voir dans quelle mesure elles sont effectivement requises. esprit général du traité. tout d’abord, les clauses d’un traité doivent être interprétées en fonction de l'esprit général du traité426 . la question de savoir si le principe de traitement juste et équitable contient a priori la protection de l’attente légitime de stabilité du cadre juridique doit donc s’apprécier au regard de l’esprit général du traité d’investissement. or l’esprit de tout traité d’investissement n’est-il pas de fournir un climat favorable aux investissements, appelant l’interprétation du principe de traitement juste et équitable qui est la plus favorable à l’investisseur ? comme le fait remarquer le tribunal dans l’affaire saluka : “bilateral investment treaties […] are designed to promote foreign direct investment as between the contracting parties ; in this context, 425 notamment la sentence oepc précitée, §183 : “[t]he stability of the legal and business framework is thus an essential element of fair and equitable treatment.” 426 art. 31 §1 de la convention de vienne de 1969 sur le droit des traités internationaux : « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. »
243 investors’ protection by the “fair and equitable treatment” standard is meant to be a guarantee providing a positive incentive for foreign investors. consequently, in order to violate the standard, it may be sufficient that states’ conduct displays a relatively lower degree of inappropriateness.”427 autrement dit, si l’on veut interpréter le principe de traitement juste et équitable d’une manière fidèle à l’esprit d’un traité destiné à promouvoir la confiance dans les investissements entre deux pays, il faut en faire un principe exigeant vis-à-vis de l’etat d’accueil. or une approche extensive, exigeante vis-à-vis de l’etat, incite plutôt à considérer que l’attente de stabilité est légitime et digne de protection. au renfort de cette présomption, les tribunaux font généralement référence au préambule du traité d’investissement applicable, qui contient souvent, dans la liste des objectifs généraux du traité, une disposition relative à la stabilité du cadre commercial de l’investissement. ainsi, on peut lire dans le préambule de l’alena que les etats-membres se donnent pour objectif de : “ensure a predictable commercial framework for business planning and investment.”428 de même dans la sentence cms, où le tribunal rappelle que le préambule du tbi entre les etats-unis et l’argentine : “makes it clear […] that one principal objective of the protection envisaged is that fair and equitable treatment is desirable “to maintain a stable framework for investments and maximum effective use of economic resources.” there can be no doubt, therefore, that a stable and business environment is an essential element of fair and equitable treatment.” 429 427 sentence saluka, op.cit., note 3, § 293. 428 alena, §6. 429 cms, op.cit., § 274.
244 on peut encore citer la sentence genin430 où, à propos du tbi entre les etats-unis et l’estonie, le tribunal souligne le fait que : “the objectives of the bit, as delineated in its preamble, include […] a stable framework for investment […].” l’argument tiré de l’esprit général du traité, néanmoins, ne semble pas suffisant. à notre connaissance, il n’y a qu’une seule sentence, la sentence oepc431 , dans laquelle le tribunal se soit satisfait de ce critère unique pour considérer que l’investisseur avait une attente légitime de stabilité. même dans des sentences telles que cms, dans lesquelles le tribunal affirme pourtant que la stabilité de l’environnement juridique fait partie intégrante du traitement juste et équitable, les arbitres ont également recours à d’autres critères. caractère déterminant du cadre juridique existant pour la décision d’investir. tout d’abord, pour que l’attente de stabilité soit légitime, faut-il que la législation de l’etat d’accueil telle qu’elle existait au moment de la décision d’investir ait été déterminante dans la prise de décision ? la sentence cms semble indiquer que oui, et confirme ainsi la condition de « reliance » identifiée par exemple dans la sentence cme. le tribunal met en effet l’accent sur le caractère « crucial » des garanties offertes par la législation en vigueur au moment où cms décida d’investir : “the measures that are complained of did in fact entirely transform and alter the legal and business environment under which the investment was decided and made. the discussion above, about the tariff regime and its relationship with a dollar standard and adjustment mechanisms unequivocally shows that these elements are no longer present in the regime governing the business operations of the claimant. it has also been established that the garantees given in this connection under the 430 alex genin and others v. republic of estonia, 25 june 2001 (case no. arb/99/2), 17 icsid rev.–filj 395 (2002). 431 sentence oepc précitée.
245 legal framework and its various components were crucial for the investment decision.”432 condition selon laquelle l’etat d’accueil doit avoir fait une promesse de stabilité (« specific commitments ») ? si une promesse de stabilité n’est pas requise pour que l’attente de stabilité soit légitime, elle est bien évidemment de nature à renforcer fortement la présomption, comme l’a noté, encore une fois, le tribunal dans la sentence cms. ayant admis qu’on ne peut pas exiger des etats d’accueil le gel pur et simple de leur système juridique, il ajoute que : “neither is it a question of whether the framework can be dispensed with altogether when specific commitments to the contrary have been made.” en l’espèce, les promesses semblent donc jouer un rôle important dans la reconnaissance par le tribunal de l’attente de stabilité. il semble toutefois qu’il ne s’agisse pas d’une condition nécessaire. en réalité, en cas de promesses explicites, on se retrouve dans le cas de figure étudié plus haut : les attentes créées par des promesses explicites ou des comportements non ambiguës de l’etat sont en principe légitimes, quel que soit l’objet sur lequel elles portent. le cas plus intéressant est donc celui où le tribunal reconnaît l’existence d’une attente légitime de stabilité alors même que l’etat n’a fait aucune promesse à cet effet, comme dans la sentence oepc précitée. en revanche, on peut se demander si l’etat doit s'être prévalu (sans nécessairement faire de promesses au sens strict) de sa législation pour attirer l’investisseur étranger. condition selon laquelle l’etat doit s’être prévalu d’une législation favorable. si une promesse explicite de stabilité du cadre juridique 432 sentence cms, § 275 (c’est nous qui soulignons).
246 n’est pas nécessaire pour créer une attente légitime, faut-il que l’etat, par quelque signe, par quelque comportement, ait incité l’investisseur à penser que le droit en vigueur au moment de la décision de l’investissement serait applicable pendant toute la durée de son investissement ? dans certaines sentences, l’accent est mis sur le fait que l’etat d’accueil crée une attente de stabilité du cadre juridique en se prévalant, pour inciter l’investisseur à venir investir sur son territoire, du caractère avantageux de sa législation ou de sa réglementation. si l’etat apporte des modification au cadre juridique de l’investissement, l’investisseur aura alors le sentiment d’avoir été trompé. souvent, il semble que cet élément soit implicitement présent dans le raisonnement des tribunaux. dans la sentence cms, il semble particulièrement déterminant. le tribunal note en effet que, selon l’investisseur, la décision d’investir dans le secteur du transport de gaz en argentine était directement consécutive aux promesses et garanties du gouvernement argentin selon lesquelles, conformément à un programme lancé dans le but d’attirer les investisseurs, les tarifs seraient calculés en dollars, et non en pesos argentins433 . il ajoute plus loin que c’est précisément grâce à cette garantie du calcul des tarifs en dollars que le programme de privatisation a eu un tel succès, attirant des centaines d’entreprises étrangères en argentine. il s’agit là, selon le tribunal, d’un signe selon lequel ce système de calcul était destiné à durer.434 notons tout de même qu’ici encore, il s’agit d’un élément certes important mais que l’on ne retrouve pas systématiquement dans les sentences. 433 sentence cms, § 68: “the claimant explains that is decided to undertake important investments in the gas transportation sector in reliance on the argentine government’s promises and guarantees, particularly those that offered a real return in dollar terms and the adjustment of tariffs according to the us ppi.” 434 sentence cms, § 137 : “the tribunal also notes that it was precisely because the right to tariff calculation in dollars was garanteed that the privatization program was as successful as it was. […] it is not credible that so many companies and governments and their phalanxes of lawyers could have misunderstood the meaning of the garantees offered in a manner that allowed for their reversal within a few years”.
247 3) tempéraments. l’etat est donc tenu de ne pas décevoir l’attente selon laquelle le cadre juridique et économique demeurera relativement stable pour la durée de l’investissement. néanmoins, la plupart des tribunaux reconnaissent qu’on ne peut pas imposer à l’etat d’accueil un obligation de stabilité absolue du cadre juridique de l’investissement. selon les termes du professeur schreuer : “a general stabilization requirement would go beyond what the investor can legitimately expect. it is clear that a reasonable evolution of the host state’s law is part of the environment with which investors must contend.” 435 ainsi, le tribunal dans l’affaire cms reconnut que : “it is not a question of whether the legal framework might need to be frozen as it can always evolve and be adapted to changing circumstances…” dans la sentence saluka également, on peut lire que : “no investor may reasonably expect that the circumstances prevailing at the time the investment is made remain totally unchanged.”436 le principe de l’attente légitime stabilité par l’investisseur est donc nécessairement sujet à un certains nombre de tempéraments. cas dans lesquels l’évolution du cadre juridique était prévisible. nous l’avons vu, l’etat n’a pas d’obligation générale de maintenir un cadre juridique stable pour toute la durée de l’investissement. en d’autres termes, l’investisseur n’a pas d’attente légitime selon laquelle le cadre 435 c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, the journal of world investment & trade, 2005, p. 374. 436 sentence saluka, § 305.
248 juridique demeurera parfaitement stable. il en va ainsi notamment lorsque les changements intervenus dans la législation ou la réglementation de l’etat d’accueil étaient prévisibles pour l’investisseur au moment de la décision d’investir. comment prétendre, en effet, avoir une attente légitime de stabilité du cadre juridique lorsque l’on prend la décision d’investir dans un pays dont on sait que la loi est sur le point de changer ? c’est ainsi que, dans la sentence saluka, le demandeur a vu son argument de la frustration de l’attente légitime de stabilité rejeté. selon le tribunal, en effet : “it was the cnb’s declared intention to bring its regulatory regime into line with the norms in the european union.[…] it can hardly be disputed that these developments could have been anticipated in 1998. nomura was, therefore, not justified to expect that the cnb would not introduce a more rigid system of prudential regulation and thereby change the framework for nomura’s investment in ipb shares.”437 pour le tribunal, il ne faisait donc aucun doute que l’intention de l’etat d’accueil d’amender sa législation était suffisamment prévisible pour exclure toute attente de stabilité. intérêts légitimes de l’etat (et pouvoirs souverains) de réglementer l’économie. il est évident, par ailleurs, que l’etat ne peut pas assurer une stabilité absolue du cadre de tous les investissements faits sur son territoire, et cela pour deux raisons. premièrement il convient de ne pas oublier que l’etat ne contrôle pas l’ensemble de l'économie et doit se contenter, bien souvent, de réagir aux circonstances changeantes. le tribunal de l’affaire cms, malgré son attachement à l’idée de stabilité du cadre de l’investissement, était d’ailleurs bien conscient de la nécessité de ce tempérament puisque, répondant aux arguments du défendeur, il expliqua que : 437 sentence saluka, §§ 357 et 358.
249 “it is not a question of whether the legal framework might need to be frozen as it can always evolve and be adapted to changing circumstances, but neither is it a question of whether the framework can be dispensed with altogether when specific commitments to the contrary have been made. the law of foreign investment and its protection has been developed with the specific objective of avoiding such adverse legal effects.438 ” deuxièmement, certains ajustements législatifs sont absolument nécessaires dans l’intérêt de l’etat et ne sauraient être remis en cause pour le bien d’un seul investisseur. c’est ainsi que, dans la sentence saluka, on peut lire que : “in order to determine whether frustration of the foreign investor’s expectations was justified and reasonable, the host state’s legitimate right subsequently to regulate domestic matters in the public interest must be taken into consideration as well.”439 §2. attentes suscitées passivement. nous venons de voir que l'etat peut créer des attentes légitimes chez l’investisseur de manière implicite, c’est-à-dire indirectement, sans faire de promesses claires ou adopter de comportements équivalents à des promesses. mais la jurisprudence arbitrale va plus loin encore. elle considère dans certains cas que l’etat, sinon crée, du moins suscite des attentes légitimes par son inaction. cette idée peut paraître paradoxale. elle semble néanmoins se justifier par le fait que l’obligation de traitement juste et équitable peut aussi s’analyser en une obligation de faire. après avoir expliqué et mis en évidence la présence de cette idée dans l’interprétation récente du principe par les tribunaux arbitraux (a), nous tenterons de préciser en quoi consistent les 438 sentence cms, § 277 (c’est nous qui soulignons). 439 sentence saluka, § 305.
250 obligations de faire imposées à l’etat au titre du principe de traitement juste et équitable (b). a. l’obligation de traitement juste et équitable comme obligation positive. la question. comment considérer que l'etat crée une attente alors qu’il est passif ? pour que l’inaction engage la responsabilité, il faut une obligation d’agir, de faire. si l’on veut considérer que l’inaction de l’etat d’accueil peut créer des attentes légitimes, cela nécessite que ce principe prescrive une certaine action, et non seulement un comportement défini négativement440 . il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que l’obligation de traitement juste et équitable contient des obligations de ne pas faire (ne pas adopter de comportement arbitraire, ne pas traiter l’investisseur de manière discriminatoire, ne pas faire de déni de justice…). cependant, contient-il également des obligations de faire ? la jurisprudence. la jurisprudence semble aujourd’hui nous dire que c’est le cas ; corrélativement, elle considère que certaines attentes erronées de l’investisseur peuvent naître du silence ou de l’inaction de l’etat. nous l’avons vu441 , l’interprétation du principe de traitement juste et équitable a, depuis ses débuts, considérablement évolué. alors qu’il était interprété de manière très restrictive, c'est-à-dire peu exigeante à l’égard de l’etat, jusqu’aux sentences s.d. myers442 (2000) et genin443 (2001), cette interprétation a évolué ces dernières années d’une manière très favorable à l’investisseur. le principe impose donc aujourd’hui à l’etat une niveau de 440 comment, en effet, faire grief à l’etat d’accueil de la déception d’une attente découlant du fait qu’il s'est abstenu de faire quelque chose qu’il n’était pas obligé de faire ? 441 cf. supra p. 191s. 442 s.d. myers inc. v. government of canada, 13 november 2000. 443 alex genin and others v. republic of estonia, 25 june 2001 (icsid case no. arb/99/2), 17 icsid rev.–filj 395 (2002).
251 diligence beaucoup plus élevé qu’il y a encore huit ans. c’est ainsi que le tribunal dans la sentence mtd c. chili de 2004 met l’accent sur le caractère actif du traitement juste et équitable. se référant au préambule du traité bilatéral d'investissement applicable444 , il constate que : “…fair and equitable treatment should be understood to be treatment in an even-handed and just manner, conducive to fostering the promotion of foreign investment. its terms are framed as a pro-active statement – “to promote”, “to create”, “to stimulate”- rather than prescriptions for a passive behavior of the state or avoidance of prejudicial conduct to the investors.”445 l’etat ne peut donc pas se contenter de s’abstenir de prendre des mesures préjudiciables à l’investisseur. il doit adopter lui-même un comportement actif pour créer les conditions les meilleures pour l’investissement. or si l'etat a des obligations de faire, il en découle que certaines attentes – qu’il lui eût incombé de dissiper – sont imputables à son inaction. aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’inaction des autorités étatiques peut susciter des attentes légitimes. cependant, afin de savoir lesquelles de ces attentes sont légitimes, il faut se demander en quoi consistent exactement les obligations de faire de l’etat d’accueil. il semble en effet que l’attente ne peut être considérée comme légitime que si le silence ou l’inaction dont elle découle est fautif. quelles sont donc ces obligations spécifiques imposées à l’etat d’accueil au titre de l’obligation générale de traitement juste et équitable ? nous en avons identifié deux principales : l'obligation de transparence et l’obligation d’information. il semble que ces obligations, quels que soient les termes que l’on emploie pour les désigner, peuvent toujours s’analyser en une obligation de protéger les attentes légitimes découlant de l’inaction de l’etat d’accueil. 444 traité bilatéral d'investissement entre la malaise et le chili. 445 sentence mtd v. chili, §113 (c’est nous qui soulignons).
252 b. obligation de transparence et d’information. nature de l'obligation de transparence. il ne fait aujourd’hui aucun doute que l’etat qui accueille sur son territoire un investisseur étranger a, au titre du principe de traitement juste et équitable, une obligation de transparence et d’information à son égard446 . il semble d’ailleurs que les arbitres ne distinguent généralement pas entre ces deux obligations. ou plutôt, ce qui est désigné sous le nom d’obligation de transparence n’est pas simplement l’obligation de ne rien dissimuler, mais recouvre aussi l’obligation positive d’information. certains traités d’investissement, tel l’alena, contiennent une disposition expresse imposant à l’etat une obligation de transparence447 . ainsi, dans la sentence tecmed, le tribunal considéra que : “the foreign investor expects the host state to act in a consistent manner, free from ambiguity and totally transparently in its relations with the foreign investor, so that it may know beforehand any and all rules and regulations that will govern its investments, as well as the goals of the relevant policies and administrative practices or directives, to be able to plan its investment and comply with such regulations.”448 selon la jurisprudence, l'obligation de transparence est donc bien une obligation de faire : elle consiste en un ensemble d’actes positifs, et non seulement en une attitude de non-dissimulation. l’etat doit prendre l’initiative de révéler tous les éléments importants, c'est-à-dire dont la 446 c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, op.cit., p. 373 ; th. wälde, energy charter treaty-based investment arbitration, 5 j.w.i.t. 3, june 2004, p. 387 ; sentence metalclad, op.cit., §§76,88,99 ; sentence emilio agustin maffezini v. kingdom of spain, 13 november 2000, 5 icsid reports 419, § 83 ; sentence tecmed, op.cit., §154. l’obligation contractuelle d’information est d’ailleurs bien connue des droits internes que nous avons étudiés, et notamment du droit français (v. par exemple, y. lequette, ph. simler, et f. terré, droit civil : les obligations, dalloz-sirey, paris, 9e éd., 2005, n° 249 s.). 447 préambule de l’alena, art. 102(1). il faut noter toutefois que l’obligation de transparence n’y est pas rattachée explicitement au principe de traitement juste et équitable. 448 sentence tecmed, op.cit., §154.
253 connaissance peut avoir une influence sur l’action de l’investisseur. lorsque l’etat a conscience du fait qu’il y a un risque de confusion ou de malentendu, par exemple quant au contenu du droit applicable, il est de son devoir de prendre des mesures pour en prévenir l’investisseur. dans la sentence metalclad, le tribunal a tenu à insister sur ce point, dans les termes suivants : “prominent in the statement of principles and rules that introduces the agreement is the reference to “transparency” (nafta article 102(1)). the tribunal understands this to include the idea that all relevant legal requirements for the purpose of initiating, completing and successfully operating investments made, or intended to be made, under the agreement should be capable of being readily known to all affected investors of another party. there should be no room for doubt or uncertainty on such matters. once the authorities of the central government of any party (whose international responsibility in such matters has been identified in the preceding section) become aware of any scope for misunderstanding or confusion in this connection, it is their duty to ensure that the correct position is promptly determined and clearly stated so that investors can proceed with all appropriate expedition in the confident belief that they are acting in accordance with all relevant laws.”449 lien entre transparence et attentes légitimes. on pourrait tirer du contenu de l’obligation de transparence, que nous venons de présenter, la proposition suivante : dans la mesure où il n’a pas accès à l’information concernant certains faits pouvant avoir une incidence sur son investissement, l’investisseur a une attente légitime selon laquelle ces faits ne sont pas. en d’autres termes, de tels faits ne lui sont pas opposables. le lien entre attente légitime et obligation de transparence a d’ailleurs déjà été mis en évidence à plusieurs reprises, que ce soit en doctrine ou dans la jurisprudence. ainsi, c. schreuer note que : “transparency and the protection of legitimate expectations are closely related.”450 449 sentence metalclad, § 76. 450 c. schreuer, fair and equitable treatment in arbitral practice, op.cit., p. 374.
254 de même, t. wälde fait observer que le principe de protection des attentes légitimes : “…is often combined with the principle of transparency : that government administration has to make clear what it wants from the investor and cannot hide behind ambiguity and contracdiction itself”.451 pour ce qui est de la jurisprudence, on peut citer la sentence waste management, dans laquelle le tribunal déclara que constituait une violation de l’obligation de traitement juste et équitable : “… a complete lack of transparency and candour in an administrative process. in applying this standard it is relevant that the treatment is in breach of representations made by the host state which were reasonably relied on by the claimant.”452 différence entre obligation de transparence et obligation de clarté. la question de la transparence est proche de celle de la clarté des déclarations, dont nous avons parlé plus haut453 . cependant, il s’agit d’une question différente. en considérant que les déclarations ambiguës de l’etat peuvent donner lieu à des attentes légitimes que celui-ci n’entendait pas créer, le droit international des investissements leur impose une obligation de clarté dans leur déclaration. l’obligation de transparence impose, de la même manière, de transmettre à l’investisseur des messages clairs, qui rendent compte fidèlement de la réalité. mais l’obligation de transparence va plus loin encore : il s’agit d’imposer à l’etat de transmettre à l’investisseur toute information utile à son investissement. elle se caractérise donc par le comportement actif qui est requis. 451 th. wälde, energy charter treaty-based investment arbitration, 5 j.w.i.t. 3, june 2004, p. 387. 452 sentence waste management, op.cit., §98. 453 cf. supra p. 232s.
255 limites de l’obligation d’information. si les sentences qui posent des limites à l’obligation d’information due par l’etat sont rares, il faut citer la sentence mtd, dans laquelle le tribunal déclara que : “chile claims that it had no obligation to inform the claimants and that the claimants should have found out by themselves what the regulations and policies of the country were. the tribunal agrees with this statement as a matter of principle, but chile also has an obligation to act coherently and apply its policies consistently, independently of how diligent an investor is.”454 selon cette sentence, l’obligation d’information ne semble commencer que là où s’arrête l’obligation de l’investisseur de se renseigner lui-même. aussi longtemps que l’information est accessible à l’investisseur – ici pour ce qui concerne les lois et règlements en vigueur – il semble que celui-ci soit tenu de se renseigner lui-même. pour une obligation d’information à la charge de l’investisseur. pour finir on peut légitimement se poser la question suivante : l’obligation d’information existe-t-elle à la seule charge de l’etat ou peut-elle, le cas échéant, s’appliquer à l’investisseur ? si la plupart des sentences récentes constatent cette obligation à la charge de l’etat en vertu du principe de traitement juste et équitable, on voit mal pourquoi, dans la relation qu’il entretient avec l’investisseur, ce dernier n’aurait pas lui aussi un obligation d’information. une telle obligation avait d’ailleurs été reconnue par des sentences plus anciennes. ainsi, la sentence klöckner de 1983 décidait : « lorsqu’un partenaire dans une entreprise financière internationale complexe prend conscience de certains faits qui pourraient influencer l’attitude et les actes de l’autre partenaire envers le projet, lorsque le premier partenaire s’abstient de fournir cette information à l'autre, et lorsque le second continue alors le projet et engage des frais supplémentaires, le premier partenaire n'a pas agi franchement et 454 sentence mtd v. chile, op.cit., § 165.
256 loyalement envers ses collègues, et il est mal venu à prétendre avoir droit aux fonds dont la dépense n’aurait peut-être jamais eu lieu s’il avait été franc et candide dans ses rapports. »455 a la différence de la plupart des sentences récentes, celle-ci impose une obligation de transparence à la partie « la plus expérimentée » (en l’occurrence l’investisseur), alors qu’il semble qu’on ne la trouve aujourd’hui plus guère qu’à la charge de l’etat d’accueil. s’agit-il d’une tendance lourde, ou cela est-il du au hasard des affaires soumises à l’arbitrage ces dernières années ? il est difficile de le dire. car s’il est vrai que l’investisseur est souvent désavantagé, notamment parce qu’il investit dans un environnement qui n’est pas le sien, il convient de rappeler que celui-ci n’est pas forcément la partie la plus faible, et surtout pas la moins expérimentée. plus généralement, d’ailleurs, il est permis de considérer, s’inspirant par exemple de la jurisprudence klöckner, que l’etat a, lui aussi, des attentes légitimes qu’il convient de protéger. conclusion du titre 1 : fonction morale de l' « attente légitime ». nous avons tenté de montrer l’étendue des types de situations dans lesquelles l’etat d’accueil risque d’engager sa responsabilité en décevant des attentes qu’il a lui-même – ou qu’il est censé avoir – suscité dans le chef de l'investisseur, soit avant, soit après la réalisation de l’investissement. au cours de cette analyse, nous avons pu constater que la teneur du principe de traitement juste et équitable est essentiellement morale. c’est que celui-ci se situe dans le prolongement du droit de la condition des étrangers (l’une des racines du droit international des investissements), qui reflète la tradition de l’humanisme chrétien456 . or il nous apparaît que cette 455 sentence klöckner c. cameroun, 21 octobre 1983 (aff. cirdi n° arb/81/2). 456 v. notamment d. carreau et p. juillard, droit international économique, op. cit., n°1074, à propos du droit de la condition des étrangers : « cette branche du droit international est ancienne. son fondement est d’ordre éthique, et reflète sa tradition, qui est celle de l’humanisme chrétien. parce que le souverain est l’élu de dieu, il doit protection au chrétien, dans la personne de l’étranger. le droit international lui fait
257 coloration morale se retrouve dans la fonction attribuée à la notion d’attente légitime : celle-ci répond à la préoccupation de l’injustice créée par une situation où l’etat, ayant laissé entendre qu’il se comportera de telle manière, déçoit la confiance ainsi créée chez l’investisseur lorsqu’il ne tient pas parole. or cette fonction de l’attente légitime est spécifique à son utilisation dans le cadre du traitement juste et équitable. en effet, on la retrouve dans des domaines du droit international des investissements beaucoup moins marqués par la tradition humaniste, et plus centrées sur des préoccupations d’ordre économique. c’est vers l’étude de cette deuxième dimension de la notion d’attente légitime en droit international des investissements que nous allons nous tourner à présent. donc obligation de respecter certains droits fondamentaux de l’étranger, dès lors que celui-ci se trouve en séjour sur ses états. »
258
259 titre 2. protection de l’investissement et attentes de l’investisseur. certains auteurs ont tendance à analyser la notion d’ « attente légitime » dans la seule perspective de ses rapports avec le principe de traitement juste et équitable457 , c’est-à-dire uniquement dans le cadre du traitement de l’investissement. pourtant, l’étude de la jurisprudence récente interdit ce genre de simplification. la notion occupe en effet aujourd’hui une place fondamentale – bien que, peut-être, moins centrale – dans d’autres contextes bien distincts de celui du traitement de l’investissement458 , au premier rang desquels celui de l’expropriation indirecte. rappel de la distinction entre traitement et protection de l’investissement. la question de savoir si l’etat d’accueil a exproprié indirectement l’investisseur est, en effet, bien distincte de celle de savoir s’il a traité celui-ci de manière juste et équitable : il s’agit non plus de la question du traitement de l’investissement mais de sa protection, c'est-à-dire de l’ensemble des règles qui préviennent ou sanctionnent les atteintes par l’etat d’accueil à l’existence de l’investissement international. un etat peut être sanctionné par un tribunal arbitral pour traitement injuste et inéquitable, sans pour autant que le tribunal considère qu’il a exproprié (même indirectement) l’investisseur459 . pourtant, c’est sur la même notion, celle d’ « attente légitime », que les tribunaux s’appuient très souvent pour répondre à ces deux questions distinctes. la question. cependant, la notion est-elle utilisée de la même façon dans le cadre de la protection de l’investissement que dans celui 457 v. notamment th. wälde, seperate opinion in the arbitration under chapter xi of the nafta and the uncitral arbitration rules: thunderbird ./. mexico (spéc. § 30). 458 pour la distinction entre traitement et protection de l’investissement, cf. supra p. 179. 459 c’était notamment le cas dans la sentence cms gas transmission company v. argentina, final award, 25 may 2005 (icsid case no. arb/01/08).
260 de son traitement ? a-t-elle, dans les deux cas, le même sens ? comment se fait-il que la même notion intervienne pour apprécier le respect de deux obligations biens distinctes (dans un cas, traiter de manière juste, dans l’autre, protéger l’existence de l’investissement), que ce soit dans les textes ou dans leurs esprits respectifs ? en effet, l’esprit de cette branche du droit international des investissements est bien différente : il ne s’agit plus guère de préoccupations d’ordre morale, mais plutôt d’efficacité économique (augmenter les flux d’investissement). en conséquence, il semble que la notion d’attente légitime remplisse ici une fonction toute autre que celle que l’on a pu observer jusqu’à présent. comme nous l’avons fait pour le « traitement juste et équitable » dans le titre précédent, attardons nous un instant sur la présentation générale et la place de la notion d’ « expropriation indirecte » dans le dispositif de protection de l’investissement en droit international, afin de voir comment on en est venu à invoquer à son appui la notion d’attente légitime (chapitre 1). nous verrons ensuite comment la protection de l’attente légitime est mise en œuvre au titre de la protection de l’investissement (chapitre 2).
261 chapitre 1. relations entre les notions d’ « attente légitime » et d’ « expropriation indirecte ». l’ « expropriation indirecte » est aujourd’hui la notion-clé de la protection de l’investissement international (section 1). cependant, on voit mal, a priori, quels rapports elle peut entretenir avec la notion d' « attente légitime » (section 2). section 1 : l’ « expropriation indirecte », notion-clé de la protection de l’investissement. nous rappellerons d’abord comment la notion d’expropriation indirecte a acquis l’importance qu’elle a aujourd’hui dans le contentieux relatif à la protection de l’investissement (§1), avant de voir quelle définition on peut en donner (§2). §1. problématique de l’expropriation indirecte dans le contentieux récent de l’investissement. raréfaction de l’expropriation directe et montée en puissance de la notion d’expropriation indirecte. il est établi depuis longtemps en droit international que les etats ne peuvent saisir les biens des étrangers – c'est-à-dire exproprier460 ces derniers – même à des fins publiques, de manière discriminatoire ou sans une indemnisation appropriée461 . pendant longtemps, le contentieux de l’expropriation a porté principalement sur le 460 voir la définition de l'expropriation par g. sacerdoti (bilateral treaties and multilateral instruments on investment protection, rcadi 1997 (tome 269)), p. 379 : “by expropriation is meant the coercive appropriation by the state of private property, usually by means of individual administrative measures.” 461 pour le caractère coutumier de ce principe, voir d. carreau et p. juillard, droit international économique, op. cit., n° 1317 s.
262 niveau d’indemnisation dû par l’etat. aujourd’hui, c’est avant tout la question de la qualification même d’ « expropriation » qui pose problème. etant donné la multiplication des cas dans lesquels la notion d’expropriation dans son acception traditionnelle ne suffisait plus à protéger l’investisseur, on a en effet reconnu la nécessité de l’étendre à des mesures qui, formellement, n’en présentent pas les caractéristiques. ce sont ces mesures d’ « expropriation indirecte », beaucoup plus difficiles à identifier puisque formellement moins bien définies, qui font aujourd’hui l’objet principal du contentieux. les expropriations formelles, en effet, sont devenues rares. les etats accueillant des investissements étrangers ont, depuis quelques temps, pris conscience des inconvénients multiples liés à l’expropriation pure et simple, consistant dans le transfert du titre de propriété de l’investisseur à l’etat d’accueil. comme le note c. schreuer, de telles mesures peuvent notamment considérablement entacher la réputation de l’etat et dissuader des investisseurs potentiels : “the unfavorable publicity engendered by such a drastic step and the negative effect on the host state’s investment climate make it unwise to seize foreign owned property openly.”462 a l’expropriation directe, les etats préfèrent donc aujourd’hui des mesures qui, du point de vue formel, n’en présentent pas les caractéristiques (notamment celle du transfert de propriété), tout en ayant des effets équivalents. ces mesures présentent l’avantage de servir leurs objectifs sans pour autant être affectées du label négatif d’ « expropriation ». cependant, il est reconnu, depuis le début des années 1980, qu’une mesure de l’etat d’accueil de l’investissement peut, sans constituer formellement une expropriation ou une nationalisation, porter atteinte à l’ investissement de telle manière qu’il faut la traiter comme telle463 . c’est une 462 c. schreuer, the concept of expropriation under the etc and other investment protection treaties, tdm vol. 2, issue #05, november 2005, p. 3. 463 sentence starret housing corp. v. iran, 19 december 1983, 4 iran-us ctr 122, § vi.b : « il est reconnu en droit international qu’une mesure prise par un état peut interférer avec le droit de propriété à
263 telle mesure que l’on appelle expropriation indirecte. ainsi, par exemple, dans la sentence tecmed, la société cytrar ne s’était pas vue privée de son titre de propriété ni dépossédée de son bien464 . pourtant le tribunal considéra qu’elle avait été indirectement expropriée : en lui refusant une licence nécessaire à l’exploitation de son usine de retraitement, les autorités mexicaines l’avaient empêché d’exploiter son investissement, la mettant dans une position semblable à celle qu’elle aurait eu si elle avait été expropriée. une conception large de la notion d’expropriation. la raison pour laquelle les mesures ayant un effet équivalent à un expropriation sont traitées de la même façon que ces dernières est à chercher dans le souci d’efficacité réelle des traités d’investissement. elle a été très bien formulée par s. manciaux dans les termes suivants : « dans la mesure où les traités relatifs aux investissements ont pour objectif de protéger les investisseurs (en vue d’augmenter les flux d’investissements), ces traités ne rempliraient pas leur rôle si les règles protectrices prévues en cas d’expropriation ou de nationalisation pouvaient être tournées par l’édiction d’une mesure identique dans ses effets, mais différente par sa forme. la protection de l’investisseur n’est complète que si l’on s’attache à l’effet de la mesure en faisant abstraction de sa nature. »465 par l’intermédiaire de la notion d’expropriation indirecte, c’est donc une conception large de l’expropriation qui est retenue, se définissant par référence aux effets des mesures étatiques sur l’investisseur plutôt qu’à leur nature. c’est donc à l’effet des mesures considérées qu’il faudra s’attacher pour distinguer entre les mesures qui sont équivalentes à une expropriation et celles qui ne le sont pas. le problème central est celui de savoir comment se définit cet effet caractéristique qui emporte la qualification un degré tel que ce droit est rendu si inutile qu’il doit être considéré comme exproprié. » (traduction s. manciaux, investissements étrangers et arbitrage entre états et ressortissants d’autres états, litec, paris, 2004). 464 pour un rappel des faits, cf. supra p. 228. 465 s. manciaux, investissements étrangers et arbitrage entre états et ressortissants d’autres états, litec, paris, 2004, p. 462.
264 d’expropriation indirecte ou de mesure équivalente à une expropriation. de quel effet s’agit-il ? ce sera à ce stade, nous le verrons, qu’interviendra la notion d’attente légitime. problématique de l’expropriation indirecte : recherche d’un équilibre entre deux extrêmes. la notion d’expropriation indirecte a pour fonction la sanction de mesures étatiques qui, sans constituer une expropriation au sens stricte du terme, doivent être sanctionnées de la même manière parce qu’elles en produisent les effets. toute la problématique de l’expropriation indirecte concerne la question de savoir à partir de quand il faut considérer qu’il y a eu expropriation alors même que le critère principal de celle-ci – à savoir le transfert du titre de propriété de l’investisseur privé à l’etat466 – fait défaut. il s’agit, en d’autres termes, de faire la part, parmi les mesures étatiques, entre simples mesures réglementaires ne donnant pas lieu à réparation (« non-compensable regulations ») et mesures équivalentes à une expropriation, qui entraînent une obligation de compensation chez l’etat d’accueil. la question qui est en jeu est donc celle de savoir jusqu’à quel point l’investisseur doit supporter lui-même le risque de son investissement, et à partir de quand c’est à l'etat de supporter le risque. comme l’ont noté dolzer et stevens467 , il s’agit d’un enjeu capital pour l’etat comme pour l’investisseur : pour l’investisseur, il s’agit de savoir s’il devra gérer (ou abandonner) une entreprise devenue non rentable ou s’il sera dédommagé. pour l’etat, cette question détermine l’étendue de ses pouvoirs de réglementation des droits et obligations des investisseurs étrangers. r. higgins, dans son cours à l’académie de droit international sur la prise de possession de biens par l’état, a formulé la question de la manière suivante : pour elle, il s’agit de se demander qui doit supporter le coût économique de la satisfaction de l’intérêt général qu’implique la mesure en question : 466 voir, par exemple, la définition donnée de l’expropriation par d. carreau et p. juillard, droit international économique, op.cit., n° 1376. 467 r. dolzer & m. stevens, bilateral investment treaties, icsid 1995, p. 99.
265 l’ensemble de la société, représentée par l’état, ou le propriétaire du bien touché ?468 en d’autres termes, il s’agit de trouver l’équilibre entre deux situations chacune aussi défavorable l’une que l’autre pour le développement des investissements internationaux. dans le cas d’une conception trop large de l’expropriation, le risque est que l’etat soit paralysé dans son action, devant indemniser tout investisseur auquel il cause un dommage, quelle qu’en soit l’envergure, et quelle que soit l’importance et l’urgence des mesures qu’il prend, par exemple pour la protection de l’environnement. dans une telle situation, il préférera vraisemblablement renoncer aux investissements venus de l’étranger. mais la situation inverse, celle d’une conception trop étroite de l’expropriation, serait, elle, trop dissuasive pour l’investisseur étranger. conscient du risque permanent d’anéantissement de son investissement, le risque lui paraîtra inconsidéré et il préférera renoncer à l’investissement dans un pays étranger. formulation de cette problématique en termes d’attentes. la problématique que nous venons de situer peut être reformulée en termes d’attentes respectives de l’investisseur et de l’etat d’accueil. d’un côté tout investisseur s’attend naturellement à une certaine sécurité de son investissement. de l’autre, il est normal que l'etat attende une suffisante liberté d’action, propre à sa souveraineté, malgré les engagements qu’il a pu prendre vis-à-vis de l’investisseur. néanmoins, il n’est possible de définir concrètement ce que chacun est en droit d’attendre qu’en fonction des faits propres à l’espèce. la notion juridique d’ « attente légitime » interviendra alors comme outil permettant à l’arbitre de mettre en balance les intérêts en présence 468 r. higgins, “the taking of property by the state: recent development in international law”, recueil des cours – académie de droit international, 1982, vol. 176 pp. 276, 277.
266 importance actuelle de la notion d’expropriation indirecte. la notion d’expropriation indirecte, nous l’avons vu, connaît depuis quelques années un essor considérable au sein du contentieux international de l’investissement. la quasi-totalité des traités d’investissement, multilatéraux ou plurilatéraux, contiennent aujourd’hui une disposition relative aux « expropriations indirectes » ou à des « mesures d’effet équivalent à des expropriations ». ainsi, l’art. 1110 de l’alena dispose que : « 1. aucune des parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d’une autre partie, ni prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation d’un tel investissement, sauf: (a) pour une raison d’intérêt public; (b) sur une base non discriminatoire; (c) en conformité avec l’application régulière de la loi et l’article 1105 (1)15; et (d) moyennant le versement d’une indemnité en conformité avec [les paragraphes qui suivent précisant l’évaluation des expropriations ainsi que la forme du versement et sa procédure]. » de même, dans son article 13, le traité de 1994 sur la charte de l’énergie stipule que : « … les investissements d’un investisseur d’une partie contractante réalisés dans la zone d’une autre partie contractante ne sont pas nationalisés, expropriés ou soumis à une ou plusieurs mesures ayant des effets équivalents à une nationalisation ou à une expropriation » sauf lorsque cette expropriation respecte les règles du droit international coutumier dans ce domaine (intérêt public, procédure régulière, non discrimination et indemnisation). »
267 la plupart des traités bilatéraux d'investissement, de la même façon, contiennent une disposition analogue469 . enfin, nous allons voir tout au long des prochains développements la place tout à fait primordiale que la notion d’expropriation indirecte occupe dans les sentences arbitrales récentes. §2. définition de l’expropriation indirecte. la plupart des traités d’investissements se contentent de se référer aux notions d’ « expropriation » et d' « expropriation indirecte », sans en donner de définitions. cela est probablement dû à la grande diversité des mesures étatiques pouvant être englobées par ces termes. pour r. dolzer et m. stevens, en effet : “such apparent reluctance to attempt a definition of « expropriation » in the bits may be explained by the fact that a host state, as is well known, can take a number of measures which have a similar effect to expropriation or nationalizationm, although they do not de jure constitute an act of expropriation.”470 nous tenterons, avec l’aide de la jurisprudence arbitrale, de donner une définition générale de l’expropriation indirecte (a), puis nous donnerons un aperçu de la diversité des formes qu’elle peut prendre (b). 469 voir, par exemple, l’art. 6 du modèle français (version 1999) de convention bilatérale sur la promotion et la protection des investissements (cnuced, compendium, volume v, p, 301). 470 r. dolzer & m. stevens, bilateral investment treaties, op.cit., p. 99.
268 a. tentative de définition unitaire de l’expropriation indirecte. difficulté de l’entreprise de définition. notons tout d’abord que, comme nous venons de le montrer, la définition de l’expropriation indirecte constitue le cœur même du problème de l’expropriation à l’heure actuelle. de surcroît, elle constitue également le cœur de notre problématique, puisque nous allons tenter de voir en quoi la notion d’ « attente légitime » peut apporter un élément supplémentaire et utile à la définition de l’expropriation indirecte. il va donc de soi que nous ne pouvons prétendre, à ce stade du moins, en donner une définition claire et satisfaisante. plus modestement, tentons de dégager les éléments de définition que la jurisprudence permet d’identifier clairement aujourd’hui. définitions issues de la jurisprudence. à défaut de trouver ces éléments dans les traités d’investissements, il convient de s’appuyer sur les sentences arbitrales et la doctrine. la formule la plus célèbre à ce sujet provient de la sentence metalclad, dans laquelle le tribunal définit l’expropriation indirecte comme une : “… covert or incidental interference with the use of property which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant part, of the use or reasonably-to-be-expected economic benefit of property even if not necessarily to the obvious benefit of the host state.”471 selon cette jurisprudence, toute mesure ayant pour effet de réduire les bénéfices auxquels l’investisseur pouvait raisonnablement s’attendre serait donc équivalente à une expropriation et donnerait, à ce titre, lieu à une compensation adéquate. bien que souvent citée par les tribunaux arbitraux antérieurs et par les commentateurs, cette formule n’est pourtant pas représentative de la tendance générale de la jurisprudence. elle a été critiquée comme trop large, c'est-à-dire trop protectrice de l’investisseur étranger : en 471 sentence metalclad, § 103.
269 imposant à l’etat d’accueil une obligation d’indemniser quasiment tous les dommages causés à l’investisseur étranger par des mesures réglementaires, on réduirait excessivement la liberté d’action de l’etat. les sentences suivantes ont généralement retenu une conception plus étroite de la notion. ainsi, on peut lire dans la sentence lauder : “in general, expropriation means the coercive appropriation by the state of private property, usually by means of individual administrative measures. nationalization involves large-scale takings on the basis of an executive or legislative act for the purpose of transferring property or interests into the public domain. the concept of indirect (or “de facto”, or “creeping”) expropriation is not clearly defined. indirect expropriation or nationalization is a measure that does not involve an overt taking, but that effectively neutralizes the enjoyment of the property.”472 cette définition, peut-être moins claire mais plus restrictive que celle donnée dans metalclad, correspond par ailleurs mieux à celle sur laquelle les auteurs se mettent d’accord. définitions doctrinales. y. nouvel propose une définition plus fidèle à la jurisprudence dominante qui s’est développée, avant la sentence metalclad, dans la jurisprudence du tribunal irano-américain, puis dans le cadre de la jurisprudence alena, cirdi473 , ou uncitral474 : « en partant d’une définition inspirée de la jurisprudence du tribunal irano-américain, on peut admettre que l’expropriation indirecte embrasse toute mesure adoptée par l’etat d’accueil, quel que soit son 472 ronald s. lauder v. the czech republic, uncitral arbitration rules, 3 september 2001, §200 (c’est nous qui soulignons). 473 sentence tecmed, § 114: “although these forms of [indirect] expropriation do not have a clear or unequivocal definition, it is generally understood that they materialize through actions or conduct, which do not explicitly express the purpose of depriving one of rights or assets, but actually have that effect.” 474 un tribunal uncitral a proposé la définition suivante (reprise par le tribunal cirdi de l’affaire cms v. argentina, § 261), dans la sentence ronald s. lauder v. the czech republic, 3 september 2001 : “indirect expropriation or nationalization is a measure that does not involve an overt taking, but that effectively neutralizes the enjoyment of the property.” (§ 200).
270 motif, qui prive l’investisseur étranger de l’usage, des bénéfices ou du contrôle de ses avoirs. »475 de même, selon c. schreuer : « the decisive element in an indirect expropriation is the substantial loss of control or economic value of a foreign investment without a physical taking. »476 pour g. sacerdoti, sont qualifiables d’expropriation indirecte les : « measures that do not involve an overt taking but that effectively neutralize the benefit of the property for the foreign owner »477 on pourrait en rajouter d’autres, mais toutes ces définitions vont dans la même direction, concordent sur un point : l’élément déterminant de la qualification d’expropriation indirecte est l’effet (plus ou moins bien défini) de la mesure. par ailleurs, notons qu’elles sont déjà plus restrictives que celle proposées dans la sentence metalclad, puisqu’elles contiennent toutes l'idée d’une « neutralisation », d’une « perte substantielle », ou d’une « privation » pure et simple des bénéfices (au sens large) de l’investissement. éléments fondamentaux de l’expropriation indirecte. au regard de la problématique que nous venons de présenter et de la tendance générale de la jurisprudence postérieure à la sentence metalclad, et à l’aide de la doctrine dominante, on peut donc identifier les éléments de définition suivants : 475 y. nouvel, l’indemnisation d’une expropriation indirecte, 5/3 int. l. forum, 198 (2003), p.198 (c’est nous qui soulignons). 476 c. schreuer, the concept of expropriation under the etc and other investment protection treaties, tdm vol. 2, issue #05, november 2005, p. 5 (c’est nous qui soulignons). 477 c. sacerdoti, rcadi, op.cit., p. 382 (c’est nous qui soulignons).
271 • le premier élément a trait à l’auteur de la mesure : l’expropriation indirecte est une mesure imputable à l’etat ou à une de ses émanations ; • le deuxième a trait à sa nature : contrairement à l’expropriation directe, il ne s’agit ni d'une dépossession physique ni d’un transfert formel du titre de propriété ; • le dernier, enfin, a trait à son effet : la mesure en question a un effet équivalent à celui d’une expropriation directe, c'est-à-dire qu’elle provoque la perte de contrôle par l’investisseur sur son investissement, ou l’anéantissement de la valeur économique de l’investissement ; ces éléments de définition, nous l’admettons, ne permettent pas encore de mettre en lumière un quelconque rapport entre la notion d’ « expropriation indirecte » et celle d’ « attente légitime ». en dehors de la définition, très contestée, proposée dans la sentence metalclad, qui fait référence à ce à quoi l’investisseur peut « raisonnablement s'attendre », rien ne permet, à partir de la définition généralement acceptée, de deviner l’intervention de cette notion. le seul critère relatif à l’effet de la mesure, en effet, concerne la perte de contrôle ou l’anéantissement de l’investissement. avant de voir comment la notion d’ « attente légitime » est amenée à intervenir, néanmoins, évoquons la diversité des formes qu’est susceptible de prendre une expropriation indirecte. b. diversité des formes de l’expropriation indirecte. différents types d’expropriation indirecte. en plus du terme générique d’ « expropriation indirecte », d’autres notions désignent ce type de mesures. certaines d’entre elles sont des synonymes purs et simples
272 de l’ « expropriation indirecte », mais d’autres en désignent une forme particulière. il convient de définir brièvement ces termes afin de bien comprendre la jurisprudence arbitrale de l’expropriation indirecte. ainsi, certains tribunaux n’emploient-ils pas le terme d’ « expropriation indirecte » (« indirect expropriation »), mais celui d’ « expropriation de fait » (« de facto expropriation »), de « mesure équivalant à une expropriation » (« measure tantamount to expropriation »), de « mesure d’effet équivalant à une expropriation » (« measure having an equivalent effect »), ou encore d’ « expropriation rampante » (« creeping expropriation »). a l'exception de l’ « expropriation rampante », tous ces termes sont fréquemment utilisés de manière interchangeable478 . le tribunal de l’affaire waste management, il est vrai, a tenu à opérer une distinction entre « indirect expropriation » et « measure tantamount to expropriation ». il considéra que: “an indirect expropriation is still a taking of property. by contrast, where a measure tantamount to an expropriation is alleged, there may have been no actual transfer, taking or loss of property by any person or entity, but rather an effect on property which makes formal distinctions of ownership irrelevant.”479 toutefois, cette distinction est très minoritaire et ne nous semble pas avoir de conséquences déterminantes dans la pratique. quant à l’expropriation rampante, elle constitue une forme particulière d’expropriation indirecte480 . elle désigne une expropriation de fait 478 v. par exemple sentence tecmed, § 114 : « generally, it is understood that the term “…equivalent to expropriation…” or “tantamount to expropriation” included in the agreement and in other international treaties related to the protection of foreign investors refers to the so-called “indirect expropriation” or “creeping expropriation”, as well as to the above-mentioned de facto expropriation. ». voir également g. sacerdoti, bilateral treaties and multilateral instruments on investment protection, 269 recueil des cours, académie de droit international de la haye, 255, 385-386 (1997). 479 sentence waste management, op.cit., § 143. 480 sur la nécessité de distinguer entre expropriation indirecte et expropriation rampante, voir la sentence tecmed, § 114, et g. sacerdoti, op. cit. p. 383.
273 qui résulte d’une série de mesures dont aucune ne suffirait, en elle-même, à constituer une expropriation481 . elle est donc souvent plus difficile à déceler. typologie des types de conduites pouvant constituer une expropriation indirecte. parmi les cas recensés dans la jurisprudence, on peut citer les exemples suivants482 de mesures considérées comme équivalant à des expropriations : • l’augmentation de taxes d’une ampleur telle que l’investissement n’est plus économiquement viable483 . • l’expulsion d’une personne ayant un rôle déterminant dans l’investissement484 . • le remplacement du gérant de l’entreprise par un gérant imposé485 . • le refus d’un permis de construire, en contradiction avec des déclarations préalables486 . • l’interférence avec les droits contractuels de l’investisseur entraînant dénonciation du contrat par le cocontractant privé487 . • la révocation d’une licence d’opération488 . il ne s’agit là cependant que d’exemples, et nullement d’une liste limitative des formes qu’une expropriation indirecte est susceptible de revêtir. 481 c. schreuer, the concept of expropriation, op.cit., p. 14: “creeping expropriation is a form of indirect expropriation that takes place incrementally or step by step. […] creeping expropriation takes place through a series of actions, none of which might qualify as an expropriation by itself, but the aggregate effect of which is to destroy the value of the investment.” 482 pour d’autres exemples, voir g. sacerdoti, rcadi op. cit., p. 383. 483 v. la sentence in the matter of revere copper and brass inc. v. overseas private investment corporation, 24 august 1978, 56 ilr 268. 484 v. par exemple la sentence biloune, et al. v. ghana investment centre, et al., 95 i.l.r.183, 207-10 (1993). 485 v. la sentence starrett housing corp. v. iran, 19 dec. 1983, 4 iran-us ctr 122. 486 v. sentence metalclad v. mexico, op.cit. 487 v. sentence cme v. czech republic, op.cit. 488 v. sentence tecmed v. mexico, op.cit.
274 les contours du concept d’expropriation indirecte maintenant quelques peu éclaircis, intéressons nous aux liens qu’elle entretient avec notion d’attente légitime. section 2 : l’ « attente légitime », élément déterminant de la qualification d’ « expropriation indirecte ». la notion d’ « attente légitime », nous venons de le voir, n’intervient pas dans la définition généralement donnée de l’expropriation indirecte. en outre, on voit mal, a priori, avec quel élément de la définition le terme d’attente légitime peut présenter un quelconque rapport. comment, donc, en est-on venu à s’appuyer sur cette notion pour distinguer une expropriation indirecte d’une mesure étatique ne donnant pas lieu à indemnisation ? nous avons vu que l’élément déterminant dans la qualification d’ « expropriation indirecte » est l’effet de la mesure étatique concernée, c'est-à-dire le préjudice subi par l’investisseur. cependant, tout préjudice subi par un investisseur ne permet pas à celui-ci de se prévaloir du régime juridique prévu en cas d’expropriation ou de mesures équivalentes. il faut que ce préjudice soit de la même intensité que celui souffert en cas d’expropriation489 . cela signifie qu’il faut d’abord que cet effet puisse être qualifié de dépossession. mais, pour les arbitres, ce critère ne semble pas suffire. les tribunaux ont de plus en plus souvent recours à la notion d’ « attente légitime » à l’appui de leur décision sur la question de savoir si l’effet était d’une intensité suffisante : pour que l’on qualifie la mesure 489 v. notamment c. yannaca-small, “indirect expropriation” and the “right to regulate” in international investment law, working papers on international investment number 2004/4, organisation for economic co-operation and development (oecd), directorate for financial and enterprise affairs, paris, 2004, pp. 10 s.
275 d’ « expropriation indirecte », il faut qu’elle soit de nature à frustrer les attentes légitimes de l’investisseur. apparu semble-t-il d’abord dans une contexte nord- américain (celui du contentieux de l’alena), on peut penser que le lien établi entre expropriation indirecte et attentes légitimes vient de la pratique juridique américaine (§1). mais quelles sont exactement les attentes qui sont protégées au titre de l’expropriation indirecte (§2) ? §1.- lien entre « attentes légitimes » et expropriation indirecte : une idée américaine ? les attentes de l’investisseur comme critère de l’expropriation indirecte sont apparues dans la jurisprudence interne américaine (a) avant d’être reprises par les tribunaux arbitraux internationaux (b). a. la jurisprudence de la cour suprême des etats-unis. le lien entre expropriation et attentes de l’investisseur trouve son origine, semble-t-il, dans la jurisprudence américaine sur les « regulatory takings490 » de droit interne. la notion utilisée est celle d’ « investment-backed expectation », dont on fait généralement remonter l’apparition à l’arrêt pennsylvania coal491 de 1922, et la systématisation à un 490 terme désignant les dépossessions opérées à la suite d’une activité normative des pouvoirs publics des etats ou de l’etat fédéral, qui aboutit à priver un citoyen de sa propriété en violation des 5ème et 14ème amendements de la constitution. il s’agit donc de l’équivalent de l’expropriation indirecte en droit interne américain. 491 pennsylvania coal co. v. mahon, 260 u.s. 393 (1922).
276 article de frank i. michelman écrit en 1967492 ainsi qu’à l’arrêt penn central transportation493 de 1978. la théorie de frank michelman. si michelman n’est pas l’inventeur de la notion d’ « investment-backed expectation », c’est dans son article intitulé property, utility and fairness: comments on the ethical foundations of “just compensation” law qu’apparaît pour la première fois une théorie du « regulatory taking » bâtie autour d’elle. l’idée de michelman est de fonder la distinction entre mesure réglementaire ne donnant pas lieu à compensation et mesure équivalant à une expropriation, non pas sur le degré d’interférence avec la valeur économique de l’investissement, mais sur la nature de l’intérêt dont l’investisseur se trouve privé : “[t]he test … does not ask ‘how much’, but rather (like the physical- occupation test) asks ‘whether or not’ : whether or not the measure in question can easily be seen to have practically deprived the claimant of some distinctly perceived, sharply cristallized, investment-backed expectation.”494 autrement dit, devrait être considérée comme équivalant à une expropriation toute mesure réglementaire ayant pour effet de décevoir une attente fondamentale de l’investisseur. observons qu’aucun des adjectifs utilisés pour qualifier l’attente à prendre en compte ne semble refléter l’idée de légitimité. l’attente dont la frustration emporterait la qualification de « taking » n’est pas nécessairement l’attente légitime, mais simplement l'attente clairement identifiable, bien définie, réelle et concrète. quant au qualificatif « investment-backed », il signifie que l’attente doit reposer sur un réel investissement, c'est-à-dire sur une volonté de faire fructifier le bien acquis, et non sur une simple spéculation. comme l’a noté un commentateur : 492 frank i. michelman, property, utility and fairness: comments on the ethical foundations of “just compensation” law, 80 harv. l. rev. 1165 (1967) 493 penn central transp. co. v. new york city, 438 u.s. 104 (1978). 494 f.i. michelman, op.cit., p. 1233.
277 “[i]nvestment-expectations law distinguishes between an investor and a speculator. the speculator does not have a distinct use objective when he purchases the property. the courts are much more sympathetic to the distinct expectations of the investor as contrasted with the open-ended profit motive of the speculator.”495 néanmoins, cela ne signifie pas que la seule attente protégée soit celle de pouvoir continuer à utiliser le bien de la manière dont on l’a utilisé jusqu’alors. l’objet de la notion est de protéger également les attentes portant sur les développements futurs de l’investissement496 . par exemple donc, une mesure réglementaire ayant pour effet d’interdire la construction d’un immeuble dont la construction n’a pas encore commencé, mais dont le propriétaire avait le projet, peut constituer une mesure équivalant à une expropriation. l’objectif de michelman est de proposer un test formulé de manière objective, qui permette, sans l’intervention de l’appréciation subjective du juge, d’identifier les situations dans lesquelles une indemnisation semble nécessaire : “to prevent a special kind of suffering on the part of people who have grounds for feeling themselves the victims of unprincipled exploitation”497 on peut faire remarquer que, dans ce passage, l'idée de légitimité ne semble tout de même pas entièrement étrangère à la théorie de michelman. s’il s’agit de protéger les investisseurs « who have grounds for feeling themselves the victims of unprincipled exploitation», c’est bien qu’ils avaient de bonnes raisons d’être indignés, parce que leurs attentes, elles- mêmes, avaient une certaine légitimité. cependant, le point important est que ni le terme « légitime » ni le terme « raisonnable », ni aucun terme équivalent, 495 b. h. siegan, property and freedom : the constitution, the courts, and land-use regulation (1997), p.146. 496 f.i. michelman, p. 1233 : “[a] ban on potential uses not yet established may destroy market value as effectively as does a ban on activity already in progress. the ban does not shed its retrospective quality simply because it affects only prospective uses.” 497 michelman, p. 1230.
278 qui aurait pour effet de conférer une trop grande marge d’appréciation au juge, n’intervient dans le test proposé. on fait intervenir l’attente de l’investisseur dans l’appréciation juridique, non pour la soumettre à un contrôle de validité, mais afin de constater si la mesure a eu un impact sérieux sur l’activité économique de l’investisseur. en d’autres termes, c’est le souci de protection de l’investisseur qui prime, et non celui de protection de la liberté normative et réglementaire de l’etat. l’arrêt penn central transportation. une dizaine d’années après la parution de l’article de michelman, sa théorie fut adoptée par la cour suprême dans l’arrêt penn central. celle-ci considéra que, lorsqu’il s’agit de décider si une mesure constitue un « regulatory taking » : “the economic impact of the regulation on the claimant and, particularly, the extent to which the regulation has interfered with distinct investment-backed expectations are, of course, relevant considerations.” dans cette affaire, la question était de savoir si la landmark preservation law de new york, une loi ayant pour objet la préservation des monuments historiques, équivalait à une expropriation des propriétaires de la gare grand central. cette loi avait pour effet d’interdire la construction d’un building surmontant le bâtiment historique de la gare. citant à plusieurs reprises l’article de michelman, la cour déclara que, afin de savoir s’il y avait eu ou non expropriation indirecte, il fallait prendre en compte trois critères498 : (1) l’effet de la mesure sur la valeur du bien. (2) l’interférence avec les “investment-backed expectations” du propriétaire. (3) les caractéristiques de la mesure. 498 penn central, op.cit., p. 124.
279 en l’occurrence, la cour considéra qu’il n’y avait pas eu d'expropriation. non que les propriétaires de grand central n’aient pas eu d’attentes dignes de protection, mais ces attentes n’avaient selon la cour pas été déçues réellement. malheureusement, il est difficile de tirer un enseignement réel de cet arrêt, vu, d’une part son manque de clarté quant à la signification exacte du terme d’ “investment-backed expectations” ainsi qu’à son importance par rapport aux autres critères à prendre en compte, et d’autre part l’importance des circonstances et considérations économiques spécifiques aux faits de l'espèce. la jurisprudence postérieure, nous allons le voir, fera évoluer la notion, mais ne parviendra guère à lui apporter un sens plus précis. la jurisprudence postérieure à penn central. bien que penn central demeure l’arrêt de référence en matière de « investment-backed expectation » (c’est celui qui est généralement cité, et auquel on se réfère le plus souvent), le sens de cette notion a considérablement évolué par la suite. la jurisprudence qui suivit se caractérise, malgré le maintien de la notion d’ « investment-backed expectation », par une distanciation de plus en plus nette par rapport à la théorie de michelman. dés l’arrêt kaiser aetna v. united states499 , c'est-à-dire un an après l’arrêt penn central, on observe une évolution de la formule employée par la cour. a la formule de « distinct investment-backed expectation », elle préfère celle de « reasonable investment-backed expectation ». sans qu’il soit possible de dire si ce changement traduisait une réelle intention de la cour de se démarquer de la décision penn central, il est clair qu’il aura des conséquences considérables sur toute la suite de la jurisprudence, qui reprendra quasi-systématiquement cette formulation. comme le notent r.s. radford et j.d. breemer : 499 kaiser aetna v. united states 444 u.s. 164 (1979).
280 « regardless of whether, as scholars have argued, this change in terminology was meant to reflect a shift to an objective standard500 , or represented the adoption of a “balancing test that weighs public benefits against private costs,”501 the effect has been to invite courts to rely on their own evaluation of the validity of a claimant’s expectations, rather than examining the impact of governmental restrictions in foreclosing distinctly identifiable planned uses of land.”502 l’examen mené par les juges changeait donc radicalement de nature, puisque d’une question purement objective (l’investisseur a-t-il une ou plusieurs attentes distinctes ?), telle que l’avait voulu michelman, on passait à un appréciation subjective de l’opportunité de l’attente (l’attente de l’investisseur est-elle raisonnable ?). cinq ans plus tard, en 1984, l’arrêt ruckelshaus v. monsanto503 vint accentuer encore cette évolution. dans cette affaire, il s’agissait de savoir si un fabriquant de pesticides se trouvait indirectement exproprié par une loi fédérale relative aux insecticides et autres produits toxiques (le fifra504 ), contenant des dispositions qui autorisaient une agence de protection de l’environnement (la epa505 ) à publier les informations confidentielles relative à l’entreprise. la cour considéra que, alors même que ces dispositions n'étaient pas encore contenues dans le fifra, le fabriquant n’avait pas d’ « attente raisonnable » selon laquelle epa ne publierait pas ces informations et que, par conséquent, il n’avait pas été exproprié. la raison pour laquelle une telle attente n’était pas raisonnable était la suivante : 500 see oswald, supra note 3, at 107 n.82 (arguing that the shift in terminol- ogy from distinct to reasonable “suggest[s] that the owner’s expectations should be gauged by some objective standard”). one problem with regarding “reasonableness” in this context as an objective standard is the broad subjectivity courts employ in deciding what considerations go into the calculus of reasonableness. for a (presumably nonexclusive) list of twelve factors various courts have examined in making this determination, see berger, supra note 3, at 765. 501 see also eagle, supra note 3, at 442 (“while ‘expectations’ seem personal and subjective, ‘reasonableness’ seems rooted in the context of social interaction and objective. in short, reasonable expectations are shaped by law or shape the law.”). 502 r. s. radford & j. david breemer, great expectations: will palazzolo v. rhode island clarify the murky doctrine of investment-backed expectations in regulatory takings law?, 9 n.y.u. envtl. l.j. 449, 449 (2001), p. 12. 503 ruckelshsaus v. monsanto, 467 u.s. 986 (1984). 504 federal insecticide, fungicide and rodenticide act. 505 environmental protection agency.
281 “in an industry that long has been the focus of great public concern and significant government regulation, the possibility was substantial that the federal government, which had thus far taken no position on disclosure of health, safety, and environmental data concerning pesticides, upon focusing on the issue, would find disclosure to be in the public interest.”506 la simple possibilité de l’apparition d’une loi autorisant la publication de ces informations interdisait donc de former une attente raisonnable selon laquelle elles ne seraient pas publiées. et cela malgré l’existence d’une loi protégeant le secret professionnel (le trade secrets act), en vigueur avant les amendements au fifra de 1972, qui prévoyant des sanctions pénales pour de telles publications. cette loi, selon la cour, ne suffisait pas à fonder une attente raisonnable selon lequel le secret professionnel serait protégé. breemer et radford tirent les enseignements de l’arrêt de la manière suivante : “monsanto thus established that a takings claimant’s otherwise reasonable expectations concerning the use of his or her property may be defeated if the claimant has constructive notice of a regulation that may authorize interference with that use.507 more significantly, it suggested that constructive notice could be established simply by the existence of a general regulatory scheme that might serve to authorize subsequent, specific regulatory restrictions at some future time. thus, the court construed reasonable expectations to mean that ’property owners, at least under certain circumstances, ought to anticipate changes in the law’.”508 la notion est ici entièrement au service de l’intérêt de l’etat : du moment que l’éventualité d’un changement était théoriquement prévisible, l’investisseur doit s’y attendre. la notion revêt ainsi une signification parfaitement objective, et n’a plus grand rapport avec la subjectivité de l’investisseur. on 506 arrêt monsanto, op.cit., p. 1008. 507 see, e.g., mandelker, investment-backed expectations, supra note 3, at 219 (“monsanto suggests actual notice is not necessary because it held the statute put the company on notice it might have to disclose trade secrets. this is constructive notice.”). 508 r. s. radford & j. david breemer, op. cit., p. 15.
282 peut même se demander, dans ces conditions, quelle attente favorable à la partie privée est encore susceptible d’être considérée comme raisonnable. quoiqu’il en soit, la notion a beaucoup évolué depuis ses débuts. sa fonction actuelle semble bien éloignée de celle d’origine, dans la théorie de michelman : pour ce dernier, en effet, les attentes considérées étaient concrètes et subjectives et la notion avait pour fonction d’établir un équilibre entre intérêts de l’etat et intérêts de l’investisseur. par ailleurs on constate que, en plus du changement de signification attachée à la notion de « investment-backed expectation », celle-ci semble devenir le critère central pour la question de l’expropriation indirecte : l’absence d’attentes raisonnables frustrées suffit à rejeter la prétention du demandeur. conclusion sur la notion d’ « investment-backed expectation ». la suite de la jurisprudence est très inconstante, et il est difficile d’y observer une tendance lourde : la jurisprudence monsanto a été limitée aux « takings » de biens mobiliers (nollan509 ), puis on a prétendu limiter la pertinence des attentes de l’investisseur aux « partial takings »510 (luca511 ), mais une étude trop détaillée de cette jurisprudence ne nous mènerait à rien de très utile. on le voit, il est difficile de rendre compte avec clarté de la signification de cette notion dans le contentieux américain des « regulatory takings », étant donné l’inconstance de la jurisprudence. pourtant, il nous a semblé intéressant d’opérer ce détour afin de faire la lumière sur une possible origine du critère de l’attente pour la question de l’expropriation indirecte en droit international des investissements. les arbitres pourront par ailleurs s’inspirer de l’expérience américaine pour définir de manière suffisamment précise la fonction du critère de l’attente légitime dans ce contexte. 509 nollan v. california coastal commission 483 u.s. 825 (1987). 510 expropriation partielle. 511 lucas v. south carolina coastal council 505 u.s. 1003 (1992).
283 voyons à présent comment la notion a été reçue en droit international des investissements, et quel lien qu’on peut établir entre le sens de la notion en droit américain et en droit international des investissements. b. un critère repris par la jurisprudence de droit international des investissements. l'étude de la jurisprudence de droit international des investissements permet d'identifier un critère semblable à celui que nous venons de présenter en droit américain. si la notion utilisée est le plus souvent celle de « legitimate expectation » au lieu de « investment-backed expectation », on peut sans doute établir un lien de filiation ente les deux notions. systématisation de la notion par les plaideurs américains. on peut penser que c’est dans un contexte nord-américain, celui du contentieux de l’alena, que le critère de l’attente légitime a été introduit dans le domaine du droit international des investissements avant de se généraliser512 . c'est très probablement, en effet, par l’intermédiaire des plaideurs américains que la notion a été introduite, comme en atteste la sentence azurix v. the argentine republic513 . adaptation de la notion. il arrive par ailleurs, bien que rarement, que le concept même de « investment-backed expectation » soit employé par les auteurs écrivant sur le droit international des investissements. ainsi, on peut lire dans un article de j. paulsson : 512 v. notamment la sentence metalclad précitée, que nous situons comme le point de départ de la systématisation de l’utilisation du critère de l’attente légitime, et dans laquelle le demandeur était un ressortissant américain. 513 azurix corp. v. the argentine republic, 14 july 2006 (icsid case no. arb/01/12) : dans cette sentence, la notion de « investment-backed expectation » est expressément invoquée par l’investisseur américain (§ 341).
284 “the grounds on which a property owner adversely affected by regulation may be entitled to compensation are becoming much clearer. first among these is the notion of “reasonable investment-backed expectations” – not my favourite phrase but so often repeated that it cannot be ignored. many will prefer the methanex formulation: “specific commitments … given by the regulating government to the then putative foreign investor contemplating investment that the government would refrain from such regulation.”514 en revanche, on ne trouve, à notre connaissance, jamais la notion d’ « investment-backed expectation » dans les sentences arbitrales, où les arbitres lui préfèrent celle de « reasonable », « legitimate » ou « justified expectation ». quoiqu’il en soi, il semble que la raison d’être de la notion soit la même dans le cadre strictement américain et en droit international. celle-ci réside dans la préoccupation de protéger l’attente qu’a tout investisseur d’avoir une chance de faire fructifier son investissement, du moment qu’il en a réellement l’intention. ne peut-on pas craindre, en effet, que, si celui-ci est entièrement à la merci de l’arbitraire de l’etat d’accueil, il préfèrera renoncer à l’investissement. encore faut-il se demander si le contenu du terme de « legitimate expectation » tel qu’il est employé par les tribunaux arbitraux est également le même que celui de « investsment-backed expectation » : quelle est la nature des attentes protégées au titre de la sanction de l’expropriation indirecte ? 514 j. paulsson, indirect expropriation: is the right to regulate at risk? (contribution to the symposium co- organized by icsid, oecd and unctad : ”making the most of international investment agreements: a common agenda”. 12 december 2005, paris, disponible sur www.oecd.org/dataoecd/5/52/36055332.pdf), p. 3. v. aussi t. wälde, treaties and regulatory risk in infrastructure investment - the effectiveness of international law disciplines versus sanctions by global markets in reducing the political and regulatory risk for private infrastructure investment. journal of world trade 34(2): 1–61, 2000, p. 27.
285 §2.- nature des attentes protégées : attentes nées de l’ensemble des circonstances. en droit international des investissements, la notion utilisée dans le contexte de l’expropriation est généralement la même que dans le cadre du traitement juste et équitable : « attente légitime » ou « attente raisonnable ». a premier abord, on est donc tenté de croire qu’elle a exactement le même sens. dans un premier temps, d’ailleurs, les tribunaux ont semblé employer la notion dans le même sens dans ces deux contextes (a). mais l’évolution récente de la jurisprudence montre qu’elle recouvre une réalité quelque peu différente (b). a. historique : utilisation indifférenciée de la notion d’ « attente légitime ». rappelons ce que nous avions constaté quant au spectre des attentes légitimes dont il est question dans le contexte du traitement juste et équitable. celui-ci est limité par l’origine de ces attentes, c'est-à-dire par la manière dont elles sont générées (cf. supra p. 206s.) : sont seules considérées comme pertinentes les attentes créées par les déclarations ou le comportement des autorités de l’etat d’accueil, que ce soit implicitement ou explicitement. c’est d’ailleurs cette origine qui leur confèrent leur caractère légitime : c’est parce que l’etat d’accueil a fait telle ou telle promesse, et parce qu’il est censé la tenir, que les attentes qui en découlent sont légitimes. en va-t-il de même pour les attentes dont il est question ici, dans le contexte de l’expropriation indirecte ? limite-t-on, ici aussi, les attentes prises en comptes à raison de leur origine ?
286 contenu des « investment-backed expectations » du droit américain. chez michelman, on ne trouve aucune trace d’une telle restriction. les attentes de l’investisseur qu’il invitait les juges à prendre en compte étaient celles que l’on pouvait qualifier de clairement identifiables, bien définies, réelles et concrètes515 . mais il n'était jamais question de leur origine ; celle-ci ne paraissait pas pertinente. on peut donc en conclure que ces attentes pouvaient être issues de l’ensemble des circonstances de l’affaire, et non pas seulement du comportement de l’etat d’accueil. de même dans penn central, où la cour suprême, qui fit une application à peu près fidèle de la théorie de michelman, ne fit aucune référence à la manière dont les attentes étaient créées. l’épithète « investment-backed » semble signifie que l’on vérifie l’authenticité des attentes (il faut que le propriétaire soit véritablement un investisseur, qui aie véritablement l’intention de faire fructifier son bien), mais pas la manière dont elles on été générées. ce qui est exigé est que les attentes soient réelles, et non purement spéculatives. comparaison avec le contenu des « legitimate expectations » du droit international. en reprenant à son compte la notion, le droit international des investissements, au contraire, semblait tenir compte de la façon dont l’attente était générée. cela découlait d’ailleurs logiquement de l’apposition de l’adjectif « légitime » : du moment que l’on limitait les attentes prises en compte à celles ayant une suffisante légitimité, il fallait dégager un critère de cette légitimité. c’est ainsi que, dans un premier temps, les tribunaux semblèrent se limiter à la prise en compte d’attentes créées par le comportement de l’etat d’accueil516 . les « attentes légitimes » ou « attentes raisonnables » auxquelles il est fait référence semblaient donc, jusqu’à un période assez 515 cf. supra, p. 276. 516 v. notamment sentences metalclad, §§107,108 ; marvin feldman v. mexico, 16 december 2002 (icsid case no. arb(af)/99/1), § 148 (pour, en l’espèce, écarter la prise en compte des attentes, les déclarations n’étant pas considérée comme suffisamment claires).
287 récente, identiques à celles dont il est question dans le cadre de la question du traitement juste et équitable. les arbitres avaient naturellement tendance à justifier leur caractère légitime par le fait qu’elles avaient été créées par l’etat d’accueil. ce n’est que récemment, avec la sentence tecmed, que les arbitres semblèrent prendre conscience du fait que l’attente pouvait puiser sa légitimité dans une source autre qu’une promesse de l’etat. b. l’apparition récente d’une différenciation: tecmed et azurix. la sentence tecmed. c’est avec la sentence tecmed de 2003 que les choses commencent à changer517 . le demandeur, tecmed, invoqua la frustration de ses attentes légitimes pour convaincre le tribunal qu’il avait été victime d’une expropriation indirecte. mais les attentes auxquelles il se référait ne présentaient aucun lien avec des déclarations ou comportements de l’etat d’accueil. selon lui, le refus de renouveler la licence avait pour effet de : “… frustrate its justified expectation of the continuity and duration of the investment made and would impair recovery of the invested amounts and the expected rate of return”518 la simple déception de ses « attentes justifiées » constituait selon le demandeur un élément déterminant en faveur de la conclusion selon laquelle il y avait eu expropriation indirecte. or ces attentes ne se justifiaient pas par des promesses que les autorités publiques auraient faites à tecmed, mais simplement par des considérations d’ordre économique et commercial, ayant trait notamment aux caractéristiques objectives de l’investissement (par exemple la durée nécessaire à la rentabilisation de l’investissement). 517 pour un rappel des faits, cf. supra p. 228. 518 sentence tecmed, § 41.
288 le tribunal accepta cet argument, considérant que l’objectif du demandeur était : “… to accomplish a public use purpose fully consistent with the activity that this landfill had been serving since its beginning in 1988— and to continue the same activity. such were necessarily the legitimate expectations of cytrar and of the claimant…”519 les attentes dont il est question ici ne présentent plus de lien direct avec le comportement ou les déclarations de l’etat d’accueil. il s’agit simplement d’attentes « normales » au regard des circonstances, et à ce titre légitimes. le changement de perspective est d’importance, puisqu’il élargit considérablement l’éventail des attentes dont la déception peut être un indice d’expropriation indirecte. dans cette mesure, l’utilisation récente de l’attente légitime rappelle fortement celle du droit américain, du moins telle qu’elle a évolué après l’arrêt penn central. afin de mettre en évidence le caractère « normal » de telles attentes (attente de ne pas être empêché d’exploiter l’usine de retraitement acquise), le tribunal souligne l’absurdité que présenterait l’acquisition du terrain par cytrar si ce n’était pour l’opération d’une usine de retraitement. les attentes de cytrar étaient donc parfaitement en phase avec l’esprit de l’accord : “… what promotora, on the one hand, and tecmed and cytrar, on the other, had in mind when entering into the agreement (from the standpoint of the latter, also when contemplating an investment in mexico and in the las víboras landfill), was not simply the transfer of certain personal and real property but also to create the means for cytrar to be able to operate the las víboras site as a hazardous waste landfill …”520 définie ainsi, l’attente légitime très proche de l’ « investment-backed expectation » du droit américain : rappelons en effet que, dans sa conception 519 sentence tecmed, § 88. 520 sentence tecmed, § 88.
289 originelle , l’ « investment-backed expectation » mettait l’accent sur le fait que l’attente devait reposer sur un réel investissement, c'est-à-dire sur une volonté de faire fructifier le bien acquis, et non sur une simple spéculation. la sentence azurix. en 2006, le tribunal rendant la sentence azurix approuva l’approche du tribunal de tecmed dans les termes suivants : “that tribunal, for instance, took into account the declaration of 1994 and the implicit need of a long-term operation of the landfill for the investor to be able to have a reasonable return on the expected investment even when the specific permit was only a one-year permit.”521 la sentence azurix confirme donc que les attentes à prendre en compte ne se limitent pas à ce qui découle du comportement de l’etat, mais de tout ce qui est implicite (autre terme pour « normal ») dans le contexte d’une telle opération d’investissement. un spectre d’attentes plus large. le spectre des attentes prises en considération dans le cadre de la question de l’expropriation se trouve ainsi considérablement élargi. il ne s’agit plus seulement des attentes créées par l’etat d’accueil, mais également des attentes issues de la « normalité », c'est-à-dire entre autre des objectifs inhérents à l’opération d’investissement. l’une des conséquences est que la légitimité de l'attente devra être appréciée différemment que dans le contexte du traitement juste et équitable, l’arbitre disposant d’une palette de critères beaucoup plus large. 521 sentence azurix, § 318.
290
291 chapitre 2. les modalités de protection de l’attente de l’investisseur au titre de l’interdiction de l'expropriation indirecte. on le voit, on ne peut plus aujourd’hui faire abstraction de la notion d’ « attente légitime » lorsque l’on parle d’expropriation indirecte en droit international des investissements. nous avons également donné un aperçu de la teneur de cette notion, et vu dans quelle mesure elle est à distinguer de la notion d’ « attente légitime » dans le cadre du traitement juste et équitable. toutefois, si nous savons à présent comment elle a surgi en droit international de l’expropriation, encore faut-il nous demander comment et à quelles fins on l’emploie aujourd'hui. quelle est sa fonction ? et en quoi cette fonction se distingue-t-elle de celle qu’elle a dans le contexte du traitement de l’investissement ? par ailleurs, on peut se demander si la notion est susceptible d’une définition a priori plus précise – notamment quant à son contenu – où si les attentes concrètes dépendent entièrement des faits de chaque espèce. après avoir expliqué le rôle de la notion d’attente légitime comme critère d’appoint pour la question de l’expropriation indirecte (section 1), nous tenterons de donner une idée plus précise de son contenu (section 2). section 1 : la déception des attentes légitimes, critère nécessaire mais insuffisant de l’expropriation indirecte. t. wälde et a. kolo écrivaient dès 2001 à propos de l’analyse de ce qui constitue une expropriation indirecte : « the proper analysis as indicated by practice and precedent will focus on the extent to which subsequent regulation (which may be by a change in the law or by a change in the interpretation and application of
292 existing law) undermines the legitimate proprietary rights and expectations of the investor.”522 les auteurs préconisaient donc, comme les tribunaux commençaient déjà à le faire, de prendre pour critères de l’expropriation indirecte l’anéantissement des droits relatifs à la propriété et des attentes légitimes de l’investisseur. en effet, s'inspirant de la jurisprudence américaine, les tribunaux arbitraux ont développé à l’aide de la notion d’attente légitime un critère aidant à identifier les mesures étatiques qualifiables d’expropriations indirectes (§1). mais contrairement à une certaine tendance des tribunaux américains, qui ont paru en faire le critère principal du « regulatory taking », la jurisprudence arbitrale limite la notion à un rôle subalterne, le considérant à lui seul comme insuffisant (§2). §1.- la déception des « attentes légitimes » comme critère de l’expropriation indirecte. l'effet de la mesure, critère central de son caractère expropriateur. pour comprendre le rôle de l’attente légitime dans l’identification de l’expropriation indirecte, il faut d’abord se rappeler que c’est l’effet de la mesure incriminée qui constitue le critère central523 . comme le note c. schreuer, en effet : 522 th. wälde & a. kolo, environmental regulation, investment protection and “regulatory taking” in international law (2001) 50 iclq 811-48, p. 824. 523 cf. supra p. 267s., lorsque nous avons défini l’ « expropriation indirecte ». nous n’entrerons pas ici dans le détail de la théorie alternative de l’expropriation indirecte, très minoritaire, fondée sur l’intention de l’etat plutôt que sur l’effet de la mesure (sur cette théorie, v. notamment c. yannaca-small, “indirect expropriation” and the “right to regulate” in international investment law, working papers on international investment number 2004/4, organisation for economic co-operation and development (oecd), directorate for financial and enterprise affairs, paris, 2004, pp. 18 s ; c. schreuer, the concept of expropriation under the etc and other investment protection treaties, tdm vol. 2, issue #05, november 2005, pp. 35 s.
293 “judicial practice indicates that the severity of the economic impact is the decisive criterion when it comes to deciding whether an indirect expropriation or a measure tantamount to expropriation has taken place.”524 on peut citer, dans le même sens, r. dolzer, qui écrit : “no one will seriously doubt that the severity of the impact upon the legal status, and the practical impact on the owner’s ability to use and enjoy his property, will be a central factor in determining whether a regulatory measure effects a taking.”525 en effet, dans la plupart des sentences, c’est au critère de l’effet qu’est donné le rôle prépondérant. dans tecmed, par exemple, le tribunal considéra que : “the government’s intention is less important than the effects of the measures on the owner of the assets or on the benefit arising from such assets affected by the measures. and the form of the deprivation measure is less important than its actual effects.”526 doctrine et jurisprudence s’accordent donc pour considérer que le critère déterminant est l’effet de la mesure. cette approche, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. le tribunal irano-américain, en effet, avait déjà adopté cette approche527 . le problème : comment déterminer l’effet permettant de qualifier une mesure d’ « expropriation indirecte » ? dès lors, la question est de savoir quel effet emporte la qualification d’expropriation indirecte. c’est que, faut-il le rappeler, l’effet habituel de l’expropriation, à savoir la dépossession ou le transfert du titre de propriété, est par définition absent. a 524 c. schreuer, op.cit., p. 28. 525 r. dolzer, indirect expropriations: new developments, 11 n.y.u. environmental law journal 64, p. 79. 526 sentence tecmed, § 116. 527 voir, par exemple, la décision tippetts, abbet, mccarthy, stratton v.tams/affa consulting engineers of iran et al., decision of june 29, 1984; 6 iran-united states rep., p. 219 et s.; p. 225 (1984-ii).
294 partir de quel degré d’interférence avec l’investissement faut-il considérer celui-ci comme exproprié ? les tribunaux sont unanimes pour considérer que le critère principal est celui de l’anéantissement de l’investissement (c'est-à-dire de sa valeur économique), ou du moins la perte de contrôle par l’investisseur de son investissement. ainsi, par exemple, dans tecmed, le tribunal commence par rappeler que : “to establish whether the resolution is a measure equivalent to an expropriation under the terms of section 5(1) of the agreement, it must be first determined if the claimant, due to the resolution, was radically deprived of the economical use and enjoyment of its investments, as if the rights related thereto —such as the income or benefits related to the landfill or to its exploitation— had ceased to exist.”528 du moment que l’investisseur peut continuer son activité, on considérera donc en principe qu’il n’y a pas d’expropriation indirecte. la doctrine confirme ce critère : « the decisive element in an indirect expropriation is the substantial loss of control or economic value of a foreign investment without physical taking. »529 cependant, le critère de l’anéantissement de l’investissement ne semble pas suffisant. certaines mesures ayant pour effet 528 sentence tecmed, § 115. dans le même sens, ronald s. lauder v. the czech republic, uncitral arbitration rules, 3 september 2001, § 200 : “indirect expropriation or nationalization is a measure that does not involve an overt taking, but that effectively neutralized the enjoyment of the property”. pour des exemples de sentences refusant de qualifier une mesure étatique d’expropriation indirecte en raison de l’absence de ce critère, v. pope & talbot v. canada, 10 april 2001, 7 icsid reports 102 (§102); generation ukraine, inc. v. ukraine, 16 september 2003 (icsid case no. arb/00/9) (§20.32); gami investments, inc. v. the united mexican states, uncitral rules, final award, 15 november 2004 (§133); cms gas transmission company v. argentina, final award, 25 may 2005 (icsid case no. arb/01/08) (§262). 529 c. schreuer, the concept of expropriation under the etc and other investment protection treaties, may 2005, p. 5. voir aussi i. brownlie, principles of public international law 534 (5th ed., 1998); r. higgins, the takings of property by the state : recent developments in international law, 176 recueil des cours 263, 351 (1982-iii); w. kühn/u. wiegel, the application of international law and treaty provisions by arbitrators, 4 the journal of world investment 451, 464 (2003); unctad series on issues in international investment agreements, taking of property 4, 41 (2000).
295 de neutraliser un investissement étranger peuvent être jugées parfaitement raisonnables, justifiées et nécessaires. l'effet qui en découle est donc « normal », et la mesure ne donne pas lieu à dédommagement. la sentence methanex v. usa530 en est un exemple : cette affaire concernait un investissement canadien (la société methanex étant un producteur canadien de méthanol) en californie, affecté par l’entrée en vigueur d’une interdiction sur certains additifs destinés aux carburants. le tribunal décida que cette interdiction ne constituait pas une expropriation indirecte, alors même qu’il reconnaissait que l’investissement avait été anéanti : “… the californian ban was made for a public purpose, was nondiscriminatory, and was accomplished by due process,[and] from the standpoint of international law, it was a lawful regulation and not an expropriation…”531 cette décision était justifiée par le fait que : “…[the ban was] motivated by the honest belief, held in good faith and on reasonable scientific grounds, that mtbe [the controversial additive] contaminated groundwater and was difficult and expensive to clean up.”532 la sentence methanex montre donc bien que la simple constatation de l’anéantissement de l’investissement du fait de l’etat d’accueil ne suffit souvent pas à condamner celui-ci au versement de réparations pour expropriation indirecte : “it follows that even when the investor has suffered the total destruction of a business, a state may escape any obligation to pay compensation under international law, and international arbitrators are prepared to give national authorities considerable discretion in making policy choices.”533 530 methanex corporation v. united states of america, uncitral rules, final award, 5 august 2005. 531 sentence methanex, part iv, chapter d, § 15. 532 sentence methanex, part iii, chapter a, § 102. 533 j. paulsson, indirect expropriation, op.cit., p. 3.
296 la constatation de l’anéantissement de l’investissement ne fait que donner une première indication du fait que la mesure pourrait équivaloir à une expropriation indirecte. ce qui manque, on le voit, est l’instrument de mesure qui permet de déceler l’effet qui cesse d’être normal, qui devient excessif et justifie que l’on impose à l’etat une obligation de dédommagement. or il semble que cet instrument ait été découvert en la notion d’ « attente légitime ». l’attente légitime, instrument de mesure de l’effet de la mesure réglementaire. c’est en effet peut-être précisément par l’intermédiaire de la notion d’ « attente légitime » qu’est apparu l’instrument recherché : l’instrument de mesure permettant de distinguer entre effet normal d’une mesure réglementaire, et effet excessif, assimilant celle-ci à une expropriation, et emportant l’obligation pour l’etat de dédommager l’investisseur. ce sont les sentences goetz v. burundi534 et metalclad qui, à notre connaissance, ont été les premières à prendre explicitement les attentes de l’investisseur comme critère de l’expropriation indirecte. dans la première, le tribunal considéra une mesure comme équivalant à une expropriation parce qu’elle : “…deprived the investment of all utility and deprived the claimant investors of the benefit which they could have expected from their investments…”535 mais la sentence ayant réellement marqué le point de départ d’une jurisprudence de l’expropriation indirecte fondée sur l’attente légitime est la sentence metalclad. dans une formule reprise et commentée mainte fois, le tribunal énonça que : 534 goetz and others v. republic of burundi, 2 september 1998 (icsid case no. arb/95/3), 6 icsid reports 5. 535 sentence goetz v. burundi, § 124.
297 “thus, expropriation under nafta includes not only open, deliberate and acknowledged takings of property, such as outright seizure or formal or obligatory transfer of title in favour of the host state, but also covert or incidental interference with the use of property which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant part, of the use or reasonably-to-be-expected economic benefit of property even if not necessarily to the obvious benefit of the host state.”536 selon le tribunal, l’expropriation indirecte s’analyse donc en une mesure étatique interférant avec la jouissance de la propriété, et qui a pour effet : - soit de priver purement et simplement le propriétaire, en entier ou en grande partie, de cette jouissance ; - soit de le priver seulement du bénéfice économique auquel il pouvait légitimement s’attendre. ce que l’on peut tirer de cet extrait, c’est que le recours à la notion d’ « attente légitime »537 répond au manque de critère dont souffre l’arbitre confronté à la question de savoir si une mesure constitue une expropriation, alors même que le critère principal de celle-ci – le transfert du titre de propriété à l’etat – est absent. le critère principal étant absent, l’arbitre se trouve dans la nécessité d’avoir recours à d’autres critères. le tribunal de metalclad apporte ici une réponse à cette question. il rappelle d’abord que le critère manquant est à chercher dans l'effet de la mesure en question : si celle-ci a un effet équivalant à celui d’une expropriation (sans en constituer formellement une), alors il faut considérer qu’il y a expropriation indirecte. cela n’est pas nouveau. mais l’innovation réside dans la caractérisation de cet effet : l’effet caractéristique de l’expropriation peut être analysé en une privation, en entier ou en grande 536 sentence metalclad, § 103. 537 en l’occurrence, le tribunal se réfère plutôt à l’ « attente raisonnable », mais nous avons vu que ces deux termes sont généralement utilisés de manière indifférenciée.
298 partie, de la jouissance du bénéfice économique auquel l’investisseur peut légitimement s’attendre. en l’espèce538 , le tribunal considéra que le refus par la municipalité d’accorder à metalclad le permis de construire constituait une expropriation indirecte, puisque cette mesure frustrait les attentes de l’investisseur, attentes qui plus est créées par les autorités mexicaines elles- même : “these measures, taken together with the representations of the mexican federal government, on which metalclad relied, and the absence of a timely, orderly or substantive basis for the denial by the municipality of the local construction permit, amount to an indirect expropriation.”539 la définition que le tribunal donne de l’expropriation indirecte est extrêmement large, puisqu’elle englobe toutes les mesures étatiques frustrant les attentes légitimes de l’investisseur relatives aux profits qu’il peut tirer de l’exploitation de sa propriété. il faut d’ailleurs noter que la sentence metalclad a fait l’objet de nombreuses critiques pour cette raison540 : en adoptant une définition trop large de l’expropriation, elle favoriserait l’investisseur de manière excessive. on observera d’ailleurs plus de mesure dans la jurisprudence ultérieure, qui refuse de prendre la frustration des attentes légitimes de l’investisseur comme critère unique et auto-suffisant de l’expropriation indirecte. si ce critère continue à être utilisé et à jouer un rôle important, il ne peut jouer un rôle que cumulativement avec d’autres critères. 538 pour un rappel des faits, cf. supra p. 215. 539 sentence metalclad, § 107. 540 l'un des plus vigoureux opposants à cette conception de l’expropriation indirecte est ph. sands, qui a commenté la sentence de manière extrêmement sévère : “this decision has the effect of extinguishing local decision-making authority. it is as though the tribunal had decided that the international rules against expropriation allow – even require – central government to override the wishes of a local community, even where that community’s actions have not been found to be illegal under local law and the investment was made in full knowledge of local opposition.” (ph. sands, lawless world, penguin books, 2005, p. 135).
299 dans un premier temps, malgré les critiques, application du critère développé par metalclad. dans un premier temps, le critère de l’attente légitime tel qu’il avait été développé par la sentence metalclad fut appliqué tel quel par un certain nombre de tribunaux. ainsi, dans la sentence cme v. czech republic541 , dont nous avons rappelé les faits542 , le tribunal reprit mot à mot la formulation de metalclad à son compte, et décida que les changements intervenus dans la politique du « czech media council » équivalaient à une expropriation543 . de même, dans la sentence consortium rfcc544 , le tribunal, après avoir constaté que : « les effets des mesures prises doivent avoir une certaine intensité pour que celles-ci puissent être qualifiées de mesures équivalentes à l’expropriation. »545 considéra que cette intensité était atteinte lorsque ceux-ci : «… réduisent et/ou font disparaître les bénéfices légitimement attendus de l’exploitation des droits objets de ladite mesure à tel point qu’ils rendent la détention de ces droits inutile. »546 dans la sentence oepc547 également, le critère sembla confirmé. en 1999 oepc, une compagnie pétrolière américaine, conclut un contrat de participation avec petroecuador, une entreprise publique équatorienne, pour l’exploration et la production de pétrole en equateur. ce contrat faisait suite à une série d’accords de services entre oepc et petroecuador. oepc fit, conformément aux règlements en vigueur, une demande auprès d’une autorité publique (sri), pour le remboursement des tva qu’elle avait payé en réalisant des acquisitions nécessaires à son activité. 541 cme czech republic b.v. v. czech republic, uncitral rules, partial award 11 september 2001. 542 cf. supra, p. 217s. 543 sentence cme, § 606. 544 consortium rfcc c/ royaume du maroc, 22 décembre 2003. 545 op. cit. § 67. 546 op. cit. § 69. 547 occidental exploration and production company (oepc) v. ecuador, 1 july 2004.
300 le remboursement fut accordé. a partir de 2001, néanmoins, sri refusa de continuer à faire les remboursements, sous prétexte que le contrat lui-même réglait déjà cette question, les règlements n’ayant donc pas à s’appliquer. le demandeur prétendit que cette inconstance dans le comportement de sri, se traduisant par le refus subit de remboursement de la tva, constituait une expropriation indirecte. le tribunal, tout en prenant ses distances548 par rapport à la jurisprudence metalclad, l’appliqua aux faits de l’espèce en citant le passage pertinent549 . mais il considéra qu’en l’occurrence que les attentes d’oepc n’avaient pas été déçues, et qu’il n’y avait donc pas lieu de considérer l’investissement d’oepc comme exproprié : “the tribunal holds that the respondent in this case did not adopt measures that could be considered as amounting to direct or indirect expropriation. in fact, there has been no deprivation of the use or reasonably expected economic benefit of the investment…”550 les sentences metalclad, cme, et oepc, en introduisant le critère de l’attente légitime, apportent donc déjà une indication de l’effet de la mesure étatique qui est à prendre en considération lorsque l’on veut déterminer si elle équivaut à une expropriation. cependant, ces sentences demeurent trop floues quant à la mise en œuvre, c'est-à-dire à l’application aux faits concrets de l'espèce, de ce critère. elles nous apprennent que les attentes raisonnables doivent être prises en considération, mais on ne sait pas exactement comment, ni ce qui confère à une attente son caractère raisonnable ou légitime. du reste, elles apparaissent trop peu nuancées, semblant considérer que la déception de la moindre attente, du moment qu’elle est raisonnable, que le moindre bénéfice perdu, emporte qualification d’expropriation. 548 sentence oepc, § 88 : le tribunal fait précéder l’application de la jurisprudence metalclad par ces mots: « even in the context of such a broad definition… », montrant par là qu’elle n’endosse pas purement et simplement cette définition. 549 sentence oepc, § 87. 550 sentence oepc, § 89.
301 les éclaircissements et le nuances nécessaires commencent à apparaître avec la sentence tecmed. la sentence tecmed : rôle précisé et nuancé de la notion d’attente légitime. dans la sentence tecmed551 , le tribunal se démarqua assez nettement de la jurisprudence metalclad. en plus de sa demande pour violation du traitement juste et équitable, tecmed prétendait que le refus de renouveler la licence d’exploitation constituait une expropriation indirecte de son investissement. une fois de plus, le tribunal eut recours à la notion d’attente légitime pour répondre à cette question. toutefois, contrairement aux tribunaux qui avaient rendu la plupart des sentences précédentes, il ne pris pas appuis sur le célèbre passage de metalclad552 . il proposa une utilisation moins radicale, plus nuancée, de la notion. l’originalité de la sentence tecmed – dans le domaine de l’expropriation – réside selon nous dans l’articulation de deux idées. la première est celle selon laquelle l’un des éléments caractéristiques d’une mesure équivalant à une expropriation est son caractère disproportionné : “…the arbitral tribunal will consider, in order to determine if they are to be characterized as expropriatory, whether such actions or measures are proportional to the public interest presumably protected thereby and to the protection legally granted to investments, taking into account that the significance of such impact has a key role upon deciding the proportionality.”553 s'inspirant de la jurisprudence de la cour européenne de droits de l'homme554 (cedh), le tribunal introduit donc un contrôle de proportionnalité entre les effets de la mesure prise sur l’investissement et son but. si les effets 551 tecnicas medioambientales tecmed s.a. v. the united mexican states, 29 may 2003 (icsid case no. arb(af)/00/2) (disponible sur le site internet du cirdi). 552 § 103 de la sentence metalclad, que nous citons p. 268 supra. 553 sentence tecmed, § 122. 554 v. notamment la décision in the case of matos e silva, lda., and others v. portugal, judgment of september 16, 1996, 92, p. 19 , http://hudoc.echr.coe.int.
302 apparaissent disproportionnés par rapport au but, alors c’est un indice supplémentaire555 selon lequel il s’agit d’une expropriation indirecte. la deuxième idée consiste à dire qu’il faut apprécier l’amplitude de l'effet (que l’on va par la suite mesurer aux objectifs d’intérêt public poursuivis pour déterminer le caractère proportionné de la mesure étatique) en fonction de la déception des attentes légitimes de l’investisseur. l’articulation de ces deux idées est formulée dans le passage suivant : “although the analysis starts at the due deference owing to the state when defining the issues that affect its public policy or the interests of society as a whole, as well as the actions that will be implemented to protect such values, such situation does not prevent the arbitral tribunal, without thereby questioning such due deference, from examining the actions of the state in light of article 5(1) of the agreement to determine whether such measures are reasonable with respect to their goals, the deprivation of economic rights and the legitimate expectations of who suffered such deprivation. there must be a reasonable relationship of proportionality between the charge or weight imposed to the foreign investor and the aim sought to be realized by any expropriatory measure.”556 la notion d’attente légitime devient donc un instrument de contrôle de proportionnalité, plutôt qu’un critère autonome. ce n’est qu’après un examen extrêmement minutieux des attentes légitimes de tecmed et cytrar et de l’effet de leur déception557 , d’un côté, et du degré de nécessité des mesures prises par les autorités mexicaines pour apaiser la crise liée à l'opération de l’usine de retraitement, de l’autre, que le tribunal conclut qu’il s’agissait bien en l’occurrence d’une expropriation indirecte. 555 le tribunal a rappelé au préalable, comme dans les sentences précédentes, que l’indice principal est l’anéantissement de l’investissement. 556 sentence tecmed, § 122 : ce que tecmed attendait de l’investissement, souligne le tribunal, n’était pas la possession de biens immobiliers comme une fin en soi, mais la création de moyens pour l’exploitation d’une usine de retraitement de déchets industriels à long terme, afin de réaliser un profit. or cette attente, bien évidemment, est frustrée par le mesure d’annulation de la licence. 557 v. sentence tecmed, § 88.
303 confirmation récente de la jurisprudence tecmed. la pertinence de l’appréciation des attentes légitimes de l’investisseur dans le cadre de la question de l’expropriation indirecte a été réitérée dans une sentence très récente : azurix v. argentina558 . dans cette sentence, le demandeur s’était prévalu de la jurisprudence tecmed : “conduct contrary to an investor’s legitimate expectations that constitute a norm or were induced by the government also can amount to expropriation.”559 le tribunal approuva les règles formulées dans tecmed et considéra, contrairement au défendeur, qu’elles pouvaient être appliquées en l’espèce : en effet, bien que dans l’affaire tecmed, à la différence de la présente affaire, l'etat fédéral mexicain n’était pas partie au contrat d’investissement, il observa que certains actes ayant frustré les attentes créées chez l’investisseur étaient attribuables à l’etat560 . un critère réellement nécessaire ? peut-être nous objectera-t-on que le critère de l’attente légitime est d’une importance bien relative, puisque certaines sentences récentes traitent de la question de l’expropriation indirecte sans aucune référence à la notion d’attente légitime. c'est le cas notamment de la sentence cms, dans laquelle le tribunal ne s’est jamais appuyé sur cette notion, bien qu’elle ait été invoquée par le demandeur561 . il se contenta de rappeler que : 558 azurix corp. v. the argentine republic, 14 july 2006 (icsid case no. arb/01/12). 559 argument du demandeur restitué par le tribunal au § 286 de la sentence azurix. 560 sentence azurix, § 316 : “tecmed is a clear example in which a tribunal took into account the expectations of the investor. argentina has dismissed the relevance of this case on the basis that mexico had no contract with the investor. in fact, the tribunal in that case considered attributable to mexico, as the sovereign, certain acts that frustrated the expectations generated in the investor even when mexico was not party to the contract. that tribunal determined that the conduct of ine, the mexican federal agency which had issued the license, was attributable to the government. hence, the considerations of that tribunal are not without significance for these proceedings” 561 sentence cms, § 256 : “the claimant argues that the measures adopted by the argentine government during the period 2000-2002 resulted in indirect and creeping expropriation of acquired rights in the form of legal commitments, assurances and guarantees expressly offered to the investor. the claimant says that as a result, it can no longer rely on the basic conditions that were critical for its decision to undertake the
304 “the essential question is therefore to establish whether the enjoyment of the property has been effectively neutralized. the standard that a number of tribunal has applied in recent cases where indirect expropriation has been contended is that of substantial deprivation.”562 de même dans la sentence saluka, aucune référence n’est faite à la notion dans le cadre de l’expropriation. le tribunal se contente de considérer que les autorités d’un etat ne commettent pas d’expropriation: “… when, in the normal exercise of their regulatory powers, they adopt in a non-discriminatory manner bona fide regulations that are aimed at the general welfare.”563 dans cette sentence, ainsi que dans la sentence methanex564 , le critère appliqué est celui de l’intention de l’etat plutôt que celui de l’effet. il faut toutefois se garder d’y voir un recul du critère de l’attente légitime. en effet, si le critère de l’attente légitime n’est pas nécessaire, les sentences que nous avons étudié ont montré son intérêt pratique : il constitue un instrument permettant aux arbitres de mesurer la « raisonnabilité » d’une mesure par référence à ce qu’il est « normal » d’attendre dans un contexte factuel bien déterminé. il autorise donc les arbitres à considérer la question de l’expropriation indirecte avec une plus grande souplesse, permettant une mise en balance les intérêts en présence plutôt qu’une application rigide d’un critère (celui de la neutralisation de l’investissement) qui peut apparaître simpliste. néanmoins, il faut bien admettre que le critère de l’attente légitime ne peut se suffire à lui-même et qu’il n’intervient que comme critère d’appoint. project; that the value of its assets has been wiped out; and that it cannot enjoy the economic benefits reasonably expected of the investment.” 562 sentence cms, § 262. 563 sentence saluka, § 255. 564 methanex corporation v. united states of america, uncitral rules, final award, 5 august 2005, pp. 275 s.
305 §2.- insuffisance du critère de la déception des attentes légitimes. la célèbre formule565 de la sentence metalclad pourrait inciter à penser que le critère de la déception des attentes légitimes et le critère central de l’expropriation indirecte. pourtant il n’en est rien. la déception des attentes légitimes ne suffit pas à caractériser une expropriation indirecte. comme l’a montré l’étude de la sentence tecmed, la question de la déception des attentes légitimes ne constitue que l’une des étapes du raisonnement. c’est ce qu’à tenu à préciser le tribunal dans la sentence waste management : « the loss of benefits or expectations is not a sufficient criterion for an expropriation, even if it is a necessary one. »566 en effet, la déception de l’attente légitime doit demeurer un critère d’appoint, auquel les arbitres ont recours pour mesurer la proportionnalité des mesures étatiques avec les objectifs poursuivis et le dommage causé à l’investisseur, après avoir constaté la neutralisation de l’investissement. elle est donc indissociable du critère de la perte de la valeur économique de l’investissement. conditions supplémentaires. de plus, certaines sentences suggèrent que la mesure en question doit, en plus de produire les effets d’une expropriation, en présenter les caractères afin de pouvoir être qualifiée d’expropriation indirecte. ainsi dans la sentence s. d. myers le tribunal a-t-il 565 citée plus haut, p. 268 supra. 566 waste management inc. v. united mexican states, 30 april 2004 (icsid case no. arb(af)/00/3), § 159.
306 tenu à mettre l’accent sur la permanence qui caractérise toute mesure d’expropriation : “an expropriation usually amounts to a lasting removal of the ability of an owner to make use of its economic rights.”567 c’est en raison du caractère temporaire de la mesure que, en l’occurrence, le tribunal considéra qu’il n'y avait pas eu expropriation indirecte568 . on retrouve ce même critère dans la sentence tecmed : “…it is understood that the measures adopted by a state, whether regulatory or not, are an indirect de facto expropriation if they are irreversible and permanent…”569 par ailleurs, il a été suggérer que la motivation de la mesure pouvait jouer un rôle dans la qualification d’expropriation indirecte. c’est, encore une fois, le tribunal rendant la sentence tecmed qui considéra qu’il convenait de se demander si, du point de vue de l’etat, la mesure était raisonnable et légitime au regard des objectifs poursuivis570 . section 2 : identification des attentes à protéger. si les attentes légitimes de l’investisseur dépendent des faits de chaque espèce et nécessitent donc d’être appréciées au cas par cas, certaines attentes ne sont-elles pas si fréquentes et si indissociables de l’idée 567 s.d. myers inc. v. government of canada, uncitral rules, partial award 13 september 2000, § 283 (c’est nous qui soulignons). 568 sentence s.d. myers, § 288. 569 sentence tecmed, § 116. 570 sentence tecmed, § 122.
307 même d’investissement que l’on peut les considérer comme légitimes indépendamment d’une appréciation des faits de l’espèce ? n’est pas envisageable de proposer une typologie des attentes légitimes qui sont celles de tout investisseur étranger, indépendamment de toute autre circonstance ? la question se pose notamment pour deux types d’attentes, invoquées particulièrement fréquemment par les investisseurs : l’attente de durée de l’investissement (§1) et l’attente de profit (§2). §1.- l’attente de durée de l’investissement. l’attente de durée de l’investissement était invoquée par le demandeur dans l’affaire tecmed. le tribunal constata qu’en effet : “there is no doubt that, even if cytrar did not have an indefinite permit but a permit renewable every year, the claimant’s expectation was that of a long-term investment relying on the recovery of its investment and the estimated return through the operation of the landfill during its entire useful life.”571 or il apparaît que, pour parvenir à cette conclusion, le tribunal s’appuie, non pas sur les faits de l’espèce mais sur la simple constatation que l’opération menée par tecmed au mexique présentait les caractères d’un investissement. si le tribunal se réfère aux faits spécifiques de l’affaire, ce n’est que pour répondre à la question de savoir si tecmed avait bien réalisé un investissement. il en découle directement que tecmed avait une attente légitime de durée de son investissement, tout investissement nécessitant une durée suffisante pour avoir une chance d’être rentabilisé. ce n’est que dans un deuxième temps que le tribunal prend appui sur les faits de l’espèce pour confirmer l’existence, en l’occurrence d’une attente légitime de longue durée de l’investissement : 571 sentence tecmed, § 149.
308 “both the authorization to operate as a landfill, dated may 1994, and the subsequent permits granted by ine, including the permit, were based on the environmental impact declaration of 1994, which projected a useful life of ten years for the landfill.this shows that even before the claimant made its investment, it was widely known that the investor expected its investments in the landfill to last for a long term and that it took this into account to estimate the time and business required to recover such investment and obtain the expected return upon making its tender offer for the acquisition of the assets related to the landfill.”572 si l’attente légitime de durée de l’investissement apparaissait d’autant plus évidente dans cette affaire aux yeux des faits de l’espèce, ne peut-on pas soutenir que c’est le propre de tout investissement international de nécessiter une durée suffisamment longue pour être rentabilisé ? attente de durée et définition de l’investissement. l’attente de durée serait donc légitime parce qu’inhérente à la notion d’investissement. la durée ne fait-elle d’ailleurs pas partie de la définition même de l’investissement ? il suffit de se référer à la définition donnée par p. juillard, pour qui : « …la mobilité n’est pas la volatilité, comme le montre l’exigence du lien durable, inhérente à la notion d’investissement. »573 c’est donc au stade de la définition même de l’investissement que l’attente légitime de durée semble pouvoir intervenir : sans la durée qui le caractérise, l’investissement serait vidé de sa substance. 572 sentence tecmed, § 150 (c’est nous qui soulignons). 573 d. carreau, p. juillard, droit international économique, précis dalloz, paris, 3e éd., 2007, n° 1099.
309 §2.- l’attente de profit. complexité de la question. peut-on aller plus loin encore et prétendre, comme on l’a montré pour l’attente de durée de l’investissement, que l’investisseur a une attente légitime de profit ? il va de soi que toute opération d’investissement est accompagnée d’une attente de profit, puisqu’il s’agit de l’objectif même de l’investissement. il n’est donc pas faux de dire que l’absence de profit, comme la durée trop courte, vide l’investissement de sa substance. d’autre part, l’attente de durée, dont nous avons vu qu’elle était protégée, n’est-elle pas le simple corollaire de l’attente de profit ? néanmoins il est également évident que le risque fait partie intégrante de toute opération d’investissement. on perçoit la complexité de la question de savoir si l’attente de profit est digne de protection. c’est en réalité de nouveau la question de la répartition des risques de l’investissement entre l’investisseur et l’etat d’accueil qui se pose ici. l’objet du traité d’investissement est-il d’enlever tout risque à l’opération d’investissement ? dans ce cas, il conviendrait de protéger son attente de profit. l'investisseur, au contraire, doit-il continuer à supporter une partie des risques de son investissement574 ? la question s’est posée dans plusieurs arbitrages à deux stades de la procédure : sur le fond, lorsqu’il s’agit de se demander s’il y a eu expropriation indirecte (a) ; et sur la question des réparations, lorsqu’il s’agit de déterminer, en cas d’expropriation, le montant du dédommagement (b). 574 les traités d’investissement n’étant, selon l’expression consacrée, « pas des polices d’assurances » (v. par exemple mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile, 25 may 2004 (icsid case no. arb/01/7), § 178 “the bits are not an insurance against business risk” ou emilio agustin maffezini v. kingdom of spain, 13 november 2000, 5 icsid reports 419 (icsid case no. arb/97/7), § 69 “the tribunal must emphasize that bilateral investment treaties are not insurance policies against bad business judgments”.
310 a. au stade de la question de l’existence d’une expropriation indirecte. en réalité, deux questions distinctes doivent être posées : y a-t-il une attente légitime de ne pas voir ses profits à venir diminués ? et y a-t- il une attente légitime de ne pas voir ses perspectives de profits anéanties purement et simplement ? il convient de distinguer entre ces deux questions car la deuxième a directement trait à l’existence de l’investissement (l’anéantissement des perspectives de profits signifiant la fin de l’investissement). cas dans lesquels la mesure étatique provoque une diminution des profits. la sentence metalclad peut sembler suggérer que, dans tout investissement, l’investisseur s’attend à un profit raisonnable, l’atteinte auquel constituerait une expropriation indirecte ( « reasonnably-to- be-expected economic benefit » (§103)). ce serait pourtant aller trop loin, et la plupart des sentences invitent à la pondération. si l’on considérait qu’une simple diminution des profits de l’investisseur du fait de mesures étatiques suffisait à conclure à une expropriation, les etats d’accueil seraient réellement condamnés à jouer le rôle d’assureurs du risque économique inhérent à l’opération d’investissement. on ne voit pas à quel titre la répartition du risque devrait être à ce point déséquilibrée. ainsi, dans la sentence pope & talbot v. canada (interim award)575 , le tribunal déclara que : “even accepting (for the purpose of this analysis) the allegations of the investor concerning dimished profits, the tribunal concludes that the degree of interference with the investment’s operations due to the export control regime does not rise to an expropriation (creeping or otherwise) within the meanging of article 1110.”576 575 sentence pope & talbot inc v. the government of canada (interim merits award) du 26 juin 2000, disponible sur www.naftaclaims.com. 576 sentence pope & talbot op. cit., § 102.
311 cas dans lesquels la mesure étatique anéantit les profits. cependant, qu’en est-il du cas où les profits sont purement et simplement anéantis, privant l’investissement de toute valeur ? s’agit-il de la frustration d’une attente légitime ? il semble que non puisque, à l’image de la sentence feldman, les tribunaux considèrent que : “…not all government regulatory activity that makes it difficult or impossible for an investor to carry out a particular business, change in the law or change in the application of existing laws that makes it uneconomical to continue a particular business, is an expropriation under article 1110. governments, in their exercise of regulatory power, frequently change their laws and regulations in response to changing economic circumstances or changing political, economic or social considerations. those changes may well make certain activities less profitable or even uneconomic to continue.”577 néanmoins, les tribunaux semblent plus enclin à accepter l'existence d’une attente légitime de profits lorsque se pose la question des réparations dues en cas d’expropriation. b. au stade de la question du montant des réparations en cas d’expropriation. attente légitime et lucrum cessans. c’est plus souvent dans le cadre de la détermination du montant des réparations pour expropriation que le tribunaux ont recours aux attentes légitimes des parties concernant les profits. plus exactement, la notion d’attente légitime est utilisée pour déterminer la valeur du lucrum cessans. or ce que l’on indemnise pour le futur, c’est la perte d'une chance. le problème est de savoir comment évaluer cette chance. les arbitres chargés de déterminer l’ampleur du lucrum cessans ne se posent en principe pas la question de savoir quels profits l’investisseur 577 marvin feldman v. mexico, 16 december 2002 (icsid case no. arb(af)/99/1), § 112.
312 était certain de réaliser dans l’avenir, mais à quels profits il pouvait raisonnablement s’attendre. ainsi selon le professeur o. schachter : “the value of the enterprise as a « going concern » capitalising income may also be an appropriate standard subject to legitimate expectation and actual conditions.”578 en 1982, le tribunal dans l’affaire aminoil avait recours à la notion d’attente légitime de l’investisseur pour le calcul du dédommagement : “compensation then, must be calculated on a basis such as to warrant the upkeep af a flow of investment in the future. 148. both parties to the present litigation have invoked the notion of « legitimate expectations » for deciding on compensation. that formula is well-advised…”579 mais l’idée n’était alors pas tout à fait nouvelle puisqu’en 1963 déjà, elle était sous-jacente à la sentence sapphire580 , à propos de laquelle y. nouvel écrit que, pour prendre en compte la perte de profits possibles dans le calcul de l’indemnisation : « …il suffit de démontrer que les perspectives de profits anéanties par l’expropriation indirecte pouvaient être raisonnablement attendues. »581 quant à la question du critère de la légitimité (ou de la « raisonnabilité ») de l’attente, il ajoute un peu plus loin que : « … les profits à venir n’ont de caractère raisonnable qu’au vu des conditions économiques générales.»582 578 o. schachter, international law in theory and practice, dordrecht/boston/london: m. nijhoff, p. 324. 579 sentence government of kuweit v. american independent oil co. (aminoil), 66 ilr 518 (1982), §§ 147, 148. 580 sapphire international petroleum ltd. v. national iranian oil co., 35 ilr (1963). 581 y. nouvel, l’indemnisation d’une expropriation indirecte, 5/3 int. l. forum 198, 2003, p. 200. 582 y. nouvel, op. cit. p. 202.
313 c’est d’ailleurs ce que disait le tribunal irano-américain dans la sentence harold birbaum : “…while any diminution of value caused by the deprivation of property itself should be disregarded, […] changes in the general political, social, and economic conditions should be considered to the extent they could reasonably have been expected to affect the value of the enterprise’s assets.”583 dans la sentence middle east cement v. egypt, le tribunal eu également recours à l’attente légitime pour le calcul d’indemnisation de l’expropriation. l’investissement exproprié consistait dans l’acquisition d’une licence d’import de ciment, et le tribunal s’appuya sur la notion d’attente légitime pour déterminer l’étendue des profits futurs qu’aurait pu engendrer l’exploitation de cette licence : “the license being the “expropriated” investment, its earning capacity during the remainder of its life may well come into consideration for assessing its “market value” under the bit. nothing would have prevented claimant from concluding other cement supply contracts or contracts providing for the use of its terminal facilities. the circumstance that some of the cement supply contracts take into consideration possible increases in quantities and/ or extension of duration lends support to the conclusion that the license had not exhausted its potentiality of yielding further profits to claimant’s benefit and that, accordingly, claimant had a legitimate expectation that it could have earned additional profits under the license.”584 de multiples sentences vont donc dans le sens de la reconnaissance d’une attente légitime de profits à venir. néanmoins, peut-on en conclure que tout investisseur à une telle attente légitime ? nous ne le pensons pas. en effet, c’est en s’appuyant sur le constat de la rentabilité actuelle de l’investissement concluent à la légitimité de l’attente de profits 583 sentence harold birbaum (1993), iran-us ctr, vol. 29, p. 260 et s., § 42. 584 middle east cement shipping and handling co. s.a. v. arab republic of egypt, 12 april 2002, icsid case no. arb/99/6, disponible sur www.worldbak.com/icsid, § 127 (c’est nous qui soulignons).
314 futurs. la légitimité d’une telle attente est donc au moins soumise à cette restriction. notons enfin qu’on a pu faire appel à l’attente légitime dans le but limiter le montant de l’indemnisation accordée à l'investisseur. ainsi, i. brownlie soutint dans une opinion rendue en marge de la sentence cme v. czech republic, que : « the element of reasonableness, which rules out the compensation of returns which go beyond the legitimate expectations of the investor. »585 on le voit, la frustration de l’attente de profit (légitime ou non) n’est pas prise en compte dans le cadre de la question de savoir si une expropriation indirecte est intervenue. elles ne sont prises en compte par les arbitres qu’une fois l’expropriation établie, pour le calcul de l’indemnisation. conclusion du titre 2. en définitive, la notion d’ « attente légitime » semble intervenir dans le contexte de la protection de l’investissement comme un étalon, un critère commode, permettant de mesurer l’opportunité d’une compensation du dommage subi par l’investisseur au regard des faits de l’espèce. elle n’entre donc en jeu que dans le cadre de considérations purement économiques : il s'agit de rendre les conditions de l’investissement aussi favorables que possible afin d’augmenter les flux d’investissement). or il nous apparaît que c’est en cela que la fonction de la notion dans ce contexte se distingue nettement de celle qu’elle remplit dans le 585 i. brownlie, seperate opinion in the arbitration under uncitral arbitration rules cme czech republic b.v. v. czech republic, partial award 11 september 2001, § 34.
315 contexte du traitement de l’investissement. lorsque la notion intervient dans le cadre de l’application du principe de traitement juste et équitable, en effet, la jurisprudence semble indiquer que la protection des attentes considérées comme légitime constitue la préoccupation finale de l’arbitre. en d’autres termes, il paraît possible de dire que l’ « attente légitime » constitue une fin dans le cadre du traitement de l’investissement, et un simple moyen dans le cadre de sa protection. tandis que c’est la notion d’attente légitime qui nous mène à celle d’expropriation, celle de traitement juste et équitable précède cette notion. on peut sommairement résumer cette idée par le schéma récapitulatif suivant : schema recapitulatif : traitement de l’investissement : l’etat est tenu de traiter donc il faut protéger l’investisseur de manière les attentes légitimes juste et équitable de l’investisseur protection de l’investissement : donc frustration des il y a expropriation indirecte attentes de l’investisseur (+ autres critères)
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317 titre 3. pour une théorie générale de l’attente légitime en droit international des investissements. où en sommes-nous ? au point où nous sommes de notre recherche, nous savons la place centrale qu’occupe la notion d’ « attente légitime » au sein du contentieux international de l’investissement. d’une part, elle joue un rôle d’une importance croissante dans la détermination du contenu de l’obligation de traitement juste et équitable; d’autre part, elle constitue l’un des critères centraux de l'expropriation indirecte et intervient dans le calcul du dédommagement dû par l'etat en cas d’expropriation. son champ d’application matériel est donc très large, et l’on observe par ailleurs que les arbitres semblent y avoir recours de plus en plus fréquemment. cependant, notre étude de la notion d’attente légitime a été jusqu’ici à tel point segmentée que l’on peut se demander ce qui en fait son unité, à travers les différents contextes dans lesquels elle intervient. peut-on faire la théorie générale des attentes légitimes en droit international des investissements ? nous nous sommes jusqu’à présent concentrés sur l’application concrète de la notion dans tel ou tel domaine de ce droit; adoptons à présent une approche plus globale, pour du moins tenter de proposer une « théorie générale » de l’attente légitime, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité. un certain nombre de questions fondamentales, en effet, restent en suspend. la question des critères de la légitimité des attentes. si nous avons tenté de montrer d’où vient cette notion, à quelles fins elle est utilisée et comment elle est mise en œuvre par les arbitres, la question des critères permettant d’évaluer la légitimité de telle ou telle attente n’a été abordée que ponctuellement. il semble donc opportun de s’efforcer de faire
318 plus systématiquement la lumière sur les circonstances dans lesquelles les arbitres sont enclins à protéger les attentes des acteurs de l’investissement international (généralement celles de l’investisseur privé, mais éventuellement aussi celles de l’etat d’accueil). en d’autres termes, c’est à la question des méthodes d’appréciation du caractère légitime des attentes que nous chercherons des éléments de réponse. la question de l’autonomie d’un « principe » de protection des attentes légitimes. on peut également se demander si les attentes légitimes ont, en vertu d’un principe autonome, vocation à être protégées en dehors du cadre des questions dans lesquelles elle intervient pour l’instant. la notion est-elle, au contraire, indissociable de celles auxquelles elle a été généralement associée jusqu’à aujourd’hui (traitement équitable, expropriation)? pour l’instant essentiellement au service d’autres notions, ne peut-on imaginer qu’elle prenne son autonomie, donnant naissance, par exemple, à un principe général de protection des attentes légitimes ? un tel principe comporterait-il des risques excessifs ? la question que nous devrons nous poser ici sera donc celle de la fonction à attribuer à la notion de protection des attentes légitimes au sein du droit des investissements en général. la question des sources juridiques de la notion d’attente légitime. cependant, avant d’aborder ces question fondamentales, il convient de s’attarder un instant sur la question des sources de la notion. comme nous avons déjà pu nous en rendre compte, les réponses aux questions ayant trait à la notion d’attente légitime sont à chercher essentiellement dans la « jurisprudence » arbitrale (notamment celle du cirdi). en effet, la notion n’apparaît dans pratiquement aucun traité d’investissement et, si on commence à la rencontrer en doctrine, c’est généralement dans le cadre du commentaire des décisions arbitrales.
319 mais précisément, peut-on réellement parler d’une « jurisprudence arbitrale » de droit international des investissements, alors même que les sentences sont rendues hors de tout système juridictionnel hiérarchisé, par des arbitres indépendants, qui ne sont aucunement liés par les sentences antérieurs ? cette question concernant la source même de la notion d'attente légitime, c’est une question préliminaire à laquelle il faudra répondre (chapitre 1) avant de pouvoir aborder celle de l’appréciation de la légitimité de l'attente (chapitre 2) puis celle de savoir s’il existe un principe autonome de protection des attentes légitimes (chapitre 3).
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321 chapitre 1. question préalable : une « jurisprudence arbitrale » comme source du droit de l’ « attente légitime » ? le problème. dans ce chapitre, nous nous poserons la question de savoir s’il est opportun de parler d’une « jurisprudence arbitrale » du droit international des investissements comme source du droit des attentes légitimes. cette question est amenée par la constatation suivante : en droit des investissements, l’usage du concept d’ « attente légitime », avec les conséquences de droit qui y sont attachées, est le fait des sentences arbitrales, et non du droit conventionnel ou du droit international coutumier. dès lors, avant de s’intéresser de plus près au droit des attentes légitimes, il faut se demander si les décisions arbitrales constituent une source de droit à part entière. s’il s’agit d’une question qui n’est en rien spécifique à notre sujet, il nous semble donc nécessaire de l’aborder. en réalité, on peut diviser la question en deux sous- questions, que nous examinerons successivement : - peut-on véritablement parler d’une jurisprudence arbitrale de droit international des investissements, au sens où il y aurait une densité et une unité suffisante de sentences arbitrales convergeant dans l’identification d’un certain nombre de règles et principes de droit international applicables à cette branche du droit ? (section 1) - si tel est le cas, la jurisprudence est-elle une source authentique de droit international ? (section 2)
322 section 1 : existence d'une « jurisprudence arbitrale » en droit international des investissements. s'il est devenu courant, sans doute par commodité, de parler de « jurisprudence arbitrale » à propos de l’activité des tribunaux constitués dans le cadre des litiges de droit international des investissements (notamment par l’intermédiaire du cirdi) cette expression ne va pas de soi, pour une série de raisons qu’il convient d’examiner. or, avant de s’interroger sur la valeur de la jurisprudence comme source de droit international, il s’agit de savoir s’il existe réellement une « jurisprudence en matière de droit international des investissements », alors même que dans ce droit, les décisions sont rendues par des tribunaux arbitraux indépendants. §1.- une expression à première vue inappropriée. jurisprudence et cohérence. de prime abord, il semble abusif d’employer le terme de « jurisprudence586 » pour désigner l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux arbitraux en droit international des investissements, puisque aucun mécanisme ne permet de garantir la coordination entre les diverses décisions arbitrales. ceci est vrai y compris dans le cadre, pourtant en partie institutionnalisé, du cirdi. certes, si l’on s’en tient au sens premier du terme tel qu’il est défini dans le vocabulaire juridique de gérard cornu, rien ne s’oppose à son application à notre domaine. il définit en effet celui-ci simplement de la manière suivante : 586 rappelons que le terme de « jurisprudence » se définit initialement comme la « vertu de la prudence appliquée au droit » et aujourd’hui comme « l’ensemble des règles de droit qui émanent des juges… » (d. alland et s. rials, dictionnaire de la culture juridique, lamy/puf, 2003, p. 884.)
323 « ensemble des décisions de justice rendues pendant une certaine période soit dans une matière (jurisprudence immobilière), soit dans une branche du droit (jurisprudence civile, fiscale, etc…), soit dans l’ensemble du droit. »587 cette définition ne fait aucune place à l’idée de cohérence. pourtant, celle-ci est-elle réellement absente de la notion de jurisprudence ? il faut rappeler qu’ étymologiquement, en latin, la jurisprudence est la « science du droit »588 . or qui dit science dit rigueur, donc une certaine cohérence. d’ailleurs, le terme de « jurisprudence » ne signifie-t-il pas aussi, dans une autre sens, l’« habitude de juger dans un certain sens »589 , c'est-à-dire une certaine homogénéité des solutions ? quoiqu’il en soit, c’est la question de la cohérence dans les solutions retenues par les différents tribunaux qui se pose ici. en d’autres termes, la question posée est celle de l’existence d’une jurisprudence au sens d’une source organisée de droit garantissant la cohérence de signification accordée à l’identification et l’application de concepts et règles juridiques, ou de « jurisprudence constante ». comment considérer les sentences arbitrales comme une source de droit si elles peuvent se contredire les unes les autres, avec le résultat possible d’avoir autant de solutions différentes que de sentences pour un même problème ? qui plus est, le droit applicable par les tribunaux arbitraux n’est pas toujours le même. il résulte souvent d’un « panachage » de droits. internes et international. au sein même de la convention cirdi, l’article 42 autorise des solutions de ce genre. l'impression que les sentences arbitrales ne se prêtent pas au terme de jurisprudence découle au demeurant principalement de trois éléments : l’absence de « règle du précédent », la confidentialité – il est vrai très relative – des sentences, et l’absence de système institutionnel hiérarchisé. 587 g. cornu, vocabulaire juridique, 6e édition, puf, paris, 2004. 588 g. cornu, op. cit. 589 g. cornu, op. cit.
324 absence de règle du précédent. tout d’abord, il n’existe pas de règle du précédent en droit international590 (que ce soit au sein de l’activité juridictionnelle de la cour internationale de justice ou, a fortiori, dans la pratique arbitrale). le fait que la notion d’attente légitime ait été appliquée de telle ou telle manière par un certain nombre de tribunaux arbitraux dans le passé n’exerce donc théoriquement aucune contrainte sur ceux qui seront constitués à l’avenir. de plus les sentences arbitrales ont seulement « autorité relative de chose jugée », c'est-à-dire limitée aux parties. confidentialité des sentences. ensuite, la procédure arbitrale se caractérise par son caractère confidentiel, les sentences ne pouvant être en principe publiées sans le consentement des deux parties. il va de soi qu’il s’agit là encore d’un frein au développement d’une jurisprudence cohérente, dans la mesure où il n’est souvent même pas possible de connaître les solutions adoptées par d’autres tribunaux. même si, en pratique, la confidentialité devient de moins en moins effective, la possibilité demeure pour les parties de s’opposer à la publication d’une sentence les concernant. ceci illustre le caractère individuel et spécifique de chaque sentence. absence de système institutionnel hiérarchisé. enfin, à la différence de ce qui se passe dans l’ordre interne, le droit international n’est pas doté d’un pouvoir judiciaire intégré. chacun des tribunaux, obéissant au principe de l’autonomie de l’arbitrage, délivre de toute façon une sentence ayant seulement « autorité relative de chose jugée », par conséquent limitée aux parties. une situation de ce type est sans rapport apparents avec l’organisation hiérarchisée du pouvoir judiciaire dans l’ordre juridique interne. en effet la cour internationale de justice, quelle que soit son autorité, n’a ni pouvoir d’appel ni de cassation par rapport à d’autres 590 comme l’explique m. beauvais, « precedent does not bind the tribunals and there is no general mechanism for appeal » (j.c. beauvais, “regulatory expropriations under nafta: emerging principles & lingering doubts”, in colloquium on regulatory expropriations in international law, new york university school of law’s center on environmental and land use, new york university law journal, 2003, pp. 245-296, p. 263.)
325 juridictions internationales. l’appareil arbitral, notamment, se caractérise par sa dispersion et l’autonomie de chaque tribunal. l’absence de structure dotée d’une instance supérieure chargée de veiller à l’uniformité de l’application du droit semble être de nature à renforcer encore l’incohérence entre les différentes sentences arbitrales. cela a pour corollaire l’irresponsabilité des arbitres. les arbitres étant des personnes privées ne répondant pas de leurs décisions au sein d’un système organisé, ils ne sont pas soumis à un contrôle uniforme et jouissent de la plus grande latitude dans leurs décisions. ce phénomène est renforcé par le caractère confidentiel des sentences arbitrales. §2. une expression malgré tout adéquate. s’il peut paraître inexact, pour les raisons que nous venons de voir, de parler de jurisprudence dans le contexte de la pratique arbitrale de droit international des investissements, on se rend compte en étudiant les sentences, notamment celles de ces dernières années, qu’un certain nombre de facteurs ont contribué à l’éclosion d’un droit de plus en plus « jurisprudentiel ». dans la pratique, maintien d’une certaine cohérence entre les sentences. dans la pratique, les sentences ne sont pas rendues tout à fait indépendamment les unes des autres. les parties et les arbitres appuient souvent leur argumentation sur des sentences passées. on observe que certaines sentences, plus que d’autres, « font jurisprudence ». ainsi, il est rare que la sentence metalclad ne soit pas citée dans une affaire dans laquelle intervient la question de l’expropriation indirecte. lorsqu’une décision passée n’est pas suivie, les arbitres cherchent souvent à le justifier, alors que rien ne les y oblige.
326 les tribunaux expriment parfois expressément le point de vue selon lequel les arbitres doivent veiller à ménager une certaine cohérence avec les autres sentences, notamment entre sentences rendues sous l'égide du cirdi. ainsi, le tribunal de la sentence sgs v. pakistan a considéré que : “different tribunals constituted under the icsid system should in general seek to act consistently with each other.”591 une doctrine abondante partage le même point de vu. on peut par exemple citer cette remarque de thomas wälde : “while individual arbitral awards by themselves do not as yet constitute a binding precedent, a consistent line of reasoning developing a principle and a particular interpretation of specific treaty obligations should be respected; if an authoritative jurisprudence evolves, it will acquire the character of customary international law and must be respected. a deviation from well and firmly established jurisprudence requires an extensively reasoned justification. this approach will help to avoid the wide divergences that characterise some investment arbitral awards – not subject to a common and unifying appeals’ authority. otherwise, there is the risk of discrediting the health of the system of international investment arbitration which has been set up as one of the major new tools in improving good governance in the global economy.”592 de même, charles leben, dans son cours à l’académie de droit international de la haye, fait remarquer que le cirdi tend à fonctionner de plus en plus comme une juridiction judiciaire : « il n’est que de voir, dès maintenant, l’effort fait par [le cirdi] pour publier et rendre d’un accès facile ses sentences arbitrales pour 591 sgs société genérale de surveillance s.a v. republic of the philippines, 29 january 2004, decision on jurisdiction (icsid case n° arb/02/6) (disponible sur le site internet du cirdi). 592 th. wälde, seperate opinion in the arbitration under chapter xi of the nafta and the uncitral arbitration rules: thunderbird ./. mexico, § 16. dans le même état d’esprit, t. weiler constate que :“although there is no formal rule of precedent in international investment arbitration, it is not unusual for one tribunal to find guidance or support in the award of another, particularly if the original tribunal was composed of jurists of notable repute, or if their reasoning was of such a high quality so as to deserve such recognition by later tribunai.” (t. weiler, nafta investment arbitration and the growth of international economic law [2002] b.l.i. issue 2:0, p.158, international bar association, p. 159).
327 comprendre que le cirdi fonctionne déjà plus avec une logique d’une cour judiciaire, dont les jugements sont publics, que d’une juridiction arbitrale, dont les sentences ne sont pas en principe connues, l’arbitrage étant traditionnellement un mode confidentiel de règlement des litiges. »593 dans la sentence aes v. argentina sur la compétence, le tribunal alla plus loin, puisqu’il établit un lien direct entre l’institution du cirdi et le caractère adéquat de la qualification de « jurisprudence » de la pratique arbitrale : “from a more general point of view, one can hardly deny that the institutional dimension of the control mechanisms provided for under the icsid convention might well be a factor, in the longer term, for contributing to the development of a common legal opinion or jurisprudence constante, to resolve some difficult legal issues discussed in many cases, inasmuch as these issues share the same substantial features.”594 dans le même sens, et toujours au sujet des sentences rendues par les tribunaux cirdi, emmanuel gaillard considère que : « les sentences rendues sous l’égide du centre faisant l’objet d’une publication de plus en plus systématique, on a pu constater l’émergence d’une véritable jurisprudence arbitrale. même lorsqu’ils souhaitent retenir une solution différente de celle qui résulte des précédents arbitraux, ce qui leur est toujours possible, les tribunaux statuant sous l’égide du cirdi prennent généralement soin de mettre en avant une distinction entre l’affaire qu’ils sont chargés de trancher et le précédent qu’il souhaitent écarter. »595 593 ch. leben, la théorie du contrat d’etat et l’évolution du droit international des investissements, rcadi 2003 (tome 302), n° 339. 594 aes corporation v. the argentine republic, decision on jurisdiction, 26 april 2005, icsid case no. arb/02/17, § 33. voir aussi les § 27 et 30 de cette sentence. 595 e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pédone, paris 2004, p. 897. a propos de la sentence sgs c. philippines sur la compétence, datée du 29 janvier 2004, e. gaillard constate que « le tribunal met à mal […] le dogme de la cohérence de la jurisprudence cirdi auquel les tribunaux statuant sous l’égide du centre avaient généralement pris soin de rendre un hommage plus ou moins platonique selon les cas. » (p. 897) sur la volonté des arbitres de « faire jurisprudence », voir p. 15 de cet ouvrage.
328 il semble donc que l’on puisse parler, si ce n’est d’une véritable règle du précédent, du moins d’un phénomène de « cross fertilization » ou d’habitude des tribunaux de se référer à d’autres sentences ayant abordé et traité les mêmes problèmes ou ayant eu à interpréter et appliquer les mêmes règles. tout se passe comme si un phénomène spontané d’accumulation des « précédents » était en cours de formation. ceci peut s’expliquer par les caractères inhérents au droit international des investissements, dont en particulier sa jeunesse et son caractère de droit encore en gestation. jurisprudence de l’attente légitime. au sujet de l’ « attente légitime » plus particulièrement, il semble que la notion fasse l’objet d’une véritable jurisprudence depuis la sentence metalclad. on constate depuis l’année 2000 un développement rapide de la notion, à raison de l'usage qui en est fait dans les plaidoiries auxquelles les tribunaux sont confrontés et doivent répondre. dans la période 2000-2007, on dénombre plus d’une douzaine de sentences faisant intervenir la notion596 . l'accroissement très rapide du nombre des affaires et des références faites par les sentences les unes aux autres facilite ici encore le développement d’une jurisprudence. dans ce cadre, le terme de « jurisprudence arbitrale » de l’attente légitime paraît d’autant plus adapté que l’on observe une réelle cohérence substantielle d’une majorité de sentences dans la définition et l’interprétation des principaux principes de traitement et de protection des investissements par référence à la notion d’attente légitime. 596 v. les sentences citées plus haut, notamment metalclad, cme, tecmed, waste management, consortium rfcc, oepc, generation ukraine, mtd, cms, thunderbird, saluka, azurix.
329 section 2 : la jurisprudence arbitrale, une source de droit ? une source accessoire de droit. rappelons tout d’abord que le droit international public est en principe soumis au consentement exprès (traités) ou tacite (coutume) de ses sujets primaires, les etats. le juge y doit lui-même sa compétence, souvent révocable, à l’assentiment des etats. dans ces conditions, la question que nous posons ici est une pure question de droit international public, qui n’a rien de propre à notre domaine : la jurisprudence compte-t-elle parmi les sources du droit international ? l’article 38 du statut de la cour international de justice relatif aux sources du droit international, après avoir cité les traités, la coutume, et les principes généraux de droit, mentionne dans son paragraphe premier, alinéa d) : « les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit. » les décisions judiciaires constituent donc une source, quoiqu’ « accessoire597 », du droit international. pierre-marie dupuy ajoute que : « l’effet relatif de chose jugée, consacré formellement dans le statut de la cour à son article 59 mais également valable à titre de principe général de droit à l’égard des sentences arbitrales ne constitue pas un obstacle à l’influence exercée en pratique par les décisions de justice internationales sur l’interprétations mais aussi l’évolution du droit international. comme on le voit également par ailleurs (cf. supra, § 338), l’influence du juge international est notamment tout à fait considérable pour dégager l’existence, le sens et la portée des règles générales de droit international dont le statu exact, coutumes ou principes généraux, est parfois difficile à définir avec exactitude.»598 597 c'est-à-dire, selon les mots de pierre-marie dupuy, « une modalité complémentaire d’identification et d’interprétation des normes juridiques. » (droit international public, dalloz, paris, 8e éd., 2006, § 352.) 598 pierre-marie dupuy, op. cit., § 352.
330 conclusion du chapitre 1 : en droit international des investissements, les sentences arbitrales jouent effectivement le rôle d’une authentique source de droit. tel est du moins le cas à propos de règles et de principes dont la signification et la portée, fluctuante, n’est pas encore stabilisée : la pratique arbitrale de droit international des investissements constitue une jurisprudence, or la jurisprudence est une source de droit international, donc la pratique arbitrale dans le domaine du droit international des investissements est une source de ce droit. nous voilà donc d’autant plus justifié à tenter d’identifier, à travers les sentences que nous avons étudié, les éléments pouvant contribuer à une théorie générale de l’attente légitime en droit international des investissements.
331 chapitre 2. critères généraux de la légitimité de l’attente. enjeux de la question. a présent que nous savons que les sentences arbitrales dont est issue la notion d’attente légitime constituent une source de droit à part entière, appuyons-nous sur celles-ci pour répondre à une question fondamentale tenant à la notion d’attente légitime dans sa globalité : comment apprécier la « légitimité » de l’attente ? la première raison pour laquelle il faut s’attarder sur cette question est que la notion d'attente légitime s’avère parfaitement inutile si l’on n’est pas en mesure de déterminer ce que veut dire « légitime ». il s’agit à la fois de l’élément le plus déterminant (l’attente dépourvue de légitimité n’ayant aucune valeur) et a priori le plus vague (parce que l’ont peut faire dire ce qu’on veut à l’adjectif « légitime ») de la notion. deuxièmement, la question des critères de la légitimité est déterminante parce qu’on y retrouve la question de la répartition des risques de l’investissement : si on adopte une conception trop large de la notion d’attente légitime, tout le risque est du côté de l’etat, la moindre déception de l’investisseur donnant lieu à une obligation de compensation (on ne ménage alors pas assez les intérêts des etats). si l'on opte au contraire pour une conception trop stricte, on risque au contraire de menacer les intérêts de l’investisseur. or nous avons vu599 que, dans un souci de promotion des investissements internationaux, il importe de protéger aussi bien les deux intérêts. attentes structurelles et attentes conjoncturelles. pour bien comprendre à quelles attentes s’appliquent les critères que nous allons tenter d’identifier, il convient d’avoir à l’esprit la distinction que nous avions opéré entre deux types d’attentes. un certain nombre d’attentes légitimes 599 cf. supra p. 264.
332 peuvent être qualifiées de « structurelles » (ou objectives) : elles accompagnent la vie de tout investissement, indépendamment des circonstances de l’espèce, car les arbitres semblent les considérer comme inhérentes au droit des investissements. ainsi, nous avons pu voir que tout investisseur a une attente légitime de durée de son investissement600 , la plupart des investissements ne pouvant être rentabilisés qu’après une période relativement longue. il a en principe également une attente de stabilité relative du cadre juridique et économique de son investissement601 . la jurisprudence semblant avoir établit une fois pour toute la légitimité de ces attentes structurelles, elles sont toujours valables, et il n’est pas utile, sauf circonstances exceptionnelles, de s’attarder sur la question de leur légitimité. néanmoins un grand nombre d’attentes légitimes sont « conjoncturelles » (ou subjectives), c'est-à-dire qu’elles découlent de la relation spécifique entre un investisseur et un etat donnés et des faits propres au cas d’espèce. il s’agit notamment des attentes dont nous avons parlé dans le cadre du traitement juste et équitable, créées par les déclarations de l’etat d’accueil, mais également des attentes nées d’autres circonstances propres à l’espèce. c’est dans l’appréciation de ces attentes « conjoncturelles » que le rôle de l’arbitre est le plus important. s’il veut apprécier correctement la légitimité ce type d’attentes, il doit le faire en appliquant un certain nombre de critères suffisamment définis. appréciation au cas par cas et critères généraux. si nous avons déjà eu l’occasion d’aborder, sporadiquement, les conditions sans lesquelles les attentes ne peuvent être protégées, nous allons voir dans ce chapitre si, indépendamment de la question juridique posée (traitement juste et équitable ou expropriation indirecte notamment), on peut faire une typologie des critères conduisant l’arbitre à considérer une attente conjoncturelle comme légitime ou non. la légitimité de l’attente conjoncturelle, bien entendu, 600 cf. supra p. 307s. 601 cf. supra p. 238s.
333 s’apprécie d’abord et avant tout en fonction des faits de l’espèce, c'est-à-dire au cas par cas. dans cette mesure, les critères de la légitimité ne sont pas susceptibles de systématisation. cependant il convient, si l’on souhaite clarifier le droit, de dépasser cette constatation pour tenter de déterminer des critères valables quels que soient les faits propres à chaque affaire, ou pour le moins une série de directives, aidant à canaliser l’appréciation par l’arbitre de la légitimité de l’attente au regard des faits. c’est ce que nous allons tenter de faire à partir des sentences rendues depuis que la notion est apparue. ainsi, on ne saurait porter de jugement sur la légitimité de l’attente sans prendre en considération le contexte économique et culturel de l'investissement (section 1). de même, il semble nécessaire de faire intervenir une série de considérations ayant trait à la partie auteur de l’attente, notamment à ses qualités et à son comportement (section 2). section 1 : appréciation en fonction du contexte de l’investissement. légitimité et sources de l’attente. la question de la légitimité de l’attente est étroitement liée à celle de ses « sources ». nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer la question des sources des attentes de l’investisseur602 . 602 nous avions vu que la source (que nous avons classifié en deux grandes catégories : apparence et régularité des comportements) constitue le premier critère de sa légitimité. nous avons par ailleurs constaté que les attentes prises en compte dans le cadre du traitement juste et équitable semblent le plus souvent créées par le comportement de l’etat d’accueil alors que celles que l’on rencontre dans le contexte de l’expropriation indirecte paraissent provenir de l’ensemble des circonstances.
334 ces sources, qui donnent naissance à l’attente et en constituent la justification, doivent naturellement être prises en compte au premier chef lorsque l’on apprécie sa légitimité. la question est, somme toute, de savoir s'il existe un lien suffisant entre les circonstances objectives pertinentes (à travers la normalité et l’apparence) supposées à la source de l’attente, d’une part, et l’attente elle-même, d’autre part. cette question se décompose en fait en plusieurs problèmes : - un problème de causalité : c'est en effet le lien de causalité entre la normalité ou l’apparence objective et l’attente qu’il faut examiner. l’attente est-elle la conséquence de la fantaisie (du « wishful thinking ») ou de la négligence de l’investisseur, ou est-elle le fruit de la normalité et de l’apparence ? si le lien apparaît bien réel, l’attente semblera légitime, alors qu’elle risquera de ne pas l’être dans le cas où le lien sera trop distendu. - le problème de la définition du « normal » : dès lors que l’on fait intervenir la notion de normalité, se pose le problème de savoir quel est son contenu : la normalité varie-t-elle d’une espèce à l’autre, en fonction de facteurs tels que le niveau de développement du pays accueillant l’investissement ? d’autant plus que la notion de normalité elle-même peut se définir de plusieurs façons : est ce que c’est ce qui est habituel dans un pays développé (puisque ceux-ci constituent le modèle, vers lequel les pays en développement tendent) ou ce qui est habituel dans le pays précis dans lequel l’investisseur a fait son investissement ? - le problème de la détermination de l’apparence qu’il faut prendre en compte. lorsque l’attente a pour source une apparence, il s’agit de savoir comment déterminer l’apparence pertinente. plusieurs
335 apparences pouvant être contradictoires, il s’agit de savoir par référence à laquelle on apprécie la légitimité de l’attente. possibilité d’établir des règles d’application générale ? cependant, une fois ces constatations faites, comment établir des règles applicables à toutes les espèces, alors que chaque investissement est réalisé dans des circonstances uniques ? nous avons dit qu’un certain nombre d’attentes sont conjoncturelles, c'est-à-dire liées à contexte factuel précis, constitué notamment par les négociations menées entre l’investisseur et son partenaire étatique. ces attentes étant conjoncturelles, la question de leur légitimité doit être examinée en fonction des faits de chaque espèce. néanmoins, s’il n’est pas possible de faire une typologie exhaustive des circonstances donnant lieu à des attentes légitimes, on peut tenter d’identifier quelques directives quant à l’impact du contexte général de l’investissement sur la légitimité de certaines attentes : le contexte économique et politique de l’investissement, d’une part, mais également le contexte culturel. si la jurisprudence n’est pas unanime sur la question de l’impact du contexte de l’investissement sur la légitimité des attentes de l’investisseur, un certain nombre de sentences convergent dans l’idée que cet impact existe. c'est généralement le contexte économico-politique qui retient l’attention des arbitres (§1), mais nous suggèrerons que le contexte culturel peut être tout aussi important (§2). §1.- en fonction du contexte économique et politique. contexte de l’investissement, normalité descriptive et normalité prescriptive. la question de l’appréciation de la légitimité de l’attente en fonction du contexte économique et politique est essentiellement
336 une question de détermination du contenu de la normalité. prenons l’exemple d’une attente-type ayant pour source la normalité : l’attente de stabilité du cadre juridique et économique. cette attente, nous l’avons vu603 , est en principe reconnue comme légitime par les tribunaux, ceux-ci la considérant comme normale car nécessaire à la réussite d’une opération d’investissement. pourtant, on peut se demander de quelle normalité il s’agit ici. il est probable, en effet, que l’investisseur, d’une part, et l’etat, d’autre part, définissent celle- ci différemment. alors que l’investisseur, surtout s'il est ressortissant d’un « pays du nord », invoquera une normalité définie par un certain nombre de standards reconnus par les pays développés, l’etat pourrait prétendre que, étant donné le caractère instable de son économie, il est normal qu’il ne puisse offrir la même stabilité que ses voisins développés. cette opposition correspond à peu près à la distinction opérée entre normalité descriptive (ce qu’il est normal d’attendre au regard de certains standard) et normalité prescriptive (ce que l’etat peut offrir, étant donnée l’etat de fait). selon cette deuxième normalité, plus descriptive, l’attente de stabilité serait moins légitime pour l’investisseur qui investit dans un pvd que pour celui qui investit dans un pays développé. si l’on admet au contraire que la normalité par référence à laquelle il faut apprécier la légitimité de l’attente de stabilité est la normalité prescriptive invoquée par l’investisseur, alors cette attente sera toujours légitime, indépendamment du contexte spécifique de l’investissement. la jurisprudence semble indiquer que c’est la normalité prescriptive qui prévaut, mais que l’on peut, par indulgence pour les pays en difficulté, accepter l’intervention occasionnelle de la normalité descriptive. jusqu’à présent, les arbitres ont eu à prendre en compte le critère du contexte économique dans deux types de situations : celle de l’investissement dans un pays en voie de développement, d’une part (a), et 603 cf. supra, p. 238s.
337 celle dans laquelle le pays d’accueil fait face à une crise économique, d’autre part (b). a. attentes légitimes et niveau de développement du pays d’accueil. le problème. les attentes légitimes de l’investisseur dépendent-elles du niveau de développement du pays d’accueil ? les opinions sont partagées sur cette question. on peut constater, avec nick gallus, que : “it could easily be argued that the foreign investor’s expectations depend on the host state’s resources and experience in implementing its policies or, in other words, its level of development. the “expectations” interpretation of the international law standard therefore leaves scope for arbitral tribunals to consider that level of development in determining if the state has failed to provide the international law standard of treatment.”604 a priori, rien ne s’oppose, effectivement, à la prise en compte de ce critère dans l’interprétation de la notion d’attente légitime. ainsi, il semble, pour certains, évident qu’un investisseur ne peut nourrir les mêmes attentes quel que soit le pays dans lequel il investit. nous savons en effet que les attentes légitimes ne naissent pas seulement du traité d’investissement applicable, mais de tous types de circonstances qui entourent l’investissement. il semble donc naturel de prendre en compte le niveau de développement du pays d’accueil dans l’appréciation de la légitimité des attentes. cette approche est justifiable du point de vue de l’etat d’accueil aussi bien que de celui de l’investisseur : du point de vue du pays en voie de développement accueillant un investissement étranger, on peut invoquer la l’idée qu’une certaine indulgence lui et due, et qu’une marge d’adaptation est nécessaire si l’on veut donner une chance à ces pays de réussir leur transition. 604 n. gallus, the influence of the host state's level of development on international investment treaty standards of protection, journal of world investment & trade, 711-729 (5, december 2005).
338 une trop grande exigence à l’égard de ces pays risquerait d’engendrer des coûts insurmontables. du point de vue de l’investisseur, l'idée est que celui-ci prend un plus grand risque en investissant dans un tel pays et qu’il doit, en sa qualité de professionnel, en avoir conscience. à lui donc d’en assumer les conséquences605 . en d’autre termes, on accepte d’avoir recours à une normalité moins prescriptive, plus descriptive. cependant, le traité d’investissement n’existe-t-il pas précisément pour « gommer le risque pays »606 ? et lorsque deux traités comportent des dispositions similaires, ne faut-il pas en faire une interprétation unique, qui ne dépende pas des spécificités de l’économie et de la politique du pays d’accueil. les défenseurs de ce point de vue peuvent se prévaloir de l’argument de la sécurité juridique. ne risque-t-on pas, en effet, de ruiner la sécurité offerte par les traités d’investissement si l'effet de leur dispositions est anéanti dès lors que l’etat d’accueil fait face à des problèmes économiques ? la jurisprudence. bien que la quasi-totalité des traités d’investissement garantissent à l’investisseur un traitement juste et équitable et bien que, par ailleurs, celui-ci contienne l’obligation de protection des attentes légitimes de l’investisseur, l’impression est que les attentes protégées par les arbitres varient fortement d'un pays à l’autre. malgré une sentence 605 n. gallus, op. cit. p. 9 : “experienced businessmen consider a state’s level of development when deciding whether to invest in that state. if international investment treaties are not insurance policies against decisions to invest, regardless of that level of development, then the investor cannot expect to claim under the treaty for actions resulting from that level of development.” le tribunal de l’affaire generation ukraine, inc. v. ukraine, 16 september 2003 (icsid case no. arb/00/9) a également adopté ce point de vue, soulignant le caractère spéculatif de l’investissement dans un pays en transition, qui peut s’avérer beaucoup plus profitable que l’investissement réalisé dans un pays développé, mais également plus risqué : ”the claimant was attracted to the ukraine because of the possibility of earning a rate of return on its capital in significant excess to the other investment opportunities in more developed economies. the claimant thus invested in the ukraine on notice of both the prospects and the potential pitfalls. its investment was speculative. perhaps for this very reason, the claimant was cautious about contributing substantial sums of its own money to the enterprise, preferring to seek capital from third parties to finance the construction of the building.” (§20.37). 606 nous empruntons cette expression à emmanuel gaillard (colloque de florence sur le droit international des investissements des 24 et 25 mars 2006).
339 récente refusant explicitement de prendre en compte ce critère607 , la tendance de ces dernières années, notamment par l’intermédiaire des sentences genin, nagel, et generation ukraine, semble aller dans le sens de la prise en compte des difficultés économiques du pays d’accueil. dans l’affaire genin608 , le contexte économique était celui d’un pays en transition vers le capitalisme après la chute du régime communiste. un ressortissant américain (mr genin) avait investi dans le secteur bancaire estonien en cours de privatisation : par l’intermédiaire de sa société, eib, il avait fait l’acquisition d’une branche de la « estonian social bank » (« the koidu branch »). ce n’est que plus tard qu’il constata que certaines propriétés ou avoirs financiers de la banque achetée n'existaient pas ou plus. du fait de ce manque à gagner conséquent, il entama une procédure cirdi, notamment sur le fondement de la violation alléguée de l’obligation de traitement juste et équitable. après avoir constaté un certain nombre de manquements sérieux de la part des autorités estoniennes609 (notamment de la banque d’estonie), le tribunal considéra néanmoins que l’estonie n’avait pas violé son obligation de traitement juste et équitable. un élément déterminant dans sa décision était le fait que l’estonie était un pays en train d’opérer sa transition vers une économie de marché. le tribunal expliqua qu’il : “... considers it imperative to recall the particular context in which the dispute arose, namely, that of a renascent independent state, coming rapidly to grips with the reality of modern financial, commercial and banking practices and the emergence of state institutions responsible for overseeing and regulating areas of activity perhaps previously unknown. 607 gami investments, inc. v. the united mexican states, uncitral rules, final award, 15 november 2004. 608 sentence alex genin and others v. republic of estonia, 25 june 2001 (icsid case no. arb/99/2), § 348. 609 le tribunal qualifia les agissements de la banque d’estonie de “somewhat irregular” (§355), “contrary to generally accepted banking and regulatory practice” (§364), et considéra que son comportement “invites criticism” (§365).
340 this is the context in which claimants knowingly chose to invest in estonian financial institution, eib.”610 de même dans l’affaire nagel william v. czech republic, le tribunal rejeta la plainte de violation du traitement juste et équitable car il considéra que l’investisseur : “…may not have taken sufficient account of the fact that the country was still in a state of transition, in which the government and public authorities were labouring to develop the newly born democratic system and to create a well-functioning market economy.”611 ici encore, le contexte de transition de l’etat d’accueil vers une économie de marché était donc déterminant dans le jugement du tribunal excluant la violation du traitement juste et équitable. ce critère a été réitéré plus explicitement encore dans la sentence generation ukraine : “20.37 finally, it is relevant to consider the vicissitudes of the economy of the state that is host to the investment in determining the investor’s legitimate expectations, the protection of which is a major concern of the minimum standards of treatment contained in bilateral investment treaties.”612 . dans ce dernier cas, on le voit, le tribunal fait le lien, non seulement entre niveau de développement et question du traitement juste et équitable, mais expressément entre ce contexte économique et la légitimité des attentes de l’investisseur. en définitive, s’il est vrai, comme nous l’avons vu613 , que tout investisseur a en principe une attente légitime de stabilité du cadre de l’investissement (pour ne prendre que cet exemple), le jurisprudence que nous venons de présenter montre que cette attente est relative, et qu’elle devra être 610 sentence genin, § 348. 611 nagel villiam v. czech republic, 10 september 2003, scc, case 49/2002, p. 156. 612 generation ukraine, inc. v. ukraine, 16 september 2003 (icsid case no. arb/00/9), §20.37. 613 cf supra p. 238s.
341 appréciée différemment selon le niveau de développement du pays d’accueil : il ne pourra s’attendre dans un pays en transition ou en voie de développement la même stabilité politique et économique que dans un pays développé. en d’autres termes, il doit être conscient que son investissement est à plus ou moins haut risque en fonction du pays d’accueil et qu’il doit adapter ses attentes en fonction de cela. il semble en outre que, dans le cas où l’investissement est réalisé dans un pvd plus que dans d’autres, les arbitres soient disposés à prendre en compte la législation de l’etat d’accueil avec les défauts qu’elle présente pour apprécier la légitimité de l’attente. ainsi dans la sentence saluka, le tribunal considéra que : “the tribunal finds that the aforementioned legal shortcomings must have been known to nomura when it made its investment. an expectation that such shortcomings would quickly be fixed by the czech legislature would have been unfounded. consequently, even though the lack of adequate protection of creditors’ rights will most certainly have contributed to the aggravation of the bad debt problem, the tribunal is unable to find that the czech republic has frustrated nomura’s legitimate and reasonable expectations and violated the “fair and equitable treatment” standard by its failure to improve the legal framework within a timescale of help to nomura.”614 une jurisprudence encore incertaine. néanmoins, il faut signaler une sentence récente allant explicitement dans le sens contraire des sentences précédentes: l’affaire gami v. mexico615 concernait l’actionnaire américain d’une société mexicaine (gam) propriétaire de cinq usines de production de sucre au mexique. a la fin des années 1990, l’ensemble de ce secteur connut des difficultés, et le mexique du adopter un certain nombre de lois et exproprier plusieurs usines de sucre, dont trois usines dont gam était 614 sentence saluka, §360 (c’est nous qui soulignons). 615 gami investments, inc. v. the united mexican states, uncitral rules, final award, 15 november 2004
342 propriétaire. si le tribunal refusa finalement de considérer que le mexique avait violé plusieurs dispositions de l’alena, la sentence retient l’attention par le fait que le tribunal rejeta explicitement l’argument du mexique basé sur les difficultés générales auxquelles son économie devait faire face. il considéra que : “the duty of nafta tribunals is rather to appraise whether and how preexisting laws and regulations are applied to the foreign investor. it is no excuse that regulation is costly. nor does a dearth of able administrators or a deficient culture of compliance provide a defence. such is the challenge of governance that confronts every country. breaches of nafta are assuredly not to be excused on the grounds that a government’s compliance with its own law may be difficult. each nafta party must to the contrary accept liability if its officials fail to implement or implement regulations in a discriminatory or arbitrary fashion.”616 conclusion. a notre connaissance, aucune autre décision n’a rejeté aussi explicitement que gami v. mexico le critère du niveau de développement de l’etat d’accueil. pour ce qui est des sentences qui n’y font aucune référence, il nous semble hasardeux que considérer qu’elles le rejètent implicitement, étant donné que généralement, rien n'indique que l’etat s’en est prévalu dans sa plaidoirie. quoiqu’il en soit, il faut se contenter pour l’instant de constater que, si le critère du niveau de développement est pris en compte par de nombreux tribunaux, il ne fait pas encore l’objet d'une jurisprudence constante et demande à être confirmé à l’avenir. 616 sentence gami v. mexico, §94 (c’est nous qui soulignons).
343 b. attentes légitimes et circonstances exceptionnelles (en particulier situation de crise économique). la question. la même question se pose, à peu près dans les mêmes termes, lorsque le pays d’accueil fait face à une crise économique : l’investisseur doit-il lui-même supporter une partie des conséquences de la crise (en renonçant à une partie de ses attentes a priori légitimes), ou une telle circonstance n’a-t-elle aucune influence sur ses attentes légitimes ? cependant, la question n’est pas exactement la même : contrairement au niveau de développement du pays d’accueil, la survenance d’une crise économique n’est pas toujours prévisible. il semble donc que, si celle-ci intervient après que l’investissement ait été réalisé, il faille se poser la question de sa prévisibilité. tout dépend en réalité du point de vue duquel on se place : du point de vue de l’investisseur, il paraît injuste que ses attentes se trouvent affectées par cette circonstance dans la mesure où il ne pouvait s’y attendre, quelle que soit l’ampleur de sa diligence617 . en effet, la justification de la réduction des attentes légitimes basée sur la prise de risque est beaucoup moins pertinente dans ce cas-là. du point de vue de l’etat, en revanche, il est difficile d’admettre que la situation de l’investisseur doit être protégée à tout prix, quelles que soient les difficultés économiques rencontrées. sans guère, semble-t-il, s’attacher à la question de la prévisibilité, les tribunaux prennent en compte ces deux perspectives pour justifier leurs décisions. recherche d’un équilibre entre attentes légitimes de l’investisseur et intérêts légitimes de l’etat d’accueil. sur la question de l’impact d’une crise économique sur les attentes légitimes de l’investisseur, la sentence de référence est aujourd’hui la sentence cms. dans cette affaire, 617 a moins de considérer, avec le tribunal pour les différends irano-américains (approche dont les tribunaux plus récents semblent se démarquer nettement), que : ”investors in iran, like investors in all other countries, have to assume a risk that the country might experience strikes, lock-outs, disturbances, changes of economic and political system and even revolution. that any of these risks materialised does not necessarily mean that property rights affected by such events can be deemed to have been taken” (sentence starret housing corp. v. iran, 19 dec. 1983, 4 iran-us ctr 122, c’est nous qui soulignons).
344 l’investisseur américain avait plaidé la déception de son attente légitime selon laquelle, pour toute la durée de son investissement, les tarifs applicables à son exploitation seraient calculés en dollars, conformément aux promesses faites par les autorités argentines. l’argentine, elle, justifiait son changement de politique par les circonstances exceptionnelles qui prévalaient alors dans tout le pays. le tribunal ne mentionna pas explicitement la notion d’attente légitime (pourtant invoquée par le demandeur) mais considéra que : “the crisis had in itself a severe impact on the claimant’s business, but this aspect must to some extent be attributed to the business risk the claimant took on when investing in argentina, this being particularly the case as it related to decrease in demand. such effects cannot be ignored as if business had continued as usual. otherwise, both parties would not be sharing some of the costs of the crisis in a reasonable manner and the decision could eventually amount to an insurance policy against business risk, an outcome that, as the respondent has rightly argued, would not be justified.”618 on pourrait certes interpréter cette argumentation en termes de prévisibilité de l’événement ayant déclenché la déception de l’attente, prévisibilité qui ôterait à l’attente son caractère légitime : en effet, le tribunal insiste sur le risque que l’investisseur avait pris en investissant en argentine (sous-entendant qu’il devait avoir conscience de prendre un risque plus grand en investissant de ce pays-ci). on retrouverait ainsi l’un des critères de la légitimité de la confiance dégagés en droit public allemand, anglais et communautaire : celui de l’imprévisibilité du changement (supra p. 89s.). mais l’élément central du raisonnement semble être ailleurs. la logique adoptée par le tribunal est fondée sur l’idée – indépendante de la question de la prévisibilité de la survenance d’une crise économique – suivante : étant donné que l’opération d’investissement aurait profité aux deux parties en cas de succès, il est juste que le dommage provoqué par la crise soit partagé de manière égale entre l’investisseur et 618 sentence cms, §248 (c’est nous qui soulignons).
345 l’etat. la détermination des attentes légitimes de l’investisseur s’inscrit donc la recherche d’un équilibre entre celles-ci et les intérêts de l’etat. cette idée est également présente dans la sentence saluka, lorsque le tribunal, examinant la question de savoir si l’etat avait violé son obligation de traitement juste et équitable, considéra que : “the determination of a breach of article 3.1 by the czech republic therefore requires a weighing of the claimant’s legitimate and reasonable expectations on the one hand and the respondent’s legitimate regulatory interests on the other.”619 liens avec la théorie française de l’imprévision. bien que la théorie de l’imprévision (pourtant invoquée par le défendeur dans l’affaire cms) n'aie pas été appliquée par ces tribunaux, il nous semble intéressant de souligner les liens qu’elle présente avec les solutions retenues. rappelons qu’en droit administratif français, cette théorie a été consacrée en 1916 dans l’arrêt gaz de bordeaux620 . elle signifie qu’en cas de survenance d’évènements indépendants de la volonté du cocontractant privé, anormaux et imprévisibles, ayant pour effet d’accroître massivement ses charges, exige que celui-ci soit tenu d’exécuter ses obligations, mais que lui soit versée une indemnité. or il nous semble que cette théorie est fondée, moins sur l’idée de protection des attentes du cocontractant privé que sur celle du partage des conséquences du changement de circonstances entre les deux parties. comme les tribunaux arbitraux dont nous avons cité les solutions en exemples, les juridictions administratives français cherchent, à travers la théorie de l’imprévision, à établir un équilibre entre la protection des intérêts de l’investisseur et ceux de l’etat (c'est-à-dire en fait du service public). 619 sentence saluka, §306. 620 ce, 30 mars 1916, compagnie générale d’eclairage de bordeaux, rec. 125, concl. chardenet.
346 attentes légitimes et souveraineté de l’etat. malgré le recours à la notion d’ « attente légitime » dans le passage précité de la sentence saluka, ces solutions semblent motivées par la recherche d’un équilibre, plutôt que sur la protection des attentes de l’investisseur. en effet, un autre passage de la sentence cms aborde la même question d’un point de vue plus encore centré sur la souveraineté de l’etat d’accueil. il souligne le fait que l’etat, quelles que soient les promesses qu’il a pu faire aux investisseurs étrangers, ne peut être considéré comme ayant renoncé à sa souveraineté et doit pouvoir continuer à exercer librement son pouvoir réglementaire et législatif pour répondre aux difficultés auxquelles il fait face. dans une sentence sur la compétence du 17 juillet 2003, le tribunal de l’affaire cms avait déclaré, à propos des traités bilatéraux d'investissement en général, que : “… these treaties cannot entirely isolate foreign investments from the general economic situation of a country. they do provide for standards of fair and equitable treatment, non-discrimination, guarantees in respect of expropriation and other matters, but they cannot prevent a country from pursuing its own economic choices. these choices are not under the centre’s jurisdiction and icsid tribunals cannot pass judgment on whether such policies are right or wrong. judgment can only be made in respect of whether the rights of investors have been violated.”621 de ce point de vue, le tribunal de l’affaire cms se situe dans la lignée de la sentence s.d. myers, dans laquelle le tribunal notait que la question de la violation du principe de traitement juste et équitable devait être examinée : “…in the light of the high measure of deference that international law generally extends to the right of domestic authorities to regulate matters within their own borders.” 622 621 cms (décision sur la compétence), §29. 622 s.d. myers inc. v. government of canada, 13 september 2000 (uncitral), §263.
347 conclusion. en définitive, ces sentences soulignent qu’il convient de ne pas négliger les intérêts légitimes de l’etat d’accueil de l’investissement. l’investisseur doit largement revoir ses attentes à la baisse lorsque adviennent des circonstances exceptionnelles. elles nous rappellent que le schéma pré-établi selon lequel le différend relatif à l’investissement international mettrait un investisseur privé, par définition faible, à la merci des caprices d’un etat tout-puissant doit être remis en question, notamment lorsque cet etat connaît des difficultés particulières et que l’investisseur est une riche entreprise issue d’une pays développé. plus, cette jurisprudence ne suggère-t-elle pas implicitement que l’etat a, lui aussi, des attentes légitimes qu’il convient de protéger (surtout lorsqu’il s’agit d’un pays en voie de développement) ? nous verrons un peu plus loin que rien ne s’oppose en effet à l’application de cette notion à la partie étatique du différend623 . §2.- en fonction du contexte culturel. importance des différences culturelles dans le différend relatif à l’investissement. si chaque investissement est spécifique, ce n’est pas uniquement parce qu’il se place dans un contexte économique particulier, mais aussi en raison des spécificités culturelles des parties au différend. en effet, comme le notait alain plantey, président de la « cour internationale d’arbitrage » de la chambre de commerce internationale : « entre les nations, les valeurs culturelles ne peuvent être facilement harmonisées. c’est même souvent en ce domaine que les peuples ont le mieux établi leurs caractéristiques spécifiques et authentiques. ils ont en effet rarement les mêmes conceptions sociales, le même patrimoine 623 cf. infra, p. 351s.
348 historique. entre eux règne facilement incompréhension ou ignorance réciproques.»624 ces différences doivent être prise en compte lorsque l’on examine la question de la légitimité d’une attente donnée. on retrouve une fois encore la question de la définition de la normalité, que nous avions évoqué dès la mise en place de notre problématique. là où les cultures diffèrent, les conceptions de la normalité varient. il s’en suit que la légitimité des comportements est jugée par chacun selon des critères différents. la tâche de l’arbitre s’en trouve d’autant plus compliquée qu’il ne peut ignorer sa propre conception de la normalité des comportements, qui risque elle-même de différer des deux autres. et quand bien même cette dernière conception rejoindrait celle de l’une des parties, l’arbitre pourrait-il en conclure que c’est celle-là qui est la bonne ? le risque principal nous semble être que ce soit les standards des pays développés (pays qui sont à l’origine des institutions telles que le cirdi, et dont la plupart des arbitres sont des ressortissants ainsi que la plupart des investisseurs) qui prévalent sur tous les autres, au mépris notamment de ceux qui sont propres aux pays d’accueil des investissements. or ne faut-il pas considérer au contraire qu’un occidental qui décide d’investir, par exemple, dans un pays africain, doit se conformer aux usages juridiques locaux ? il importe d’avoir conscience de ces difficultés et de prendre en compte, dans toute la mesure du possible, la culture de l’auteur de l’attente mais aussi celle du partenaire dans la détermination de la légitimité de l’attente. pauvreté de la jurisprudence sur ce point. peu de sentences ont abordé cette question expressément, mais celle-ci est souvent liée à celle de la situation économique du pays d’accueil. ainsi, lorsque le 624 etudes en l’honneur de o.a. glossner, p. 242.
349 tribunal rendant la sentence genin insiste sur le fait que l’estonie est un etat inexpérimenté dans domaine de l’économie de marché, “coming rapidly to grips with the reality of modern financial, commercial and banking practices and the emergence of state institutions responsible for overseeing and regulating areas of activity perhaps previously unknown.”625 il apparaît qu’il s’agit aussi de dire que cet etat doit bénéficier d’une certaine indulgence, dans la mesure où il n’a pas encore eu le temps de se familiariser avec la culture du capitalisme, et donc qu’il est difficile pour lui d’observer une conduite que l’on serait en droit d’attendre dans un système purement capitaliste. la question de l’existence d’une normalité universelle en matière d’investissement. jusqu’où peut-on parler du « normal » entre un investisseur et un etat qui n’ont pas les mêmes valeurs ? sans aller jusqu’à poser la question d’un ordre public transnational ou réellement international (à laquelle nous ne pourrions consacrer la place qu’elle mérite), il s’agit de se demander si l’on peut identifier certains éléments susceptible de fonder une « culture universelle de l’investissement ». notamment, ne faut-il pas considérer que tout ce qui est indispensable au fonctionnement de tout investissement fait partie de cette normalité universelle ? en effet, comme le note t. wälde au sujet du traitement juste et équitable, il faut, dans un souci de sécurité juridique, prendre garde de ne pas aller trop loin dans la prise en compte d’éléments culturels subjectifs : “the “fair and equitable standard” can not be derived from subjective personal or cultural sentiments; it must be anchored in objective rules and principles reflecting, in an authoritative and universal or at least 625 sentence genin, § 348.
350 widespread way, the contemporary attitude of modern national and international economic law.”626 comme premier élément de cette normalité universelle, on penserait bien sûr au respect de la parole donnée. mais on peut également penser à la durée de l’investissement : dans la mesure où une durée suffisante constitue une condition sine qua non pour qu’un investissement ait une chance d’être rentabilisé, il semble que l’on puisse compter celle-ci au nombre des éléments constitutifs de la normalité, indépendamment du contexte culturel dans lequel on se situe. plus généralement, ne peut-on pas soutenir que tout acteur d’une opération d’investissement (c'est-à-dire investisseurs est etats d’accueil) doit être présumé conscient des éléments qui constituent la base d’un investissement rentable ? section 2 : appréciation en fonction de l’auteur de l’attente. nous avons vu l’influence que peuvent avoir les circonstances objectives de l’investissement, notamment le contexte économique, politique et culturel, sur la légitimité des attentes. mais on ne peut se satisfaire d’une approche purement objective de la question. la jurisprudence a montré que l’auteur de l’attente (le plus souvent l’investisseur) a lui-même une influence sur la légitimité de ses propres attentes, d’abord par son comportement, mais également (puisque nous nous situons dans une perspective d’étude globale de la notion) par son identité : si l’on admet que la notion peut s’appliquer à l’etat d’accueil aussi bien qu’à l’investisseur (nous allons montrer pourquoi), on ne peut néanmoins pas apprécier les attentes de l’un de la même façon que celles de l’autre. 626 th. wälde, seperate opinion in the arbitration under chapter xi of the nafta and the uncitral arbitration rules: thunderbird ./. mexico, § 30.
351 intéressons nous donc de plus près à la façon dont le comportement (§1) et l’identité (§2) de la partie dont on apprécie les attentes influencent la légitimité de celles-ci. §1.- appréciation de la légitimité en fonction du comportement de la partie dont les attentes sont appréciées (en général l’investisseur). pertinence du critère du comportement de l’investisseur, quel que soit l’objet de l’attente considérée. le comportement de l’investisseur a une incidence directe sur le caractère plus ou moins légitime des attentes qui sont les siennes. cela est toujours vrai, que l’attente considérée porte sur la conduite de l’etat d’accueil ou sur les résultats de l’investissement. pour ce qui est des attentes portant sur la conduite de l’etat d’accueil627 , la logique est la suivante : comment s’attendre à une attitude responsable, diligente, et cohérente (en un mot, normale) de la part de l’etat dans lequel on investit lorsqu’on agit soi-même de manière négligente ou illogique ? c’est ici l’idée de réciprocité (entre comportement attendu de l’etat et comportement de l’investisseur) qui dicte la règle : l’investisseur ne peut s’attendre à ne pas être déçu par le comportement de l’etat que si lui- même ne déçoit pas l'etat par son comportement. cette idée renvoie à la dimension synallagmatique inhérente à ce type de relation contractuelle. lorsque l’attente a un autre objet, c'est-à-dire essentiellement lorsqu’elle porte sur les résultats de l’investissement, le comportement de l’investisseur est également déterminant, mais la logique est quelque peu différente. on part ici du principe qu’une attitude professionnelle est une condition préalable à toute attente légitime de profits ou d’absence de pertes. en effet, comment s’attendre à obtenir des bénéfices ou à ne pas subir 627 qui sont, rappelons le, les attentes les plus importantes dans le contexte du traitement juste et équitable (cf. supra p. 208).
352 de pertes si on n’est pas à même de gérer son investissement de manière professionnelle ? ici, la logique repose plutôt sur l’idée de faute de l’investisseur, ou du moins de manque de diligence. cette idée a déjà été formulée par p. muchlinski de la manière suivante : “it cannot be part of the investor’s legitimate expectations that they should be able to avoid losses caused by poor management, by blaming them instead on poor regulation by the host country.”628 le point commun entre les deux hypothèses est que l’attitude de l’investisseur, ou plus exactement la question de savoir s’il s’est comporté comme un professionnel averti, est un critère déterminant de la légitimité de ses attentes. cependant, puisque ce critère suit, dans chacun des cas, une logique différente, nous les étudierons séparément : d’abord le cas de l’attente portant sur le comportement de l’etat (a) et ensuite celui de l’attente portant sur le résultat de l'investissement (b). a. attitude de l’investisseur et attentes portant sur le comportement de l’etat. lorsqu’un etat crée (généralement par ses déclarations) des attentes quant à son comportement futur, ces attentes sont en principes légitimes (cf. supra, p. 210s.). elles créent, en effet, une apparence à laquelle l’investisseur est obligé de se fier pour déterminer son action. pourtant, la jurisprudence montre que le comportement contradictoire ou trompeur de l’investisseur lui-même peut conduire à la disqualification de ses propres attentes. la sentence azinian629 nous semble bien illustrative de ce point – bien qu’aucune mention explicite de la notion d’attente légitime ne soit faite 628 p. muchlinski, ‘caveat investor’ ? the relevance of the conduct of the investor under the fair and equitable treatment standard, iclq vol. 55, 2006, p. 534-535. 629 robert azinian and others v. united mexican states, 1st november 1999 (icsid case no. arb(af)/97/2).
353 dans cette sentence (ce qui ne signifie pas, notons le, qu’elle n’était pas présente à l’esprit des arbitres). nous la présenterons donc, avant d’analyser le raisonnement du tribunal, et notamment les conclusions qu’il tire de l’attitude dolosive de l’investisseur. la sentence azinian. dans cette affaire alena de 1999, les demandeurs américains avaient conclu, avec la commune mexicaine de naucalpan (2 millions d’habitants), un contrat de concession pour le ramassage et le retraitement des ordures ménagères et déchets industriels de toute la ville. au cours des pourparlers, les demandeurs avaient assuré que leur société (global waste industries inc.) avait plus de quarante ans d’expérience dans ce domaine et qu’ils disposaient de tout l’équipement moderne nécessaire pour remplacer l'équipement désuet de la ville. il s’avéra par la suite que la société global waste avait été constituée seulement un an auparavant par un groupe de personnes n’ayant à peu près aucune expérience dans le domaine, et que les demandeurs ne disposaient pas des moyens financiers nécessaires pour acquérir l’équipement promis. peu après que les demandeurs aient commencé à exécuter le contrat, et suite à des retards dans l’acheminement de l’équipement, la commune invoqua la nullité du contrat et obtint gain de cause devant les juridictions mexicaines. les demandeurs entamèrent alors une procédure cirdi, le comportement de la commune de naucalpan violant selon eux les articles 1105 (sur le traitement juste et équitable) et 1110 (sur l’expropriation indirecte) de l’alena. le tribunal rejeta toutes les demandes. l’un des éléments déterminants dans la décision du tribunal (indépendamment de la question de la nullité du contrat, qui n’est pas directement déterminante pour ce qui est de la violation du traité d'investissement) était que : “the naucalpan authorities thus entrusted a public service to foreign individuals whom they were falsely led to believe were part of an
354 experienced concern possessed of financial and technological resources adequate for the job.”630 le comportement des autorités mexicaines qui, dans une situation « normale », aurait constitué une violation évidente des attentes légitimes de l’investisseur – notamment de l’attente de durée de l’investissement – n’était donc en l’occurrence pas répréhensible, en raison de l’attitude dolosive (« anormale ») de ce dernier. cette attitude ôtait toute légitimité à son attente de durée de son investissement. le tribunal adopte par conséquent une logique de réciprocité, selon laquelle les deux parties sont sur un pied d’égalité, chacune d’entre elle ayant les mêmes obligations de diligence (et les mêmes attentes) à l’égard de l’autre. ce faisant, les arbitres répondent à un souci d’équilibre entre les intérêts de l’investisseur (très protégé par le traité d’investissement) et ceux de l’etat. il s’agit d’interpréter le traité d’investissement d’une manière qui ménage suffisamment les intérêts de l’etat. cette perspective n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque qu’on avait déjà pu voir dans les années 1980 des investisseurs sanctionnés pour avoir failli à une obligation d’information (non contenue dans le contrat) à l’égard de l’etat d’accueil. ainsi, dans la sentence klöckner, le tribunal considéra que : « lorsqu’un partenaire [en l’occurrence l’investisseur privé] dans une entreprise financière internationale complexe prend connaissance de certains faits qui pourraient influencer l’attitude et les actes de l’autre partenaire envers le projet, lorsque le premier partenaire s’abstient de fournir cette information à l’autre, et lorsque le second continue alors le projet et engage des frais supplémentaires, le premier partenaire n’a pas agi franchement et loyalement envers ses collègues et il est mal venu à prétendre avoir droit aux fonds dont la dépense n’aurait peut-être jamais eu lieu s’il avait été franc et candide dans ses rapports. »631 notons que, dans cette affaire, on peut même penser qu’une certaine supériorité de l’investisseur en termes de compétences était postulée par le 630 sentence azinian, § 31. 631 sentence klöckner, dans e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, op. cit., p. 99.
355 tribunal : sa qualité de « spécialiste » renforçait son obligation d’information. sont donc prises en compte, non seulement l’attitude des parties, mais également leurs compétences respectives. on remarquera en effet, avec e. gaillard que : « l’infériorité de l’etat en voie de développement, qui peut s’entourer des meilleurs conseils, ne saurait être systématiquement postulée. en revanche, dans les circonstances de l’espèce, il semble que l’on ne puisse faire grief à l'etat de ne pas s'être renseigné lui-même sur l'évolution des circonstances économiques rendant obsolète l’étude de 1971 puisque l’etat avait précisément confié la charge de la construction et de la gestion de l’usine à un spécialiste en la personne de klöckner ! »632 quoi qu’il en soit, cette sentence montre que l’investisseur a non seulement une obligation d’honnêteté, mais également une obligation positive d’information, comparable à l’obligation de transparence imposée à l’etat par l’intermédiaire du principe de traitement juste et équitable (cf. supra p. 252s.). il doit, en un mot, se comporter à l’égard de son partenaire étatique comme un professionnel averti, faute de quoi il ne peut attendre de l’etat un tel comportement. le professionnel averti, en effet, est celui qui est à même de prévoir, d’anticiper les développements de son investissement comme ses implications. cas où les déclarations sur lesquelles est fondée l’attente ont été obtenues frauduleusement. il semble aller de soi que, pour les même raisons et a fortiori, lorsque l’investisseur obtient des déclarations de la part de l’etat en lui fournissant des informations fausses, ces déclarations ne peuvent servir de fondement à une attente légitime. c’est pourtant ce qu’avait prétendu l’investisseur dans l’affaire thunderbird633 . rappelons que dans cette affaire, l’investisseur, dans sa requête (solicitud)634 , avait occulté la vraie 632 e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, op. cit., p. 134 (c’est nous qui soulignons). 633 international thunderbird gaming corporation v. the united mexican states, 26 january 2006. 634 pour un rappel des faits, cf. supra, p. 234.
356 nature de l’activité envisagée, puisqu’il assurait que “[i]n these games, chance and wagering or betting is not involved …”. dans sa réponse (oficio), l’etat avait déclaré que si, conformément aux déclarations de l’investisseur, les machines ne comportaient aucun élément de hasard, elles ne pouvaient être interdites selon les lois mexicaines. une des raisons déterminantes pour lesquelles une telle déclaration ne pouvait créer une attente légitime selon laquelle l’etat n’interdirait pas l’investissement envisagé était la suivante : “the tribunal is […] of the opinion that the solicitud is not a proper disclosure and that it puts the reader on the wrong track. the solicitud creates the appearance that the machines described are video arcade games, designed solely for entertainment purposes.”635 selon le tribunal, il semblerait illogique d’imposer à l’etat une obligation de diligence trop exigeante – allant par exemple jusqu’à l’obligation d’assumer toutes les interprétations possibles de ses déclarations636 – alors même que celles-ci ont été provoquées par le comportement trompeur de l’investisseur. b. attitude de l’investisseur et attentes portant sur les résultats de l’investissement. la deuxième hypothèse est celle de l’attente portant sur les résultats de l’investissement. nous avons vu qu’il n'y a pas à proprement parler d’attente de profit qui soit structurellement légitime. si l’on admet en revanche l’existence d’une attente légitime de ne pas subir de pertes (ce qui, nous l’admettons, peut également prêter à discussion), ou si l’on veut considérer que l’investisseur a une quelconque attente légitime relative aux résultats de son investissement, celle-ci doit également s’apprécier au regard 635 sentence thunderbird, §155. 636 dans son opinion dissidente, en effet, t. wälde considère que les déclarations contenues dans l’oficio n’était pas suffisamment claires, et pouvaient être interprétées comme autorisant explicitement thunderbird à exploiter les machines proposées, créant ainsi une attente légitime dans le chef de celui-ci.
357 du comportement de l’investisseur. cependant, on ne se situe plus ici dans une logique de réciprocité, l’attente ne concernant pas directement l’attitude de l’etat d'accueil. l'idée est la suivante : on ne peut s’attendre à des résultats positifs si on ne se comporte pas comme un professionnel averti. si une attente est le fruit du manque de professionnalisme ou si un tel manque minimise les chances que ces attentes soient satisfaites, alors elles cessent d’être légitimes. on peut donc distinguer entre trois hypothèses dans lesquelles le comportement négligent a une incidence négative sur la légitimité de l’attente : - l’investisseur a une attente parce qu’il lui manque une information qu’il aurait pu obtenir (il a failli à son obligation de se renseigner). - il a pris des risques inconsidérés au regard des circonstances (il a donc une attente de profits, mais cette attente est le pur produit de sa fantaisie, puisque au regard des faits rien ne permettait de l’espérer sérieusement) et n’a donc pas agi en professionnel diligent. - il a mal géré son investissement (donc il ne pouvait pas s’attendre à de bons résultats). on peut faire correspondre chacune de ces hypothèses à une obligation identifiée par les arbitres à la charge l’investisseur : respectivement une obligation de se renseigner, une obligation d’évaluer les risques, et enfin une obligation de bien gérer son investissement. ces obligations permettent de préciser ce qu’est le comportement « normal » (professionnel) qui conditionne les attentes également « normales » (légitimes) de l’investisseur. les deux premières hypothèses concernent l’obligation de prudence au moment de la décision d’investir, tandis que la troisième concerne l’obligation de diligence dans la gestion de
358 l’investissement. nous illustrerons, dans chacune de ces hypothèses, l’impact du comportement négligent de l’investisseur sur la légitimité de ses attentes par une sentence récente. 1) manquement à l’obligation de se renseigner : la sentence mtd equity v. chili. lorsqu’un investisseur prend la décision d’investir, il entretient un certain nombre d’attentes. mais celles-ci, pour être juridiquement légitimes, doivent avoir un certain fondement objectif. elles doivent correspondre, soit à la normalité, soit à la réalité des faits ou du moins à l’apparence de ces faits. nous avons déjà vu, à l’occasion de l’analyse du traitement juste et équitable et de l’expropriation indirecte, que les arbitres s’efforcent en principe de protéger les attentes créées chez l’investisseur par des facteurs extérieurs à lui-même – notamment par les déclarations de l’etat d’accueil et les circonstances objectives de l’espèce. cependant, il ne suffit pas de montrer l’existence d’un lien de causalité entre l’attente et un fait extérieur pour la rendre légitime. on a pu voir certains tribunaux refuser de considérer une attente comme légitime (ou du moins limiter le caractère de légitimité d’une attente) au motif que l’investisseur ne l’aurait pas eue s’il s’était mieux renseigné. l’hypothèse présente est celle de l’attente fondée sur une erreur (qui est, par définition, amenée à être frustrée). en l’occurrence, « attente légitime » a donc le même sens que « croyance légitime » (terme plus familier au droit français). dans l’affaire mtd, par exemple (que nous allons étudier), l'investisseur avait acquis un terrain en pensant qu’il était constructible, alors qu’en réalité il ne l’était pas.
359 dans un tel cas, l’investisseur peut en principe se prévaloir de l’apparence pour justifier son attente (le plus souvent l’apparence présentée par le partenaire contractuel étatique, lorsque celui-ci s’est abstenu de l’informer). si nous savons que l’apparence justifie souvent les attentes de l’investisseur, il s’agit d’un fondement qui comporte ses limites. dés lors, en effet, que la fidélité de l’apparence à la réalité est vérifiable par l’investisseur, il n’y a plus lieu de s’y fier. elle cesse alors de jouer le rôle de légitimation de ses attentes. en d’autres termes, l’attente n’est légitime que si l’erreur est excusable (ou invérifiable), c'est-à-dire qu’elle est fondée sur une apparence à laquelle l’investisseur doit se fier. ceci exclut les cas suivants : 1. l’investisseur avait lui-même une influence sur l'apparence à laquelle il s’est fié. 2. il aurait pu se fier à une autre apparence (dans la mesure où la réalité n’est connaissable que par les apparences) issue d’une source plus fiable (dans le cas du terrain non constructible, par exemple, se renseigner directement auprès du cadastre de la ville). dans certains cas, autrement dit, il ne tiendrait qu’à l’investisseur de dissiper certaines de ses attentes par un comportement plus prudent. en d’autres termes, est fondamental le pouvoir de l’investisseur sur les apparences qui fondent son attente : plus celui-ci est grand, moins son attente a de chances d’être légitime. les attentes que l’investisseur a le pouvoir de dissiper par une simple précaution (recherche d’une information concernant le pays d’accueil de l’investissement, communication aux autorités publiques de l’etat de toutes les informations utiles le concernant) sont, quelle que soit leur source, nécessairement moins légitimes. pour apprécier la légitimité de l’attente, il faut prendre en compte toutes les apparences auxquelles il a accès, en faisant prévaloir celles qui, de par leur source, sont les plus fiables.
360 dans l’affaire mtd v. chili637 , une société malaise avait investi au chili avec le projet de construire un lotissement dans la ville de santiago. la société avait obtenu une autorisation d’investir, sous forme d’un contrat conclu avec la commission chilienne pour les investissements étrangers. par la suite, elle apprit que le terrain qui faisait l’objet de son investissement était réservé à une utilisation agricole. dans le cadre d’un arbitrage cirdi, elle attaqua le chili pour traitement injuste et inéquitable et pour expropriation indirecte, argumentant notamment qu’elle avait une attente légitime selon laquelle le terrain sur lequel portait son investissement était constructible. le tribunal considéra que l’etat avait effectivement violé son obligation de traitement juste et équitable, mais condamna néanmoins l’investisseur a supporter 50% des dommages. après avoir analysé le comportement de l’etat chilien et ses conséquences sur le demandeur – et notamment la création puis la frustration d’attentes chez celui-ci638 – le tribunal conclut que le chili avait violé le principe de traitement juste et équitable, mais seulement dans une certaine mesure. en effet, il précisa que : “this conclusion of the tribunal does not mean that chile is responsible for the consequences of unwise business decisions or for the lack of diligence of the investor. its responsibility is limited to the consequences of its own actions to the extent they breached the obligation to treat the claimants fairly and equitably.”639 l’etat chilien n’avait donc pas à supporter le préjudice subi par l’investisseur du fait de son propre manque de professionnalisme. or il nous semble possible d’interpréter cette restriction en termes de légitimité des attentes de l’investisseur. puisque la décision du tribunal quant au principe de la responsabilité du chili pour traitement juste et équitable est fondée sur la 637 mtd equity sdn. bhd. and mtd chile s.a. v. republic of chile, 25 may 2004 (icsid case no. arb/01/7). 638 sentence mtd v. chili, §163: “approval of a project in a location would give prima facie to an investor the expectation that the project is feasible in that location from a regulatory point of view.” 639 sentence mtd v. chili, §167.
361 frustration des attentes légitimes, on peut penser que la restriction l’est également : dans la mesure où certaines attentes de la société mtd étaient dépourvues de légitimité, les dommages qui découlent de leur frustration n’ont pas à être réparés au titre du traitement juste et équitable. mais venons en à ce qui nous intéresse réellement ici : quelles sont, en l’espèce, les attentes que le tribunal refuse de considérer comme légitimes ? le tribunal ne le dit pas expressément. mais il constate que : “it is clear from the record that no specialist in urban development was contacted by the claimants until the deal had been closed. […] the only thing that emerges with certainty is that the claimants were in a hurry to start the project.”640 on peut en conclure que les attentes étaient partiellement légitimes (parce que créées par les autorités publiques) mais pas entièrement puisqu’elle aurait pu être dissipée par des précautions de mtd, telles que le fait de faire appel à des spécialistes en développement urbain, et un temps de réflexion plus long avant de prendre la décision d’investir. 2) manquement à l’obligation d’évaluer les risques : la sentence maffezini v. spain. la deuxième obligation de l’investisseur, sans l'observation de laquelle il compromet largement ses chances de se voir reconnaître aucune attente légitime concernant le résultat de son investissement, est celle de l'évaluation sérieuse des risques de l'investissement. il s’agit d’une obligation proche de la précédente, mais tout de même distincte : la question n’est plus de savoir si l’investisseur a connaissance de tous les faits connaissables, mais 640 sentence mtd v. chili, §176.
362 s’il les a bien interprétés. en tant que professionnel averti, l’investisseur doit prendre la décision d’investir ou non en appréciant lui-même les risques, au regard de toutes les circonstances. en d’autres termes, ses attentes, afin d’être légitimes, doivent d’abord être réalistes. l’idée qui fonde cette obligation est que le risque est inhérent à toute opération d’investissement et que l’objet des traités d’investissement n’est pas d’exonérer les investisseurs de tout risque mais simplement de les protéger contre les abus des etats d’accueil. cette idée est au centre de la sentence maffezini v. spain641 de 2000. celle-ci tranchait un litige entre monsieur maffezini, un ressortissant argentin ayant investi en espagne dans une entreprise de production et de distribution de produits chimiques, et une société d’économie mixte de droit espagnol, sodiga, chargée du développement industriel régional. maffezini se plaignait que l’échec du projet était du aux agissements de sodiga (en particulier ses conseils quant aux coûts du projet, ainsi que la pression qu’elle avait exercé sur maffezini pour l’inciter à investir avant l’obtention des résultats de l’enquête relative à l’impact environnemental, qui était décisive pour déterminer les coûts). l’etat espagnol considérait au contraire que les pertes subies par maffezini étaient imputables à ses propres choix, qui étaient demeurés parfaitement libres, et que celui-ci avait pris des risques inconsidérés : “spain also argues that mr. maffezini was responsible for the feasibility study of the project, including availability of markets for its products and costs, and that sodiga’s studies and estimates were intended purely for its own purposes in order to enable it to decide whether to participate in the venture. the kingdom of spain further argues that mr. maffezini was fully aware of the requirements of the eia and that he decided to acquire the land and proceed with the construction before receiving eia approval and did so against the advice of his own employees and consultants. according to spain, the transfer of funds to eamsa was fully authorized by mr. maffezini and was carried out by an 641 sentence emilio agustin maffezini v. kingdom of spain, 13 november 2000, 5 icsid reports 419.
363 official of sodiga acting in his personal capacity on instructions of mr. maffezini.”642 le tribunal rejeta la demande, reprenant à son compte les arguments de l’espagne : “the tribunal is also satisfied, after hearing expert and witness testimony on these issues, that the feasibility study made by sodiga, whether faulty or not, was intended solely for sodiga’s internal purposes of deciding on its own participation in the capital of eamsa and that it was not intended to serve as a substitute for the study the investor commissioned by hiring cotecno.”643 autrement dit, les pertes n’étaient pas dues aux agissements de sodiga mais aux manquements de l’investisseur. si la notion d’ « attente légitime » n’est pas utilisée expressément par le tribunal, il est permis de penser qu’elle est implicitement présente : étant donné son comportement non professionnel (prenant le risque d’un investissement dont il n’avait pas cherché lui-même à évaluer les coûts, s’en remettant à une étude qui ne lui était pas destinée plutôt que d’en assumer lui-même la responsabilité, alors qu’elle fait partie de celles qui sont normales pour un professionnel) maffezini ne pouvait s’attendre légitimement à la réussite de son projet. selon un formule désormais célèbre, le tribunal affirma que : “bilateral investment treaties are not insurance policies against bad business judgments. while it is probably true that there were shortcomings in the policies and practices that sodiga and its sister entities pursued in the here relevant period in spain, they cannot be deemed to relieve investors of the business risks inherent in any investment.”644 642 sentence maffezini, §45. egalement §60: “according to spain, what really went wrong was that the project was ill conceived. no market studies were undertaken, spain’s public services provided free information but were not supposed to provide professional advice, the plot of land was not appropriately examined and required additional work, and the specifications were changed with regard to both the quality and quantity of the construction that had been envisaged.” 643 sentence maffezini, §63. 644 sentence maffezini, §64 (c’est nous qui soulignons).
364 s’il décide d’investir alors qu’une meilleure appréciation des circonstances lui aurait indiqué que le risque était trop élevé, il ne peut prétendre avoir aucune attente légitime quant au résultat de son investissement. c’est à lui de supporter les conséquences de ce risque. car toute attente qu’il peut avoir dans un tel cas n’est le fruit que de sa pure appréciation, de son optimisme excessif ou de sa naïveté, et non pas de faits objectifs. l'investisseur se crée lui-même des attentes que la réalité des faits ne suffisait pas à créer. or, comme nous avons pu nous en rendre compte déjà, le sceau de la légitimité vient toujours de l’extérieur (déclaration de l’etat d'accueil, faits objectifs). la prise de risques inconsidérés est exclusive de toute attente légitime. en d’autres termes, « attente légitime » rime ici avec « attente réaliste »645 . circonstances permettant d’évaluer le risque lié à l’investissement. parmi les circonstances permettant d’évaluer le risque lié à l’investissement considéré, la question des coûts du projet est bien sûr l’une des plus importantes, comme l’a montré l’affaire maffezini. mais la situation économique du pays d’accueil est un facteur tout aussi important. on rejoint donc ici le critère, examiné plus haut, du contexte économique de l’investissement. d’ailleurs, dans la sentence genin, le critère du niveau de développement était combiné à celui du comportement de l’investisseur : celui-ci aurait dû être d’autant plus diligent dans son appréciation des risques que le pays dans lequel il investissait était un pays en transition : “on the other hand, the officers of eib who conducted the negotiations regarding the purchase of the branch clearly acted unprofessionally cette idée est également présente dans la sentence cms, §248 : “the crisis had in itself a severe impact on the claimant’s business, but this aspect must to some extent be attributed to the business risk the claimant took on when investing in argentina, this being particularly the case as it related to decrease in demand.” 645 on peut remarquer que dans un grand nombre d’affaires relatives à la réalisation d’un marché public, les parties s’accusent réciproquement de manquement à la diligence due. la notion de diligence renvoie elle- même directement à l’idée de « standard ». que pouvait-on attendre en l’occurrence d’un professionnel avisé ?
365 and, indeed, carelessly. a credit portfolio cannot be checked on the spot in a few hours; the buyers should have known that social bank was on the verge of bankruptcy and should thus have taken extra precautions, such as insisting on warranties relating to the quality of the assets. the responsibility for the result of eib’s conduct, including its omissions, is eib’s alone.”646 dans le même sens, on peut citer la sentence olguin v. paraguay, dans laquelle : “this tribunal does not accept mr. olguín’s contention that he was induced to make his investment by the bulletins issued by the central bank of paraguay. to the contrary, the tribunal feels that prudence would have prompted a foreigner arriving in a country that had suffered severe economic problems to be much more conservative in his investments.”647 3) manquement à l’obligation de gérer convenablement son investissement : la sentence noble ventures inc. v. romania. enfin, les tribunaux imposent à l'investisseur une obligation de gérer convenablement son investissement. cette troisième obligation a pour conséquence que des attentes qui paraissaient encore légitimes au moment de la réalisation de l’investissement peuvent cesser de l’être dès lors que l’investisseur ne gère pas son investissement comme un professionnel averti. l’affaire noble ventures inc v. romania648 en est un bon exemple. la société de droit américain noble ventures avait investit en roumanie, dans le cadre de la privatisation d’une entreprise de production d’acier (csr). elle avait conclu, avec l’organisme roumain chargé de la privatisation des entreprises publiques (sof, remplacé plus tard par apaps), un accord pour l’acquisition, la gestion, et l’exploitation de l’entreprise. lorsque csr commença à faire 646 sentence genin, § 345. 647 eudoro a. olguin v. republic of paraguay, 26 july 2001 (icsid case no. arb/99/2), §75. 648 noble ventures, inc. v. romania, 17 october 2005 (icsid case no. arb/01/11).
366 face à de sérieuses difficultés financières, noble ventures les imputa au comportement de l'etat roumain. elle soutenait notamment que celui-ci avait frustré son attente légitime selon laquelle la dette de csr à l’égard de diverses entités publiques roumaines serait restructurée649 , mesure correspondant selon elle à la pratique normale650 . par là, il aurait violé les dispositions du traité bilatéral d'investissement relatives au traitement juste et équitable et à l’expropriation indirecte. le tribunal rejeta l’idée d’une telle attente légitime, car noble ventures avait elle-même largement contribué à ses propres difficultés financières651 et un comportement diligent lui aurait interdit de former l’attente dont elle se prévalait : “if, as the respondent contends, once csr had been privatized sof lost its power under article 15 of the privatization law even to propose the imposition of restructuring of csr’s budgetary debts, the imprudence of sof, quite apart from the imprudence of the claimant, in entering into the spa was all the greater. this very fact probably led the claimant to assume that, with sof’s support, the restructuring of csr’s budgetary debts would be little more than a formality. if so, the claimant’s assumption was fundamentally flawed.”652 par ailleurs : “…the claimant was in serious obligee’s default so far as apaps was concerned.”653 649 sentence noble ventures, §121 : “…the claimant contended that, if sof had used its best efforts or due diligence the budgetary debts would in fact have been restructured and the claimant had a legitimate expectation that that result would be achieved.” 650 sentence noble ventures, §129 : “the claimant also argues in this connection that, because budgetary debts that prejudiced the economic viability of companies under privatization were, as the claimant alleges, routinely restructured, the claimant had a legitimate expectation “that sof’s request to the budgetary creditors and its “due efforts” in negotiating the rescheduling of csr’s budgetary debts would produce the desired result””. 651 sentence noble ventures, §137 : “…neither party is without blame for the failure of the claimant’s investment in csr.” 652 sentence noble ventures, §147. 653 sentence noble ventures, §153.
367 enfin, la demanderesse avait donc agit imprudemment en fondant la réussite de son investissement sur cette attente : “claimant’s “business plan” was bound to “collapse” if budgetary debt restructuring was not effected within the time schedule premised in the plan or even if there was “uncertainty that interrupts that schedule””654 une telle anormalité du comportement et des attentes de noble ventures était accentuée, enfin, par le fait que ce dernier n’avait lui- même procédé à aucun investissement direct, se contentant de solliciter des banques qui se sont récusées les unes après les autres. conclusion sur ce qui constitue une attitude « normale » de l’investisseur. pour conclure, comment définir l’ « attitude normale » de l’investisseur, sans laquelle il ne peut se prévaloir de ses attentes légitimes ? il est sans doute encore trop tôt pour le dire exactement, comme le fait remarquer p. muchlinski au sujet de l’obligation de bien gérer son investissement : “to date the case-law is still far from complete. however certain expectations as to the conduct of the investor appear to be crystallizing.”655 les observations que nous venons de faire permettent de faire l’esquisse, sans en définir les contours précisément, des obligations de l’investisseur. pour s’inspirer d’un standard de droit français, on pourrait dire qu’il s’agit de l’attitude du « professionnel averti ». dans le même esprit, pour p. muchlinski, l’attitude normale est celle qui se conforme à une obligation de : 654 sentence noble ventures, §151. 655 p. muchlinski, ‘caveat investor’ ? the relevance of the conduct of the investor under the fair and equitable treatment standard, iclq vol. 55, 2006, p. 549.
368 “refrain from unconscionable conduct, to invest with adequate knowledge of risk and to conduct business in a reasonable manner.” 656 les tribunaux pourront, sur ce point, s’inspirer de la jurisprudence de droit interne. ainsi, nous avons vu dans quelle mesure l’appréciation de la « croyance légitime » dans le cadre de la théorie de l’apparence du droit français posait des problèmes comparables657 . §2.- attentes de l’investisseur et attentes de l'etat. au point où nous sommes de notre étude sur les attentes légitimes des parties à l’investissement international, force est de constater que celle-ci s’est limitée aux attentes d’une seule partie : l’investisseur. est-ce à dire que la partie étatique n’a aucune attente digne d’être protégée par le droit ? cette limitation est-elle justifiée ? si elle l’est, c’est dans le mesure où les arbitres et les auteurs ne l’emploient quasiment que dans ce sens. cependant, nous pensons que notre étude ne serait pas complète si nous nous en tenions exclusivement aux attentes de l’investisseur. d’ailleurs, si l’on regarde de plus près les sentences arbitrales de ces dernières années, on constate que l’idée de la protection des attentes légitimes de l’etat d’accueil n’est pas totalement absente. avant de voir dans quelle mesure il faut apprécier la notion différemment selon qu’on l’applique à l’investisseur ou à l’etat (b), nous donnerons donc un aperçu de quelques sentences dans lesquelles il nous semble que les attentes légitimes de l’etat sont évoquées plus ou moins directement (a). 656 p. muchlinski, op. cit., p. 536. 657 cf. supra, p. 167s.
369 a. application de la notion d’ « attente légitime » à l’etat d’accueil. attentes et réciprocité. nous avons vu les limites que comporte la faculté prêtée à l’investisseur de se prévaloir de ses attentes, à raison de son propre comportement. ces limites, rappelons-le, sont en partie fondées sur l’idée de réciprocité (du moins pour ce qui est des attentes portant sur le comportement de l’etat), l’investisseur ne pouvant attendre de l’etat un comportement normal si lui-même se comporte de manière anormale. dès lors, on peut se poser la question suivante : ne peut-on pas pousser plus loin cette idée de réciprocité ? pourquoi ne pas prétendre que l’etat a, lui aussi, des attentes légitimes qu’il appartient aux tribunaux de protéger ? si nous nous sommes concentré jusqu’ici, conformément à la jurisprudence arbitrale, sur la notion d’ « attente légitime » appliquée à l’investisseur, il nous semble qu’une théorie générale de l’attente légitime en droit international des investissements serait incomplète si on n’évoquait pas les attentes de l’etat d’accueil de l’investissement. l'utilisation unilatérale de la notion est probablement due à un présupposé selon lequel, dans tout différend entre un etat et une personne privée, cette dernière est la plus faible et mérite donc être protégée. d’ailleurs, l’objet des traités d’investissement que les arbitres ont la charge d’interpréter réside essentiellement dans la protection des investisseurs. il n’est donc pas étonnant que la notion d’attente légitime se soit développé à leur bénéfice, et non à celui de l’etat. dans certaines affaires, pourtant, il apparaît que c’est l’etat qui est victime de l’attitude trompeuse ou incohérente de l’investisseur privé, plutôt que l'inverse. ainsi dans l’affaire klöckner, que nous avons déjà présentée658 , l’etat était dans une position d’infériorité dans la mesure où il était moins qualifié que l’investisseur dans le domaine de l’investissement. 658 cf. supra pp. 255, 354.
370 présence dans la jurisprudence de l’idée de la protection des attentes de l’etat. a y regarder de plus près, l’idée selon laquelle l’etat d’accueil a, lui aussi, des attentes légitimes, qu'il convient de prendre en compte dans la recherche de l’équilibre entre intérêts de l’investisseur et intérêts de l’etat, n’est pas tout à fait absente de la jurisprudence. dans la sentence tecmed, par exemple, le tribunal évoque les attentes des autorités mexicaines659 : “…what promotora, on the one hand, and tecmed and cytrar, on the other, had in mind when entering into the agreement […] was not simply the transfer of certain personal and real property but also to create the means for cytrar to be able to operate the las víboras site as a hazardous waste landfill […]. such were necessarily the legitimate expectations of cytrar and of the claimant […]. this was, certainly, the expectation of promotora and of the municipality of hermosillo…”660 dans la sentence azinian également, le tribunal mettait l’accent sur la confiance de l’etat, déçue par le comportement de l’investisseur : “the naucalpan authorities thus entrusted a public service to foreign individuals whom they were falsely led to believe were part of an experienced concern possessed of financial and technological resources adequate for the job.”661 ce sont ici les déclarations de l’investisseur qui provoquent des croyances erronées (donc des attentes) chez l’etat d’accueil et qui l’incitent ainsi à contracter. plus loin, le tribunal mentionne encore les attentes que l’etat mexicain était en droit d’avoir : “the ayuntamiento [mexico] was entitled to expect much more.”662 659 certes, il s’agissait en l’occurrence, non de protéger les attentes du mexique, mais de conforter la légitimité des attentes de l’investisseur en montrant que les autorités mexicaines avaient les mêmes. malgré tout, le fait que la même notion soit utilisée en relation avec l’etat nous semble digne d’intérêt. 660 sentence tecmed, §88 (c’est nous qui soulignons). 661 sentence azinian, §31. 662 sentence azinian, §115.
371 dans la sentence saluka, c’est terme d’ « intérêt légitime » de l’etat qui est utilisé pour protéger les attentes de celui-ci : “the determination of a breach of article 3.1 by the czech republic therefore requires a weighing of the claimant’s legitimate and reasonable expectations on the one hand and the respondent’s legitimate regulatory interests on the other.”663 dans ce passage, on le voit, c’est encore l’idée de d’égalité entre la partie privée et la partie étatique qui est présente. b. appréciation différenciée des attentes de l’investisseur et de celles de l’etat. etant donnée l’utilisation très timide par les tribunaux de la notion d’attente légitime au bénéfice de l’etat d’accueil, la jurisprudence n’est que d’une aide très limitée lorsqu’il s’agit de savoir comment identifier les attentes de l’etat d’accueil qui sont dignes de protection. il va de soi que les attentes des etats devront être appréciées différemment de celles de l’investisseur (2), bien qu’elles présentent avec celles-ci un certain nombre de points communs (1). 1) points communs entre attentes de l’etat et attentes de l’investisseur. nous l’avons vu, la supériorité présumée de l’etat est très relative. l'investisseur, par définition spécialiste dans son domaine d’activité, possède une supériorité technologique incontestable vis-à-vis de l’etat qui 663 sentence saluka, §306, c’est nous qui soulignons.
372 décide de lui accorder sa confiance en contractant avec lui. de plus, il arrive souvent qu’il soit doté lui même d’une surface financière et d’une puissance économique redoutables pour le pays d’accueil. une partie des attentes reconnues au bénéfice de l’investisseur peuvent être appliquées de la même façon à l’etat, dans la mesure où investisseur et etat sont parties à un contrat qui a une dimension synallagmatique. nous avons déjà pu nous rendre compte, par exemple, que l’etat a, comme l’investisseur, une attente légitime de transparence (sentence azinian). de même, dans la mesure où l’investissement concerne une activité dont la compréhension nécessite des connaissances particulières, l’etat peut avoir une attente légitime selon laquelle il sera informé par l’investisseur des aspects techniques les plus importants de l’investissement, afin notamment que l’etat puisse prendre ses décisions de manière suffisamment éclairée. c’est ainsi que certaines sentences on pu reconnaître une obligation d’information à la charge de l’investisseur (sentence klöckner). de même, pourquoi ne pas considérer que les déclarations de l'investisseur qui ont pu influer sur la conduite de l’etat ont créé en lui des attentes légitimes ? malgré tout, il est clair qu’on ne pourra apprécier de la même façon la légitimité des attentes de l’etat et celle des attentes de l’investisseur. cela découle notamment des objectifs respectifs poursuivis par l'un et l’autre. 2) différences entre attentes de l’etat et attentes de l’investisseur. on ne peut apprécier tout à fait de la même façon les attentes de l’etat et celles de l’investisseur, parce que les intérêts défendus par les uns et les autres sont différents. tandis que l’activité de l'etat consiste dans la poursuite de l'intérêt public, les objectifs de l’investisseur sont, en
373 principe, purement économiques, puisqu’il vise la réalisation d’un profit à travers l’exploitation de l’investissement. il en découle que, malgré la dimension synallagmatique du contrat d’investissement, celui-ci est perçu différemment par le contractant étatique et par l’investisseur. c’est ce que souligne p. weil dans un ouvrage récent : « pour l’état, il est impensable de voir un engagement contractuel faire obstacle à sa pleine « souveraineté économique »: celle-ci est à ses yeux inaliénable, ce qui signifie en clair que les engagements pris peuvent toujours être remis en cause si l’intérêt prééminent de l’état l’exige. […] pour l’investisseur, au contraire, ce qui est écrit est écrit, et le respect de la parole donnée prime toute autre considération. les deux parties sont en général de bonne foi dans ces litiges, et cela ne facilite guère leur solution…»664 comme le laisse entendre l’auteur, les points de vue respectifs des parties sont aussi légitimes l’un que l’autre, et peuvent néanmoins s’avérer opposés : chacune des parties se représente différemment l’exécution du contrat en cas de difficulté. tandis que l’etat s’attend a pouvoir à tout moment prendre les décisions les plus favorables à la poursuite de l’intérêt collectif, l’investisseur s’attend à une exécution « normale » du contrat. on risque donc d’aboutir à ce que l’on pourrait appeler une situation de « conflit d’attente », c'est-à-dire où s’opposent deux séries d’attentes opposées et tout autant légitime les unes que les autres. 664 p. weil, écrits de droit international, puf, paris, 2000, p. 308.
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375 chapitre 3. la protection des attentes légitimes, un principe autonome ? nous avons jusqu’ici tenté de tirer quelque enseignement de la jurisprudence arbitrale quant à la manière dont s’apprécie la notion d' « attente légitime » en fonction de l’espèce, ainsi que le rôle qu’elle joue dans l’appréciation de telle ou telle plainte. cette étude nous a montré l’omniprésence de la notion au sein du droit international des investissements. c’est là le signe de sa faculté d’adaptation (de son contenu variable), mais aussi son autonomie par rapport à telle ou telle question juridique déterminée, et de sa position dans la hiérarchie des normes : elle semble surplomber tout le droit des investissements, à la manière d’un principe général, inspirant un certain nombre de règles. autonome donc : mais peut-on en conclure qu'elle se suffit à elle-même, qu’elle peut s’épanouir par elle-même, indépendamment de questions juridiques telles que le respect de l’obligation de traitement juste et équitable ou l’expropriation indirecte ? une notion auto-suffisante ? on a pu voir suggérée en doctrine l’idée du développement d’un délit étatique autonome, partant de la constatation que les différentes plaintes des investisseurs sont souvent difficiles à distinguer clairement les unes des autres – notamment celles portant sur le traitement juste et équitable et sur l’expropriation indirecte. ainsi t. wälde et a. kolo ont émis l’idée d’un « tort » unique, qui regrouperait les principales obligation de l’etat à l’égard de l’investisseur étranger : “…our analysis of the jurisprudence and modern treaty developments also indicates that the causes of action for an investor – discrimination and breach of governmental commitment, regulatory expropriation – are hard to distinguish clearly. with the emphasis on the economic function
376 of property rights – usually a bundle of rights exercised through commercial activities in a level-playing field – discrimination and breach of commitment can be viewed as expropriation, and the determination of expropriation in turns tends to rely on discrimination and breach of commitment. we seem therefore to be moving into a direction of a general governmental "tort" under international economic law which gives rise to damages, enforced by the investor-state litigation facility opened up in modern treaties.”665 les auteurs, il est vrai, ne précisent pas si ce « general governmental "tort" » devrait reposer sur la question de la déception des attentes légitimes. néanmoins il nous semble que cela est sous-entendu, étant donné l’accent mis sur le « breach of commitment », c'est-à-dire sur la rupture de certains engagements non contractuels, et que cette suggestion intervient après la constatation que tant la définition de l’expropriation indirecte que celle du traitement juste et équitable peuvent être fondée sur la déception des attentes légitimes de l’investisseur. notre étude a d’ailleurs montré (du moins nous l’espérons) le rôle central des déclarations étatiques et des attentes légitimes qui en découlent dans ces différentes domaines du droit international des investissements. on observera à ce sujet que, dans la récente sentence thunderbird, la question de la frustration des attentes légitimes n’était déjà plus examinée en relation avec une question juridique déterminée, mais isolément – même si la pertinence de cet examen pour la question du traitement comme celle de l’expropriation indirecte était mise en évidence. le point 7 de la décision, consacré à la question de savoir si les autorités mexicaines avaient créées chez thunderbird une attente légitime, ne s'inscrit spécifiquement ni dans le cadre du traitement juste et équitable, ni dans celui de l’expropriation indirecte, mais est examinée séparément comme pertinente pour l’appréciation de ces différents points : 665 th. waelde & a. kolo, multilateral investment treaties and environmental expropriation of foreign investment, cepmlp on-line journal, volume 5, disponible sur http://www.dundee.ac.uk/cepmlp/journal/html/vol5/article5-2.html
377 “issue 7. was a legitimate expectation created by segob’s letter of 15 august 2000 to the effect that it brings thunderbird’s claims in the present case under article 1102, 1105 and/or 1110 of the nafta?”666 cette approche constitue-elle une première étape dans le sens d’une autonomisation de la question des attentes légitimes ? la jurisprudence des prochaines années nous le dira. l’attente légitime : règle ou standard ? a la réflexion, il nous semble qu’une autonomisation trop considérable de la notion ne soit pas souhaitable, et que l’idée de fonder une obligation autonome de ne pas décevoir les attentes légitimes ne vaille pas d’être retenue. la notion, en effet, paraît trop malléable pour fonder véritablement une règle juridique proprement dite. il semble plus raisonnable, pour l’instant, de se demander si notre notion constitue un principe général de droit (section 2), ou pour le moins un standard (section 1). section 1 : la notion d’ « attente légitime » comme standard ? la question : le concept d’ « attente légitime » est-il un standard ? caractérisée par son autonomie, la notion d’attente légitime l’est aussi par son contenu variable, par son caractère malléable : d’un côté le terme d’ « attente » peut recouvrir un spectre très large d’expectatives, dépendantes des faits propres à chaque espèce ; de l’autre l’adjectif « légitime » n’a pas de sens en soi, et peut donc revêtir des significations diverses. il en découle que notre notion apparaît trop vague pour fonder une règle juridique autonome. en 666 sentence thunderbird, p. 46.
378 revanche, il nous semble intéressant de se demander si elle peut constituer un standard juridique. à la différence de la règle juridique proprement dite667 , en effet, le standard se caractérise par son contenu incertain et évolutif tout en étant pourvu d’une valeur juridique. enjeux de la question. s’il est difficile de donner à ce concept de « standard » une définition certaine, tant celles qui ont été proposées en doctrine sont variées668 , le standard juridique est doté d’un certain nombre de propriétés incontestables. ainsi, la plupart des auteurs se rejoignent sur le fait qu’il s’agit d’une norme juridique669 , mais que celle-ci est souple et évolutive, à contenu variable, conférant au juge une large marge d’appréciation dans son application aux faits de l’espèce. or ces éléments suffisent à donner un intérêt non négligeable – ne serait-ce qu’en termes d’étendue des pouvoirs du juge ou de l’arbitre – à la question de savoir si la notion d’attente légitime peut être rangée dans la catégorie des standards juridiques670 . efforçons-nous donc d’y répondre après un bref rappel des principaux éléments constitutifs du standard juridique. tentative de définition du « standard ». qu’est-ce au juste que le « standard juridique » ? qui peut le dire ? nous ne nous attarderons guère sur le débat doctrinal, né il y a environ un siècle671 , concernant les contours exacts du concept de standard. en effet, on pourrait perdre un temps considérable à s’interroger sur le sens du « standard » car, quelle que soit la profondeur des recherches que l’on peut entreprendre, celui-ci semble devoir 667 au sens où la règle de droit est un énoncé juridique énonçant un droit, une obligation ou une faculté précisément déterminé. 668 pour un panorama des principales définitions du « standard », v. i. tudor, the ‘fair and equitable treatment’ standard in the international law of foreign investment, florence (iue), thèse, 2006, p. 156. 669 otto pferfmann définit lui-même la norme comme un « standard par rapport auquel on qualifie la conformité d’un objet ou d’une action » (d. alland et s. rials (directeurs de publication), dictionnaire de la culture juridique, lamy/puf, 2003, p. 1079). 670 ajoutons que le standard présente un attrait particulier pour l’arbitre : il peut généralement l’invoquer indépendamment de la question de savoir quel est le droit applicable au litige. 671 on situe généralement la naissance du standard comme catégorie juridique en 1919, date d’une allocution de roscoe pound à la conférence de l’american bar association.
379 résister à toute tentative définitive de définition672 . cela est si vrai que l’on peut se demander si sa force ne tient pas précisément à son caractère imprécis, tant quant à son sens que quant à son contenu. chacun, en effet – auteurs, plaideurs, juges et arbitres – semble trouver son compte dans cette imprécision673 . l'un de ses attraits majeurs du standard, d’ailleurs, ne tient-il pas à ce qu’on peut se permettre de l’invoquer sans préciser à quel ordre juridique on le rattache ? c’est, du moins, ce que semble indique la pratique des juges et arbitres, qui n’hésitent pas à faire application de standards indépendamment du droit applicable au litige. quoiqu’il en soit, il est admis que la spécificité du standard réside dans le fait qu’il est une norme obligatoire en même temps que son contenu n’est pas clairement déterminé. cela est reflété, par exemple, par les deux définitions que nous en avons retenu. p. juillard, tout d’abord, définit le standard de la manière suivante : « un standard, on le sait, n’est pas autre chose qu’un principe général du droit international. mais le standard, en tant que principe général de droit international, présente un trait spécifique qui le caractérise par rapport aux autres principes généraux de droit international. ce trait spécifique vient de ce que le standard est un étalon de mesure, en ce sens qu’il sert à évaluer le degré de conformité du droit interne au droit international. »674 ensuite, s. rials, auteur d’une thèse consacrée à la technique du standard en droit administratif français, parvient à une définition selon laquelle le standard est un : 672 v. infra l’éventail des définitions proposées en doctrine. 673 cette idée était déjà esquissée par s. rials lorsque celui-ci argumentait que « [la notion de standard] est nécessaire au législateur qui ne doit pas trop et qui parfois ne peut verser dans le détail. elle est nécessaire au juge qui se soucie de rendre, dans le silence des textes, acceptables ses décisions et qui, à cette fin, se trouve dans l’obligation de les doter d’une suffisante force de persuasion et d’une légitimité qu seuls l’effort vers la généralisation et le refus de l’impressionnisme peuvent leur donner. » (s. rials, le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), paris, lgdj, 1980, p. 61). 674 d. carreau, p. juillard, droit international économique, précis dalloz, paris, 3e éd., 2007, n° 1265.
380 « concept indéterminé, ayant trait aux valeurs fondamentales de la société et ayant pour objet l'analyse des comportements des acteurs juridiques par référence à un type moyen de conduite. »675 on comprendra que si le standard est définit par ce dernier auteur comme un « concept » et non comme une norme, c’est que le terme de standard peut désigner soit un concept soit la norme fondée sur lui676 . cette différence entre les deux définitions est mineure et ne mérite donc pas qu’on s'y arrête677 . on doit néanmoins garder les deux sens à l’esprit. en revanche, les deux définitions expriment pareillement l’idée selon laquelle le contenu de cette norme ou du concept qui la fonde s’adapte aux circonstances changeantes auxquelles on l’applique : c’est une norme souple. le deuxième trait commun concerne la fonction du standard : il s’agit d’un instrument de mesure, d’un étalon. que permet-il de mesurer ? la conformité d’une situation ou d’un comportement avec un ordre de référence : conformité du droit interne avec le droit international chez p. juillard, conformité d’un comportement avec la moyenne des conduites chez s. rials. dualité du standard. le standard juridique se caractérise donc par sa dualité : il est à la fois une norme souple et un étalon. en examinant de plus près chacune de ces qualités, nous verrons qu’elle sont applicables au concept d’attente légitime : l’attente légitime fonde une norme 675 s. rials, le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), paris, lgdj, 1980, p. 47. 676 le premier auteur français à s’être intéressé de près au concept de standard, al sanhoury, proposait dans sa thèse une définition encore plus large. il ne définissait le standard, ni comme un concept, ni comme une norme, mais y voyait une « grande ligne de conduite qui permet une certaine liberté d’action et une adaptation beaucoup plus souple aux circonstances variables de la vie sociale. » (a. sanhoury, les restrictions contractuelles à la liberté individuelles de travail dans la jurisprudence anglaise, contribution à l’étude comparative de la règle de droit et du standard juridique, paris, marcel giard, 1925.) cette définition met donc plus l’accent sur la souplesse du standard que sur sa nature juridique. 677 pour une autre définition française du standard comme norme plutôt que comme un concept, v. g. cornu, vocabulaire juridique, 6e édition, puf, paris, 2004, p. 832 : « …norme souple fondée sur un critère intentionnellement indéterminé, notion cadre. » ; v. aussi d. loschak, « droit, normalité et normalisation », dans aa.vv., le droit en procès, paris, puf, 1984, p. 51-77, qui propose la définition suivante : « … catégories vides au départ de tout contenu et que les sujets de droit ou le juge sont invités à remplir en fonction de l’idée qu’ils se font de ce qui est normal et de ce qui ne 'est pas. » (p. 65).
381 souple (§1) et constitue un étalon (§2), à tel point que l’on pourrait être tenté de considérer notre notion comme le standard par excellence. §1.- la protection de l’ « attente légitime » comme norme souple. précision terminologique. nous avons vu que le « standard » désigne tantôt un concept situé au fondement d’une norme souple678 , tantôt cette norme souple elle-même679 . selon la perspective que l’on adopte, on dira donc soit que « attente légitime » est un standard, soit qu’il existe un principe de protection des attentes légitimes, lequel constitue un standard. par souci de clarté, nous utiliserons le terme de standard dans le second sens, celui d’une norme. une norme. le standard est donc d’abord une norme. la définition de p. juillard va même jusqu’à dire qu’il est un principe général du droit international. la question de savoir s’il existe un principe général680 de protection des attentes légitimes sera examinée ultérieurement681 . on peut, néanmoins, d’ores et déjà se poser la question de savoir si rien ne s’oppose en théorie à ce que l’interdiction de frustration des attentes légitimes d’un partenaire contractuel constitue une norme du droit international des investissements. cette question doit être décomposée en deux sous-questions : celle de la source de cette norme éventuelle puis celle de son contenu. le problème de la source de cette norme. pour qu’il soit possible de considérer la protection des attentes légitimes comme une norme 678 cf. supra la définition donnée par s. rials. 679 cf. supra la définition donnée par p. juillard. 680 principe général de droit ou principe général du droit international, voir plus modestement un principe de droit international des investissements. 681 cf. infra p. 390s.
382 juridique, il faut d’abord s’assurer que cette norme a une source valable. on sait que les sources du droit international des investissements sont principalement celles du droit international public682 – et notamment les traités d’investissement bilatéraux ou plurilatéraux. or nous avons vu que la plupart des traités d'investissement ne contiennent aucune référence à la notion d’attente légitime683 , et qu’a fortiori aucun d’entre eux ne consacre l’interdiction de la déception des attentes légitimes. notre notion n’intervient donc qu’au stade de l’interprétation par les arbitres de certaines dispositions conventionnelles. la source conventionnelle une fois exclue, il convient de se tourner vers l’autre source principale des normes de droit international public : la coutume. la protection des attentes légitimes comme norme coutumière ? la récurrence des références aux attentes légitimes de l’investisseur et à leur frustration, la plupart du temps à l’appui de décisions condamnant l’etat d’accueil, indique-t-elle la mise en place d’une coutume ? la pratique des dernières années est-elle suffisamment constante pour qu’il soit aujourd’hui possible d’affirmer qu’il existe une règle coutumière de protection des attentes légitimes des parties à un contrat d’investissement international ? 682 remarquons que la réalité est un peu plus compliquée : les sources du droit international économique (dont le droit international des investissements est une partie) ne se limitent pas simplement à celles du droit international public, même si ces dernières sont les plus importantes. sur ce point, v. d. carreau et p. juillard, droit international économique, paris, dalloz, 3e éd., 2007, n°10 : ces auteurs expliquent à propos des sources du droit international économique en général que « certes, les sources de droit international, non conventionnel et conventionnel, jouent un rôle important dans la formation du droit international économique. mais il n’en faut pas pour autant sous-estimer la part qui revient aux droits nationaux dans l’organisation des relations internationales économiques. » 683 a notre connaissance, seul le nouveau modèle de bit américain contient une référence explicite à la notion d’attente légitime (en l’occurrence « reasonable investment-backed expectation »), et encore dans le domaine restreint de l’expropriation indirecte (modèle de bit américain 2004 p. 38, annex b : “4. […] (a) the determination of whether an action or series of actions by a party, in a specific fact situation, constitutes an indirect expropriation, requires a case-by-case, fact-based inquiry that considers, among other factors: (i) the economic impact of the government action, although the fact that an action or series of actions by a party has an adverse effect on the economic value of an investment, standing alone, does not establish that an indirect expropriation has occurred; (ii) the extent to which the government action interferes with distinct, reasonable investment-backed expectations; and (iii) the character of the government action.” (c’est nous qui soulignons)).
383 rappelons que l’article 38 du statut de la cour internationale de justice définit la coutume comme la « preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant de droit ». elle est analysée comme la combinaison de deux éléments : l’élément matériel (c'est-à-dire la pratique étatique), d’une part, et l’opinio juris (l’élément psychologique, c'est-à-dire la conviction qu’en suivant cette pratique, on se conforme à une règle de droit), d’autre part. pour autant, les deux éléments doivent être recherchés conjointement car, comme le fait remarquer p.-m. dupuy : « la pratique n’est, dans la grande majorité des cas, qu’abstraitement et artificiellement distinguable de l’opinio juris parce qu’elle en est elle- même la manifestation tangible ».684 peut-on aujourd’hui faire état d’une pratique suffisamment généralisée de respect d’un impératif de protection des attentes légitimes, pratique qui manifesterait une sorte de « volonté générale » de se conformer à une règle juridique ? la pratique conventionnelle, nous l’avons vu, est bien trop discrète dans ses mentions la notion d’attente légitime ou d'une idée équivalente. c’est donc sur la pratique prétorienne des arbitres qu’il convient de se concentrer. nous avons pu voir, en effet, avec quelle fréquence la notion intervient ces dernières années dans l’interprétation des clauses des traités d’investissement. et l’on aurait tort de trop opposer répétition des pratiques étatiques et des pratiques prétoriennes : en général, lorsque l’arbitre prend position, il n’agit pas, il réagit a un argument. or en droit international des investissements, ces arguments sont présenté au moins par un etat : soit c’est un argument invoqué par l’etat partie au litige, soit c’est un argument par rapport auquel l’etat partie devra prendre position parce qu’il aura été invoqué par la partie adverse. de plus, il n’y a qu’une différence de degré, et non de nature, entre interprétation et création. cette répétition de plus en plus fréquente s’inscrit donc bien dans une pratique à laquelle un etat participe. 684 p.-m. dupuy, droit international public, dalloz, paris, 8e éd. 2006, n°322.
384 plus, dans la mesure où un etat ne réfute pas la notion, c’est qu’il l’accepte, ce qui montre qu’il y a bien l’expression d’une opinio juris. les affaires récentes semblent bien indiquer que toutes les parties intervenantes se reconnaissent dans cette notion : non seulement les arbitres y recourent de plus en plus volontiers, mais les plaideurs appuient une part non négligeable de leur argumentation sur celle-ci ; qu’il s’agisse de l'investisseur privé ou de l’etat; qu’il s’agisse de savoir si l’etat a réservé à l'investisseur un traitement suffisamment juste ou s’il a, indirectement, exproprié celui-ci. ainsi, l’idée semble admise par le plus grand nombre que l’etat engage sa responsabilité lorsque, par son comportement, il frustre les attentes légitimes de l’investisseur ; de même l’idée inverse, à savoir que l’investisseur doit respecter les attentes légitimes de l’etat, commence à voir le jour. ajoutons que le phénomène – observé plus haut685 – d’autonomisation de l’obligation de protection des attentes par rapport à telle ou telle disposition conventionnelle déterminée manifestent la volonté de lui donner une valeur en elle-même. qui plus est, il apparaît que la notion est reconnue par toutes sortes d’etats : etats traditionnellement investisseurs comme les etats-unis bien entendu686 , mais aussi etats d’accueil de l’investissement, comme l’argentine. on a pu voir ce dernier etat, dans une affaire en cours687 , invoquer la notion pour expliquer que, n’ayant pas déçu les attentes légitimes de l’investisseur, elle ne pouvait être tenue pour responsable à son égard. ces éléments sont-ils suffisants pour affirmer qu’une nouvelle règle coutumière de protection des attentes légitimes a vu le jour en droit international des investissements ? on serait tenté de répondre par l’affirmative, mais la raison nous incite à la prudence : il est probablement trop tôt pour répondre à cette question. il faut admettre, notamment, que l’idée manque encore d’une permanence suffisante dans le temps. nous devons donc nous résoudre à admettre qu’il serait précipité d’affirmer aujourd'hui qu’il 685 cf. supra à propos de l’affaire thunderbird. 686 nous avons vu l’influence de la notion de droit américain de « investment-backed expectation » sur la jurisprudence de l’expropriation indirecte. 687 affaire cit v. argentina (icsid case no. arb/04/9), argentina counter-memorial, 17 september 2007, § 391.
385 s’agit d’une règle coutumière688 . on préférera se contenter pour l’instant de la constatation selon laquelle, à n’en pas douter, un processus est en cours. son originalité est qu’il s’appuie sur une pratique prétorienne. en effet, aujourd’hui, en 2007, la jurisprudence arbitrale fournit, par de nombreuses sentences récentes, une matière beaucoup plus dense à notre réflexion qu’en 2004, année du début de nos recherches, et il est permis de croire que cette tendance se poursuivra. le contenu normatif. il manque donc aujourd'hui à la norme de protection des attentes légitimes une base suffisamment solide, mais il est probable que celle-ci se renforcera au cours des prochaines années. par ailleurs, ce constat n’empêche pas de poser la question du contenu de cette norme hypothétique. si le standard est une norme, en effet, il doit avoir un contenu normatif bien définissable, faute de quoi il ne s’agirait que d’une « pure et simple abstraction »689 et il perdrait toute efficacité. la question du contenu de la norme supposée est beaucoup moins problématique que celle de sa source : bien que flou, ce contenu existe de manière certaine. nous l’avons étudié en détail au cours des chapitres précédents. nous nous bornerons donc ici à réitérer les éléments qui font le « squelette » de cette norme : il s’agit d’une interdiction – portant sur les actes entraînant la frustration d’attentes, c'est-à-dire des expectatives concernant l’exécution des obligations contractuelles et considérées comme légitimes – accompagnée d’une sanction – versement d’une compensation pécuniaire ou satisfaction de l’attente en question. souplesse de la norme. le standard présente la particularité d’être flexible, car sans contenu fixe. ou plutôt, étant donné la généralité des termes avec lesquels il est formulé, son contenu est défini par référence à la pratique et au cas concret. on reconnaît donc le standard à 688 on peut sans doute parler d’une coutume in statu nascendi. 689 comme l’a fait remarqué p. juillard à propos du standard du traitement juste et équitable (droit international économique, op. cit., n°1265).
386 l’indétermination des termes dont il est composé. par exemple, pour en rester au domaine du droit des investissements, le principe du traitement juste et équitable (les termes « juste » et « équitable » n’ayant pas de signification en eux-mêmes, mais seulement par référence à des éléments extérieurs) est un standard. cela a notamment été démontré récemment dans une thèse de i. tudor entièrement consacrée à ce principe690 . en revanche, il est plus difficile de qualifier de standards des principes tels que celui du traitement national, ou de la clause de la nation la plus favorisée, puisque ces principes se réfèrent à des éléments bien précis (clause ou pratique de traitement plus favorable à l’égard d’un autre etat ou des ressortissants nationaux). nous l’avons déjà dit, les termes « attentes » et « légitimes » sont les notions souples et relatives par excellence. l’attente est générée par, et porte sur, les faits propres à l’espèce considérée ; et pourtant les parties à un contrat ont, le plus souvent des attentes différentes, voire opposées. de même la légitimité de telles attentes ne peut être définie abstraitement, mais seulement en fonction d’éléments objectifs résultant des circonstances ainsi qu’en fonction de la normalité691 . on veut pour preuve de ce caractère malléable de la notion d’ « attente légitime » la grande variété des situations auxquelles elle est appliquée, et sa faculté de servir de fondement aux argumentations les plus diverses. il revient donc aux arbitres, dans chaque cas, de déterminer le sens concret du standard en fonction des circonstances. pour dire les choses autrement, ce n’est qu’au contact de faits concrets que cette notion creuse s’emplit de sens, sens que l’arbitre est chargé de découvrir. l’arbitre, dès lors qu’il a recours au standard, est donc doté d’une arme redoutable, puisque c’est lui qui a le pouvoir d’examiner si une norme par définition trop générale a été respectée ou méconnue dans le cas considéré. il dispose d’une marge d’appréciation si importante que l’on pourrait parler dans ce contexte d’un 690 i. tudor, the ‘fair and equitable treatment’ standard in the international law of foreign investment, op.cit., p. 166 s. 691 nous reviendrons sur la normalité lorsque nous verrons que le standard est aussi un étalon (infra p. 388).
387 véritable pouvoir normatif de l’arbitre : bien qu’il ne crée pas la norme, c’est pourtant lui qui détermine entièrement ce qu’elle veut dire. a ce sujet, on peut prendre une fois encore l’exemple de la sentence thunderbird, dans laquelle aussi bien la majorité que l’arbitre rendant une opinion dissidente ont appuyé leurs argumentations respectives sur l’attente légitime, mais en donnant à celle-ci des contenus entièrement différents, pour finalement tirer des conclusions diamétralement opposées. on ne peut donc ignorer qu’en pratique, l’attente qui sera considérée comme légitime sera en partie fonction de l’idéologie de l’arbitre692 . toutefois, cette crainte doit être nuancée : quelle que soit l’étendue du pouvoir de l’arbitre, ce pouvoir n’est jamais totalement discrétionnaire puisqu’il demeure limité par l’obligation pour l’arbitre de motiver son appréciation (art. 48 et 52 de la convention cirdi). si la protection des attentes légitimes manque de sources suffisamment certaines pour être considérée à l’heure actuelle comme une norme de droit positif, elle semble néanmoins remplir les principales conditions qui lui permettrons de devenir un standard. cependant, le standard ne se définit pas uniquement par le fait qu’il est une norme souple. il présente encore une spécificité, qui tient à ce qu’il s’appuie sur le « normal » (ou, si l’on veut, sur le « raisonnable ») pour mesurer la légitimité d’un comportement ou d’une situation. voyons si notre concept remplit cette dernière condition. 692 l’impact de l’idéologie de l’arbitre apparaît très clairement, par exemple, dans l’opinion dissidente de th. wälde dans l’affaire thunderbird, op.cit., dans laquelle celui-ci s’exprime ainsi : “… i have come to assess the […] factual background of the case and the presumptions and burden of legal justification and proof differently from my colleagues. they rather see the glass of the investor half empty, i rather see it half full. they imply a very high level of due diligence, of knowledge of local conditions and of government risk to be taken by the investor. i rather see the government as responsible for providing a clear message and of sticking to the message once given and as reasonably understood by the investor. they view the investor as having a duty to be close to perfect in its dealings with the government, i consider the government to have a duty to be transparent and consistent, and as responsible for the message conveyed…” (p. 5).
388 §2.- l’ « attente légitime » comme étalon. rapports entre standards et normalité. le second trait caractéristique du standard concerne plus spécifiquement sa fonction : le standard est une norme destinée à mesurer la conformité d’une situation ou d’un comportement avec la normalité. c’est ce qui ressort notamment de l’étude consacrée au standard par s. rials : « … la normalité est le commun dénominateur de tous les standards, la normalité, dans toute la polysémie du terme, dans toute l’amphibologie de l’idée, car la normalité, c’est à la fois, si l’on en croit les dictionnaires, ce qui sert de règle et de modèle et ce qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel, ce qui est conforme au type le plus fréquent. »693 nous avons vu que p. juillard, lui aussi, définit le standard comme un étalon. certes, il s’agit pour cet auteur d’un instrument servant à mesurer la conformité du droit interne au droit international, mais l’idée demeure la même : mesurer la légalité d’un élément en fonction d’un ordre supérieur. la particularité du standard est donc de faire intervenir directement la normalité dans la sphère juridique. en d’autres termes, les standards sont la manifestation du fait que la normalité ne constitue pas seulement le fondement tacite de nombreuses règles juridiques : la normalité est parfois directement inscrite dans la norme juridique694 . dès lors, le travail de transcription de la normalité dans l’obligation juridique (qui est habituellement accompli par le législateur) incombe directement au juge ou à l’arbitre. cette intervention de la normalité permet de juger un comportement, une situation, ou une attente concrète en la comparant au général, c'est-à-dire au socialement admis. 693 s. rial, le juge administratif français et la technique du standard, op. cit., p. 61. 694 dans ce sens, v. d. loschak, « droit, normalité et normalisation », op. cit., p. 65.
389 légitimité et normalité. il apparaît immédiatement comment cette caractéristique du standard s’applique à notre notion : nous avons dit que la normalité intervient pour légitimer une situation ou une conduite concrète. or cette idée est exprimée explicitement dans le libellé même de la protection de l’attente légitime. l’attente est protégée dans la mesure où elle est légitime, et cette légitimité est apporté par la conformité à la normalité. de plus, la notion de légitimité comporte cette même ambiguïté caractéristique du standard, qui tient au fait que, comme la normalité, elle désigne d’une part la règle et le modèle, et d’autre part et ce qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel. car, comme nous l’avons vu dans la première partie, le terme de légitimité comportent une connotation morale en même temps qu’une dimension descriptive : comment considérer, par exemple, qu’un acte de corruption puisse faire l’objet d’une attente légitime ? pourtant, la corruption est bien quelque chose de courant, et donc dans un certain sens, de normal. cet exemple montre toute la complexité de la notion, qui en fait un véritable standard. la protection de l’attente légitime, standard par excellence ? on pourrait définir ainsi ce standard en voie de consolidation comme un instrument de la pratique arbitrale, comme un moyen de définir une « bonne gouvernance » de la part de l’etat hôte à l’égard des investisseurs étrangers, mais aussi un comportement « responsable » de la part de l’investisseur. l’attente légitime sert donc d’étalon ; mais on peut même aller plus loin : cet étalon peut s’appliquer à tant de situations différentes, il est d’une telle généralité quant à son domaine d’application que l’on peut penser qu’il s’agit du standard par excellence. ce qui fait sa force, semble-t-il, c’est sa capacité tout à la fois à s’adapter à des contextes variables, à s’appliquer de manière souple, en
390 prenant en compte tous les faits de l’espèce, mais tout en ayant un contenu relativement précis. en effet, si la détermination de la légitimité de l’attente nécessite la prise en compte de tous les faits de l’espèce, le terme « légitime » est suffisamment contraignant pour ne pas laisser la porte ouverte à des interprétations trop libres. section 2 : la protection des attentes légitimes, un principe général de droit ? rapports entre la question du standard et celle du pgd. a l’heure actuelle, nous venons de le voir, il est difficile de dire si on est déjà, avec la notion d’attente légitime, en présence d’un standard. dans ce contexte, il est naturel de s’interroger pour finir sur le fait de savoir si la notion donne lieu à un principe général de droit (pgd), et cela pour deux raisons. la première raison est qu’il s’agit bien de deux questions distinctes : tandis que le standard est un outil de mesure, le principe général est une règle – bien qu’une règle particulièrement générale. la deuxième raison est précisément qu’une réponse affirmative serait une première indication dans le sens de la reconnaissance d’un standard. l’écueil principal auquel nous nous étions heurté était en effet celui de la condition selon laquelle le standard doit d’abord être une norme. or cet écueil serait écarté si l’on pouvait démontrer l’existence d’un pgd d’interdiction de décevoir les attentes légitimes des protagonistes du commerce international. intérêt de la question pour les arbitres. la question présente par ailleurs un grand intérêt pour les arbitres : en tant que principe général, la protection des attentes légitimes serait opposable aux etats
391 indépendamment de la question de savoir si ceux-ci l’ont reconnu ou non sur le plan du droit international. précision sémantique : « principe général de droit commun aux nations civilisées », « principe général du droit international », « principe de droit international ». cependant, il convient de préciser ce que nous entendons exactement par « principe général ». lorsque nous nous interrogeons pour savoir si notre notion donne lieu à un principe général de droit, à quelle catégorie juridique nous référons-nous exactement ? une certaine confusion règne en effet lorsque l’on aborde la question des principes généraux. l’article 38 du statut de la cour internationale de justice, tout d’abord, consacre comme source du droit international les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » (ci-après « pgd ») : les principes communs aux traditions juridiques des principaux systèmes de droit internes sont applicables par le juge international. cependant, indépendamment de toute référence à l’article 38, l’activité du juge international a conduit à dégager un certain nombre de « principes généraux du droit international », distincts des principes généraux de droit. ces principes sont propres au droit international et n’ont pas nécessairement de lien avec les ordres juridiques internes. dans le domaine du droit international des investissements, enfin, la situation est rendue encore plus complexe par l’article 42(1) de la convention cirdi (relatif au droit applicable aux litiges), lequel fait référence à des « principes de droit international », sans que ces principes soient qualifiés de « généraux ». enfin, on peut imaginer des principes généraux spécifiques au droit international économique695 , voire au domaine encore plus restreint du droit international des investissements. sans doute faudrait-il alors se 695 e. gaillard, par exemple, a pu se demander si l'interdiction de se contredire au détriment d’autrui constituait un principe général de droit du commerce international (dans son article précisément intitulé l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du droit du commerce international. rev. arb. 1985.241).
392 borner à parler de principes (peut-on encore dire des principes généraux ?) de droit international des investissements. néanmoins, on peut considérer ce type de principes comme une sous-catégorie des principes généraux de droit au sens de l’article 38 du statut de la cij. délimitation de la question posée. nous choisissons de nous borner ici à l’examen de la question de savoir s’il existe un principe général de droit (au sens de l’article 38 du statut de la cij) – quitte à préciser qu’il s’agirait d’un principe général de droit du commerce international. en effet, l'établissement d’un principe (qu’il soit général de droit, du droit international, ou de droit international au sens de l’article 42 de la convention cirdi), nécessite un élément ratione temporis : une certaine permanence dans le temps. or nous avons vu que la systématisation du recours à la notion d’ « attente légitime » en droit international des investissements est récente. dans les systèmes nationaux, au contraire, l’utilisation de cette notion ou de notions proches s’étale sur une durée beaucoup plus longue. or c’est la comparaison de ces systèmes qui permet de dégager l’existence ou non d’un principe général de droit696 . les convergences que nous avons pu établir, dans notre première partie, entre au moins trois des systèmes juridiques les plus influents indiquent d’ailleurs l’intérêt qu’il y a à creuser dans ce sens. nous examinerons donc la question de savoir si l’on peut aujourd’hui considérer que la protection des attentes légitimes constitue un principe général de droit (du commerce international), en présentant successivement les arguments favorables (§1) et défavorables (§2). 696 v. par exemple p.-m. dupuy, droit international public, dalloz, paris, 2006 (8e éd.), n° 331.
393 §1.- arguments en faveur d’un principe général de droit. un principe commun aux systèmes nationaux étudiés. existe-t-il un principe commun aux principaux systèmes de droit des contrats selon lequel chaque partie est tenue de ne pas décevoir les attentes légitimes de son cocontractant ? il faut revenir ici aux conclusions tirées de la première partie de cette étude, au cours de laquelle nous avons rendu compte d’un échantillon non négligeable des principaux systèmes de droit697 . l’étude des droits allemand, anglais, européen et français nous a permis de mettre en évidence une préoccupation commune présente dans ces systèmes. qu’il s’agisse des attentes nées de l’apparence (théorie de l’apparence en droit français et la rechtsscheinhaftung en droit allemand), des déclarations faites par le partenaire (confiance légitime dans le divers systèmes de droit administratifs, estoppel, interdiction de se contredire au détriment d’autrui), ou des usages et de la normalité (interprétation des contrats de bonne foi etc…), une multitude de mécanismes ont été élaborés pour en assurer la protection. nous avons également constaté que les principales règles d’interprétation des contrats prenaient en comptes les attentes légitimes des parties. par ailleurs, on a pu constater que, si le principe de l’autonomie de la volonté restait au fondement des principaux systèmes de droit des contrats, on ne saurait trop opposer ce principe à celui de la protection de attentes légitimes, qui peut au contraire en constituer un excellent complément. rappelons, enfin, que de telles convergences ne sont pas surprenantes puisque ces préoccupations résultent directement de données anthropologiques : comme nous l’avons vu dans le chapitre introductif, la confiance – confiance dans les apparences, dans la sincérité des déclarations, 697 même si, bien entendu, toutes les cultures juridiques ne sont pas représentées à travers ces quelques systèmes.
394 ou dans une certaine régularité des choses – fait partie des conditions de possibilité de toute vie en société. une idée proche de certains principes généraux consacrés. autre argument en faveur de la reconnaissance d’un principe général de protection des attentes légitimes : deux principes généraux proches de l’idée de protection des attentes sont d'ores et déjà reconnus, notamment dans le contexte du droit international des investissements. il s’agit du principe général de bonne foi698 et celui de l’interdiction de se contredire au détriment d'autrui699 . or nous avons vu au cours de la première partie de cette étude les liens étroits qu’entretient la notion d’ « attente légitime » avec ces deux principes. sans doute peut-on même dire que la protection des attentes légitimes constitue l’un des aspects du principe de bonne foi et un principe englobant celui de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. ces arguments plaident en faveur de la reconnaissance d’un principe général de droit de protection des attentes légitimes. ils sont conforté par le consensus qui semble s’établir autour de la notion d’ « attente légitime » dans le contentieux des investissement. néanmoins, avant d’en arriver à des conclusions précipitées, il convient de mentionner quelques arguments pondérateurs. §2.- arguments pondérateurs. réserves quant à l'universalité de la notion. nous avons vu que chaque système national connaît des notions similaires à celle d’attente légitime, qui répondent à des préoccupations communes. il apparaît néanmoins que ces notions peuvent revêtir des significations très diverses. 698 v. notamment e. gaillard, la jurisprudence du cirdi, pedone, paris, 2004, p. 133. 699 v. e. gaillard, l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du droit du commerce international. rev. arb. 1985.241.
395 ainsi, nous avons vu certaines notions interviennent pour protéger les attentes réelles (par exemple la notion de confiance légitime en droit européen) tandis que d’autres se réfèrent, de manière purement objective, à ce à quoi les parties auraient dû, théoriquement, s’attendre (par exemple la notion de reasonable expectations en droit anglais des contrats). cette disparité entre les notions risquerait d’entraîner des incertitudes sérieuses quant au contenu exact d’un principe général de protection des attentes légitimes. l’ « attente légitime » comme concept fédérateur. on peut donc être tenté de voir dans la notion d’attente légitime un concept fédérateur de toute une série de règles aux inspirations les plus diverses, plutôt que leur source commune. ces applications ne seraient donc pas des règles qu’on aurait déduites d’un principe présentant une plus grand généralité. elles n’en constituerait pas des dérivés ; au contraire l’idée de protection des attentes légitimes serait intervenu a posteriori afin de les regrouper. risques liés à la consécration d’un principe général de protection des attentes légitimes. un dernier argument, enfin, découle du caractère incertain du contenu d’un principe général de protection des attentes légitimes : on peut craindre une utilisation abusive d’un tel principe, chacun pouvant faire dire à la notion d’ « attente légitime » ce que bon lui semble. ce risque était apparu de manière particulièrement flagrante dans l’affaire thunderbird : rappelons en effet qu’aussi bien la décision de la majorité du tribunal que l’opinion dissidente du professeur wälde étaient fondées en grande partie sur la notion d’ « attente légitime », pour arriver à des solutions diamétralement opposées. remarques conclusives. ces considérations nous incitent à la réserve. sans doute faudra-t-il s’attacher à donner à la notion d’ « attente légitime » un contenu plus certain avant d’en faire le fondement d’un principe général de droit. en réalité, on peut sans doute dire que la qualification de
396 « standard » est aujourd'hui plus adéquate que celle de « principe général de droit ». en d’autres termes, l’ « attente légitime » est plus un « outil d’arbitrage » qu’une règle générale. elle peut être d’une grande utilité à condition qu’on l’utilise à bon escient, en étant conscient de ses limites. conclusion du titre 3. on constate donc qu’il est difficile de proposer une analyse strictement unitaire de la notion d’attente légitime. malgré ce qui peut faire son unité, notamment à travers l’analyse des conditions de la légitimité de l’attente, elle conserve, dans chaque domaine dans lequel elle intervient, une spécificité. c'est dans cette mesure qu’il apparaît difficile de fonder sur elle une règle absolument autonome, et qu’il semble préférable de s’en tenir à y voir un standard.
397 conclusion générale l’attente légitime semblerait se trouver partout. c'est le bilan très sommaire que l’on pourrait tirer de notre étude. l’attente légitime est dans le droit public interne : le principe de confiance légitime issu du droit allemand et repris par les droits communautaire et anglais n’a d’autre but que de protéger la confiance dans la stabilité des situations établies, c'est-à-dire les attentes créées par l’administration dans le chef des administrés. en droit administratif français, elle est sous-jacente à un certain nombre de solutions traditionnelles, et le principe de confiance légitime semble sur le point d’être reconnu par le conseil d’etat. l’attente légitime est dans les grands systèmes nationaux de droit des contrats : le juge français paraît se préoccuper de moins en moins de la volonté des parties, de plus en plus de leurs attentes légitimes et a eu récemment, à plusieurs reprises, expressément recours à la notion d’ « attente légitime ». le juge allemand considère de longue date que sa tâche réside, non seulement dans la découverte de l’intention commune des parties, mais également (par l’intermédiaire de la « clause générale » que constitue le §242 bgb relatif à la bonne foi) dans le fait d’assurer la confiance réciproque des parties (vertrauensschutz), et de compléter la volonté déclarée des parties par leur « volonté hypothétique » (c'est-à-dire en fait leurs attentes légitimes). quant au droit anglais, c’est essentiellement la doctrine qui affectionne de justifier telle ou telle solution par référence aux « reasonable expectations ». néanmoins le juge anglais a l’habitude d’interpréter les contrats en y insérant, dès lors que la volonté des parties n’apparaît pas parfaitement claire, des « implied terms », c'est-à-dire des clauses non écrites mais invoquées par l’une
398 des parties (parce qu’elle correspond à son attente) et apparaissant comme normales au regard de l’économie du contrat (l’attente est donc légitime). l’attente légitime, enfin, est c’est là le cœur de notre propos, parait depuis quelques années omniprésente, tant implicitement qu’explicitement, en droit international des investissements. la notion occupe une place de plus en plus importante, que ce soit dans la recherche de ce que constitue un traitement juste et équitable de l’investisseur par l’etat d’accueil, ou de ce qui équivaut à une expropriation, et même pour le calcul de l’indemnisation due en cas d’expropriation. il y a tout lieu de penser que cette jurisprudence se poursuivra et précisera les conditions d’application de la notion. multiplicité de notions, unicité de préoccupation. dans tous ces cas, l’idée est la même, bien que les notions ne soient pas nécessairement synonymes. les notions de confiance légitime, d’attente légitime, de « reasonable expectation », de « justified expectation », mais aussi d’apparence, de bonne foi, de « implied terms » ou de « ergänzende vertragsauslegung », sont toutes différentes mais ont en commun une seule et même préoccupation : protéger la confiance des parties dans les apparences ou dans une certaine régularité des comportements et une certaine stabilité des situations ; protéger ce qu’il est normalement permis d’espérer au regard des circonstances objectives. partout, l’on semble se préoccuper de plus en plus de la protection des attentes des sujets de droit. tout se passe comme si le droit d’une économie de marché en voie de globalisation cherchait à satisfaire les attentes des sujets de droit, autant que l’économie libérale vise à répondre le plus largement possible aux désirs du consommateur. on serait même tenté de dire que tout système de droit a pour objectif de faire en sorte que les expectatives de chacun soient, dans toute la mesure du possible (autrement dit dans toute la mesure de ce qui apparaît normal, légitime), satisfaites. bien régir les rapports humains, n'est-ce pas effectivement faire en sorte que chacun
399 puisse poursuivre ses intérêts, tout en entravant le moins possible la poursuite par les autres de leurs propres objectifs légitimes ? c’est en raison de cette identité de problèmes qu’il apparaît naturel, et même souhaitable, que les arbitres s’inspirent, autant que possible, des solutions développées depuis si longtemps en droit interne pour faire évoluer le droit international des investissements. toutefois, malgré l’unité de préoccupation qui regroupe les différentes notions étudiées, il convient de garder à l’esprit certaines distinctions importantes quand à la fonction de la notion d’attente légitime (et des notions similaires). application tantôt unilatérale, tantôt bilatérale de la notion d’attente légitime. tout d’abord, l’application de la notion doit être fonction de la nature de la relation qu’entretiennent les partenaires en présence. son application unilatérale ne peut être justifiée que par la constatation d’un déséquilibre, c'est-à-dire d’une réelle supériorité d’une partie sur l’autre. partout ailleurs, c’est à la confiance mutuelle qu’il faut s’attacher et l’on doit se préoccuper autant des attentes de l’un que de l’autre. il s'agit en effet d’un mécanisme de protection de la confiance : il intervient donc chaque fois que l’une des parties cherche à abuser de la confiance de l’autre. ainsi, dans le contentieux international de l’investissement, il serait souhaitable que la notion soit appliquée de manière plus bilatérale (comme en droit contractuel interne) qu’elle ne l’est actuellement : il convient en effet de garder à l’esprit que la supériorité présumée de l’etat est toute relative. l'investisseur, par définition spécialiste dans son domaine d’activité, possède une supériorité technologique incontestable vis-à-vis de l’etat qui décide de lui accorder sa confiance en contractant avec lui. de plus, il arrive souvent qu’il soit doté lui même d’une surface financière et d’une puissance économique redoutables pour le pays d’accueil.
400 il peut ainsi arriver qu’il puisse abuser de la confiance de son cocontractant étatique comme ce dernier peut le faire de la sienne. l’etat risque, certes, de surprendre les expectatives de l’investisseur et ainsi de lui causer un dommage, par exemple lorsqu’il apporte des modifications à sa législation ; mais l’investisseur, de la même façon, peut tromper les attentes de l’etat qui lui accorde sa confiance, notamment en ce qui concerne les méthodes de mise en œuvre ou les résultats de l’investissement : dès que l’on aborde les questions techniques de réalisation de l’investissement, l’etat est contraint de faire confiance à l’investisseur et se trouve, à son tour, en situation d’infériorité relative. attente légitime entre préoccupations éthiques et considérations économiques. c’est ensuite au sein du droit international des investissements que l’attente légitime remplit deux fonctions distinctes. cette distinction correspond à la bipolarité du droit international des investissements : l’une s’inscrit dans l’inspiration éthique de ce droit (prolongement du droit le condition des étrangers), l’autre s’intègre dans un ensemble de règles répondant à une préoccupation strictement économique. dans le premier cas, la notion d’attente légitime intervient, par l’intermédiaire du traitement juste et équitable, pour assurer un traitement suffisamment favorable de l’investisseur par l’etat d’accueil : l’accent est mis sur la sécurité de l’opérateur, et le but est la satisfaction des attentes légitimes de l’investisseur. dans le second cas, c’est sur la rentabilité de l’opération que l’accent est mis : l’attente légitime joue le rôle d’un critère économique permettant, soit de distinguer une mesure qui est équivalente à une expropriation (et à ce titre donne lieu à indemnisation) d’une mesure qui ne l’est pas, soit de déterminer l’étendue des réparations dues par l’etat. ici l’attente légitime n’est plus une fin mais un simple moyen.
401 risques d’abus de la notion. en définitive, c’est dans la précision et la limitation des utilisations de la notion d’attente légitime que réside sans doute la véritable difficulté. les utilisations possibles de la notion sont multiples, et il convient de ne pas succomber à la tentation d’y avoir recours trop systématiquement. comme l’a par ailleurs montré l’étude du droit interne, elle est susceptible de revêtir les significations les plus diverses. la notion d’attente légitime est donc un instrument précieux du droit moderne de l’investissement international, un standard extrêmement utile, dont il faudra prendre garde de ne pas abuser, au risque de dévaluer tant sa signification que son efficacité.
402
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430 juridictions anglaises droit privé (par ordre chronologique) smith v. packhurst [1742] 3. atk. 135. lloyd v. lloyd [1837] 2 my. & cr. 192. ford v. beech [1848] 11 q.b. 852. shirlaw v. southern foundries ltd [1939] 2 k.b. 206. central london property trust ltd v. high trees house ltd [1947] k.b. 130. crabb v. arun district council [1976] ch. 179 ca. bp refinery (westernport) pty ltd v. shire of hastings [1978] aljr 20. brikom investments ltd v carr (ca) [1979] q.b. 467. council of civil service unions v minister for civil service [1985] 1 ac 374. associated japanese bank (international) ltd. v. crédit du nord sa [1988] 3 all er 902. first energy (uk) ltd v. hungarian international bank ltd [1993] 2 lloyd’s rep 194. droit public (par ordre chronologique) maritime electric co. v. general dairies ltd. [1937] ac 610. associated provincial pictures houses ltd. v. wednesbury corp (1947) 2 all er 680, (1948) 1 kb 223. schmidt v. secretary of state for home affairs [1969] 2 ch. 149 r. v. liverpool corporation, ex p. liverpool taxi fleet operators’ association [1972] 2 q.b. 299. western fish products v. penwith district council [1981] 2 all er 204.
431 attorney-general of hong kong v. ng yuen shiu [1983] 2 ac 629 preston v. irc (1985) 2 all er 327 ; (1984) ac 835. r v. home secretary, ex p kharn [1984] 1 wlr 1337 ; [1984] 3 all er 935. hughes v. department of health and social security [1985] ac 776 r. v. secretary of state for the home department, ex p. ruddock [1987] 1 w.l.r. 1482. r. v. secretary of state for transport, ex p. richmond upon thames london bc [1994] 1 w.l.r. 74. r. v. ministry of agriculture, fisheries and foods, ex p. hamble (offshore) fischeries ltd [1995] 2 all e.r. 714 r. v. north and east devon health authority, ex p. coughlan (2000) 3 all er 850. juridictions allemandes droit public (par ordre chronologique) bgh, njw 1992, 1953. ovg berlin vii b 12/56, dvbl 72/1957, p. 503, note haueisen f. bverwge 9, 251ss (28. okt. 1959) = njw 1960, 692 bverfge 13, 261 (19. dez. 1961), njw 62, 291. bgh, njw 1969, 234. bgh, njw 1970, 1178. bgh, dvbl 1977, 576. ovg hambourg, nvwz, 1988, 73. bgh, njw 1993, 2303. bgh, njw 1994, 2087.
432 droit privé (par ordre chronologique) rg jw 1938, 807. bgh 22. apr. 1953, bghz 9. bgh 18. dez. 1954, bghz 16 bgh 20 may 1968, bghz 50, 191. bgh 20 okt. 1988, bghz 105, 290. bgh 5 dez. 1991, njw 1992, 834. cours de justice des communautés européennes cjce 12 juillet 1957, algera e.a. c/assemblée commune de la ceca, aff. jtes 7/56 et 3 à 7/57, rec. 1957, 81, concl. lagrange, 136 cjce 13 juillet 1965, lemmerz-werke gmbh c/haute autorité ceca, aff. 111/63, rec. 1965, 836, concl. roemer, 865. cjce 10 décembre 1972, coopératives agricoles de céréales/commission et conseil, 95 à 98/74, 15 et 100/75, rec. p. 1615 cjce 18 mars 1975 (78/74 rec. p. 421) et 25 juin 1975 (5/75 rec. p. 759), deuka. cjce 15 mai 1975, frubo/commission, 71/74, rec. p. 563 cjce 27 mai 1975, aff. 2/75, einfuhr- und vorratsstelle getreide c/ mackprang, rec. 1975, 607 cjce 3 mai 1978, aff. 112/77, gesellschaft gmbh in firma august töpfer et co. c/ commission, rec. 1978, 1019, concl. mayras, 1034. cjce 15 décembre 1982, hauptzollamt krefeld/maizena gmbh, 5/82, rec. p. 4601. cjce 11 mai 1983, klöckner-werke/commission, 303 et 612/81, rec. p. 1507.
433 cjce 12 décembre 1985, aff. 67/84, rec. 1985, 3983. cjce 6 février 1986, vlachou/cour des comptes, 162/84, rec. 1986 p. 481 cjce 12 novembre 1987, aff. 344/85, ferriere san carlo c/ commission, rec. 1987, 4435, concl. mancini, 4443. cjce 16 mai 1991, aff. 96/89, rec. 1991, i, 2461 cjce 1er avril 1993, aff. 31/91, rec. 1991, i, 1761 cjce 20 mars 2001, aff. 18/99, cordis obst und gemüse großhandel gmbh c/ commission. cour suprême des etats-unis pennsylvania coal co. v. mahon 260 u.s. 413 (1922). penn central transportation company v. city of new york, 438 u.s. 104 (1976) kaiser aetna v. united states 444 u.s. 164 (1979). ruckelshsaus v. monsanto 467 u.s. 986 (1984). nollan v. california coastal commission 483 u.s. 825 (1987). lucas v. south carolina coastal council 505 u.s. 1003 (1992).
434 table des matières chapitre introductif.................................................................................. 7 section 1 : droit et attentes..............................................................................................8 §1.- confiance et vie en société. .............................................................................9 §2.- le droit comme instrument de prévision et de sécurité. ................................11 §3.- « attente légitime » et différentes conceptions du droit................................14 section 2 : définition de l’attente légitime telle que nous allons l’étudier....................19 §1.- définition de l’ « attente ». ............................................................................19 §2.- définition de la « légitimité ». .......................................................................26 §3.- définition de l' « attente légitime »................................................................29 section 3 : domaine de l’étude. .....................................................................................29 §1.- domaine ratione materiae.............................................................................29 §2.- domaine ratione temporis. ............................................................................36 §3.- domaine ratione personae.............................................................................37 section 4 : problématique et plan de l’étude. ................................................................40 §1.- formulation de la problématique...................................................................40 §2.- plan de la thèse...............................................................................................42
435 1ere partie : des racines anciennes en droit interne...................45 chapitre 1. une problematique commune...........................................................47 section 1 : l’attente légitime comme complément de la volonté. ..................................49 §1.- fonctions possibles de l’ « attente légitime » dans un système fondé sur l’autonomie de la volonté (distinction fonctionnelle). ..........................................50 §2.- différentes catégories d’attentes (distinction matérielle). .............................59 section 2 : l’attente légitime comme rattachement du droit à la normalité..................63 §1.- légitimité et normalité...................................................................................64 §2.- normalité descriptive et normalité prescriptive.............................................70 chapitre 2. des notions similaires........................................................................73 section 1 : la protection des attentes légitimes des particuliers dans leurs relations avec les autorités publiques (droit public)....................................................................73 §1.- la protection de la confiance légitime dans les droits publics anglais, allemand, et européen............................................................................................75 §2.- la protection de la confiance légitime, un idée en constante progression en droit administratif français. ...................................................................................96 section 2 : la protection des attentes légitimes des parties au contrat de droit interne (droit privé). ................................................................................................................107 § 1.- la prise en compte des attentes légitimes dans l’interprétation des contrats. .............................................................................................................................109 §2.- notions ayant spécifiquement pour objet la protection des attentes...........153
436 2nde partie : un développement récent en droit international des investissements. ...............................................................................177 titre 1. traitement de l’investissement et attentes de l’investisseur. 181 chapitre 1. la notion d’ « attente legitime » comme composante du principe de traitement juste et equitable........................................................183 section 1 : le « traitement juste et équitable », pièce maîtresse du traitement des investissements. ............................................................................................................183 §1.- importance du principe du traitement juste et équitable..............................183 §2.- un principe aux contours encore incertains.................................................188 section 2 : l’ « attente légitime », élément déterminant du principe de traitement juste et équitable...................................................................................................................197 §1.- rapports entre traitement juste et équitable et protection des attentes légitimes. .............................................................................................................198 §2.- nature des attentes protégées dans le cadre du traitement juste et équitable : attentes créées par l'etat d’accueil.......................................................................206 chapitre 2 : modalites de protection de l’attente legitime au titre du traitement juste et equitable.............................................................................209 section 1 : la protection des attentes créées explicitement : l’interdiction faite à l’etat d’accueil de se contredire au détriment de l’investisseur............................................210 §1.- respect des attentes créées avant l’opération d’investissement. .................212 §2.- respect des attentes créées après la réalisation de l’opération d’investissement..................................................................................................225 section 2 : la protection des attentes créées implicitement : le problème de l’inaction ou des déclarations et comportements ambivalents.....................................................231 §1.- attentes créées activement : déclarations et comportements ambivalents. .232 §2. attentes suscitées passivement......................................................................249
437 titre 2. protection de l’investissement et attentes de l’investisseur. 259 chapitre 1. relations entre les notions d’ « attente legitime » et d’ « expropriation indirecte »..............................................................................261 section 1 : l’ « expropriation indirecte », notion-clé de la protection de l’investissement. ...........................................................................................................261 §1. problématique de l’expropriation indirecte dans le contentieux récent de l’investissement...................................................................................................261 §2. définition de l’expropriation indirecte..........................................................267 section 2 : l’ « attente légitime », élément déterminant de la qualification d’ « expropriation indirecte ». .....................................................................................274 §1.- lien entre « attentes légitimes » et expropriation indirecte : une idée américaine ?.........................................................................................................275 §2.- nature des attentes protégées : attentes nées de l’ensemble des circonstances. .............................................................................................................................285 chapitre 2. les modalites de protection de l’attente de l’investisseur au titre de l’interdiction de l'expropriation indirecte....................................291 section 1 : la déception des attentes légitimes, critère nécessaire mais insuffisant de l’expropriation indirecte. .............................................................................................291 §1.- la déception des « attentes légitimes » comme critère de l’expropriation indirecte...............................................................................................................292 §2.- insuffisance du critère de la déception des attentes légitimes. ....................305 section 2 : identification des attentes à protéger.........................................................306 §1.- l’attente de durée de l’investissement.........................................................307 §2.- l’attente de profit. .......................................................................................309
438 titre 3. pour une théorie générale de l’attente légitime en droit international des investissements. 317 chapitre 1. question prealable : une « jurisprudence arbitrale » comme source du droit de l’ « attente legitime » ? ....................................................321 section 1 : existence d'une « jurisprudence arbitrale » en droit international des investissements. ............................................................................................................322 §1.- une expression à première vue inappropriée...............................................322 §2. une expression malgré tout adéquate............................................................325 section 2 : la jurisprudence arbitrale, une source de droit ?.....................................329 chapitre 2. criteres generaux de la legitimite de l’attente.....................331 section 1 : appréciation en fonction du contexte de l’investissement. ........................333 §1.- en fonction du contexte économique et politique........................................335 §2.- en fonction du contexte culturel..................................................................347 section 2 : appréciation en fonction de l’auteur de l’attente. .....................................350 §1.- appréciation de la légitimité en fonction du comportement de la partie dont les attentes sont appréciées (en général l’investisseur). ......................................351 §2.- attentes de l’investisseur et attentes de l'etat..............................................368 chapitre 3. la protection des attentes legitimes, principe autonome ?.375 section 1 : la notion d’ « attente légitime » comme standard ?..................................377 §1.- la protection de l’ « attente légitime » comme norme souple.....................381 §2.- l’ « attente légitime » comme étalon. .........................................................388
439 section 2 : la protection des attentes légitimes, un principe général de droit ?.........390 §1.- arguments en faveur d’un principe général de droit. ..................................393 §2.- arguments pondérateurs..............................................................................394 conclusion générale .............................................................................397
440 vu : le président du jury vu : les membres du jury m.……………………… mm. ……………………… ……………………… ……………………… vu et permis d’imprimer : le président de l’université panthéon-assas (paris ii) droit – economie – sciences sociales louis vogel